FACE À FACE: Le Canada a-t-il bien fait d’entrer en guerre en septembre 1939?

Globe and Mail Archives

J.L. Granatstein dit que NON

Le Canada fut la seule nation indépendante d’Amérique du Nord à déclarer la guerre à l’Allemagne en 1939. Membre du Commonwealth britannique, le Canada était néanmoins indépendant en matière de politique étrangère et de défense, et ce, depuis le Statut de Westminster de 1931. Les colonies britanniques des Antilles et d’Amérique du Sud, elles, entrè-rent en guerre automatiquement avec la Grande-Bretagne, le 3 septembre. Le Canada, lui, attendit le 10 septembre pour déclarer la guerre. Il n’aurait pas dû le faire.

Pourquoi? Parce que les intérêts nationaux du Canada n’étaient pas en jeu. Il était protégé contre tout débarquement important des forces allemandes par l’océan Atlantique; pour les mêmes raisons, aucun avion ni missile capable de l’attaquer depuis l’Europe n’existait. Et même si de telles attaques avaient été possibles, les États-Unis seraient venus tout de suite à sa défense. Les investissements et le commerce au Canada venaient de plus en plus des États-Unis et, en tant que pays neutre, son commerce avec la Grande-Bretagne en matériel non militaire n’aurait probablement pas été interrompu par la guerre, à l’instar des navires de fret américains qui continuèrent pendant un temps à sillonner les mers sans être inquiétés. En fait, la guerre aurait sans doute accru de tels échanges.

La sécurité des Canadiens n’était pas non plus menacée. Les principaux intérêts nationaux – la sécurité du territoire, des habitants et de l’économie – étaient saufs si le Canada demeurait en paix.

D’autres facteurs entraient en jeu. La Première Guerre mondiale avait été terriblement couteuse pour le Canada, en vies et en fonds, et elle avait causé maintes dissensions. Le nombre de victimes – 66 000 morts et plus de 172 000 blessés – avait été énorme, et les améliorations technologiques dans le domaine des armements depuis 1918 laissaient deviner le pire en cas de nouveaux combats.

Et puis il y avait le Canada français, toujours meurtri par la conscription et l’élection raciste de 1917 qui avait opposé les francophones aux anglophones. Les choses avaient-elles vraiment changé? Pourquoi risquer une unité nationale déjà fragile au nom d’une autre guerre lointaine?

Cela dit, il n’y avait aucun doute que l’Allemagne nazie posait un grave danger. Les nazis avaient enfreint des traités, annexé l’Autriche et la Tchécoslovaquie, terrorisé les citoyens non aryens et, le 1er septembre, envahi la Pologne. L’Holocauste, tentative d’extermination des Juifs d’Europe par les nazis, était encore un secret bien gardé en 1939. Hitler était donc un danger pour l’Europe, mais pas pour le Canada. Le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, espérait éviter la guerre même après que les panzers eurent franchi la frontière polonaise. Si son cabinet ne s’était pas révolté, la Grande-Bretagne aurait trahi sa promesse faite aux Polonais.

Alors, après avoir attendu une semaine pour afficher son « indépendance », pourquoi le Canada décida-t-il de déclarer la guerre? C’était une question d’allégence. Le Canada, indépendant en vertu de la loi, entra en guerre pour une seule raison : la Grande-Bretagne était en guerre. L’état d’esprit colonial de 1914 était encore intact en 1939.


John Boileau dit que OUI

Lorsque le Canada déclara la guerre à l’Allemagne, le 10 septembre 1939, sept jours après la Grande-Bretagne, c’était un geste calculé du premier ministre, Mackenzie King, pour affir-mer l’indépendance du pays.

Vingt-cinq ans auparavant, lorsque la Grande-Bretagne avait déclaré la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, le 4 aout 1914, le Canada n’avait pas eu le choix. En raison de son statut colonial comme l’avait dit le premier ministre, sir Wilfrid Laurier, en 1910, « quand la Grande-Bretagne est en guerre, le Canada est en guerre. Il n’y a pas de distinction. »

Les seules choses que le pays pouvait décider étaient l’ampleur et la nature de sa contribution à l’effort de guerre.

Le Statut de Westminster signé en 1931 entérina l’indépendance législative complète du Canada et de certains autres membres du Commonwealth britannique (Australie, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud), sauf dans les cas où ces nations choisissaient  de rester subordonnées à la Grande-Bretagne.

Alors, pourquoi le Canada déclara-t-il la guerre à l’Allemagne alors qu’il aurait pu tout simple-ment demeurer à l’écart et éviter les plus de 45 000 morts, 55 000 blessés et un coût de plusieurs milliards de dollars?

On a fait grand cas de la fièvre conquérante d’Hitler et de son fascisme particulièrement odieux, mais cet argument a été formulé a posteriori, pendant la guerre : ce ne fut pas un facteur déterminant de la décision prise en 1939.

Le Canada déclara la guerre principalement pour une raison : parce que la Grande-Bretagne, la mère patrie aux yeux de la plupart des Canadiens, notre meilleure amie et notre alliée la plus proche à l’époque, était en guerre, et parce qu’il fallait lui venir en aide. Le fait que la France, autre nation fondatrice du Canada, était elle aussi entrée en guerre contre l’Allemagne, venait renforcer le sentiment.

Lorsqu’un ami a besoin d’aide, on ne se pose même pas la question : on l’aide par tous les moyens possibles.

Le Canada n’était certes pas dans l’obligation de faire la guerre à l’Allemagne, pour la majeure partie de la population,  si la Grande-Bretagne était en guerre, ne pas lui prêter main forte était tout simplement inconcevable.

L’ampleur de la contribution canadienne à la seconde Guerre mondiale témoigne de cet état d’esprit. Les effectifs de l’armée canadienne, qui étaient d’environ 9 300 réguliers et 53 000 réservistes avant la guerre, passèrent à plus d’un million : environ une personne sur 11 portait l’uniforme. En outre, un dixième de la population travaillait dans l’industrie
de guerre. Étonnamment, ce pourcentage de la population dans les forces armées ou ayant un emploi dans une industrie connexe ne fut dépassé que par celui de l’Allemagne nazie.

Le Canada aurait pu se tenir à l’écart de la guerre en septembre 1939, mais la décision du gouvernement était portée par l’opinion publique. Il ne fait aucun doute que le Canada a bien fait d’aller en guerre en septembre 1939. Comment aurait-il pu en être autrement?


J.L. GRANATSTEIN, ancien directeur général du Musée canadien de la guerre, a écrit des dizaines de livres, dont Who Killed Canadian Military History? et Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace.

JOHN BOILEAU est colonel de l’armée de terre à la retraite et auteur de 14 livres et de centaines d’articles sur l’histoire militaire canadienne. Récemment, il a écrit 6•12•17 The Halifax Explosion à l’occasion du centenaire de cette tragédie. Il habite à Halifax.

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