Regard sur le Nord

Un œil sur les liens d’Iqaluit avec l’armée le jour du Souvenir

Le ranger Jeetaloo Kakee au salut pendant la cérémonie du jour du Souvenir de 2022 à Iqaluit.

Le jour du Souvenir de 2022, des gens de tous les horizons se sont rassemblés, comme depuis des dizaines d’années, près de la pointe sud de la plus grande ile du Canada, pour rendre hommage aux Canadiens tombés à l’un des champs de bataille de l’histoire de ce vaste pays.

Les doctrines politiques et le monde en général semblaient loin dans le hall des cadets de l’Air à Iqaluit, où environ 200 personnes s’abritaient du froid de la capitale territoriale du Nunavut, sur l’ile Baffin, au bord de la baie Frobisher.

Nous nous souviendrons d’eux.

Il y avait là des légionnaires venus pour un certain temps quand ils 

étaient jeunes et s’y étaient établis, des dignitaires comme le nouveau commissaire (équivalent terri-
torial du lieutenant-gouverneur) et 
l’ancienne première ministre Eva Aariak, des membres de la GRC et des militaires dont le séjour au Nunavut se prolonge curieusement bien au-delà de la durée initiale prévue.

Il y avait des travailleurs, des gens derrière un bureau ou sur le terrain qui, ayant échappé à la guerre et aux adversités dans des endroits impro-
bables comme l’Afrique, étaient venus gagner leur vie à moins de 320 kilomètres du cercle arctique. Il y avait de jeunes cadets de l’Air et leurs rêves, ainsi que des Inuits de tout l’Arctique attirés par les possibilités.

La cérémonie a été célébrée en anglais, en français et en inuktut.

Les liens avec l’armée dans cet endroit éloigné restent solides.

C’était l’automne dans le Sud peuplé du Canada, mais à Iqaluit, l’hiver sévissait déjà depuis quelques semaines. Selon les ainés inuits, la saison débarque toutefois plus tard que jadis, car l’axe de la terre s’est déplacé et le climat a changé.

Assistée de son aide de camp, le capitaine Doug Robert, la commissaire du Nunavut Eva Aariak dépose une couronne lors de l’événement. Les cadets de l’air sont une organisation florissante à Iqaluit.
Alors qu’un jeune Inuk salue, des gendarmes marchent vers la cérémonie du jour du Souvenir 2022 à Iqaluit.

À l’extérieur, au-delà de l’agglomération d’environ 7 000 habitants, autant dire une ville pour le Nunavut, la blancheur sans limites s’étendait dans toutes les directions sur cette terre ancienne au relief accidenté; la terre de caribous, de bœufs musqués, de loups arctiques et d’ours polaires.

La lumière tamisée d’un matin couvert de novembre, au-dessus de la limite des arbres, dessinait de longues ombres légèrement floutées au monument à la guerre voisin de la filiale de la Légion royale canadienne. Les drapeaux du Canada, du Nunavut, de la Nouvelle-Écosse et de la Grande-Bretagne flottaient dans la légère brise arctique venant de l’océan, où la glace commençait à se former.

Beaucoup de gens assistant à la cérémonie avaient mis leurs soucis de côté le temps d’un moment de réflexion et de souvenir. La vie à Iqaluit peut constituer un défi, où l’eau potable est problématique et où les prix surpassent ceux du sud.

Ils ne connaitront jamais l’outrage ni le poids des années.

Iqaluit (« un endroit où il y a beaucoup de poissons »), port de pêche inuit traditionnel, a été nommée en 1999 capitale du Nunavut, territoire qui faisait autrefois partie des Territoires du Nord-Ouest.

Le développement et les liens avec l’armée de la ville qu’on appelait alors Frobisher Bay datent de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les U.S. Army Air Forces ont bâti une base de ravitaillement en carburant pour les avions envoyés en Europe.

Nakasuk, guide inuk et apparemment le premier résident de la région, avait aidé en 1941 les plani-ficateurs à choisir un terrain plat pour servir de piste d’atterrissage. Le terrain d’aviation Crystal 2 faisait partie de la ligne d’étapes Crimson, le réseau des États-Unis et du Canada vers la Grande-Bretagne, qui évitait les longs vols où les avions étaient exposés au-dessus des eaux infestées d’U-boots.

Le projet Crimson (son nom de code canadien) a été mis à mal par l’obscurité et le froid extrêmes de l’hiver boréal. Il a été écourté en 1943, quand les Alliés ont changé le cours des combats en Atlantique Nord.

L’infrastructure achevée n’a cependant pas été gaspillée. La Compagnie de la Baie d’Hudson a déménagé ses activités méridionales de Baffin à Niaqunngut (« Apex » à l’époque), non loin, pour profiter des installations disponibles. Les édifices de l’entreprise subsistent encore, usés par les éléments.

Avec l’intensification de la guerre froide au milieu des années 1950, NORAD a fait construire une chaine d’emplacements radar, le Réseau d’alerte avancé, ou Réseau DEW. Cela a déclenché une explosion démographique au centre du réseau, à la baie Frobisher.

Des centaines de travailleurs, de militaires et d’administrateurs sont arrivés du sud et, avec la hausse des perspectives professionnelles et des avantages comme de meilleurs soins médicaux, des centaines d’Inuits ont suivi.

Deux Hercules C-130 militaires de transport posés sur une piste de l’aéroport d’Iqaluit.

On a rapporté qu’en 1957, 489 des 1 200 résidents de la ville étaient inuits. Le gouvernement canadien a accru sa présence, a fait venir des médecins à temps plein, a lancé la construction d’une école et a établi des services sociaux. D’autres Inuits sont arrivés.

Une station radio navale canadienne y a fonctionné pendant 12 ans, jusqu’en 1966. Les militaires étasuniens ont quitté Iqaluit en 1963. Les Forces armées canadiennes maintiennent un détachement à Iqaluit : la Force opérationnelle interarmées (Nord), Nunavut. Elle a joué un rôle essentiel lors d’une crise de l’eau potable en 2021.

Quelque 40 à 45 membres de la GRC sont postés ici. Il y a des détachements au nord du Nunavut jusqu’à Grise Fiord à la population de 144 personnes, dont deux policiers de la GRC.

Allen Jagoe, réserviste de la GRC qui a pris sa retraite en 2015, a été policier pendant presque quarante ans. Il est désormais agent de la prévôté et escorte des prisonniers sur tout le territoire, certains même jusqu’aux prisons fédérales dans le sud.

Néo-Brunswickois, il a servi à Terre-Neuve pendant 29 ans, puis il est venu à « la grande ville » d’Iqaluit avec sa famille en 2005. Il y est resté.

« J’y suis bien, explique-t-il. C’est un endroit merveilleux de simplicité. On apprend à connaitre les gens. C’est du maintien de l’ordre communautaire. »

Les officiers peuvent refuser leur transfert au Nunavut, et le séjour typique est de deux ou trois ans. Toutefois, M. Jagoe note que beaucoup prolongent leur séjour et finissent par rester pendant deux ou trois rotations.

Le Nord, dit-on, vous rentre dans l’âme.

Avec amour, ils ont servi leur patrie.

Le grand-père en l’honneur duquel Leo Twerdin, secrétaire-trésorier de la filiale Iqaluit de la Légion, était membre du 1er Bataillon canadien de parachutistes pendant la Deuxième Guerre mondiale et a servi dans le Royal Canadian Regiment en Corée.

Les liens avec l’armée dans cet endroit éloigné restent solides. L’escadron des cadets de l’aviation d’Iqaluit no 795 est florissant. Des Rangers Canadien du 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens, dont le quartier général est à Yellowknife, sont basés à Iqaluit. Des avions de transport militaires Hercules de divers pays passent par là tous les jours.

Lors de la cérémonie du souvenir, une dizaine de familles ont déposé des couronnes en l’honneur de vétérans de la GRC et de l’armée. Les sœurs Alassua, Udloriak et Kathleen Hanson ont déposé des couronnes en mémoire de leur grand-mère, Jacqueline, de leur père, Phillip et de leur oncle, William. Les Thibaudeau en ont déposé une en l’honneur d’Ivan, leur patriarche, membre du Royal Canadian Dragoons; les Moss, en l’honneur du capitaine de corvette Michael Stuart Moss, médecin de la Marine royale.

Les familles Chown et Witzany-Chown ont déposé une couronne en mémoire de leur grand-père et de leur arrière-grand-père, Alexander McConnachie, vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a servi pendant les six ans de la guerre dans les Fusiliers de Saint John, N.B.

Il y avait les Paton, qui commémoraient des vétérans de la Marine royale, Pauline et de l’armée britannique, Jack. Les Lalonde couvraient les deux guerres mondiales : Archibald et Lillian White ont servi lors de la Grande Guerre, et leurs parents et grands-parents, Jean-Maurice et Marje (White) Lalonde, à l’ère de la Seconde Guerre mondiale, elle était membre du Service féminin de l’Armée canadienne.

La lumière tamisée d’un matin couvert de novembre au-dessus de la limite des arbres dessinait de longues ombres légèrement floutées au monument à la guerre.

Leo Twerdin, secrétaire-trésorier de la Légion, a déposé une couronne en souvenir du grand-père dont il porte le nom, vétéran du 1er Bataillon canadien de parachutistes de la Seconde Guerre mondiale qui a aussi servi dans le Royal Canadian Regiment en Corée.

Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore.

Le soleil était déjà loin du zénith quand a pris fin la cérémonie. Il avait amorcé son déclin qui se terminerait par la nuit noire peu avant 15 heures. Il ne reviendrait qu’à presque 8 heures le lende-main. Au solstice d’hiver, la faible lumière du jour règne à peine un peu plus de quatre heures.

La météo était clémente, et le sergent Kevin Kullualik de la patrouille de Rangers avait prévu de sortir chasser le phoque en bateau pendant quelques heures. La viande servirait à nourrir les familles : l’aide fédérale est insuffisante pour les prix élevés du logement et les couts exorbitants de l’alimentation dans les épiceries locales, où deux litres de lait d’amande coutent 14,69 $; 427 grammes de margarine, 9,29 $; et les tomates de serre sont à 13,99 $ le kilo.

Le transport de la nourriture est prohibitif : 9 $/kg en bateau entre juin et octobre; 22 $/kg en avion le reste de l’année. Les biens sont subventionnés, mais les prix demeurent effarants : un litre et demi de jus d’orange coute 16,39 $, une douzaine de bouteilles d’un demi-litre d’eau 27,69 $, et le litre de sirop d’érable biologique est à 43,19 $.

Des immigrants viennent pourtant ici gagner de l’argent. Il y a dix ans, les chauffeurs de taxi étaient principalement des immigrants libanais. Désormais, ce sont des Africains d’Érythrée, d’Éthiopie, du Soudan ou du Cameroun. Les chauffeurs, comme Yonathon qui est venu au Canada d’une Érythrée ravagée par la guerre il y a 20 ans, restent habituellement trois mois d’affilée, puis ils rejoignent leur famille dans le sud, dans ce cas-ci, à Calgary, pendant quatre semaines.

« On va où il y a du travail », dit-il.

Nous nous souviendrons d’eux. 

Twerdin est photographié au monument aux morts d’Iqaluit (ci-dessous, de gauche à droite) avec les autres membres de la branche Chris Ledger, le président Clifford Laurin, le deuxième vice-président Jarrod Selkirk, le sergent d’armes Bob Worches et l’ancien président John Graham.
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