Un système de sécurité

AU lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une grande partie de l’Europe était en ruines. Ce n’était pas le continent dynamique d’aujourd’hui, nombre de villes et villages n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Le conflit avait fait un nombre de morts ahurissant : environ 19 millions de civils et 17,5 millions de militaires.

Le rationnement, les camps de réfugiés et la malnutrition faisaient partie de la vie quotidienne. Le simple fait de survivre était une épreuve.

À l’été 1940, l’Union des républi-ques socialistes soviétiques, l’URSS, avait absorbé trois anciens États baltes indépendants : l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Elle s’était également approprié une partie de la Roumanie et pour en faire la République socialiste soviétique de Moldavie. À la fin de la guerre, les troupes soviétiques occupaient plusieurs pays d’Europe centrale et de l’est, notamment l’est de l’Allemagne. 

Que faire de l’Allemagne vaincue? La question figurait alors en bonne place à l’ordre du jour des Alliés. Le pays avait été divisé en quatre zones d’occupation. Les secteurs britannique, français et américain couvraient les deux tiers du pays à l’ouest et le secteur soviétique couvrait l’autre tiers à l’est. L’ancienne capitale de Berlin, bien que nichée au fin fond de la zone contrôlée par les Soviétiques, était aussi divisée en quatre parties.

Bien entendu, les Alliés divergeaient idéologiquement, notamment sur les indemnités de guerre. Ils s’étaient initialement mis d’accord sur des sanctions, mais les Soviétiques les poussaient à l’extrême. Ils avaient complètement démantelé quelques usines allemandes pour les transporter en URSS, et ils confisquaient la production de celles qu’il restait.

Les Soviétiques devaient utiliser leur zone à l’est, très agricole, pour alimenter le reste de l’Allemagne, en échange d’une partie des indemnités des zones occidentales. Cela ne se fit jamais. Contraints de nourrir les Allemands dans leurs secteurs en puisant dans leurs propres économies, les Alliés occidentaux changèrent d’avis et appuyèrent alors le rétablissement de l’industrie allemande pour permettre aux Allemands de subvenir à leurs propres besoins. Les Soviétiques s’y opposèrent.   

Lorsque les puissances occidentales refusèrent à l’URSS ses demandes d’indemnités plus élevées, les efforts de coopération commencèrent à aller de mal en pis. Les administrations zonales se mirent à diverger. Le 1er janvier 1947, la Grande-Bretagne et les États-Unis unifièrent leurs zones en un nouveau territoire nommé Bizonia, ce qui exacerba davantage les tensions Est-Ouest.    

Puis, en mars et avril, les minis-tres des Affaires étrangères des quatre puissances occupantes ne réussirent pas à s’accorder sur des traités de paix avec l’Allemagne et l’Autriche. Pendant ce temps, la doctrine Truman, selon laquelle les États-Unis appuieraient toute démocratie menacée par quelque entité autoritaire, exacerba encore davantage les tensions avec les Soviétiques.

L’alliance stratégique Est-Ouest de la Seconde Guerre mondiale qui avait vaincu le fascisme était irrémédiablement rompue face aux hostilités croissantes de l’après-guerre. La guerre froide commençait; le rideau de fer se concrétisait.

Des garçons font signe de la main à un avion américain livrant de la nourriture au territoire qui faisait l’objet d’un blocus des Soviétiques en 1948.
dpa picture alliance/Alamy/D3B759

Pendant ce temps, les Alliés occidentaux commencèrent à planifier une nouvelle Allemagne composée de leurs zones d’occupation. Lorsque les Soviétiques eurent connaissance de ce projet en mars 1948, ils se retirèrent du Conseil de contrôle allié qui avait été créé pour coordonner la politique d’occupation entre les zones. 

En juin, sans en informer préalablement les Soviétiques, les responsables britanniques et étasuniens introduisirent une nouvelle monnaie pour la Bizonie et Berlin-Ouest. En représailles, les Soviétiques en émirent aussi une. Les Alliés occidentaux commencèrent à craindre que leurs zones d’occupation à Berlin ne soient absorbées par l’Allemagne de l’Est que contrôlaient les Soviétiques, hostiles.

La ville avait été pilonnée par les bombardements alliés pendant la guerre, et elle était en ruines. La famine menaçait et les abris convenables étaient rares. Le marché noir avait pris le pas sur la vie économique.

Les craintes des Alliés étaient justifiées. Le 24 juin, les forces soviétiques imposèrent un blocus de toutes les liaisons par voie ferrée, par route et par canal vers Berlin-Ouest. La première crise de la guerre froide venait d’éclater. En réponse, la Grande-Bretagne et les États-Unis lancèrent un pont aérien pour le transport de nourriture et de carburant vers Berlin-Ouest à partir des bases aériennes alliées en Allemagne de l’Ouest.

La réponse au blocus de Berlin montrait à l’URSS que les Alliés pouvaient indéfiniment approvisionner la ville assiégée par avion. Le 11 mai 1949, les Soviétiques levèrent le blocus.   

Pendant ce temps, entre 1946 et 1948 et parallèlement à ces provocations, l’URSS avait soutenu les communistes partout en Europe, et ils menaçaient les gouvernements démocratiquement élus. Le résultat fut la création d’États communistes radicaux basés sur le système de gouvernement soviétique en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie et en Albanie. 

À bien des égards, le blocus de Berlin est la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour certains pays européens. Le 17 mars 1948, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg signèrent le Traité de Bruxelles, une alliance établie en réponse à la demande américaine d’une plus grande coopération européenne. Le bras de sa défense était basé au château de Fontainebleau, au sud de Paris, et était dirigé par le maréchal Bernard Montgomery.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) fut créée le 4 avril 1949 devant les tensions croissantes entre l’URSS et l’Occident et la crainte d’une nouvelle expansion communiste, après le blocus de Berlin et le Traité de Bruxelles, et face à la nécessité d’un cadre de sécurité collectif contre les Soviétiques. Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, l’Islande, l’Italie et le Portugal étaient les premiers membres du Traité de l’Atlantique Nord, signé à Washington, D.C.

L’OTAN a été et reste l’un des traités de défense mutuelle les plus efficaces de l’histoire. Pourtant, l’opposition à la menace présentée par l’URSS n’était que l’un des trois piliers qui avaient conduit à sa création. En plus de décourager la domination soviétique, l’OTAN avait également été conçue pour empêcher une renaissance du militarisme nationaliste en Europe et soutenir l’intégration politique européenne. 

Le principe central de l’OTAN est contenu dans l’article 5 du traité : « une attaque armée contre l’une ou plusieurs […] sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes » et chaque État membre aidera ceux qui sont attaqués en prenant « telle action qu’il jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée ». 

L’accord de l’OTAN établit le plus ancien organe de l’organisation : le Conseil de l’Atlantique Nord. Ce conseil est le principal groupe décisionnel, et ses politiques reflètent la volonté collective des membres de l’OTAN.

Quatre mois après sa création, l’alliance mit en place un comité militaire chargé de fournir des conseils en matière de défense à l’organe. Le comité est l’autorité militaire supérieure de l’OTAN et dirige ses commandants stratégiques. 

Le président du comité est élu parmi les chefs de la défense des membres de l’OTAN. Le mandat était d’un an à l’origine, mais depuis 1958, il est généralement de deux ou trois ans. 

Les signataires initiaux (à l’exception de l’Islande et du Luxembourg), ainsi que certains des membres ultérieurs, ont assuré la présidence du comité. Le Canada a assuré la présidence à trois reprises.

Au départ, l’OTAN n’avait pas de structure de commandement intégrée pouvant coordonner ses activités. Cela changea radicalement à cause de l’explosion de la bombe atomique de l’URSS le 29 aout 1949 et de l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord le 25 juin 1950. 

L’OTAN établit rapidement une structure de commandement consolidée. Après quatre mois à Paris, elle bâtit de nouvelles installations près de Versailles, qu’elle appela Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe.

Le Traité de l’Atlantique Nord, qui fut signé par le premier ministre Louis St-Laurent de la part du Canada le 30 avril 1949 (à droite).
OTAN; BAC/C-00071

Le général américain Dwight D. Eisenhower, nommé en décembre 1950, fut le premier commandant suprême des Alliés en Europe. Le poste est toujours occupé par un Étasunien, qui est également commandant du Commandement européen des États-Unis.

L’OTAN créa un secrétariat civil permanent à Paris en février 1952. Le premier secrétaire général fut l’ancien général britannique Lord Hastings Ismay, qui avait été le principal conseiller de Churchill pendant la guerre. Ismay aurait notoirement dit que l’OTAN avait été créée « to keep the Soviet Union out, the Americans in, and the Germans down » (pour tenir l’Union soviétique à l’écart, retenir les Américains et garder un joug sur les Allemands, NDT). 

Le conseil est présidé par le secrétaire général. Les secrétaires généraux proviennent de plusieurs pays, mais ils sont toujours européens.

Premier conflit important de la guerre froide, la guerre de Corée amena les pays de l’OTAN à augmenter considérablement leurs forces armées. En outre, tous les membres, à l’exception du Portugal et de l’Islande (qui n’a pas d’armée), y compris la Grèce et la Turquie qui s’y joignirent bientôt, fournissaient des ressources. Le Canada était le troisième plus grand contributeur de troupes après les États-Unis et le Royaume-Uni.

En 1952, la Grèce et la Turquie furent admises à l’OTAN, puis les suivirent l’Allemagne de l’Ouest en 1955 et l’Espagne en 1982. L’admission de l’Allemagne de l’Ouest coïncida avec la création d’une alliance régionale rivale de l’OTAN : le Pacte de Varsovie, qui se composait de l’URSS et de ses États satellites de l’Allemagne de l’Est, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Bulgarie, de la Roumanie et de l’Albanie (qui se retira en 1968).

Bien que le pacte soit théoriquement basé sur la prise de décision collective, dans la pratique, les Soviétiques dominaient et prenaient la plupart des décisions. Le traité professait également la non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres, mais l’URSS s’en servit pour justifier sa répression de la dissidence populaire en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968 et en Pologne en 1981. 

En février 1966, le président français Charles de Gaulle annonça que la France se retirerait de la structure militaire intégrée de l’OTAN tout en restant membre de l’alliance. Cela entraina le départ des forces de l’OTAN qui étaient en France, notamment des unités de l’Aviation royale canadienne. Cela signifiait également un déménagement en Belgique : le quartier général de l’OTAN à Bruxelles, et le commandement suprême à Casteau, près de Mons.

L’OTAN réussit tout au long de la guerre froide à dissuader toute agression militaire et ses forces collectives ne participèrent à aucun engagement militaire. Mais, la fin de la guerre froide changea la donne et de nouvelles menaces apparurent aux côtés des anciennes.

L’OTAN changea en même temps que les menaces, passant d’une alliance exclusivement défensive à une alliance proactive. Entre 1990 et 1992, avant sa première opération majeure en réponse à la crise dans les Balkans, l’alliance mena plusieurs opérations militaires mineures, principalement des vols aériens du système d’alerte et de contrôle.

La chute de l’Union soviétique et des États d’Europe de l’Est dominés par les communistes conduisit les nations constitutives de la République fédérale de Yougoslavie à déclarer leur indépendance. Cela commença en juin 1991 par la Slovénie et la Croatie, puis suivirent la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie.     

Après l’éclatement de la Yougoslavie, l’ONU, l’OTAN et l’Union européenne fournirent des soldats de la paix. Le premier engagement de l’OTAN fut l’opération Joint Endeavour, en décembre 1995, avec la Force de mise en œuvre de 60 000 soldats. Son objectif était de faire respecter les accords de Dayton qui mettaient fin à la guerre en Bosnie.   

Parallèlement, l’OTAN opéra un blocus maritime de la région et y imposa une zone d’exclusion aérienne.  

La Force de mise en œuvre acheva ses activités en décembre 1996 et fut immédiatement remplacée par la Force de stabilisation de l’OTAN. Elle se composait d’environ 12 000 soldats qui devaient aider la Bosnie-Herzégovine à devenir un pays démocratique. L’envergure de la force fut réduite peu à peu, et la mission fut remise à l’Union européenne à la fin de 2004.

Parallèlement, à partir d’octobre 1998, l’OTAN imposa aussi une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Bosnie-Herzégovine. Lorsque ses avertissements furent ignorés, l’alliance lança une campagne de bombardement de 78 jours pour forcer la Serbie à cesser ses attaques contre le Kosovo.   

En juin 1999, l’OTAN institua une force de sécurité au Kosovo. Ce fut une réussite et sa taille diminue progressivement jusqu’à ce que les propres unités du pays puissent prendre le relais.

En aout 2001, l’OTAN lança une initiative d’un mois pour collecter des armes auprès de la minorité ethnique albanaise de Macédoine qui avait attaqué les forces gouvernementales.   

Le Canada a contribué à toutes les missions de l’OTAN aux Balkans. Quelque 40 000 Canadiens y ont servi pour l’OTAN, l’ONU ou l’Union européenne.

À ce jour, l’article 5 de l’OTAN n’a été invoqué qu’une seule fois. Moins de 24 heures après les attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis où furent tuées près de 3 000 personnes, l’OTAN invoqua la clause en solidarité avec les Américains.   

Ceux-ci lancèrent immédiatement leurs opérations en Afghanistan lorsque les talibans au pouvoir refusèrent de livrer Oussama ben Laden, le cerveau de l’attaque. Cela fut suivi par l’engagement de ressources militaires dans la guerre de plusieurs pays de l’OTAN et d’autres qui n’en étaient pas membres.

À partir d’aout 2003, l’OTAN dirigea la Force internationale d’assistance à la sécurité mandatée par l’ONU pour l’Afghanistan. Sa mission était de créer les conditions permettant au gouvernement afghan d’exercer son autorité dans tout le pays et d’accroitre les capacités de ses forces de sécurité.

Des soldats de la paix canadiens lors d’une mission de l’OTAN en Croatie.
iStock; MDN/ACC

Cette opération prit fin en décembre 2014 et le mois suivant, l’alliance commença à former les forces de sécurité afghanes pour lutter contre le terrorisme et maintenir la sécurité dans le pays. Cela prit fin en septembre 2021 lorsque l’OTAN cessa tout soutien à l’Afghanistan. 

Le Canada fournit des ressources militaires aux missions de l’OTAN en Afghanistan dès le début. Cependant, son rôle de combat prit fin en 2011, et les derniers Canadiens partirent du pays en mars 2014. Plus de 40 000 soldats, marins et aviateurs canadiens avaient servi en Afghanistan.

Aujourd’hui, les menaces posées par l’invasion russe de l’Ukraine, l’expansionnisme régional de la Chine, le terrorisme, le changement climatique, l’instabilité régionale, les progrès technologiques et la cybersécurité figurent parmi les principaux défis que doit relever l’OTAN. L’alliance a cependant réussi à réaliser son objectif de sécurité collective au cours des 75 dernières années. À cet égard, son approche partagée reste le meilleur pari pour que les pays occidentaux surmontent les éventuels problèmes à venir.

Les derniers membres de l’OTAN

L’OTAN créa le Partenariat pour la paix en 1994 pour tisser des liens entre l’alliance et les nouvelles démocraties d’Europe, en particulier les pays de l’ancienne Union soviétique.
Trente-quatre pays finirent par y adhérer, dont la Russie et les républiques constitutives de l’ancienne URSS, des membres du Pacte de Varsovie et plusieurs pays européens traditionnellement neutres. Le programme de partenariat servit à certaines nations à se joindre à l’OTAN.       

Le plus récent membre de l’OTAN est la Finlande (qui y a adhéré en 2023), tandis que la Suède devrait devenir le 32e membre de l’alliance une fois que la Hongrie aura ratifié sa demande. On compte parmi les autres nouveaux membres la Macédoine du Nord (2020), le Monténégro (2017), l’Albanie et la Croatie (2009), la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie (2004), et la Tchéquie et la Hongrie (1999).

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