Le Canada devrait-il avoir des sous-marins nucléaires?

Peggy Mason dit que  NON

Le Canada ne devrait pas suivre l’Australie dans sa décision d’acquérir des sous-marins américains à propulsion nucléaire. Cet encouragement horriblement cher à la prolifération nucléaire mine la souveraineté. De plus, le Canada risque de s’engluer davantage dans la stratégie américaine aussi irréfléchie qu’agressive de l’endiguement de la Chine.

Le Canada, tout comme l’Australie, est un État non doté d’armes nucléaires (ENDAN) signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. En vertu du Traité, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) donne l’assurance que ces États ne mènent que des activités nucléaires pacifiques, car toute utilisation du nucléaire à des fins militaires est interdite aux ENDAN. Toutefois, il existe une exception, un « vide flagrant et inquiétant » dans les garanties de l’AIEA qui leur permet de soustraire les matières nucléaires à la surveillance internationale pendant la durée de leur utilisation dans les réacteurs navals.

IL SERAIT ABSURDE QUE LE CANADA ENVISAGE DE CONSACRER UNE SI GRANDE PART DE SON BUDGET MILITAIRE AUX SOUS-MARINS À PROPULSION NUCLÉAIRE.

Les submersibles nucléaires américains sont alimentés par de l’uranium hautement enrichi, matériau qui peut être utilisé dans les ogives. Ni le Canada ni l’Australie ne détourneraient l’uranium enrichi de la propulsion navale, là n’est pas le problème. Mais, des pays à l’ambition de puissances nucléaires le pourraient, sans que les inspecteurs de l’AIEA y aient accès.

Ensuite, il y a le cout exorbitant. Le Canada a déclaré qu’il lui faudrait jusqu’à 12 sous-marins à propulsion conventionnelle qui couteraient 60 milliards de dollars. Dans le cadre du partenariat trilatéral de sécurité AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, cette dernière achètera jusqu’à huit sous-marins nucléaires américains à un prix entre 268 et 368 milliards de dollars. Le budget de l’approvisionnement militaire n’est presque jamais respecté, surtout lors de grands projets.

La façon dont Gareth Evans, l’ancien ministre australien des Affaires étrangères, a posé le problème de la souveraineté s’applique également au Canada : « en s’attelant aussi fermement à une telle technologie […], l’Australie a, en fin de compte, abandonné sa capacité de juge-ment souverain indépendant.

« Non seulement dans l’usage de cette nouvelle capacité, a-t-il poursuivi, mais aussi dans sa réponse aux futurs appels américains à un soutien militaire. »

L’importance pour le Canada d’agir avec une certaine indépendance sur la scène internationale prend tout son poids à la lumière du dernier argument contre l’acquisition : le risque de l’engluer davantage dans la stratégie déstabilisatrice de l’Amérique contre la Chine dans le Pacifique occidental.

Le Canada participe déjà à des opérations américaines de liberté de navigation et à d’autres exercices dans des zones proches de la côte chinoise. L’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire américains risque d’accroitre sa participation à cet effort, et ce, au moment où des stratèges américains progressistes exhortent l’administration du président Joe Biden à adopter une posture défensive de « déni actif » qui dissuaderait toute agression chinoise potentielle tout en limitant les risques d’escalade.

Le Canada ne devrait pas suivre les traces malavisées de l’Australie et chercher à acquérir cet équipement militaire terriblement dispendieux qui favorise la prolifération et qui compromet la souveraineté et la sécurité.

 

Michael A. Smith dit que OUI

À l’approche du
deuxième quart du XXIe siècle, le Canada doit clairement établir ses priorités pour un monde en mutation. L’Arctique et la souveraineté marine devraient figurer en bonne place sur la liste des nombreux domaines dans lesquels le pays doit investir. La Terre se réchauffe et la surveillance de la région polaire boréale est essentielle à un avenir prospère et sûr. La Russie empiète déjà sur le Nord canadien avec ses propres sous-marins nucléaires et capteurs sous-marins, essayant de saper la souveraineté du Canada, tandis que la Chine menace de s’étendre dans le Pacifique. Le Canada a trois vastes côtes à surveiller, des provinces maritimes jusqu’au littoral de la Colombie-Britannique dans le Pacifique, en passant par l’Arctique, et un seul moyen convient : le sous-marin nucléaire.

La population pourrait penser que le Canada dispose déjà d’une flotte de sous-marins, et qu’il n’a donc pas besoin de ce nouvel achat si couteux. Eh bien, les engins actuels ne suffisent pas à la mission à accomplir. Les sous-marins canadiens de la classe Victoria existants, achetés à la Grande-Bretagne en 1998, ont été construits dans les années 1980. Et depuis, le pays a dépensé des milliards pour les réparer. En outre, parler de flotte donne l’impression qu’ils sont prêts à tout moment. Or, ce n’est pas le cas : un seul est opérationnel. De plus, ils devraient également être retirés du service dans les années 2030, donc le Canada doit bientôt décider de la prochaine étape.

DE TELS NAVIRES PERMETTRAIENT AU CANADA DE SURVEILLER SES EAUX PLUS LIBREMENT.

Bien sûr, la nécessité de remplacer les navires actuels ne motive pas seule l’option nucléaire. Mais, le vaste littoral vulnérable du Canada, le plus long du monde, si. Les sous-marins nucléaires peuvent rester submergés pendant environ 20 ans (!) sans ravitaillement en carburant : les seuls obstacles sont la nourriture, les fournitures et le fait qu’il serait inhumain d’obliger les marins à rester sous l’eau aussi longtemps. Toutefois, de tels navires permettraient au Canada de surveiller ses eaux plus librement, d’atteindre des profondeurs actuellement inaccessibles et de cartographier les passages arctiques émergents à mesure que la glace polaire fond.

Non seulement le Canada devrait améliorer ses capacités de défense intérieure, mais il devrait collaborer avec ses alliés. La réputation internationale de l’armée canadienne se ternit. Le pays échoue systématiquement dans l’objectif de l’OTAN de 2 % du produit intérieur brut pour les dépenses – le Canada dépense environ 1,3 % –, et il a été exclu d’importants partenariats internationaux en matière de sécurité, tels que la nouvelle coalition Australie-États-Unis-Royaume-Uni. Cette dernière, appelée AUKUS, s’efforce de sécuriser l’Indo-Pacifique dans le cadre d’une coopération stratégique et d’échanges de renseignements ainsi que, notamment, en facilitant l’achat de sous-marins nucléaires par la première. Le Canada n’aurait-il pas pu alourdir un peu la commande?

En mars 2023, Anita Anand, alors ministre de la Défense, a déclaré que le Canada ne faisait pas partie de la coalition AUKUS en raison de son manque d’intérêt pour l’obtention de sous-marins nucléaires. Cette décision restreint fatalement les capacités de renseignement du pays. Le Canada ne remplit pas son contrat à cet égard, et les autres pays le remarquent.

Le gouvernement fédéral économise peut-être l’argent des contribuables, mais les Canadiens le paieront d’une manière ou d’une autre si la souveraineté marine et arctique du pays est menacée pendant qu’ils dorment.

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