Ne me laisse pas

Des membres du Royal 22e Régiment montent attentivement une côte.
BAC/PA-213643

Le 65e anniversaire de l’armistice qui mit un terme à la guerre de Corée a lieu cette année. Les soldats canadiens ont accompli de nombreux actes d’héroïsme et de sacrifice pendant ce conflit, qui dura du 25 juin 1950 au 27 juillet 1953. Dans l’article biographique qui suit, Guy Régimbald de Rawdon, au Québec, qui a servi en Corée dans la Compagnie « A » du Royal 22e Régiment, raconte comment il a frôlé la mort pendant une patrouille à la côte 227, près de la côte 355 et à environ 40 kilomètres au nord de Séoul, en mai 1952.

Le 27 mai 1952, à 21 h, une section de 30 hommes commandée par le lieutenant Carpenter, assisté par le sergent Genevir Olivieri, s’apprête à traverser une rivière d’une quarantaine de pieds de large.

Cette formation temporaire, organisée par le peloton de la Compagnie « A » à la demande du major Létourneau, a pour mission de faire des prisonniers pour obtenir des renseignements sur l’ennemi.

Contrairement à l’habitude, les soldats prenant part à cette patrouille ne se connaissent pas très bien.

Nous traversons la rivière aussi prudemment que possible et nous avançons de 300 pieds dans les terres de l’autre rive, toujours à l’affût du moindre mouvement de l’ennemi, mais tout semble calme.

Sur le chemin du retour, au milieu de la vallée et à environ 2 kilomètres de nos propres lignes, nous nous trouvons encerclés par l’ennemi.

Nous sommes aussitôt la cible d’une volée de grenades, et les explosions déclenchent des rafales de coups de feu.

Au cours de cette attaque-surprise, une grenade me blesse aux jambes et à la fesse, et je suis propulsé à plusieurs pieds de ma position. J’apprendrai par la suite que mon « envolée » n’est pas sans témoins.

Abasourdi par la déflagration, je suis catapulté dans un fossé sur un camarade gémissant. En me dégageant de lui, je prends conscience que je ne suis pas très loin de ma section. Je vois des camarades qui ouvrent le feu sur l’ennemi situé à 20 ou 30 pieds de notre position. La bataille bat son plein.

L’ennemi nous a tendu tout un piège! Des grenades passent au-dessus de ma tête, je vois des éclairs d’explosion de tous côtés, et des fusées éclairantes à parachute illuminent le secteur.

Pendant ce temps, un camarade s’agrippe à la jambe de mon pantalon; je me penche vers lui : « ne me laisse pas, ne me laisse pas », me dit-il.

Je lui demande pourquoi il ne prend pas part au combat, puis je m’aperçois qu’il a peine à respirer. Je lui demande comment il s’appelle, et il me semble entendre « Labrosse ». « Ne me laisse pas, me répète-t-il,  je suis blessé. »

Nous sommes avertis que l’artillerie se prépare à nous venir en aide. Sans nous donner le temps de nous abriter, les obus de l’artillerie sifflent au-dessus de nos têtes, et tombent à 30 pieds devant notre position. Le bruit infernal des tirs se poursuit durant les deux plus longues minutes de ma vie, puis c’est le silence presque total.

À ce moment-là, nous recevons l’ordre de nous replier sans coup férir.

« On m’avait dit que vous étiez
mort au début de l’attaque. »

J’informe Labrosse de l’ordre de se retirer au plus vite. Je l’aide à se lever, le soutenant au mieux, mais il hurle de douleur. Dès que nous sommes debout pour quitter le fossé, je me rends compte que le reste de notre section a déguerpi.

Peu de temps après, il sont loin devant et je ne les entends plus. Un grand silence envahit la nuit et, tentant d’aider un camarade blessé, bien que blessé moi-même, je me sens terriblement seul.

À ce moment-là, j’estime qu’il est environ 2 heures du matin. Labrosse et moi marchons sur une centaine de verges, puis ce dernier me fait savoir qu’il ne tient plus sur ses jambes, précisant que le projectile qui lui a traversé le bras gauche a aussi atteint son poumon. Quelques secondes plus tard, il ne me répond plus… Ne sachant pas si l’ennemi est encore présent, je reprends tant bien que mal la route avec mon compagnon d’infortune, le supportant au mieux.

Je tente d’appeler la patrouille située loin, loin devant mon camarade et moi, mais en vain. En raison de mes propres blessures je tombe à plusieurs reprises et tout à coup, en me relevant — toujours avec mon camarade — j’entends la voix du sergent Olivieri près de moi qui me dit : « mais que faites-vous à trainer en arrière? »

Je lui réponds : « Je suis blessé, et j’essaie de soutenir un autre blessé! »

Le sergent Olivieri réplique, « très bien, passe-le-moi, et toi, tu vois les deux pignons de montagne? Engage-toi dans cette direction et tu arriveras à notre position ». Là-dessus, Olivieri s’éloigne de moi avec Labrosse, et je les perds bientôt de vue.

Après quelque temps, je trébuche et finis par m’écrouler au sol où je perds connaissance.

Je me réveille tout confus, sous la pluie, et je vois qu’il fait jour. Je mets du temps à reprendre mes esprits. Pourquoi suis-je ici? Que s’est-il passé? Où sont les autres?

Je finis par me rappeler mes blessures. Mes pantalons me collent à la peau. Je m’accroupis de peur d’être repéré par l’ennemi.

J’inspecte les environs durant quelques minutes, mais je ne décèle aucune présence. Je vérifie ce qu’il me reste d’équipement : j’ai la sangle d’une Sten automatique au cou. Je m’aventure à me lever et une de mes jambes ne répond pas très bien. Chaque pas provoque d’intenses douleurs, mais je n’ai pas le choix, et je repars en direction du peloton dont la position (par chance) n’est qu’à une centaine de mètres.

Environ 24 heures après le début de la mission, je m’approche de la position de ma section et je gesticule en hurlant, en français, afin de ne pas être pris pour un ennemi, car vu mes vêtements souillés je risque d’être méconnaissable : « C’est moi! C’est moi! »

Quelques camarades s’approchent de moi et les pre-miers mots que j’entends sont : « Comment, t’est pas mort, toi, Régimbald? » Ils m’accompagnent jusqu’à notre position et j’entends d’autres camarades me poser la même question : « t’es pas mort, toi, Régimbald? ».

Le lieutenant Carpenter, stupéfié, me fait entrer dans sa tranchée et me dit pour s’excuser : « On m’avait dit que vous étiez mort au début de l’attaque ».

Je lui raconte que j’ai aidé le soldat Labrosse, et que je l’ai remis au sergent Olivieri, mais que ce dernier ne me connait pas.

Ne pouvant discerner l’ampleur de mes blessures, le lieutenant Ronald Michaud me donne une once de rhum et deux aspirines avec l’ordre d’aller me reposer pendant trois heures. Je l’informe donc à nouveau que je suis blessé, baissant mon pantalon afin de lui montrer ma blessure, et les infirmiers sont convoqués immédiatement pour s’occuper de moi.

Après l’examen médical, je suis transporté en ambulance vers l’une des unités M.A.S.H. derrière les lignes américaines. Après un séjour de convalescence de 10 semaines à Kure, au Japon, je retourne à mon unité, prêt à reprendre du service.

Je repense alors à la veste pare-balle obligatoire de quelque 30 livres qui m’a très probablement sauvé la vie en protégeant le haut de mon corps des éclats de grenade qui m’avaient blessé aux jambes.

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