Le gouvernement dépense-t-il assez pour rééquiper le militaire?

Un MQ-9 Reaper en Creech Air Force Base, Nev.
U.S. Air Force photo/Paul Ridgeway

Ernie Regehr dit que OUI.

Canada a déjà l’un des plus importants budgets militaires au monde. L’Institut international d’études stratégiques, dont le siège est à Londres, confirme qu’en 2016, le budget militaire canadien était, en termes absolus, le sixième de l’OTAN par ordre d’importance, surpassé seulement par ceux des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie. À l’échelle mondiale, le Canada est en 17e position, bien assurément dans les 10 % qui dépensent le plus.

Devrions-nous faire davantage? Si le Canada se classait cinquième dans l’OTAN ou seizième au monde, serait-il plus sûr? Est-ce que cela changerait les choses pour la paix et la sécurité internationales?

Il n’existe pas de menace militaire à la souveraineté du Canada ni à son intégrité territoriale : heureuses circonstances renforcées par le militaire canadien qui surveille et patrouille son vaste espace aérien et ses longues côtes. La sécurité publique est soutenue par les Forces armées canadiennes qui apportent leur aide aux autorités civiles et aux forces de l’ordre en cas de menaces non militaires, de catastrophes et d’opérations de sauvetage. À l’étranger, les Forces canadiennes appuient l’ordre international sur lequel reposent notre propre sécurité et notre prospérité.

Tout cela nécessite d’importantes dépenses militaires. Avec un budget de défense supérieur à celui de 90 % des autres pays du monde, le Canada n’est pas en reste.

La pression en faveur de l’augmentation du budget de défense du Canada a tendance à se concentrer sur l’amélioration du rôle du Canada dans le monde, mais la fragilité de l’ordre international, la persistance des conflits régio-naux et la menace du terrorisme mondial ne résultent pas du sous-financement des forces armées.

 

Une force militaire supérieure
peut faire tomber un régime,
mais pas le remplacer.


Le Canada devrait dépenser davantage pour renforcer la paix et la sécurité internationales, en tenant compte de trois faits. Premièrement, même les forces militaires les plus puissantes se sont souvent avérées incapables de régler les conflits ni d’atteindre les résultats politiques visés. Deuxièmement, les conflits politiques qui sont à l’origine des conflits armés actuels n’ont pas de solution militaire. Troisièmement, la paix et la stabilité durables reposent avant tout sur la bonne gestion des conditions économiques, sociales et politiques qui engendrent les conflits.

Les guerres contemporaines sont réglées, en fin de compte, par les diplomates et les politiciens, non pas par les généraux. Une force militaire supérieure peut remporter des batailles (comme expulser l’ÉIIS de Mosul, Iraq), mais pas gagner la guerre. Une force militaire supérieure peut faire tomber un régime, mais pas le remplacer.

La recherche de solutions militaires doit inévitablement faire place aux mesures qui favorisent la stabilité économique à long terme et la bonne gouvernance, au désamorçage des conflits identitaires, et aux engagements diplomatiques et politiques qui offrent des contrepoids à la violence. Il faut aussi, soit dit en passant, restreindre la circulation d’armes, surtout des armes de petit calibre, dans les régions de conflit.

Ces remèdes réels et très urgents aux conflits armés et aux menaces contre l’ordre international fondé sur les règles sont radicalement sous-financés. Le budget officiel de l’aide au développement du Canada est seulement le tiers du montant qu’il s’est engagé à y consacrer devant l’ONU. Alors s’il y a vraiment de nouveaux fonds pour la paix et la sécurité, comme les 62,3 milliards de dollars sur vingt ans promis à l’issue de l’Examen de la politique de défense, il vaudrait mieux les utiliser pour intensifier les efforts que déploie le Canada à l’échelle internationale en faveur du dévelop-pement économique, de la bonne gouvernance, de la diplomatie et du contrôle des armes.


David J. Bercuson dit que NON

Iy a des Canadiens qui, comme moi, croient que le Canada devrait augmenter ses dépenses de défense de façon à les rapprocher des deux pour cent du produit intérieur brut (PIB) indiqué dans les lignes directrices de l’OTAN. Il existe plusieurs bonnes raisons à cela.

Tout d’abord, le Canada a l’obligation d’aider les États-Unis à la défense aérienne de l’Amérique du Nord. En tant que membre du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, le Canada doit surveiller l’espace aérien du Grand Nord. Le Grand Nord canadien est le point d’accès septentrional à l’Amérique du Nord, le porche des États-Unis, en quelque sorte. Les Américains ont suffisamment d’avions de chasse pour patrouiller dans le Nord canadien en plus de toutes les autres responsabilités qu’ils assument, mais le Canada devrait-il le permettre? Nous avons décidé il y a longtemps d’établir et de maintenir la souveraineté du Canada et d’en assumer les responsabilités, dont la surveillance de nos frontières. Ainsi, ces dernières sont surveillées par des Canadiens qui reçoivent leurs ordres du gouvernement canadien et, au bout du compte, du peuple canadien.

Le degré de similitude entre les vues politiques du Canada et des États-Unis, tous deux attachés à la démocratie, à la règle du droit et aux droits de la personne, n’a rien à y voir. Nous sommes canadiens, et de bien des façons, nous sommes différents des États-Unis. Nous ne pouvons tout simplement pas leur déléguer la responsabilité de protéger nos régions septentrionnales.

Le Canada doit se tenir aux côtés de ses alliés
pour protéger son peuple et ses intérêts,
et il doit aussi faire sa part pour
dissuader les agresseurs.

Il en va de même pour nos côtes. Nous pourrions nous débarrasser de notre marine et maintenir une garde côtière civile pour les missions de sauvetage, mais la responsabilité ultime de la protection de nos eaux et de notre zone économique exclusive reviendrait alors aux Américains. Et, bien que nous ayons beaucoup en commun, nous sommes un pays souverain et notre territoire doit entrer dans le champ de responsabilités de notre marine qui doit répondre à notre propre gouvernement et à notre propre population.

Et qu’en est-il de notre armée? Contre qui gardons-nous nos frontières? Certainement pas contre les États-Unis. Cependant, notre armée a d’importantes fonctions d’aide aux civils, comme combattre les incendies de forêt, les inondations et autres catastrophes naturelles. Lorsque les communications civiles sont interrompues à cause de catastrophes naturelles, l’armée canadienne a les moyens d’établir ses propres réseaux de communication, l’équipement qu’il faut pour aider les pouvoirs publics, et là aussi, la bénédiction du gouvernement et des Canadiens.

Ces services militaires sont dispendieux, surtout pour un pays dont le territoire est le deuxième au monde par ordre de grandeur.

Quant aux missions à l’étranger, il y a des occasions où le Canada doit se tenir aux côtés de ses alliés pour protéger son peuple et ses intérêts, et il doit aussi faire sa part pour dissuader les agresseurs, par exemple en Europe centrale. On dit que tout pays a une armée : la sienne ou celle d’un autre. D’une façon ou d’une autre, cela engage des dépenses. Deux pour cent de notre PIB, ce n’est pas cher payé pour préserver notre indépendance.


Ernie Regehr est agrégé supérieur de la fondation Simons de Vancouver et cofondateur du Project Ploughshares.

David J. Bercuson, auteur de notre rubrique « Eye on defence » (Œil sur la défense, NDT), est directeur du Centre for Military and Strategic  Studies de l’Université de Calgary.

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