Le Canada devrait-il s’impliquer davantage dans la région indopacifique?

ERNIE REGEHR est attaché supérieur de recherches à la Simons Foundation, spécialisé dans la sécurité et la défense de l’Arctique. Il est aussi cofondateur du Project Ploughshares.
Joel Kimmel

Ernie Regehr dit que Non

L’apaisement des tensions militaires et l’enrayement de la dérive vers une guerre froide avec la Chine sont des conditions préalables pour relever efficacement les enjeux de la sécurité dans la région indopacifique, qui ne sont que trop réels. Il s’agit notamment de l’armement nucléaire de la Corée du Nord, des disputes territoriales entre les États côtiers de la mer de Chine méridionale, des limites à la liberté de naviga-tion, et du risque croissant de guerre au sujet de Taïwan.

Les mesures désincitatives empêchant un conflit armé font partie de l’équation sécuritaire.

Jusqu’à récemment, la Chine faisait preuve de retenue sur la scène militaire internationale. Ses dépenses militaires étaient bien inférieures à celles de l’occident, et elles restent encore bien en dessous de celles des États-Unis. En règle générale, la Chine évitait d’implanter des bases militaires à l’étranger, tandis que le Pentagone en a 750 dans le monde. L’arsenal nucléaire stratégique de Beijing représente environ un dixième de celui des États-Unis ou de la Russie.

Mais, cette retenue a pris fin. Les investissements des États-Unis dans un système stratégique de défense antimissiles balistiques (DMB) provoquent de sérieuses réactions en Chine, même si Washington dit ne se concentrer que sur la Corée du Nord. La DMB étasunienne est, aux yeux de Beijing, un risque, alors la Chine renforce son stock de missiles intercontinentaux pour s’assurer d’écraser les défenses américaines.

Des recherches sont réalisées sur les armes hypersoniques susceptibles d’échapper aux missiles de défense. 

La méfiance de l’Inde à l’égard de la Chine aussi est plus marquée, et sa place dans le dialogue avec le Japon, les États-Unis et l’Australie est important. Quoi qu’il en soit, le pays le plus densément peuplé de la planète, bientôt la plus grosse économie au monde, n’a pas l’intention de se laisser marginaliser ni militairement, ni économiquement, ni diplomatiquement.

Qu’on le veuille ou non, la Chine est désormais l’un des États incontournables:

on n’atténuera pas la crise climatique sans elle, la Corée du Nord ne se départira pas de son obsession pour le nucléaire sans son intervention, les disputes frontalières de la région ne seront résolues qu’avec sa volonté, et la question d’un code concerté en matière de navigation ne se résoudra qu’avec l’accord de la Chine.

Alors, que devrait faire une puissance moyenne?

Le Canada prend déjà part aux discussions régionales sur la défense et la sécurité avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

Ottawa voit les discussions comme les forums sur la défense de Séoul et de Tokyo ainsi que le Dialogue de Shangri-La comme de sérieux efforts visant à atténuer les conflits. Les exercices militaires comme l’exercice Rim of the Pacific auquel quelque 500 militaires et deux frégates des FAC ont participé en 2020 s’inscrivent aussi dans l’engage-ment du Canada dans la région.

C’est toutefois le rythme de l’engagement multilatéral qui doit s’accélérer, pas celui des opérations militaires. Les patrouilles comme le passage récent du NCSM Winnipeg dans le détroit de Taïwan avec un contretorpilleur américain ne sont pas faites pour réduire les frictions. À la place, les efforts diplomatiques encourageant les pourparlers sur la stabilité stratégique et le soutien général de la région dans le cadre des réponses collectives aux enjeux de sécurité indo-pacifique sont ce qui ouvrira la voie à ladite stabilité sur laquelle on compte pour cette sécurité.

DAVID J. BERCUSON, auteur de notre rubrique « Eye on Defence », est directeur du Centre for Military, Security and Strategic Studies de l’Université de Calgary.
Joel Kimmel

David J. Bercuson dit que oui

Le Canada était une nation du Pacifique bien avant d’obtenir le statut officiel de nation lors de la signature du Statut de Westminster de 1931. La raison principale derrière la construction du Chemin de fer Canadien Pacifique était de relier l’Est du Canada à la Colombie-Britannique, revendiquer une partie des échanges avec l’Asie en était une autre.

Un siècle et demi plus tard, le Canada constitue la dixième économie en importance au monde, et compte une population de presque 40 millions d’habitants. Le port de Vancouver est l’un des plus grands de la côte ouest. En 2019, les échanges entre le Canada et le Japon se sont élevés à 26 milliards de dollars, et ceux entre le Canada et l’Inde à plus de 10 milliards. Nos échanges avec les Philippines, le Viet Nam et l’Indonésie augmentent rapidement. La Chine est notre deuxième partenaire commercial en importance après les États-Unis.

Rien que pour cela, ce qu’il se passe dans la région indo-pacifique est une question d’intérêt national vitale. Toutefois, l’intérêt du Canada va bien au-delà des échanges avec la région indo-pacifique.

Le Japon, démocratie à part entière l’une des forces navales les plus imposantes au monde. Garant de la liberté en mer, il souhaite encore renforcer sa puissance militaire. Il réagit directement à la croissance du pouvoir militaire de la Chine, ainsi qu’à sa belligérance dans les disputes territoriales avec lui et avec d’autres nations des côtes méridionales et orientales de la mer de Chine.

Avec la création de ressources navales et aériennes assises sur des récifs minuscules transformés en bases militaires, son impressionnante flotte de « bâtiments de pêche », ses navires de garde côtière, et son attitude irresponsable en matière de diplomatie,

la Chine joue actuellement le rôle de brute dans la région Asie-Pacifique.

Au cours des années à venir, la Chine essaiera-t-elle d’enrayer le flux de pétrole moyen-oriental vers le Japon qui passe par la mer de Chine méridionale? Décidera-t-elle d’écraser Taïwan, ile démocratique et stratégiquement vitale? La Chine continuera-t-elle de menacer, d’amadouer et d’inti-mider le Viet Nam? L’Indonésie? Singapour? La Thaïlande?

Et que fait le Canada devant cette nouvelle menace à la paix dans le monde? 

Pratiquement rien. Pourquoi? Parce que nous avons laissé notre puissance navale se réduire comme peau de chagrin. Parce que nous marchons sur la pointe des pieds près de la Chine, comme si nous étions les seules cibles de la belligérance de Beijing. Parce que nous n’avons pas actualisé notre stratégie diplomatique à l’égard de la région indopacifique. Parce que nous laissons l’Australie prendre position pour contrer la Chine, et ce, même si nos cou-sins du Commonwealth ont bien plus à perdre que nous dans leur relation avec la Chine.

Notre manque de courage tient en partie à une génération
de diplomates qui croient encore que les échanges avec la Chine permettront d’arrondir les coins avec la diplomatie communiste chinoise.

Si l’on en doute, posons donc la question à Michael Kovrig et à Michael Spavor. Selon Beijing, ils n’étaient pas otages. Mais, ils ont été libérés comme par miracle dans les 48 heures qui ont suivi la fin de la détention préventive au Canada de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei. Quelle coïncidence! Le Canada doit adopter une position bien plus ferme contre le régime sans pitié de Beijing.

Search
Connect
Listen to the Podcast

Comments are closed.