Un nouveau chef à la GRC


par Dan Black

 

Un matin ensoleillé et venteux en Italie centrale : dans la fourgonnette de l’ambassade qui gravit l’étroite route de montagne vers le village de Prezza, le directeur de la GRC Giuliano Zaccardelli regarde par la fenêtre. Nous sommes à 120 kilomètres à l’est de Rome, dans une région agricole vallonnée que le temps, dirait-on, n’a pas touchée mais renommée pour son vin Montepulciano, son ail rouge et ses artichauts. Tournant son regard vers le haut, entre les cimes des arbres qui passent, le directeur de police de 54 ans remarque que la montagne porte encore le village médiéval comme une couronne, une image qu’il se rappelle depuis l’enfance.

Dérobée au regard du policier, et blottie au centre de Prezza, il y a une célébration planifiée attentivement qui l’attend. Ce n’est pas tout à fait un jour férié, mais ça en a tout l’air. Les 1 231 résidents du village, les paesani, ont pris congé pour la journée : les magasins et l’école sont fermés, un orchestre est prêt à jouer les hymnes nationaux canadien et italien et les lanceurs pyrotechniques ont été plantés.

L’hôtel de ville est plein de monde, et beaucoup d’autres ont pris position le long des rues ou à l’ombre des porches. Tous, y compris le maire et le clergé, sont prêts à embrasser le gars de la localité qui est parti il y a 47 ans et qui revient, en ce jour-ci, en tant que “directeur des tuniques rouges”.

Les gens qui ne sont pas d’ici sont stupéfiés par tout cet enthousiasme en l’honneur d’un policier canadien. En fait, peu de gens de chez nous comprendraient pourquoi tout ce tapage, et encore moins reconnaîtraient-ils Zaccardelli : le 20e directeur de la GRC.

Mais après tout, nous sommes en Italie et la loyauté compte pour beaucoup ici.

La célébration dans les rues atteint son apogée quand Zaccardelli met pied à terre et s’enfonce dans la foule, à un point tel qu’on dirait qu’il s’agit d’un rock-star, ou d’un héros sportif national. Il en a fait du chemin depuis le jour où il est parti de Prezza avec sa mère, deux frères et une valise en carton fermée avec un bout de corde élimée. Les plus vieux résidents se rappellent de lui comme d’un garçon de cinq ans qui se baladait dans les rues du village en pantalons courts, qui grimpait aux arbres ou qui se cramponnait aux jupes de sa grand-mère. Ils se rappellent de ses jambes minces, de ses yeux ronds et de son service en tant qu’enfant de cœur. Les plus jeunes l’imaginent à cheval, habillé d’écarlate, de noir et d’or, s’élançant à travers la vaste contrée dont ils n’ont entendu parler qu’à l’école.

Quoi qu’il en soit, Zaccardelli est reçu en héros.

Il va assister à la messe et visiter la maison où il est né, la maison même que sa mère a été obligée de quitter durant la Seconde Guerre mondiale durant les neuf mois environ que les soldats allemands ont occupé le village. En ce temps-là, presque tout le monde souffrait de la faim. Beaucoup de gens, dont la mère de Zaccardelli, vivaient dans les champs jusqu’à ce que Prezza soit libérée par les troupes britanniques.

À la réception officielle, il y a un moment de révérence en l’honneur des deux hymnes nationaux. Il y a ensuite des discours et un échange de cadeaux. Zack, comme il est surnommé, est surpris, on pourrait même dire embarrassé, de toutes ces considérations. Il demande au dignitaire à côté de lui de bien vouloir lui expliquer pourquoi le village a tant fait, et il lui répond que Prezza, au contraire des villes des alentours, attire rarement des personnages de marque comme lui venant de l’étranger. On remet à Zaccardelli une copie de son certificat de naissance, et le maire prend grand plaisir à attribuer à Prezza d’avoir fait en sorte qu’un jeune garçon ait tant de succès. “C’est cet endroit qui a fait de vous la personne que vous êtes aujourd’hui et qui vous a enseigné à lire, à écrire et, ce qui est encore plus important, les valeurs familiales et le respect des autres”, dit le maire. “Et grâce à ce caractère de grande force et de richesse qui vous a formé et élevé lorsque vous étiez enfant, vous avez réalisé vos rêves.”

Ces rêves ne se sont cristallisés qu’après que Zaccardelli ait déménagé au Canada, en 1954. Son père est arrivé d’abord, débarquant à Montréal en 1952 comme partie de la migration d’après-guerre d’Italiens à la recherche d’une vie meilleure. Pour lui, le Canada c’était un choix entre deux : l’autre c’était l’Argentine. Durant toute sa vie, Zaccardelli père est resté un homme tranquille et fier possédant une éthique de robustesse au labeur. L’argent était rare, mais comme pour beaucoup d’Italiens, la force de la famille et le sens commun avaient beaucoup d’importance pour son épouse et pour lui. “Mon père nous disait toujours de vivre selon nos moyens. Si l’on a 10 cents dans les poches, on n’en dépense pas 11, et il vaut mieux ne pas dépenser les 10 au complet car il faut économiser quelque chose.”

À partir d’un très jeune âge, Zaccardelli rêvait de devenir policier. “Cela m’attirait tout simplement, et je ne saurais l’expliquer mais depuis que je commençais l’école secondaire, je savais que je voulais m’engager à la Gendarmerie royale canadienne parce que j’aimais voir les photos des agents de la GRC en rouge et entendre les histoires, les légendes.”

Déjà, à l’âge de huit ans, Zaccardelli livrait des journaux, les Montreal Star et Montreal Gazette. Pendant ses années d’école secondaire, il travaillait le soir comme plongeur à un restaurant. Il ne faisait pas de sport organisé car les fins de semaines, et les soirées durant la semaine, servaient au travail pour soutenir la famille. “On travaillait presque tout le temps parce que c’était ça la vie d’un jeune immigrant. C’est ce qu’on attendait de soi. Quand on avait du temps, on s’amusait comme on pouvait. On jouait au hockey de rues ou au foot-ball au Mont Royal… Je suivais aussi de très près les Canadiens de Montréal.”

Quand les derniers jours d’école secondaire approchaient, Zaccardelli était de plus en plus fasciné par les histoires des agents de la GRC qui voyageaient de par les régions isolées pour faire respecter la loi. Il obtint une licence commerciale en gestion d’entreprise, au collège Loyola de Montréal. “Je ne peux pas dire que j’avais un plan bien pensé, côté stratégie, mais je savais que c’était une bonne idée d’avoir un diplôme.”

En effet, c’était une bonne décision car peu de membres de la GRC avaient un diplôme. La plupart arrivaient directement après l’école secondaire. “La situation est bien différente de nos jours”, dit l’ancien directeur adjoint de la GRC Roy Berlinquette qui connaît Zaccardelli depuis 30 ans. “Aujourd’hui, un très gros pourcentage des gens qui s’engagent sont diplômés. C’est un groupe très éduqué, plutôt intelligent, et le directeur est très à l’aise dans cette nouvelle ère.”

Zaccardelli se souvient du jour où il est revenu de l’université et dit à son père qu’il avait posé sa candidature à la GRC. “Papa m’a regardé et m’a demandé ‘Pourquoi as-tu fait ça?’ Je lui répondit que je voulais entrer dans la force de police nationale. Il dit que la GRC ne m’accepterait jamais. Je lui ai demandé pourquoi il pensait ainsi et il dit que je n’étais pas né au pays et qu’il y avait des limites à ce que je pouvais faire. Je lui demandais, Qu’est-ce que tu veux dire? Je suis Canadien. J’ai été élevé ici. Il dit que je ne comprenais pas. Il exprimait ce que beaucoup d’immigrants ressentent, surtout ceux qui sont adultes quand ils viennent ici. Ils se sentent bienvenus, ils ont les occasions, mais il y a une peur, une certaine idée qu’ils se font, qu’ils ne sont pas entièrement acceptés par la société canadienne. Alors dans son esprit il y avait cette notion que je ne serais pas accepté par la GRC. Il était très content quand j’y suis entré.”

Le directeur dit qu’il n’est pas surpris que quelqu’un né en Italie, ou n’importe quel autre pays, puisse atteindre le plus haut échelon de la gendarmerie, et il fait part de cette façon de penser aux gens de Prezza quand on lui demande le secret de son succès. “Le secret c’était de choisir le Canada, un pays où l’on permet aux rêves de se réaliser”, dit-il.

La réalité, toutefois, c’est qu’il fallait travailler dur et longtemps, et il ne faut pas oublier qu’on est souvent obligé de déménager. Après l’instruction des recrues à Regina, Zaccardelli, qui parle couramment l’anglais, le français et l’italien, a été affecté à St. Paul (Alb.). Le début de sa carrière en était un d’officier en devoir général et puis ensuite il a été enquêteur de criminalité en col blanc. Il a travaillé en Alberta et en Ontario, et puis ensuite au Québec et au Nouveau-Brunswick en tant qu’officier haut gradé des opérations criminelles.

L’été 1995 il devint commandant de l’immense Division “O” de l’Ontario. À partir de là, il obtint le poste de directeur adjoint au quartier général de la GRC, et puis celui de directeur adjoint de la politique opérationnelle et du crime organisé en août 1999. En automne dernier il remplaçait Philip Murray en tant que directeur, et durant ces dernières semaines il a souvent parlé de faire de la GRC une organisation “concentrée stratégiquement”.

“Concentrée stratégiquement cela veut dire que nous comprenions entièrement l’environnement dans lequel nous travaillons et que nous soyons de plus en plus proactifs à propos de ce que nous pouvons accomplir. C’est-à-dire que nous puissions anticiper et répondre aux changements et aux pressions importants avant qu’ils n’aient lieu.”

Il est reconnu comme un grand communicateur, plein d’entrain et énergétique et comme un expert recherché en crime organisé et globalisation. “Il est très intelligent et compétent”, dit Margaret Beare, la directrice du Centre Nathanson d’études en crime organisé et en corruption de l’Université York. “Il va beaucoup nous aider à comprendre le crime organisé et on pourra s’éloigner de la vieille époque mystique et dramatique et voir le crime organisé comme une criminalité continuelle très sérieuse qu’il faut attaquer avec des ressources policières bien financées.”

Beare dit que ce qu’il faut c’est un travail de police fait d’après les renseignements, et moins de rhétorique à propos du besoin de davantage de pouvoirs policiers. “Le directeur a déclaré publiquement que la GRC est dorénavant une organisation ‘dirigée par les renseignements’. Cela implique non seulement une excellente capacité analytique, mais aussi un important degré de collaboration et de partage de renseignements avec les autres forces de police au pays et à l’étranger. Je pense que nous avons encore du chemin à faire avant que la collaboration soit un fait établi, et pas tout simplement un objectif.”

Le directeur dit que la globalisation a grandement changé la manière dont les forces policières agissent à tous les niveaux. “Les organisations criminelles peuvent se fixer à un coin du monde et avoir un impact sur vous sans être obligées d’être dans votre région […]. Ce qui me fait plaisir, c’est que la GRC relève ces défis depuis longtemps et qu’elle a une histoire de réussite meilleure que la plupart des organisations autour du monde.”

Il dit que la GRC doit être capable de s’adapter rapidement aux risques qui émergent dans un monde sans frontières. “Pour faire cela il faut avoir une organisation mieux préparée. Pour faire cela il faut développer des alliances et jeter des ponts entre nous et les autres forces policières au Canada et ailleurs autour du monde, en permettant aux autres secteurs de la société d’effectuer leurs contributions à ce que l’on fait et rehausser la valeur de son travail. C’est absolument essentiel. Il existe un besoin d’utiliser nos ressources et les ressources des autres.”

Berlinquette pense que Zaccardelli est “le directeur qu’il faut pour ces temps-ci”. Il dit qu’il est en train de construire en prenant pour base ce que l’ancien directeur a accompli. “Il a beaucoup d’énergie et il parle des problèmes avec beaucoup de passion […]. Il comprend aussi le processus d’apprentissage et l’importance de la technologie. Ce n’est pas un théoricien, mais il comprend la théorie. Et ce qui est encore plus important, il veut savoir comment les décisions vont affecter les gens qui se trouvent aux premières lignes du maintien de l’ordre.”

Berlinquette croit que la meilleure façon de s’attaquer au crime organisé c’est de détruire son infrastructure et de ne pas s’occuper tant que ça de mettre la main sur les produits illégaux. “Si l’on s’attaque aux Hell’s Angels lors d’un effort servant à leur enlever leurs marchandises, on arrête deux ou trois personnes avec 200 livres de marijuana ou 20 livres de cocaïne, et les médias impriment une histoire à propos d’une grosse descente et d’une immense saisie de drogues”, dit-il. “Alors tout ce qu’on a déplacé c’est 200 livres de marijuana ou 20 livres de cocaïne et deux dealers ou contrebandiers. L’organisation, cependant, travaille encore, et les contrebandiers sont remplacés le lendemain parce que l’infrastructure est restée intacte.”

Berlinquette dit que Zaccardelli comprend cela.

Beare dit que le crime organisé est aussi le domaine du maintien de l’ordre où l’on ressent la pression provenant de la communauté internationale, surtout des États-Unis, de faire des changements qui seraient peut-être inappropriés au Canada. “Il faut pour cela un directeur qui fasse deux choses lorsque des questions sur le crime organisé obtiennent de la publicité : d’abord, résister à la tentation de suivre automatiquement la voie où l’on exige davantage de pouvoirs policiers pour contrecarrer le danger et, deuxièmement, résister aux accusations non fondées provenant de l’étranger que le Canada est fautif en n’imitant pas les stratégies de mise en vigueur des lois, ou les lois elles-mêmes, qui n’ont pas fait leurs preuves ailleurs.”

Elle dit que le crime organisé est dirigé par les exigences de segments de la société dits légitimes et facilité par des cols blancs professionnels qui se font complices des activités criminelles. “Ainsi, la GRC est sur la bonne piste quand on insiste sur l’analyse des renseignements et sur les enquêtes menées d’après les renseignements. De même, la GRC a reconnu qu’il existe un besoin d’insister sur des capacités différentes de celles sur lesquelles on insistait peut-être autrefois.”

Les experts disent que lorsqu’il s’agit de combattre le crime frontalier entre le Canada et les États-Unis, il faut adopter le juste milieu entre ce qui marche pour faciliter la libre circulation du commerce et ce qui marche pour assurer la frontière contre les risques divers. C’est une tâche immense. En 1999, il y a eu plus de 225 millions de traversées entre le Canada et les États-Unis. La circulation des biens et des services cette année-là s’élevait à environ 1 million $ la minute. Le directeur croit que les partenariats clés à l’intérieur et à l’extérieur des frontières canadiennes vont servir à faciliter la circulation commerciale et aider les deux pays à s’occuper du crime frontalier.

Le directeur dit aussi que la GRC doit améliorer la manière dont elle combat le crime cybernétique. “C’est un domaine qui croît de manière fulgurante et nous n’en avons pas un contrôle total […]. Alors, il est important de faire pression avec nos ressources au Canada et avec nos partenaires autour du monde. Il faut se pencher sur les meilleures pratiques, apprendre les uns des autres […].”

Le commerce illicite des humains est un autre souci qui prend de plus en plus d’importance aux yeux de la GRC. Les technologies avancées et les systèmes de communication font qu’il est plus facile et plus profitable pour les trafiquants de trouver des gens à transporter illégalement autour du globe. Aux États-Unis, on évalue à 700 000 les femmes et les enfants qui sont transportés illégalement à travers les frontières internationales chaque année. “Ce qu’il faut surtout faire à ce propos, c’est identifier les groupes qui sont derrière. Alors une fois encore, on a besoin de bons renseignements afin de cibler les organisations les plus importantes”, dit le directeur. “On en revient encore au besoin d’alliances internationales qui servent à l’échange de renseignements.”

La GRC combat aussi le crime organisé par l’entremise de ses efforts de maintien de l’ordre internationaux, y compris le maintien de la paix. Zaccardelli dit que la force va continuer à travailler avec les agences de police civiles pour améliorer les opérations de police internationales. Cela comprend aider à construire des infrastructures civiles démocratiques à l’étranger et à empêcher l’importation d’activités criminelles au Canada.

Peu de temps après son assermentation en tant que directeur, Zaccardelli a été nommé vice-président national honoraire de la Légion royale canadienne. Il se dit supporteur fervent de la Légion, et il remarque que la GRC et le militaire canadien ont une histoire d’association de longue durée. “La GRC et la Légion ont beaucoup en commun, nous sommes présents dans la plupart des collectivités, même dans les plus petites collectivités, à travers le pays. Les filiales de la Légion sont depuis toujours des endroits où les membres de la GRC peuvent fréquenter des gens […]. Je crois que les deux organisations font partie de la structure du pays.”

Le président national Bill Barclay dit que la Légion est fière que le directeur se soit engagé en ce qui concerne le poste de vice-président honoraire. “Nous sommes tout aussi honorés de reconnaître les agents de sûreté sortants à Regina dans le cadre de notre programme de prix de la camaraderie.”

Avant de quitter Prezza pour la deuxième fois, Zaccardelli dit à son audience qu’en plus des bagages en carton et des souvenirs qu’il emportait du village en 1954, il emportait des valeurs très importantes, des croyances qui lui ont évidemment bien servi.

Pas mal du tout pour un gars de Prezza.

La force derrière la force

Le directeur de la GRC Giuliano Zaccardelli est responsable d’une très grande force qui a extrêmement changé ces dernières années. Il y a cinq ans elle a commencé à se déplacer vers un système de gestion au niveau de la base conçu pour offrir davantage de ressources aux services policiers du front. Quatre régions furent créées, soit celles du Pacifique, du Nord-Ouest, du Centre et de l’Atlantique. La GRC se divise aussi en 15 divisions, plus le quartier général à Ottawa. Chaque division a un commandant et elle est désignée par une lettre. En mai, la force avait 20 866 membres, dont 106 surintendants, 284 inspecteurs, 2 770 caporaux, 9 689 agents et 2 140 membres civils.

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