Le 11 FÉVRIER 1900, le contingent canadien de 1 039 soldats envoyé peu avant en Afrique du Sud se joignait à une puissante colonne britannique à Graspan, à la frontière entre le cap des Tempêtes et l’État libre d’Orange des Boers. Le lendemain, sous un soleil de plomb où la température s’éleva jusqu’à 46 °C, le 2e Bataillon (de service spécial) du Royal Canadian Regiment (RCR) traversa 20 kilomètres de veld dans une épaisse poussière rouge jusqu’aux ruines de Ramdam, domaine néerlandais qui avait été incendié par des éclaireurs britanniques. 30 000 soldats, 7 000 non-combattants, 14 000 chevaux et 33 000 mules et bœufs épuisés tirant 600 wagons et plusieurs pièces d’artillerie y firent halte. Entre Ramdam et leur objectif, Bloemfontein, il y avait 200 kilomètres de campagne accidentée et aride.
Une force boer d’environ 5 000 combattants qui avait assiégé Mafeking, la ville la plus septentrionale du cap des Tempêtes, se repliait vers le sud accompagnée de quelques dizaines de femmes et d’enfants, de plus de 400 wagons et de plusieurs milliers de chevaux devant l’avancée des Britanniques. Le général Piet Cronjé, commandant des Boers, espérait contourner les Britanniques et établir une force de blocage pour protéger Bloemfontein jusqu’à l’arrivée de renforts.
Les Boers se firent aussi discrets que possible, mais rien ne pouvait empêcher les nuages de poussière. Le 16 février, les Boers de Cronjé furent remarqués par des éclaireurs britanniques et des échauffourées éclatèrent. À quelques kilomètres à l’est du gué de Paardeberg (Horse Mountain, ou Montagne des chevaux), sur la rivière Modder, Cronjé croyait encore qu’il lui serait possible de s’échapper. S’attendant à traverser la rivière facilement le lendemain matin, puis à atteindre la route de Bloemfontein pour poursuivre le retrait ordonné, Cronjé fit bivouaquer sa force.
Ce fut une décision fatidique pour les Boers, car elle permit aux Britanniques d’obtenir leur première victoire décisive en Afrique du Sud; et c’est là que des soldats canadiens prirent part à leur premier combat à l’étranger.
LES ORIGINES de cette guerre remontaient à 1835. Quelque 15 000 Voortrekkers désireux d’empêcher les Britanniques d’étendre leur autorité sur les colons hollandais qui se sentaient de plus en plus marginalisés traversèrent le fleuve Orange pour quitter le cap des Tempêtes et établir des républiques indépendantes. Le Transvaal et l’État libre d’Orange établis par les conventions de Sand River en 1852 et de Bloemfontein en 1854 furent reconnus respectueusement, mais à contrecœur, par la Grande-Bretagne.
Les deux républiques étaient des tentatives de la part des colons hollandais de continuer le mode de vie agraire de leurs aïeux qui s’étaient établis en Afrique du Sud au XVIIe siècle, et qu’ils croyaient menacé depuis que les Britanniques avaient saisi le cap, en 1795. En 1814, la mainmise sur le cap des Hollandais par les Britanniques fut rendue officielle au Congrès de Vienne. Le mouvement des Voortrekkers était l’expression d’un rejet de l’influence britannique qui se propageait. La plupart des Boers étaient de fervents croyants : ils pratiquaient un calvinisme strict et ne toléraient aucune autre foi. Après presque 200 ans de guerre avec les tribus africaines, ils étaient aguerris et rompus à l’art de la guérilla qui reposait sur leurs talents de cavaliers, leur grande adresse au tir et une utilisation tactique superbe du terrain. Tous les hommes adultes appartenaient à une formation militaire de type « commando ».
Les Boers espéraient que leur fuite leur permettrait de rester libres de l’influence des Britanniques et de l’empiètement de ces derniers sur leurs nouvelles terres, mais la découverte de diamants en 1867 poussa les Britanniques à annexer le Transvaal en 1871. En décembre 1880, les efforts des Boers visant le renversement de l’annexion ayant échoué, ils recoururent à la résistance armée. À Majuba Hill, le 27 février 1881, ils infligèrent une cuisante défaite à un grand contingent de réguliers britanniques, défaite qui donna lieu à la convention de Pretoria quelques mois plus tard. Bien que la convention ne servît pas à rétablir l’indépendance totale, elle accordait aux Boers un contrôle important de leurs affaires et de leurs terres.
En 1886, les relations anglo-boers se détériorèrent à nouveau à cause de la découverte dans le Transvaal de la plus grande réserve d’or de la planète. Le président du Transvaal, Paul Kruger, voulant minimiser le danger que les chercheurs d’or représentaient pour l’identité nationale du « peuple de Dieu », comme il appelait les Boers, adopta une législation servant à réserver le droit de vote aux hommes habitant le Transvaal depuis au moins 14 ans, c’est-à-dire, dans la pratique, aux Boers. Il imposa aussi des taxes que les Britanniques jugèrent prohibitives pour protéger la voie ferrée du Transvaal qui allait jusqu’à Johannesburg de l’empiètement des chemins de fer du Cap.
De l’autre côté se trouvait le premier ministre du cap des Tempêtes, Cecil Rhodes, qui cherchait non seulement à agrandir ses intérêts aurifères personnels, mais aussi à unifier toute l’Afrique du Sud sous la couronne britannique. En 1895, après en avoir informé le secrétaire britannique Joseph Chamberlain, il tenta un coup qui échoua lamentablement. Rhodes fut obligé de démissionner, mais le gouverneur et haut-commissaire du cap des Tempêtes, sir Alfred Milner, continua d’exiger que la condition de résidence pour l’admission au droit de vote soit limitée à cinq ans.
Pendant les négociations de mai 1899, Kruger proposa de se mettre d’accord sur sept ans de résidence, ce que Milner refusa. La Grande-Bretagne commença à se préparer à la guerre dans la hâte et à composer un ultimatum que Kruger devança en lançant son propre ultimatum le 9 octobre 1899, exigeant le retrait de tous les soldats britanniques de la frontière. Deux jours plus tard, les Boers lançaient une attaque visant à désorganiser les troupes britanniques qui se rassemblaient à la frontière de Natal, et la deuxième guerre d’Afrique du Sud commença.
LE SOUTIEN MANIFESTÉ en faveur de l’écrasement de la révolte des Boers était ferme partout dans l’Empire britannique. Les Boers étaient vus comme des paysans diaboliques qui opprimaient les colons et les chercheurs d’or anglophones. Une telle oppression, déclarait-on dans un éditorial du Province de Vancouver, « par une horde de fermiers hollandais ignorants » était une insulte à l’Empire. Les Boers étaient méprisés et on s’attendait à ce que la victoire soit rapide. Après tout, comment une bande de fermiers hollandais pouvait-elle s’opposer à la plus grande puissance mondiale? Il s’agissait du plus haut point du nouvel impérialisme :
les puissances européennes rivalisaient pour étendre leur pouvoir dans le monde, la Grande-Bretagne en tête. Les récompenses étaient des marchés captifs, l’accès à de vastes ressources naturelles, le blocage de la croissance des nations rivales. L’Afrique était au centre de cette lutte : la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne s’y disputaient tous des colonies.
Au Canada, le premier ministre Wilfrid Laurier ne voulait rien savoir de la guerre ni du chauvinisme impérial qui la motivait. Au pouvoir depuis trois ans, il croyait qu’une guerre impériale risquait de fracturer l’union délicate entre le Canada anglais et le Canada français. Seulement, l’appétit pour la guerre était grand dans la population. En 1897, le dominion avait fastueusement célébré le jubilé de diamant de la reine Victoria, et la plupart des Canadiens anglais considéraient que le Canada avait le devoir d’aider la mère patrie. Partout sauf au Québec, on réclamait de passer à l’action. Le cabinet de Laurier était divisé. Cependant, la pression continuait, à laquelle prenait part l’officier général commandant du Canada, le major-général britannique E.T.H. Hutton, le gouverneur général lord Minto et le Bureau colonial. Hutton dressa des plans à la demande du Bureau colonial pour lever une force canadienne de 1 200 hommes et en divulgua des parties aux journaux du pays. De nombreux officiers de la milice furent aussi mis au courant du plan, bien que Laurier fût laissé dans l’ignorance. Lorsqu’il apprit l’existence du plan, il n’avait plus d’autre choix que d’accéder aux demandes de la presse et du public. Un dernier recours, invoquant l’interdiction en vertu de la Militia Act pour les soldats canadiens de servir outre-mer, échoua lorsque la guerre éclata le 11 octobre. Laurier s’avoua vaincu et autorisa un budget de 600 000 $ pour enrôler, équiper et transporter un contingent en Afrique du Sud. La Grande-Bretagne serait ensuite chargée des coûts de son entretien.
La force devait se composer de 1 000 soldats, chacun d’eux acceptant de servir durant un an. Il y avait tant que volontaires que l’on institua un processus de sélection fondé sur la santé, l’adresse au tir et le service militaire antérieur. Malgré le désaccord concernant la guerre au Canada français, les soldats de la compagnie F étaient tous des francophones du Québec, du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario, et la moitié de ses officiers et de ses sous-officiers étaient également francophones. Le bataillon fut organisé en huit compagnies de 125 hommes selon leur région : une du Canada de l’Ouest, trois de l’Ontario, deux du Québec et deux des Maritimes (dont le conglomérat francophone). Soixante-dix pour cent des recrues étaient nées au Canada et la plupart des autres étaient venues de Grande-Bretagne. Leur commandant était le lieutenant-colonel William Otter qui s’était distingué pendant la Rébellion du Nord-Ouest.
Le 2nd RCR fut admis à la force permanente et quitta Québec le 30 octobre 1899 à bord du navire de Sa Majesté Sardinian. Plus de 50 000 personnes s’étaient assemblées le long des quais pour lui souhaiter bon voyage.
ET LE VOYAGE SERAIT LONG : 11 000 kilomètres à parcourir en 30 jours. Le Sardinian, transporteur de bovins converti, était si petit que les gens « se marchaient sur les pieds ». Il n’y avait assez de lits de camp que pour la moitié du contingent, et les autres dormaient dans des hamacs. Otter, qui savait que ses hommes n’avaient vraiment pas la formation nécessaire et qu’ils manquaient de cohésion, espérait profiter du temps passé en mer pour leur donner un entraînement rudimentaire. Les quartiers exigus, le mauvais temps et une épidémie de dysenterie écartèrent cette idée. Le Sardinian jeta l’ancre à Cape Town le 30 novembre 1899. Les nouvelles du front étaient affligeantes. Les Boers avaient pris l’initiative et assiégeaient Ladysmith au Natal et Kimberley et Mafeking au cap des Tempêtes.
Un grand nombre de Boers étaient armés du fusil Mauser allemand de sept millimètres qui avait une portée de 1 800 mètres, utilisait une poudre sans fumée permettant au tireur de rester caché et avait un chargeur de cinq cartouches. Bien que le nouveau Lee-Enfield britannique eût un magasin de 10 cartouches, ces dernières devaient être chargées une à une. La rapidité de tir des fusils des Boers, la qualité inattendue de leur artillerie et leurs tactiques téméraires semaient la confusion au sein du commandement britannique.
Le 16 décembre, Londres accepta une offre faite auparavant par le Canada de fournir un deuxième contingent de fantassins et d’une artillerie de campagne montés. La première unité s’appelait 1er Bataillon du Canadian Mounted Rifles quand elle quitta le Canada, mais en août 1900, elle fut renommée Royal Canadian Dragoons (RCD). Ce contingent fut suivi peu après par le 2e Bataillon du Canadian Mounted Rifles (CMR) et la Royal Canadian Field Artillery (RCFA). Le deuxième contingent se composait de 1 289 hommes : 750 fantassins portés et 539 artilleurs.
Pendant que ces unités se préparaient à quitter Halifax apparut du soutien pour un autre contingent canadien, celui de Donald Smith, lord Strathcona and Mount Royal. Ce célèbre bienfaiteur, cofondateur du Chemin de fer Canadien Pacifique et haut-commissaire canadien au Royaume-Uni de 1896 à 1914 déboursa 500 000 $ pour lever un autre régiment de fusiliers montés. Le Strathcona’s Horse comprenait trois escadrons de vachers (dont beaucoup apportaient leur propre cheval) recrutés au Manitoba, bien encadrés par des gendarmes. Son commandant était le légendaire surintendant de la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest, Sam Steele. Ses 28 officiers et 512 hommes d’autres rangs avec leurs 599 chevaux, 3 mitrailleuses Maxim, 500 cartouches par fusil et 500 000 cartouches par Maxim furent embarqués le 16 mars 1900. « Rares sont les offres plus généreuses faites par un sujet de ce pays », fut-il écrit dans un rapport.
Le besoin d’une telle munificence s’était fait douloureusement sentir quelques semaines plus tôt : les Boers avaient infligé de cuisantes défaites à Stormberg, Magersfontein et Colenso entre le 10 et le 15 décembre, la
« Black Week » [semaine noire, NDT]. À ces défaites vint s’ajouter la bataille désastreuse des 23 et 24 janvier à Spion Kop, où 8 000 Boers avaient forcé 20 000 Britanniques à reculer. Les Boers tuèrent 243 Britanniques et en blessèrent 1 250, et il ne leur en avait couté que 67 morts et 267 blessés.
En Grande-Bretagne, la semaine noire avait provoqué la consternation. Le gouvernement décida qu’il lui fallait une force écrasante pour défaire les Boers et un effort militaire massif fut fourni, à la suite duquel 500 000 soldats de l’Empire seraient déployés contre environ 88 000 Boers.
LE RCR ARRIVA deux semaines avant la semaine noire, mais il ne prit pas part aux combats. Il passa le mois de décembre à s’entrainer et à apprendre les nouvelles tactiques de tir et de manœuvres pour vaincre les tireurs et mitrailleurs boers. Les jours des assauts ordonnés en rangs et des tirs de volée étaient à jamais révolus.
Le 12 janvier, le RCR prit le chemin de Paardeberg, où le général Piet Cronjé allait prendre sa décision fatidique de bivouaquer à l’est de la Modder. Le matin du 17 février, les Boers de Cronjé étaient piégés dans un méandre de la Modder à l’est du gué, la cavalerie britannique ayant coupé leur voie de repli. Bien que la ligne boer s’étirât sur quelque huit kilomètres de long, le cœur de la position avait un mur de wagons de trois côtés et la rivière de l’autre. Les femmes, les enfants, les chevaux et les bœufs y étaient abrités. Le major-général britannique Herbert Kitchener, 1er comte de Kitchener, avait 15 000 soldats pour affronter environ 5 000 Boers.
Ce 18 février serait bientôt connu sous le nom de Bloody Sunday (dimanche sanglant, NDT). La bataille débuta sous un jour favo-rable lorsque Kitchener décida de prendre les tranchées boers d’assaut, ses fantassins arrivant de l’ouest, du sud et de l’est sous le couvert du feu de l’artillerie. Mais vu le terrain accidenté, la cohésion se fissura vite, et l’attaque fut menée de manière désorganisée. Le feu meurtrier des Boers causa la mort ou les blessures à 1 300 hommes dans les rangs britanniques, qui ne firent eux que 300 victimes boers. Pour les Britanniques, il s’agissait de la journée la plus meurtrière de la guerre.
Le RCR, partie de la 19e brigade que commandait le brigadier Horace Smith-Dorrien, avait parcouru 37 kilomètres pour atteindre le champ de bataille. Vu les pertes causées par la maladie et la fatigue, son effectif s’élevait à 872 hommes. Kitchener ordonna à la 19e brigade de traverser la Modder et d’occuper un terrain élevé du nom de Gun Hill au nord-est des Boers. La rivière avait à peu près 80 mètres de largeur et, au milieu de la matinée, les Royal Engineers avaient fixé une corde pour la traverser. Les Canadiens, après avoir pris à la hâte un café, un gâteau sec et leur ration de rhum, entrèrent dans l’eau jusqu’à la poitrine et atteignirent l’autre rive à 10 h 15. Ils avaient réussi l’exploit de faire traverser une mitrailleuse. Ils se joignirent aux troupes britanniques en haut de la Gun Hill et pointèrent leur mitrailleuse vers les Boers qui campaient le long de la rive.
À ce moment-là, le RCR prit la tête de l’avancée de la 19e Brigade contre la ligne boer. Le terrain séparant les Canadiens des tranchées ennemies était totalement ouvert sur environ 1 650 mètres. Les hommes furent obligés de se tapir à terre au bout de 200 mètres à cause de l’intensité des tirs. Durant l’heure qui suivit, les soldats s’avancèrent par petits groupes ou seuls en courses précipitées de 20 ou 30 mètres, ou en rampant. Le flanc gauche s’approcha à quelque 800 mètres des Boers, tandis que le flanc droit s’en approcha à 400 mètres avant d’être immobilisé par les coups de feu. Au milieu, l’avancée était pratiquement nulle. Les hommes se tenaient couchés sous le soleil de feu, le plus petit mouvement attirant des balles, jusqu’au milieu de l’après-midi, quand une courte pluie torrentielle empira leur misère.
Peu après arrivèrent trois compagnies de la Duke of Cornwall Light Infantry commandées par le lieutenant-colonel William Aldworth. Ce dernier, disant à Otter qu’on l’avait envoyé « finir l’affaire » à la baïonnette s’il le fallait, ordonna une charge à 17 h 15. Beaucoup de Canadiens se joignirent aux Cornwalls, mais l’attaque fut repoussée par une vive fusillade.
Les survivants se replièrent jusqu’au gué à la nuit tombée, tandis que les Boers retournèrent à leur campement principal. Le Bloody Sunday avait été la pire journée de combats de la guerre d’Afrique du Sud pour les Canadiens : 21 morts et 60 blessés. Les trois quarts des victimes tombèrent pendant la charge. Quant aux Cornwalls, ils avaient perdu 56 hommes, presque tous tués pendant la charge.
Face à l’échec de ces charges frontales, les Britanniques décidèrent d’avoir recours à un siège, lequel dura jusqu’au 26 février. Croyant qu’il ne restait que peu de provisions aux Boers et que leur moral chancelait, les Canadiens reçurent l’ordre de mener une attaque nocturne. Le 27 février à 2 h, sous un ciel étoilé, baïonnette au fusil, le RCR rampa silencieusement en deux lignes espacées de 4,5 mètres. Aucun mouvement ne fut décelé dans les tranchées boers jusqu’à ce que le bataillon s’en approche à 100 mètres à peu près. Soudainement, les Canadiens étaient à découvert sous un feu meurtrier. Six hommes furent tués et 21, blessés en quelques secondes. Ils s’allongèrent par terre et la première ligne riposta tandis que la deuxième continua son avancée. Au bout d’un échange de tirs de 15 minutes, un Boer cria à la force de se replier. Quatre des six compagnies tombèrent dans le panneau et se retirèrent. Deux compagnies de Néo-Écossais, de Néo-Brunswickois et de Prince-Édouardiens ne furent pas dupes, et elles résistèrent jusqu’à l’aube. Un drapeau blanc apparut au-dessus des tranchées boers à 5 h 15. Les deux compagnies continuèrent de tirer jusqu’à ce qu’un émissaire boer émerge à 6 h pour se rendre sans condition.
Quelque 4 000 Boers, dont Cronjé, furent faits prisonniers. Le RCR avait perdu 33 hommes, 13 morts et 21 blessés, mais la voie de Bloemfontein était libre.
APRÈS LA DÉFAITE DE PAARDEBERG, le commandement boer évita les combats réglés où la supériorité britannique en effectif et en puissance de feu garantissait pratiquement leur défaite. À la place, il formait des unités de commandos allant de quelques hommes à plusieurs milliers. Tirant parti d’un vaste réseau de dépôts pour leur réapprovisionnement et grâce à l’aide des Boers sympathisants, les commandos ne se déplaçaient qu’avec peu d’armes et bagages, frappaient rapidement les réseaux de communication britanniques et se volatilisaient avant que les Britanniques puissent réagir. Cette guérilla réduisait à néant les efforts que faisaient les Britanniques pour capturer le territoire afrikaner. Il leur fallait aussi des milliers d’hommes pour protéger les réseaux de routes et de voies ferrées dont ils dépendaient pour se réapprovisionner et faire venir des renforts.
Le deuxième contingent, se composant de troupes montées, était fort bien adapté à ce nouveau mode de combat, mais cela signifiait que les hommes de l’unité ne servaient que rarement ensemble, surtout dans le cas de la RCFA, dont même les batteries furent réparties entre diverses colonnes britanniques qui poursuivaient les commandos boers.
La RCD et les batteries D et E furent les premières à être affectées à la « chasse aux rebelles ». Du 4 mars au 14 avril, des sections de ces deux unités accompagnèrent les soldats britanniques sur plus de 1 100 kilomètres de terrain difficile entre Victoria West et Upigton, sans engager le combat avec des Boers.
Le 10 avril, le Strathcona atterrissait à Cape Town. En chemin, 27 p. 100 de ses chevaux avaient succombé à la maladie, principalement la pneumonie. Ceux qui survivaient étaient en piètre état. Les hommes n’étaient guère plus vaillants, 63 d’entre eux s’étant portés malades pendant les deux premières semaines du déploiement.
PENDANT CE TEMPS, le 7 mars, le RCR se joignait à la grande avancée des Britanniques vers Bloemfontein. Le 15 mars, après une marche épuisante dans la chaleur
où les hommes faisaient en moyenne 25 kilomètres par jour, la colonne s’introduisit dans la capitale de l’État libre d’Orange sans résistance. Une épidémie de typhus frappa peu après, emportant six hommes. Le 20 avril, le régiment quitta Bloemfontein pour nettoyer une unité de commandos boers à l’est de la ville, laissant quatre officiers et 150 hommes à l’hôpital.
Le 25 avril, les Canadiens traversèrent un terrain à découvert sous la protection de l’artillerie britannique pour prendre le village de Thaba ‘Nchu et deux kopjes (petites collines sur un terrain plat) adjacentes. Le feu nourri des fusils boers tua un homme, en blessa deux autres, et stoppa net l’avancée de la ligne. Otter fut blessé d’une balle au menton et au cou pendant qu’il essayait d’organiser ses hommes, et il fut mis hors de combat pour un mois. La bataille d’Israel Poort, comme on l’a appelée par la suite, fit rage pendant trois heures, jusqu’au repli des Boers. Il n’y eut pas d’autres pertes du côté des Canadiens.
Le lendemain, une autre attaque était lancée contre les Boers qui avaient réoccupé un village pour bloquer la route de Pretoria. La bataille mouvementée de quatre jours se termina quand des Canadiens et des Gordon Highlanders, ayant gravi la face abrupte du plateau de Thaba ’Nchu, chassèrent les Boers de cet emplacement stratégique. Malgré la férocité du feu des Boers, les Canadiens n’y perdirent qu’un seul homme. Cette victoire ouvrit la voie vers Pretoria.
Le RCR, dont les effectifs avaient été réduits par la maladie, reçut heureusement 103 volon-taires en renfort juste avant de reprendre son avancée, mais n’eut pas le temps de les former ni de les intégrer dans l’unité. Le 10 mai, il atteignit la rivière Zand, où la bataille du gué se poursuivait. Quatre compagnies de Canadiens essayèrent de prendre un point élevé qui surplombait la rivière à l’extrême droite de la ligne britannique, tandis que les autres compagnies appuyèrent une brigade qui combattait au flanc gauche. Aussitôt que les compagnies atteignirent la colline, elles se trouvèrent dans la mire d’environ 800 Boers. Le sommet de la petite colline étant exigu, une seule compagnie pouvait y former une ligne de feu, alors une autre se plaça en réserve et les deux dernières retournèrent à la brigade principale pour moins s’exposer au feu de l’ennemi. Finalement, une section d’artillerie vint les rejoindre et débloqua la situation en dispersant les Boers. Deux Canadiens avaient été tués et deux, blessés.
Le 26 mai, Otter reprit le commandement et le RCR, dont l’effectif s’élevait à 443 hommes, traversa la rivière Vaal et fut le premier bataillon britannique à entrer au Transvaal. Il atteignit la rivière Klip trois jours plus tard et y découvrit des Boers retranchés en haut de la colline Doornkop. Le RCR et d’autres bataillons de la 19e Brigade s’avancèrent à 13 h 45, les Canadiens et les Gordon Highlanders en tête. Les Boers incendièrent le veld, et les vêtements et les cheveux de quelques soldats roussirent lorsqu’ils contournèrent les flammes. Le feu imprécis de l’artillerie boer commença lorsque la ligne frontale était à 1 800 mètres de la ligne défensive. Les Boers retranchés, de leur position élevée à 1 000 mètres des Canadiens, prirent ces derniers dans un feu croisé lorsqu’ils s’engagèrent dans le terrain noirci par l’incendie devant la colline. Les Canadiens se mirent à couvert, mais les membres du Gordon continuèrent. Juste avant la tombée de la nuit, ils chargèrent la position des Boers à la baïonnette. Vingt soldats du Gordon furent tués et 70, blessés, mais ils avaient nettoyé la colline avec l’appui des Canadiens. Sept Canadiens avaient été blessés.
Le 5 juin, les 437 hommes du RCR arrivèrent à Pretoria, qui était sans défense. Après Pretoria, le RCR se consacra à des activités de garnison à plusieurs gares ferroviaires jusqu’à la fin de sa période d’affectation. Le 1er octobre, 11 mois après son arrivée à Cape Town, il repartit au Canada.
Le RCR n’est pas le seul régiment canadien à avoir pris part à la marche vers Pretoria. Dans une autre colonne, trois escadrons du CMR et la RCD faisaient partie de la 1re Brigade de fantassins portés. Leur marche de 33 jours emprunta une voie différente de celle qu’avait empruntée le RCR. Ils livrèrent plu-sieurs combats intenses, notamment au gué de Coetzee, le 5 mai, participèrent aux batailles de la rivière Zand et de Doornkop, et entrèrent dans Pretoria le 6 juin. Deux Canadiens seulement furent blessés pendant ces engagements.
Pendant la marche du RCR et des régiments de fantassins portés vers Pretoria, des batteries de la RCFA se joignirent à la relève de Mafeking. Le plan des Britanniques était de s’avancer sur Mafeking en venant du nord et du sud. Au nord, il n’y avait qu’un seul régiment, le Rhodesian Regiment dont l’effectif s’élevait à 800 hommes et qui n’était pas assez puissant pour défier les Boers. La batterie C de la RCFA et une force de campagne rhodésienne de 5 000 hommes prirent la mer pour leur venir en renfort, atterrissant à Beira, en Afrique de l’Est portugaise. Un voyage pénible de 1 600 kilomètres, en partie en train et le reste à pied, amena la colonne par le nord à Mafeking. Le 15 mai, la force de campagne se joignit à une colonne s’approchant du sud à Jan Massibi et tomba sur une force de siège boer vers midi le 16 mai.
La batterie canadienne se livra à un combat de trois heures avec les canonniers boers à la gare de Sanie et elle parvint à libérer la route. Vers 4 h, le 17 mai, les éléments de tête entrèrent dans Mafeking où ils furent accueillis chaleureusement par les défenseurs épuisés. La batterie C resta au Transvaal du Nord-Ouest jusqu’à son retour à Cape Town, le 20 novembre, puis elle partit pour le Canada le 13 décembre. Pendant ce temps, elle s’était livrée à de nombreux petits combats, poursuivant les insaisissables commandos boers qui occupaient les villes et détruisaient les voies ferrées dans une quasi-impunité. Ailleurs en Afrique du Sud et dans les États afrikaners, la même tâche ingrate fut confiée aux autres unités d’artillerie canadiennes.
LES DEUX RÉGIMENTS canadiens finirent par entrer au Transvaal par le Nord-Est et furent contraints de poursuivre la stratégie de la terre brûlée, incendiant les fermes et emprisonnant la population boer, pour priver les commandos d’aide. Le 6 novembre, une colonne commandée par Smith-Dorrien s’apprêta à frapper les commandos boers dans la région de Carolina. Le CMR, la RCD et la batterie D prirent part à l’assaut. Après une série d’escarmouches qui ne réussit pas à réprimer les Boers, Smith-Dorrien décida à Leliefontein de se replier et de retourner à Belfast. C’est la RCD qui servit d’arrière-garde.
Au début du repli, le 7 novembre, deux unités de commandos de quelque 200 hommes passèrent à l’attaque. La RCD repoussa les Boers avec l’aide des deux canons de la batterie D tout en effectuant un retrait ordonné. Il semblait de plus en plus probable que les canons seraient capturés, à mesure que les Boers redoublaient d’efforts. Ce n’est que grâce à une embuscade improvisée par le lieutenant Richard Turner et 12 hommes que les Boers échouèrent. L’action fit trois morts et 11 blessés en tout à la RCD. Turner et deux autres, le lieutenant Hampden Zane Churchill Cockburn et le sergent Edward James Gibson Holland, obtinrent la Croix de Victoria. C’est à Leliefontein qu’eut lieu la dernière bataille importante du deu-xième contingent. La plupart de ses soldats retournèrent à Halifax le 8 janvier 1901.
Le Strathcona, en tant que partie de la force de campagne de Natal, reçut aussi la consigne de Kitchener de suivre la stratégie de la terre brûlée. Le 1er septembre 1900, le Strathcona partit avec Buller vers Lydenburg à la poursuite d’une unité de 2 000 commandos. Une bataille intermittente et en constant déplacement s’ensuivit, les Boers fuyant la force de campagne de Natal qui essayait de les contenir. La poursuite fut abandonnée au bout d’un mois, et la force de campagne de Natal fut divisée à la mi-octobre. Le Strathcona se prépara à revenir au Canada.
Cependant, l’action des Boers fut ravivée contre toute attente, sous le commandement du général Christiaan de Wet. Cela surprit les Britanniques, et Kitchener rappela le Strathcona le 24 octobre. Trois jours après, Steele et sa force de plus en plus démoralisée retournèrent au combat. Le Strathcona avança et recula dans les secteurs de l’État libre d’Orange et du Transvaal. Bien qu’il y eut plu-sieurs batailles, de Wet échappa à la capture, et la poursuite fut abandonnée le 9 janvier 1901. Le Strathcona prit la mer à la fin du mois pour retourner au pays. Vingt-trois de ses membres avaient trouvé la mort en Afrique du Sud.
AINSI PRIT FIN la contribution militaire du Canada à la deuxième guerre des Boers. Environ 280 des 7 368 Canadiens qui servirent en Afrique du Sud y moururent. La maladie et les accidents avaient fait plus de victimes que les combats.
Le 31 mai 1902, les Boers acceptèrent la perte de leur indépendance et signèrent un accord de paix avec la Grande-Bretagne. Pour le Canada, les contingents envoyés en Afrique du Sud avaient établi un précédent important, car la plupart demeurèrent des unités commandées par des officiers canadiens. Pour un grand nombre de Canadiens, toutefois, la guerre avait laissé un gout amer. Même Otter en dit que ç’avait été « du sang et du sable, et tout ce qui est désagréable, et tout cela pour un ruban de terre et une pièce d’argent ».
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