Les ponts de caen

On the way to the city, Canadian infantrymen cross another bridge built by the IRGC
Lieutenant Ken Bell/DND/LAC/PA-162435

Certes, des monuments grandioses et de calmes cimetières soulignent les contributions de soldats canadiens aux deux guerres mondiales en Europe. Toutefois, les âmes avisées qui explorent le continent remarqueront aussi des traces plus subtiles de leurs passages. L’un de ces humbles signes se trouve en France, à Caen : c’est le pont George Gilbert Reynolds, qui enjambe la rive sud de l’Orne près du carrefour entre le cours Montalivet et la rue Rosa Parks.

Ce pont qu’empruntent les tramways est situé dans cette ville portuaire de Normandie, à une vingtaine de kilomètres de la plage Juno Beach où débarquèrent 14 000 soldats canadiens le jour J. Il a été ainsi baptisé en l’honneur du capitaine Reynolds, commandant en second de la 23e Compagnie de campagne du Corps du génie royal du Canada (CGR), lors des célébrations en 2019, du 75e anniversaire du Débarquement, prélude à la libération de l’Europe. Reynolds fut tué au combat le 23 juillet 1944 à Vaucelles, un quartier de Caen.

Des membres du Corps du génie royal du Canada placent des explosifs pendant les travaux
Lieutenant Michael Dean/MDN/BAC/PA-145592;
capitaine Gilbert Reynolds (en regard, à d.) mort quelques jours avant, fin juillet 1944, à Caen, en France.
Mémorial virtuel de guerre du Canada
Un char traverse le pont bâti par la 23e Compagnie de campagne du Corps du génie royal du Canada (CGR), baptisé en l’honneur de son commandant en second, le capitaine Gilbert Reynolds mort quelques jours avant, fin juillet 1944, à Caen, en France.
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« Un lien fort existe entre les habitants de cette région qui ont tant souffert et les soldats canadiens qui ont payé un si lourd tribut pour libérer la France. »

« Un lien fort existe entre les habitants de cette région qui ont tant souffert et les soldats canadiens qui ont payé un si lourd tribut pour libérer la France », explique le député Charlie Angus, qui a assisté à la cérémonie aux côtés d’une douzaine de sapeurs de combat alors en service, et de Frank Krepp, vétéran de la 23e Compagnie de campagne. « En Normandie, les jeunes Canadiens ont affronté le cœur des ténèbres, et ils ont bâti un monde meilleur, ajoute M. Angus. Ces anciens combattants qui ont tant donné au nom des principes de liberté et de dignité en faisant preuve de détermination, d’intégrité et de résolution sont pour moi une source d’inspiration. »

Il est à noter que ce n’est pas la première fois qu’un pont à Caen est un exvoto des impressionnantes contributions du capitaine Reynolds.

Les actes héroïques des as des airs, les sa-crifices des marins en haute mer, et les efforts herculéens des fantassins ont souvent éclipsé le rôle des sapeurs de combat à la libération de l’Europe. Cependant, derrière tous ces efforts se trouvaient des bâtisseurs du génie, les sapeurs, spécialistes des ouvrages de fortification. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils fournirent les cartes des opérations, réparèrent ou construisirent les routes et les aérodromes, nettoyèrent les champs de mines, barrages et autres débris, remplirent les cratères et les tranchées antichars, et bâtirent les quartiers généraux, les casernes, les hôpitaux et les ponts. Entre 1943 et 1945, les sapeurs facilitèrent les déplacements aux côtés d’autres troupes de combat, souvent sous le feu de l’ennemi, pour ouvrir la voie aux chars et aux fantassins.

Ce sont de telles histoires moins connues, et bien sûr d’autres acclamées aussi, que marque la Route de la Libération de l’Europe (RLE), un réseau international de souvenir qui relie divers sites de la Seconde Guerre mondiale. La RLE, un Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe, fait le lien entre les gens, les endroits et les évènements qui sont autant d’empreintes de la libération du continent. L’organisation élabore un réseau de sentiers aux quatre coins de l’Europe qui retrace l’avancée des Alliés sur environ 10 000 kilomètres. Son site Web et une nouvelle application mobile présentent des jalons symboliques, les « vecteurs de la mémoire », grâce auxquels les visiteurs peuvent relier des évènements bien connus à des histoires et expériences personnelles. (Voir aussi « Le chemin de la libération » page 8.)

Les cinq ponts que bâtit le 23e à Caen en juillet 1944 sont un important trait d’union entre le présent et le passé, la libération, et le rôle fort peu acclamé du génie au cours des combats.

George Gilbert Reynolds naquit le 21 mars 1914 à Winnipeg, neuf mois avant le déclenchement de la Grande Guerre. Il fréquenta l’école technique Kelvin, école secondaire du quartier de Crescentwood au sud de l’Assiniboine. L’établissement aux airs de château a été remplacé en 1964, mais l’école existe toujours : c’est un lieu historique du Manitoba. Reynolds compte parmi les centaines d’écoliers et d’enseignants morts pendant les guerres mondiales. La devise de l’école? « Courage, truth, right » (le courage, la vérité, le droit, NDT).

Avant de rejoindre le Collège militaire Royal et l’Université Queen’s, à Kingston, Ontario, dans les années 1930, Reynolds avait fait des études techniques de préparation à un programme de génie à l’Université du Manitoba. « Cela pourrait être l’une des raisons derrière son aptitude à maitriser les matières d’ingénierie plus facilement que d’autres », est-il noté dans un annuaire de l’époque où il était à Kingston. Reynolds, six pieds pour 180 livres, beau comme un jeune Tom Selleck, s’adonna à tous les sports entre compagnies et au tennis pendant ses cinq ans à l’université. Il obtint un diplôme en génie civil en 1938.

Reynolds s’enrôla dans l’armée à l’âge de 25 ans. C’était le 31 aout 1939, veille de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne. Il avait travaillé l’année précédente pour Hydro-Electric Power Commission of Ontario à Bala, à Hudson et dans le quartier de Leaside à Toronto. Il épousa Grace Eleanor Cowdry en décembre 1940 et partit outre-mer de janvier à avril 1942. De retour au Canada, Reynolds fut promu capitaine et suivit la formation de commandant. Il est noté dans le formulaire d’élève officier du mois de mai 1943 : « Appliqué et agressif. Excellent officier aux bonnes capacités. »

Marié depuis seulement trois ans, il fit ses adieux à son épouse et repartit outre-mer en février 1944.

Caen est souvent considéré comme étant le centre politique, économique et culturel du nord de la France. La ville, située légèrement au sud de la Manche, est bien connue pour son architecture historique. Une grande partie date du 11e siècle, de Guillaume le Conquérant, notamment l’imposant château de Caen, place forte en hauteur près du centre-ville.

Caen fut détruite à 70 % au début du mois de juillet 1944, lorsque les forces alliées bombardèrent la ville. Elle aurait dû être prise le jour J, mais cela prit des semaines, car les Allemands opposèrent une farouche résistance. Moins de 50 % de ses 60 000 habitants y vivaient encore à ce moment-là, la moitié réfugiée dans des abris temporaires ou dans les caves du coin.

Lorsque les premières troupes britanniques et canadiennes arrivèrent à Caen le 9 juillet, de nombreuses rues étroites étaient bloquées par des montagnes de débris résultant de l’effondrement des édifices. On comptait environ 1 500 civils blessés et 3 000 tués, avec des centaines ensevelis dans les décombres. Il fallait déblayer le chemin.

Intervint alors la 23e. Comme Reynolds, une grande partie de la compagnie était de Winnipeg. Quand elle avait débarqué à Juno Beach le 11 juillet, la côte était encore remplie de navires en train d’être déchargés, et les vagues déferlant sur la côte charriaient les débris et les cadavres des semaines précédentes qui n’avaient pas encore été récupérés. La 23e fila à la périphérie de Caen et se mit tout de suite au travail pour dégager une artère de la ville.

La 23e détruisit des obstacles, se fraya un chemin dans les décombres, nettoya des mines et remplit des nids de poule, créant ainsi une route au cœur de Caen, faisant fi des pièges et du feu des tireurs d’élite. Elle était souvent prise en cible par l’ennemi lorsqu’elle cheminait vers l’Orne, au sud-ouest.

La compagnie dégagea un chemin qu’elle surnomma « Andy’s Alley ». La source consultée précise que ce fut en l’honneur du général Andrew McNaughton, ingénieur civil lui aussi, ou du lieutenant A.B. Anderson, qui était alors officier d’état-major. Le chemin allait s’appeler par la suite l’avenue Triomphale, puis l’avenue du Six Juin.

En arrivant au bord de l’Orne, la 23e se mit à construire le premier de cinq ponts Bailey. Le Bailey, pont en treillis d’acier préfabriqué, avait été élaboré par les Britanniques au début de la guerre, et il était souvent utilisé dans de telles situations. Les modules étaient suffisamment légers pour être transportés par camion et mis en place à la main, mais suffisamment solides pour supporter le poids d’un char d’assaut.

Peu après, les ponts de Monty, de Winston et de Churchill, ainsi qu’un quatrième sans nom, permirent aux troupes et aux chars de traverser l’Orne, et de chasser les Allemands de France. La compagnie s’apprêtait à construire un cinquième pont Bailey de 50 mètres pour relier les quais de Vendeuvre et de l’amiral Hamelin lorsqu’elle apprit que son capitaine avait été tué.

Au sud-ouest, sur la rive de l’Orne, Reynolds avait été atteint par un éclat de grenade de PIAT, dispositif antichar britannique porté à l’épaule que les officiers de l’armée canadienne, ironie du sort, avaient choisi comme la meilleure arme de la guerre. La mort de Reynolds est résumée de manière consternante dans sa feuille du service et des blessures : « tué à 15 h ce 23 juillet 1944 par un fragment projeté alors qu’il observait une démolition. »

« Derrière tous ces efforts se trouvaient des bâtisseurs du génie, les sapeurs, spécialistes des ouvrages de fortification. »

Des sapeurs canadiens assemblent le pont de Monty à Caen, bâti en huit jours.
Lieutenant Ken Bell/MDN/BAC/PA-169327

La circulation commença sur le cinquième pont Bailey le 26 juillet à 2 h. La 23e avait déblayé une voie à travers la ville ravagée et jeté cinq ponts sur l’Orne en un peu plus de deux semaines. Les sapeurs baptisèrent le dernier pont en l’honneur de leur capitaine : Reynolds’ Bridge.

Un article du Winnipeg Tribune rapporta peu après que le pont servait à « l’avancée de chars lourds pour briser la résistance nazie au sud et à l’est de la ville ». Un sapeur de la 23e envoya une photo du pont aux parents de Reynolds à Winnipeg. On y voit un char Sherman de la 7e Division blindée britannique, les fameux « rats du désert », traverser l’Orne pour aller au combat. La traversée du fleuve par la colonne de chars dura des heures le jour où fut prise la photo.

La 23e la suivit en appui à la 4e Division canadienne (blindée). Après que les Allemands furent repoussés à la poche de Falaise, au sud de Caen, les Canadiens prirent le chemin du nord-est et traversèrent la Seine à la fin du mois d’aout.

À Pont-de-l’Arche, à mi-chemin entre Paris et Le Havre, les sapeurs se joignirent à l’assaut qui traversait le fleuve. Ils avaient bénéficié d’une solide formation sur les bateaux de combat britanniques en Angleterre, et ils en tirèrent profit, appuyés par le feu de l’artillerie et des mortiers, pour transporter les fantassins. La rive étant sure, la 23e construisit un pont Bailey de 33 mètres sur la Seine en moins d’une journée.

La compagnie offrit ensuite son soutien aux Alliés en Belgique et aux Pays-Bas. Dans ce dernier pays, elle contribua à l’évacuation nocturne de la 1re Division aéroportée britannique qui était encerclée dans le Bas-Rhin.

Les ponts témoignent des contributions vitales de la 23e Compagnie de campagne du CGR. Le pont Capitaine George-Gilbert-Reynolds à Caen est aujourd’hui un mémorial reliant son histoire et son rôle à la libération de l’Europe.

Le pont enjambe l’Orne au même endroit que le Reynolds’ Bridge l’enjambait en 1944. Et bien qu’il soit neuf, il rappelle le sentiment exprimé dans l’article du Winnipeg Tribune annonçant la nouvelle du baptême de son prédécesseur : « En Normandie, aujourd’hui, se trouve un monument qui rend hommage à un officier de Winnipeg, qu’il a bâti lui-même au milieu des combats, afin que la bataille puisse être gagnée. » 

et un char Sherman M4 reconstruit au musée militaire d’Overloon, aux Pays-Bas.
Maikel de Vaan/iStock

Le chemin de la Libération

La Route de la Libération de l’Europe est, entre autres, un réseau de lieux historiques et de musées de la Deuxième Guerre mondiale sur le continent qui permet de plonger les visiteurs dans le conflit en Europe grâce à des jalons symboliques (« vecteurs
de la mémoire »), un site Web (www.liberationroute.com) et une nouvelle appli. Voici une petite sélection
d’endroits intéressants.

Mémorial britannique de Normandie Sur ce monument inauguré en
juin 2021 et situé à Ver-sur-Mer, en France, sont inscrits les noms de 22 442 militaires sous commandement britannique tombés au combat à la bataille de Normandie, en 1944.
www.britishnormandymemorial.org

Centre Juno Beach Ce centre culturel  ouvert il y a 21 ans est le musée canadien par excellence de la Seconde Guerre mondiale. Situé à Courseulles-sur-Mer, en France, il se dresse à quelques encablures du célèbre littoral et abrite des expositions permanentes ou temporaires. www.junobeach.org

Mons Memorial Museum Ce musée au centre de Mons, en Belgique, contient des artéfacts des deux guerres mondiales. Il s’agit d’une collection de la ville qui permet de découvrir le lien entre les civils et les militaires. En.monsmemorialmuseum.mons.be

Bastogne War Museum de Jack’s Wood Explorez les tranchées et l’histoire de la campagne des Ardennes dans la forêt éponyme près de Foy, en Belgique. Non loin de là, à Bastogne, découvrez les expositions interactives sur l’histoire de la région à la Deuxième Guerre mondiale.
www.bastognewarmuseum.be

Overloon War Museum Ce musée à Overloon, aux Pays-Bas, abrite une remarquable collection de plus de 100 véhicules et avions de la Seconde Guerre mondiale, dont 2 000 morceaux d’un bombardier Lancaster qui s’est écrasé, réarrangés de manière à recréer la silhouette de l’appareil. www.oorlogsmuseum.nl

Musée de la liberté Cet établissement, situé à Groesbeek, aux Pays-Bas, se concentre, dans le contexte du 20e siècle et des évènements récents, sur l’histoire transfrontalière de la Seconde Guerre mondiale vue à travers divers regards. www.freedommuseum.com

Cimetière militaire canadien
de Groesbeek
Près de Nimègue se trouve le plus grand nombre de morts canadiens aux Pays-Bas, 2 338 tombes. Il s’agit aussi du plus grand cimetière militaire du Commonwealth du pays.

Fletcher Hotel Erica Ce gîte de Berg en Dal, aux Pays-Bas, fut un refuge pour les sans-abris après le bombardement de Nimègue début 1944. Il comporte une entrée secrète vers un sous-sol où se cachèrent peut-être des gens. www.hotelerica.nl/en

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