Jusqu’à l’effusion de sang?

Une manifestation contre la conscription à Montréal, le 24 mai 1917
BAC/C-006859

Les émeutes anticonscription de 1917 à Montréal

Plus de 10 600 victimes périrent le 9 avril 1917 lorsque le Corps canadien prit la crête de Vimy, des pertes insoutena-bles qui provoquèrent une crise politique et sociale au sein du pays. En mai, Robert Borden, premier ministre conservateur, annonça au Parlement la nécessité d’une conscription pour soutenir les forces outre-mer. 

Il présenta la Loi sur le Service militaire de 1917 le 11 juin, dé-clenchant ainsi un débat national houleux et linguistiquement clivant.

Les effets furent surtout ressentis à Montréal, qui devint à l’été 1917 un terrain de bataille. Presque tous les soirs, des milliers de Montréalais, en grande majorité francophones, agitaient leurs quartiers de la ville de manifestations contre la conscription. 

Elles étaient rythmées d’actes de violence contre des personnes et des biens, de coups feu sporadiques, d’agressions contre des militaires et de déclarations publiques révolutionnaires, notamment des appels répétés à l’assassinat de Borden. 

Un orateur affirmait que les Britanniques cherchaient
à « massacrer »
le Canada français avec la conscription.

Paul Bruchési, archevêque de Montréal, était circonspect quant à l’idée de la conscription. Il craignait qu’il n’y ait qu’un pas de la parole aux actes. Le 22 mai, il écrivit à Borden : « Est-ce qu’on n’ira pas jusqu’à l’effusion de sang? »

Le premier ministre, Robert Borden, l’archevêque de Montréal, Paul Bruchési et le maire de la ville, Médéric Martin étaient des personnages importants de la lutte concernant la conscription.
Library of Congress/Wikimedia; BAC/C-049548; British Library/Wikimedia

Le 23 mai, environ 8 000 hommes se rassemblèrent au parc La Fontaine pour écouter Élie Lalumière et Tancrède Marsil, deux fougueux orateurs opposés à la conscription. Ils furent des centaines à converger ensuite sur le Champ-de-Mars pour rejoindre 3 000 autres protestataires. Ils gagnèrent la rue Saint-Jacques, où Marsil déclara qu’« avant qu’il y ait la conscription, il y aurait la révolution ». La foule survoltée brisa les fenêtres de La Presse, jugeant que le journal ne condamnait que trop mollement la conscription, et celles de La Patrie, journal conservateur qui la soutenait.

Lors d’un important rassem-blement et défilé anticonscription le soir suivant, Marsil s’exclama : « Avant qu’ils me tuent, bien d’autres qui se feront tuer ». Des manifestants s’attaquèrent à quelques soldats sur la rue Saint-Denis, à hauteur de l’avenue Viger. 

Les soldats canadiens et même les anciens combattants n’étaient pas en sécurité dans les rues de Montréal. Les opposants à la conscription s’en prirent à eux tout l’été. Trois finirent à l’hôpital le 24 mai, dont un avec une fracture au crâne. Les autorités militaires, inquiètes, préparèrent des troupes à Montréal pour réprimer cette violence. 

D’autres manifestations eurent lieu en juin et, le 16 juillet, 10 000 personnes se rassemblèrent au parc La Fontaine pour écouter un orateur qui affirmait que les Britanniques cherchaient à « massacrer » le Canada français avec la conscription. À un autre rassemblement au même endroit le 8 aout, des orateurs déclarèrent qu’il fallait abattre les officiers de recrutement.

Le 9 aout, à 3 h 50, une explosion de dynamite fit trembler la résidence estivale à Cartierville de lord Atholstan, propriétaire du Montreal Star. La dame Atholstan et lui s’en sortirent indemnes. Lalumière fut plus tard arrêté dans le cadre de l’affaire. La violence empirait.

La Loi sur le Service militaire fut adoptée le 29 aout 1917, déclenchant plusieurs jours de féroces batailles aux quatre coins de la ville. Une foule de 7 000 hommes réunie ce soir-là place Cartier à Saint-Henri remonta l’avenue Atwater vers la rue Sainte-Catherine en scandant « À bas la conscription! » Il y eut des échauffourées et du vanda-
lisme en chemin, ainsi que quelques
tramways très endommagés.

Près de la place Phillips, environ 150 policiers chargèrent et rouèrent les émeutiers de coups de matraque. Les manifestants répondirent en leur lançant des briques et des pierres. Des coups de révolver retentirent des deux côtés, et une vraie bataille s’ensuivit. Quatre policiers furent blessés. Du côté des manifestants, deux furent blessés par balle, vingt portaient des blessures visibles, beaucoup furent contusionnés. 

Médéric Martin, maire de Montréal, s’opposait à la conscription, mais il devait protéger sa ville. Il ordonna officiellement que les meneurs qui « fomentaient la révolte » soient arrêtés. Il interdit aussi d’autres rassemblements. Pourtant, le 31 aout, des rixes entre la police et les manifestants éclatèrent à une dizaine d’endroits dans l’est de la ville.

Le désordre cessa en septembre, et les autorités reprirent le contrôle des rues. La conscription avait été imposée, et la crise qui avait secoué Montréal tout l’été était finie. 

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