Encore une fois, la réunion annuelle du Congrès des associations de la défense à Ottawa a servi de forum où les gens de la défense canadienne ont pu s’assembler, parler de la façon dont ils voient les choses et partager leurs plans d’avenir.
En théorie tout au moins, le colloque avait été organisé pour traiter de la transition de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de l’impact qu’elle va avoir sur le Canada. En fait, les conversations s’étendaient sur toute la gamme, du nouveau rôle de combat pour le Canada en Afghanistan dont on a beaucoup débattu jusqu’aux détails sur les efforts que font les Forces canadiennes pour se transformer. On a beaucoup parlé des nouvelles capacités : les nouvelles structures de commandement, les nouvelles unités de forces spéciales, une marine pour trois océans, une aviation revitalisée; et puis on a aussi beaucoup parlé du nouvel équipement. Les Forces canadiennes ont une longue liste d’approvisionnement, dont entre autres des avions, des hélicoptères et des camions.
Il s’agissait d’une assemblée impressionnante, à laquelle participaient des douzaines d’officiels du gouvernement, des ministres, des anciens ministres et plus d’officiers généraux qu’on ne pouvait recevoir comme il faut dans la grande salle de bal du Château Laurier les 23 et 24 février. Ils ont donné des discours, ont siégé dans des groupes d’experts et partagé des renseignements à tour de rôle. De la vision confiante du chef d’état-major de la défense du Canada, le général Rick Hillier, jusqu’aux annonces tout aussi audacieuses du nouveau ministre canadien de la défense, il était clair qu’on pouvait s’attendre à d’importants changements pour le militaire canadien.
Lors de la réunion du CAD de l’an dernier, nombre de participants avaient le sentiment que les Forces canadiennes sortaient du tunnel, que pour la première fois en vingt ans elles allaient commencer à obtenir le soutien dont elles avaient besoin.
Un des moments les plus remarquables a eu lieu lors du discours du ministre de la Défense nationale Gordon O’Connor. En plus d’annoncer une importante augmentation des troupes (les forces régulières et les réserves vont obtenir 10 000 membres de plus) O’Connor était enchanté de se présenter et de faire part quelque peu de son point de vue en ce qui concerne les Forces canadiennes.
“Les gens qui me connaissent savent que j’ai été soldat pendant 32 ans et que mes père, oncles et frère ont tous porté l’uniforme”, dit O’Connor, établissant sa crédibilité au tout début. “Alors, je sais très bien que plusieurs gouvernements successifs ont déçu nos hommes et femmes militaires. Le manque de financement, le manque de personnel, l’équipement inférieur, le logement qui laisse à désirer […], tout cela devenait une réalité institutionnelle pour ces hommes et ces femmes.”
Là-dessus, O’Connor s’est penché sur les thèmes les plus récurrents du colloque, le rôle du militaire et des organisations de la défense en ces temps qui changent, et surtout le fait que l’environnement actuel de menaces, le terrorisme mondial, nécessite de nouvelles solutions basées sur la propagation de la stabilité : “Je sais fort bien que, depuis la fin de la guerre froide, le Canada n’a pas fait l’objet de menace militaire conventionnelle. Et je pense que nous sommes tous d’accord que, pour autant qu’on sache, il n’y a guère de risque de conflit global entre grandes puissances. Mais il est clair aussi que le monde est toujours un endroit très dangereux et imprévisible.
“La priorité du ministère de la Défense nationale et de nos forces armées doit donc être la défense du Canada. En d’autres mots, protéger les Canadiens ici au pays.
Défendre le Canada, ça veut dire que les Forces canadiennes doivent remplir des responsabilités nationales essentielles, comme la surveillance et la protection du territoire et de leurs abords.
“En plus de l’Amérique du Nord, la défense du Canada est aussi liée à la stabilité du reste du monde.
Le Canada doit s’occuper directement des menaces à notre souveraineté et à notre sécurité avant qu’elles n’atteignent nos côtes. C’est ce que des générations d’anciens combattants canadiens ont fait quand ils ont porté l’uniforme et sont allés outre-mer défendre nos intérêts, nos valeurs et notre mode de vie.”
O’Connor a aussi parlé de l’Afghanistan, un autre des principaux thèmes du congrès, et donné une opinion plutôt directe de pourquoi le Canada est là-bas et pourquoi nous devrions rester là-bas : “Nous allons continuer jusqu’au bout parce que notre mission en Afghanistan est importante. Elle est importante pour l’avenir de l’Afghanistan. Elle est importante pour la stabilité de la région. Et elle est importante pour la sécurité internationale. Mais surtout, notre mission en Afghanistan est conforme à notre intérêt national. Le 11 septembre 2001, des terroristes ont attaqué l’Amérique du Nord et des Canadiens ont été tués. Je le dis franchement : quand des terroristes attaquent des Canadiens, le Canada va se défendre. C’est pourquoi nous sommes en Afghanistan.”
Le général Rick Hillier a continué à améliorer son record de victoires en ce qui concerne les discours publics, amusant la foule grâce à son charme, dont on a souvent parlé, tout en transmettant quelques messages intenses en choisissant ses mots. En plus de demander à Tim Hortons de s’installer à Kandahar (ce qui a été accepté car la société annonçait quelques jours après qu’elle allait envoyer quelqu’un là-bas), Hillier a aussi donné une vue d’ensemble de la nouvelle mission de combat en Afghanistan.
“Nous sommes en Afghanistan d’abord parce qu’en tant que pays, en tant que Canadiens, nous n’acceptons pas le terrorisme et sa violence aveugle comme manière d’apporter des changements. Ce qui est tout aussi important, toutefois, c’est que nous sommes en Afghanistan pour aider les Afghans”, dit Hillier. “Nous ne sommes pas là pour bâtir un empire. Nous ne sommes pas là pour occuper un pays. Mais nous sommes là pour aider les hommes, les femmes et les enfants afghans à reconstruire leur famille, ce qui n’est pas facile quand, sur une population d’environ 27 millions d’habitants, plus de deux millions ont été tués et plus de huit millions ont été chassés de leur pays. Nous sommes là pour aider ces familles à reconstruire leur collectivité au point où les normes médicales soient suffisamment améliorées pour que deux enfants sur cinq ne meurent plus avant leur cinquième anniversaire, où il y a suffisamment de sécurité pour qu’il soit possible de ne pas se faire tuer par un plastiqueur suicidaire en faisant le marché, où les écoles sont ouvertes et où les enseignants apprennent aux élèves, garçons et filles, sans avoir peur de se faire tuer et décapiter, des collectivités où les femmes peuvent avoir un rôle égal dans la société.”
Hillier, ayant peut-être ressenti qu’il était temps de présenter son cas en ce qui concerne les articles à prix élevé, a dit clairement que de toutes les choses dont les Forces canadiennes ont besoin, les plus importantes sont les nouveaux avions et d’avantage de fonds.
“Sans remplacer les Hercules C-130 très bientôt, nous risquons d’avoir une flotte qui ne peut plus voler et que notre capacité de mener des opérations soit très restreinte, ou même stoppée, aux niveaux international ou national. Dans le triage de la vie militaire c’est urgent.
“Nous avons besoin d’argent. Pour que vous compreniez bien quel est notre défi en ce qui concerne le dollar, il nous manque toujours à peu près trois-quart d’un milliard de dollars rien que pour soutenir les Forces canadiennes actuelles, il nous faut de tout, des quartiers pour les gens mariés jusqu’aux pièces de rechange, en passant par l’utilisation des simulateurs, l’essence, l’huile et les rations, et tout ce qu’il faut pour marcher, voler ou voguer.
“Le retard accumulé est énorme, en ce qui concerne les choses que nous n’avons pas faites, que nous avons remises à plus tard, que nous avons mises de côté mais qui sont encore à faire, qu’il s’agisse de l’entretien des édifices ou qu’il s’agisse de l’équipement des flottes à remplacer ou de l’équipement qu’on doit actualiser et, sans exagérer, il va nous falloir des milliards de dollars pour sortir de ce trou.
Le général Ray Hénault, l’ancien CEMD qui est actuellement le militaire le plus haut placé à l’OTAN, était aussi présent au colloque pour rapporter la situation actuelle de l’OTAN. Avec 30 000 soldats déployés sous son commandement, sur trois continents, l’OTAN, que Hénault appelle “la force de rétablissement de la paix la plus expérimentée au monde”, n’a jamais été plus occupée. Hénault, poursuivant sur le thème de l’Afghanistan, a expliqué un raisonnement stratégique d’après lequel l’OTAN a entrepris des opérations de combat là-bas.
“Depuis la destruction du mur, afin de garantir notre sécurité au pays, nous sommes obligés d’aller bien plus loin”, dit Hénault. “Il n’y a plus guère de distinction entre la défense de la patrie et la défense avancée. Alors qu’une force passive-réactive pouvait être appropriée à l’époque de la guerre froide, ce n’est certainement plus le cas maintenant. La posture a changé, de la défense statique à l’allonge globale.”
Et à propos de ce débat concernant la nature de cette ‘allonge globale’ qui a lieu à travers le Canada, l’invité spécial Omar Samad, l’ambassadeur de l’Afghanistan au Canada, a fait un discours intéressant en ce qui a trait à son pays et ses ennemis.
“Nous savons très bien que leur vision sombre et accablante, où les écoles sont incendiées et les femmes asservies, où le patrimoine culturel est détruit et le pays changé en camp d’entraînement pour terroristes, n’est pas représentatif des aspirations de notre peuple, de notre culture et de notre religion. Contrairement aux principes islamiques, leur vision en est une de violence, d’extrémisme et d’intolérance”, dit-il.
“Malheureusement […] les réactionnaires qui continuent de recruter, regrouper, réarmer et s’infiltrer de nouveau à travers nos frontières ont pour but de saper les efforts que nous faisons dans le but d’apporter une stabilité durable au pays. Leur but est de profiter du temps et d’une guerre des nerfs pour nous fatiguer, nous intimider, nous faire douter de nos objectifs, semer la discorde et causer un débat politique querelleur.
“En Afghanistan, ce débat n’existe pas. Les Afghans sont d’accord qu’on doit préserver tout le pays, préserver nos frontières autant que possible, stabiliser la situation pour qu’il puisse y avoir une croissance économique, la reconstruction et l’investissement afin d’améliorer les conditions du peuple qui vit dans la misère.”
Le point de Samad semblait bien s’accorder avec la pensée des gens assistant au colloque, comme raison principale de la transformation des Forces canadiennes et de l’OTAN, pour apporter la sécurité et la prospérité aux endroits comme l’Afghanistan. Et vu la promesse que Stephen Harper a faite d’augmenter encore les dépenses de la défense, qu’un ancien militaire a été choisi comme ministre de la défense et que l’incomparable Hillier tient le gouvernail, tout indique qu’on puisse s’attendre à ce que les Forces canadiennes aillent bien.