Le caporal Frederick Percival Bousfield

Le capitaine Scott McDowell était très jeune, huit ou dix ans à peine, quand il a entendu le nom de Percy Bousfield pour la première fois. Ainsi se nommait l’un de ses arrière-grands-oncles qui avait pris la mer et bourlingué dès 14 ans avant de s’enrôler dans l’armée et d’être tué au front occidental en 1916.

La dépouille du caporal Bousfield, signaleur de 20 ans incorporé dans le 43e Bataillon (Cameron Highlanders of Canada), était introuvable, et sa dernière demeure inconnue. Mais, la légende perdurait dans sa famille.

La grand-mère maternelle de McDowell était une Bousfield, et c’était un parent dont il entendit souvent parler en grandissant, même s’il ignorait que des recher-
ches étaient en cours. Il ne savait pas non plus que le nom du soldat inconnu était inscrit au Mémorial de la Porte de Menin, à Ypres, en Belgique, parmi ceux de plus de 54 000 combattants de l’Empire britannique.

(page 6-7-8-9) Le souvenir de Frederick Bousfield s’est perpétué dans la légende familiale. Il existe foule de photos, cartes postales, lettres et souvenirs de l’ancien matelot. Bousfield naviguait de par le monde lorsque sa famille a immigré d’Angleterre au Canada et s’est établie à Winnipeg en 1912.

En aout 2022, McDowell, officier de carrière dans le renseignement, fut muté à la Direction de l’histoire et du patrimoine des Forces canadiennes à Ottawa en tant qu’officier responsable des journaux de guerre. Il travaillait dans l’un de ces banals édifices en briques quand, trois mois plus tard, ses collègues et lui ont été convoqués à une grande réunion. C’est alors qu’un haut gradé a annoncé qu’une équipe d’enquête avait identifié la tombe du caporal Frederick Percival Bousfield.

« La Terre s’est arrêtée de tourner pendant un instant, nous a confié McDowell. Je me suis dit : “mon Dieu, c’est Percy.” J’étais sidéré. La probabilité était quasiment nulle. C’est complètement fou. Je n’ai pas entendu un traitre mot du reste de la réunion. »

(page 6-7-8-9) Le souvenir de Frederick Bousfield s’est perpétué dans la légende familiale. Il existe foule de photos, cartes postales, lettres et souvenirs de l’ancien matelot. Bousfield naviguait de par le monde lorsque sa famille a immigré d’Angleterre au Canada et s’est établie à Winnipeg en 1912.

Bousfield fut tué lors de la bataille du mont Sorrel le 7 juin 1916 en Belgique. Enlevée aux Canadiens, la côte du saillant d’Ypres fut reprise au fil de deux semaines d’âpres combats. Les unités alliées perdirent 8 430 hommes en 12 jours.

« Il avait quartier libre à ce moment-là, mais il n’est pas resté oisif, et malgré l’épouvantable déluge d’obus, il a fait un superbe travail en portant aide à nos blessés, écrivit Horace John Ford, alors capitaine de sa compagnie, à la mère de Bousfield.

C’est en soulevant l’un de ses camarades sans défense qu’un obus a éclaté à ses pieds, alors vous comprendrez que ce brave garçon n’a pas souffert du tout, et bien que sa mort soit une profonde douleur pour ses proches, ils peuvent tout de même rendre grâce à Dieu et le remercier de la manière dont cela est arrivé. Il accomplissait une œuvre salutaire pour soulager la souffrance, et il l’accomplissait bien et de façon noble, sans peur ni sans songer à récompense. »

La dépouille de Bousfield, anglais de naissance, fut couchée dans une tombe temporaire aux côtés d’autres, derrière un chalet près de l’église de Zillebeke, non loin du lieu de sa mort. Elle fut marquée d’une simple croix en bois, qui devait être remplacée par une pierre tombale blanc ou gris pâle comme celles dont sont parsemés les terrains de cimetière militaire après le transfert des tombes du champ de bataille.

Des milliers de tombes temporaires semblables furent créées à la hâte sur les champs de bataille de la Grande Guerre ou aux alentours. Étant donné la nature stagnante des combats, ils étaient souvent piétinés à maintes reprises, endommagés par le feu de l’artillerie et détrempés par les pluies. Beaucoup se retrouvaient sous les bottes des soldats, d’abord celles de l’ennemi lorsqu’il avançait, puis sous celles des Alliés reprenant l’avance vers l’est. Les terrains étaient inévitablement détruits, et les lieux d’un grand nombre de tombes, par ailleurs documentées, anéantis.

Ainsi fut le sort que connut la dépouille de Bousfield.

Le 14 septembre 1923, une pierre tombale du cimetière de Bedford House, près d’Ypres, fut portée au registre : « A Corporal of the Great War—Canadian Scottish—Known Unto God » (Un caporal de la Grande Guerre – canadien écossais, connu de Dieu, NDT). La dépouille avait été transférée avec d’autres de Zillebeke en février. Elle ne fut pas identifiée et la date de la mort resta inconnue, bien que l’on confirma que dans les autres tombes étaient des victimes de la bataille du mont Sorrel.

« J’ai le regret de devoir vous informer que bien que le quartier du sud-est d’Ypres où le caporal
F. P. Bonsfield [sic] aurait été enterré ait été fouillé, et que les dépouilles de tous ces soldats enterrées dans des tombes éparpillées à l’écart aient été enterrées à nouveau avec respect dans des cimetières afin que les tombes puissent être entretenues à jamais comme il se doit, la tombe de ce soldat n’a pas été identifiée », est-il écrit dans une lettre de l’ancienne Imperial War Graves Commission, devenue la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth.

Une carte postale que le matelot de 14 ans Bousfield écrivit à ses parents en 1910.

Bref, Percy Bousfield était perdu, mais pas oublié. Pour un homme de l’époque de 20 ans, il avait eu une vie incroyablement riche et bien documentée, et presque un siècle plus tard, des photos, des lettres et des histoires de ses aventures et de sa mort pour une noble cause s’échangeaient dans sa famille.

Puis, en octobre 2019, la Direction de l’histoire et du patrimoine reçut un rapport de la commission qui détaillait une possible identification de la tombe 68, rangée C, lot 11 dans la division no 4 à Bedford House.

La commission, qui gère plus de 1,1 million de tombes militaires dans plus de 23 000 lieux et dans 150 pays et territoires, avait reçu trois « rapports très détaillés » de chercheurs indépendants indiquant que la tombe était celle du caporal Frederick Percival Bousfield.

« La Terre s’est arrêtée de tourner pendant un instant. La probabilité était quasiment nulle. C’est complètement fou. »

La Direction lança sa propre enquête avec l’aide du Programme d’identification des pertes militaires des Forces canadiennes, de la Forensic Odontology Response Team et du Musée canadien de l’histoire.

Des journaux de guerre, des états de service, des registres de victimes et des rapports d’exhumation et de transfert furent épluchés. La Direction conclut que la tombe ne pouvait être que celle du caporal Bousfield. Les détails de l’identification partielle ne correspondaient à aucune autre personne.

Renée Davis est historienne civile à la Direction de l’histoire et du patrimoine et chargée de recherches principale au Programme d’identification des pertes militaires. Avec une petite équipe d’historiens et d’étudiants en enseignement coopératif, elle mène des recherches et analyse des dossiers portant sur des tombes, ce qui diffère considérablement de l’identification de dépouilles retrouvées.

« Habituellement, on est face à une pierre tombale sous laquelle repose un inconnu, mais pour une raison quelconque, un identifiant d’unité, une date de décès, ou quelque chose de ce genre qui suscite l’intérêt [d’un chercheur indépendant], nous a-t-elle expliqué.

Alors cette personne entame des recherches et rédige un rapport pour la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth. »

La commission effectue ensuite une analyse préliminaire du bien-fondé de chaque dossier, puis remet au pays concerné un rapport avec ses conclusions et celles des chercheurs indépendants, ainsi que ses recommandations.

« Bref, Percy Bousfield était perdu, mais pas oublié. Presque un siècle plus tard, des photos, des lettres et des histoires de ses aventures et de sa mort pour une noble cause s’échangeaient dans sa famille. »

C’est à cette étape que l’équipe de Davis intervient. Elle enquête et rédige des rapports accompagnés de recommandations au Comité d’examen du Programme d’identification des pertes militaires sur l’identification catégorique de pierres tombales. Elle n’effectue pas d’exhumation.

Davis explique que son équipe peut identifier de façon sure deux pierres tombales sur dix dans les dossiers qu’on lui confie. Onze des 46 identifications qu’elle a réalisées à ce jour ont été accomplies à partir de stèles, les autres, à partir de dépouilles. La grande majorité sont de la Première Guerre mondiale, où la proportion de disparus au combat fut bien plus grande que lors de la Deuxième Guerre mondiale.

À l’heure où nous rédigeons cet article, le Programme d’identification des pertes militaires se concentre sur 40 enquêtes concernant des dépouilles et sur 38 concernant des tombes.

« On se sent très proche de ces personnes. C’est du concret, note Davis. Des fois, les dossiers comme celui-ci peuvent être bouclés, et c’est merveilleux.

« Mais, assez souvent, il n’y a pas suffisamment de preuves pour affirmer avec certitude de qui il s’agit, ce qui est parfois un peu déchirant. »

Aucun autre profil ne cor-respondait aux rares détails sur Bousfield.

« La famille est chanceuse que Percy était caporal, car sa tombe l’identifiait en tant que tel et en tant que Canadien, et les écrits indiquent qu’il était membre du régiment Highland, souligne Marjorie Bousfield, historienne de la famille et cousine au deuxième degré Marjorie Bousfield. Alors cela limitait vraiment les possibilités.

« Si seul “soldat inconnu” avait été inscrit, il n’y aurait eu aucun espoir, tant ils sont. Dans le cimetière de Percy à Bedford House, il y a [5 139] tombes [du Commonwealth], dont [3 011] ne sont pas identifiées.

« C’est vertigineux. C’est vraiment vertigineux. »

Marjorie Bousfield avait retracé les années de marin de son grand-oncle en parlant avec ses frères et sœurs. Elle avait retrouvé les noms de bateau où il avait travaillé et les nombreux endroits qu’il avait visités. Elle avait aussi découvert des croquis de sa main (il était dessinateur) et des lettres et cartes postales qu’il avait écrites.

La famille, dit-elle, « ignorait complètement qu’il était là-bas », au cimetière de Bedford House, avant que McDowell ne s’assoie à la réunion de la Direction de l’histoire et du patrimoine.

« Cela m’attriste qu’il n’ait pas pu vivre toute sa vie, explique-t-elle. Et c’est encore plus triste quand on multiplie ça par le grand nombre de jeunes hommes qui ont fait la Première Guerre mondiale; un nombre astronomique. Et on pense aux répercussions sur ses proches au pays, car c’était un frère que l’on chérissait vraiment.

« Mais moi, je me sens heureuse. Ce n’est pas comme quand les familles reçoivent des avis de l’armée, ce qui est toujours triste. Nous savions déjà qu’il était mort, donc il n’y a pas cet impact immédiat de tristesse et de tragédie. Nous pouvons donc nous réjouir de savoir où il est. »

Contrairement aux noms de disparu inscrits sur le Mémorial national du Canada à Vimy, en France, qui restent même lorsqu’un disparu est identifié, le nom de Bousfield sera enlevé de la Porte de Menin.

Le soldat Harry Atherton

Harry Atherton n’avait que 19 ans quand il quitta les usines, fonderies et houillères de Tyldesley, sa ville industrielle du nord de l’Angleterre, et qu’il arriva au Canada pour commencer une nouvelle vie.

Il n’aurait pas pu trouver plus loin ou plus différent de chez lui quand il s’est installé à McBride, en Colombie-Britannique, un village des Rocheuses dont la population, même en 2021, n’était que de 588 âmes.

Mais, pour un charpentier comme Atherton, un endroit comme McBride était une promesse de prospérité en 1913.

Loin de la route romaine qui traversait sa ville natale où l’urbanisation et l’industrialisation avaient pris racine au XIXe siècle, McBride était un nouveau village situé au mille 90 de la Grand Trunk Pacific Railway. Une gare était en construction sur ce qui allait devenir la rue Main. Les lieux se développaient grâce à l’agriculture, l’exploitation forestière et la voie ferrée.

Cependant, Atherton ne verrait pas beaucoup plus d’aménagement que le petit édifice avec la plateforme et la pancarte « McBride ». Un an après son arrivée, une guerre mondiale éclatait en Europe, guerre d’où il ne reviendrait pas.

En mars 1916, Atherton, qui était alors un artisan de 23 ans, prit le train vers Edmonton, à l’est, où il s’enrôla dans le Corps expéditionnaire canadien.

En juillet, il était en France, au combat sur le front occidental en tant que membre du 10e Bataillon d’infanterie canadienne.

En aout, Atherton prit le chemin d’une des batailles les plus sanglantes de la guerre, celle de la Somme.

Il reçut une balle à la cuisse gauche le 26 septembre 1916, lors de l’assaut des fortifications allemandes de Thiepval. Ce fut l’une des 241 victimes du 10e Bataillon. Comme c’était souvent le cas avec la boue et la saleté du temps de la guerre en France, la plaie s’infecta. Atherton resta hospitalisé 72 jours et on lui permit de retourner au front en mars 1917.

Il semble qu’il ne participa pas aux combats à la crête de Vimy, mais il avait rejoint le 10e à la mi-mai et il prit part à ceux de la côte 70 au mois d’aout. C’est là, en périphérie de la ville minière de Lens, que les quatre divisions du Corps canadien commandé par le lieutenant-général Arthur Currie se mesurèrent à cinq divisions de la 6e armée allemande. Il fallut 10 jours pour arracher la côte au sol crayeux des mains des Allemands.

Les canons canadiens et britanniques lancèrent presque 800 000 obus sur plusieurs jours avant de passer à l’attaque. Les fantassins avançaient sous le couvert d’un rideau de fumée et d’un barrage rampant, et les balles de mitrailleuse tirées des deux côtés se comptaient par millions.

La bataille finit au combat rapproché, au corps à corps désespéré. La Croix de Victoria fut décernée à six Canadiens pour leurs actes sur la côte 70, quatre d’entre elles pour des combats rapprochés.

Atherton fut blessé le premier jour. La nouvelle de sa mort se répandit peu après.

Le 11 juillet 2017, un siècle après sa mort, des sapeurs de combat nettoyant de vieilles munitions trouvèrent des restes humains près de la rue Léon Droux de Vendin-le-Vieil, au nord de Lens. Il s’agissait de ceux d’Atherton.

On ne saura probablement jamais ce qui est arrivé à ce soldat de 24 ans, ni comment il disparut.

« Pour être franche, je ne fais pas de recherches là-dessus », a avoué Sarah Lockyer, l’anthropologue judiciaire et coordonnatrice d’identification des pertes militaires du Canada qui a analysé la dépouille d’Atherton et rédigé le rapport d’enquête.

« La dépouille est généralement près de l’endroit où elle a été découverte », explique-t-elle. Elle dispose de sept à 14 jours pour ses analyses, alors elle se concentre sur l’identification, et non sur la cause de la mort.

« Il s’agit donc de choses comme le profil biologique : évaluer l’âge, évaluer la taille, s’il y a quelque chose de notable concernant les dents ou s’il y a une fracture mentionnée dans les dossiers, des choses comme ça.

« Au final, ils ont été tués au combat, alors ils sont tous morts à cause de la guerre. »

Plus de 9 000 Canadiens furent tués, blessés ou déclarés disparus au combat sur la côte 70. Il y a eu plus de 1 300 portés disparus là-bas, l’un des plus grands nombres de toutes les batailles de la guerre. Lockyer note que 40 des 41 dépouilles que son bureau analysait au moment de l’entretien dataient de la Première Guerre mondiale, et la plupart de la côte 70. Les autres dataient de la Seconde Guerre mondiale.

« Il y a beaucoup de construction dans cette région et on retrouve des restes de dépouilles un peu partout », explique Lockyer.

Le 10e Bataillon auquel appartenait Atherton perdit 429 hommes sur la côte 70, dont 71 n’ont pas de tombe connue. Parmi les morts se trouvait l’un des six Canadiens à qui fut décernée la VC : le soldat Harry Brown qui périt lors d’une contrattaque le lendemain de la mort d’Atherton.

Les sapeurs qui ont découvert la dépouille d’Atherton ont aussi exhumé plusieurs artéfacts, dont un disque d’identité et des insignes du 10e Bataillon, notamment un insigne de casquette portant le blason distinctif à castor et couronne du bataillon.

L’équipe d’intervention en odontologie médico-légale des Forces canadiennes, le Musée canadien de l’histoire et le Comité d’examen du Programme d’identification des pertes militaires se sont mis au travail à l’aide d’analyses historiques, généalogiques, anthropologiques, archéologiques et d’ADN.

Le disque d’identité, appelé aussi plaque d’identité, illisible, fut envoyé à l’Institut canadien de conservation. L’inscription « 10 BATT » était clairement visible en bas après nettoyage. On voyait aussi une partie de numéro matricule « 4 – – 658 » et « ON » près du bord supérieur droit du disque. Le numéro matricule du soldat dont il est question était le 467658.

Lockyer souligne la difficulté à retrouver les proches d’Atherton. Il n’avait qu’une sœur, et notre anthropologue ne savait pas si elle avait des enfants. Le donneur d’ADN et le proche parent étaient en fait deux personnes différentes, dit-elle.

« Ils étaient tous deux quatre fois arrière-petits-cousins, ou quelque chose comme ça. Ils étaient vraiment éloignés d’Atherton. Ça arrive avec son arbre généalogique. »

Malgré les difficultés, les enquêteurs ont confirmé en octobre 2021 que les restes étaient réellement ceux d’Atherton. Sa dépouille fut enterrée avec tous les honneurs militaires, en France, au mois de juin dernier, avec ceux de deux autres personnes, dans le cimetière britannique de Loos, à Loos-en-Gohelle.

Comme c’est l’usage dans le cas de soldats canadiens retrouvés en France, le nom d’Atherton restera avec 11 285 autres sur le Mémorial de Vimy.

L’insigne de casquette d’Atherton (ci-dessus) portant le blason distinctif à castor et couronne du 10e Bataillon, avec des insignes de col C10 et un titre d’épaule du Canada en laiton trouvés avec ses restes. Le disque d’identité partiellement détruit (ci-dessus, à droite) a permis de confirmer le bataillon et le numéro matricule.

 

Search
Connect
Listen to the Podcast

Comments are closed.