Rapport de situation sur l’inconduite sexuelle dans les Forces

Les affaires d’inconduite sexuelle qui secouent les Forces armées canadiennes ont fait du chemin depuis les révélations alarmantes dans les médias il y a trois ans. Elles sont désormais au cœur des tribunaux, des milieux de travail de l’armée et de la scène politique.

Il reste encore beaucoup à faire pour mettre en œuvre les 48 recommandations résultant de l’examen externe complet et indépendant effectué en 2022 par l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour, mais l’année 2023 a été jalonnée d’importantes mesures et leçons.

Bill Blair, ministre de la Défense, a annoncé en aout dernier que le règlement sur le devoir de si-gnaler les agressions et l’inconduite sexuelles serait abrogé cet hiver. Ce règlement privait les survi-vantes et survivants de tout contrôle sur la dénonciation et créait un dilemme moral pour les témoins, censés signaler les faits même si les survivantes et survivants ne le souhaitaient pas.

Ce changement ne restreindra pas les possibilités de signalement, mais il permettra aux militaires de « choisir la meilleure voie à suivre, tout en prenant dument en considération le bienêtre des personnes touchées », a déclaré la lieutenante-générale Jennie Carignan, chef – Conduite personnelle et culture.

Dans la foulée, M. Blair a annoncé que les membres des FAC étaient libres de déposer une plainte pour harcèlement sexuel ou discrimination fondée sur le sexe devant la Commission canadienne des droits de la personne ou dans le cadre d’un processus de règlement de grief des FAC.

Parmi les leçons retenues dans la tentative de l’armée de lutter contre les problèmes d’inconduite sexuelle, on note la difficulté de transférer aux systèmes de justice civils les enquêtes et les poursuites judiciaires dans les affaires d’agression sexuelle, comme le recommandait Mme Arbour dans son rapport. Le ministère de la Défense travaille au transfert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, mais certains secteurs de compétence, déjà surchargés, sont réticents à assumer cette charge de travail supplémentaire.

En date de mai 2023, l’armée avait adressé 93 affaires à d’autres forces de police, mais 29 avaient été refusées.

En date de mai 2023, l’armée avait adressé 93 affaires à d’autres forces de police, mais 29 avaient été refusées. En aout 2023, le juge d’un tribunal civil a suspendu les accusations dans l’une des premières affaires transférées aux tribunaux civils : elles enfreignaient les droits de la personne accusée à un procès dans un délai raisonnable, comme le garantit la Charte des droits et libertés du Canada. Les affaires devant les tribunaux provinciaux doivent être jugées dans les 18 mois suivant la mise en accusation. Or, le délai avait commencé à courir dès les accusations portées dans le système militaire, explique Alan Okros, professeur au Collège militaire royal de Kingston, Ont., qui fait des recherches sur le commandement, l’égalité des genres et la diversité.

« Mais le système civil doit quand même faire preuve de la diligence appropriée avant de procéder », ajoute-t-il.

Certaines affaires très média-tisées avec la mise en cause de hauts gradés accusés d’agression ou d’inconduite sexuelles en 2021 sont arrivées devant les cours martiales et civiles.

Le vice-amiral Haydn Edmundson, accusé d’une agression sexuelle en 1991, a plaidé non coupable. Son procès au civil aura lieu en 2024.

Le lieutenant-général Steven Whelan est passé devant la cour martiale en octobre 2023, car il aurait eu une relation déplacée avec une subalterne et aurait modifié son évaluation de rendement. L’affaire a été retirée après que les courriels de preuve aient été jugés irrecevables.

L’ancien chef d’état-major de la défense Jonathan Vance a plaidé coupable d’entrave à la justice devant un tribunal civil en 2022. Il a fait l’objet d’une absolution sous conditions dans le cadre de l’enquête sur des allégations d’une relation déplacée avec une subalterne et d’ingérence dans sa carrière.

En revanche, le Service national des enquêtes des Forces canadiennes n’a pas trouvé suffisamment de preuves pour porter des accusations en vertu du Code criminel ou du code du service militaire contre le vice-amiral Art McDonald, accusé d’inconduite sexuelle et relevé de son commandement en 2021. Toutefois, selon le Service, cela n’entache pas le fondement de l’allégation.

Voici d’autres faits nouveaux : la commission de révision du Collège militaire a entamé son examen de l’éducation militaire; une augmentation de financement doit fournir au personnel militaire davantage de centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle dans les collectivités du pays; le Centre de soutien et de ressources sur l’inconduite sexuelle a été délesté de ses responsabilités à l’égard de la surveillance et de l’instruction et a été recentré sur l’aide aux survivantes et survivants, notamment les anciens combattants, les employés du ministère de la Défense et leurs proches, ainsi que sur les recherches sur la prévention de tels actes (le Centre a établi un fonds pour offrir des conseils juridiques et de l’aide pour financer les frais de justice, il a également commencé à faire des recherches sur les personnes qui commettent des actes d’inconduite sexuelle afin d’élaborer des mesures préventives); l’armée, qui finance des recherches universitaires sur l’inconduite sexuelle depuis des années, a mis ses rapports d’étude internes à la disposition des universitaires pour éviter la duplication du travail.

Jocelyne Therrien, la surveillante externe chargée de superviser la mise en œuvre des recommandations de Mme Arbour, a présenté son premier rapport en mai 2023.

Malgré de nombreuses avancées, l’armée manque de « plan stratégique global » qui « permettrait de garantir que les ressources sont harmonisées aux priorités ». Au lieu de cela, dit-elle, le programme militaire est tributaire de la disponibilité des ressources et des questions de capacité.

Elle a aussi souligné de nombreux progrès.

Le bureau de la chef – Conduite personnelle et culture « joue un rôle décisif » en fournissant aux commandants d’unité « un endroit où ils peuvent obtenir des conseils sur la façon de composer avec les situations qui se présentent. »

Ce changement ne restreindra pas les possibilités de signalement, mais il permettra aux militaires de « choisir la meilleure voie à suivre, tout en prenant dument en considération le bien être des personnes touchées ».

Parallèlement, la chef a mis sur pied une formation sur l’inconduite sexuelle et la conduite haineuse, la diversité, l’équité et l’inclusion qui sera offerte à tous les militaires tout au long de leur carrière. Mme Therrien a également noté que la sélection des recrues et le traitement de leur comportement se sont améliorés.

« La sélection de recrues qui incarnent un éthos inclusif est l’une des façons d’obtenir, en fin de compte, un milieu de travail exempt de harcèlement, tout comme la libération rapide des personnes qui ont un comportement inacceptable », a-t-elle avancé dans son rapport.

En attendant les changements législatifs et règlementaires permettant l’institution d’une période d’essai, les FAC étudient des moyens de trier les recrues et décharger de l’instruction de base celles qui « présentent un comportement et des attitudes problématiques » comme le sexisme et le racisme.

En outre, les dirigeants de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes, qui est chargée de l’instruction de base de quelque 5 000 recrues par année, ont modifié ses programmes afin d’« appuyer un apprentissage plus robuste des valeurs et de l’éthique des FAC ».

« J’ai été témoin d’un nombre important d’activités concrètes au sein du MDN et des FAC dans leur réponse aux centaines de recommandations provenant des examens externes, a écrit Mme Therrien.

« Le défi est de gérer les projets et les initiatives de façon à prioriser les changements qui amènent une réforme fondamentale en temps opportun. »

Le succès pourra se mesurer par la baisse du nombre d’agressions ou d’inconduites sexuelles et les constatations des employés du ministère de la Défense et des militaires à cet égard.

« Il est encore trop tôt pour savoir si c’est en cours », a conclu Mme Therrien.

Elle devrait déposer son deux-ième rapport après la publication de ce numéro.

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