Les soldats gravaient leurs histoires dans le métal mou des douilles.
La guerre fut longue pour Patrick Joseph LeBlanc, mécanicien de chemin de fer. Il s’était enrôlé dans le 52e Bataillon (New Ontario) à Fort William en janvier 1951, et il passa l’année qui suivit la guerre dans l’armée d’occupation en Allemagne. Il reçut la Médaille militaire avec barrette pendant son service à l’étranger.
Les militaires à la Première Guerre mondiale avaient beaucoup de temps entre les batailles. Nombre d’entre eux s’exprimaient dans l’art avec les matériaux qu’ils avaient sous la main. Les douilles ne manquaient pas, le terrain en était couvert. L’artillerie alliée tira plus d’un million d’obus rien que pendant la bataille de la crête de Vimy.
M. LeBlanc trouva une douille parfaite pour ce qu’il avait en tête : documenter son service en Belgique et en France.
Quand, de retour au Canada, il s’installa à Schreiber, Ont., il ramena un pichet d’environ 30 centimètres de haut et de presque 15 kilogrammes entièrement couvert de gravures de sa période à l’étranger.
On y trouve des illustrations de bâtiments emblématiques, un relevé de ses combats, des gravures de chars, de grenades, d’aéronefs et de canons de campagne, ainsi que des gravures représentant le Canada avec des feuilles d’érable et des symboles provinciaux.
« Il l’a gravé à l’aide d’une aiguille à repriser. »—Margaret Santerre
Le métal mou des douilles en laiton, cuivre et aluminium servait souvent à créer et décorer des souvenirs et des cadeaux. Certains, comme celui de Leblanc, racontent l’histoire militaire du soldat; d’autres commémorent une bataille précise.
Les soldats fabriquaient des bijoux, des bougeoirs, des socles de lampe, des pots à tabac, des boites à cigarettes, des couvercles de boite à allumettes, des cendriers, des tasses, des chopes, et des pichets. Les œuvres allaient du simple monogramme aux scènes détaillées d’Art nouveau.
Le passe-temps était si répandu que les marchands vendaient des pochoirs des graphismes populaires. En échange de quelques cigarettes, le militaire pouvait acheter un pochoir pour faire un dessin sur une douille en employant ce qu’il avait sous la main, comme un clou, pour graver le graphisme dans le métal et décorer l’arrière-plan.
Certaines œuvres réalisées par des soldats qui avaient une certaine expérience de la ferronnerie ou du dessin, ou créées avec leur aide, étaient à la frontière entre l’art et l’artisanat.
Après la guerre, il devint chic de décorer son intérieur avec des créations artistiques des tranchées. Malheureusement, comme les douilles appartenaient au gouvernement et que tout usage personnel était interdit, la plupart des artistes n’apposaient pas leur signature sur leurs œuvres, alors il est difficile de savoir si elles proviennent du front ou d’un studio offrant des reproductions pour la vente en série dans les boutiques de souvenirs et les grands magasins.
« Le pichet représentait énormément pour moi, explique Mme Margaret Santerre, fille de M. LeBlanc, qui habite à Terrace Bay, Ont. Il l’a gravé à l’aide d’une aiguille à repriser. Un ami qui avait été joaillier [avant la guerre] lui avait montré comment faire. »
Le pichet du soldat LeBlanc a été transmis au petit-fils de Mme Santerre. En plus d’être conservés précieusement par les descendants d’anciens combattants, ces objets d’art des tranchées ont un certain cachet pour les collectionneurs. Les prix sur eBay commencent à environ 50 $ pour de simples douilles servant de vase. Les œuvres plus élaborées réalisées sur des douilles provenant de batailles identifiables et celles signées par l’artiste sont encore plus couteuse : une lampe avec des emblèmes maçonniques faite à partir d’un obus d’artillerie de 1915 est ainsi annoncée au prix de 1 133 $.
Le Musée canadien de la guerre a quelques beaux exemplaires d’œuvres d’artistes des tranchées, et les expositions des musées de filiale de la Légion aux quatre coins du pays présentent aussi des échantillons du travail de soldats.
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