Des espions dans le Saint-Laurent

Photos de l’espion allemand Walter Alfred Waldemar von Janowski prises par la police.
Groupe des collections historiques de la GRC, Regina, Sask.

L’été de 1942 fut bien différent de ceux que le Canada avait connus depuis plus de cent ans : pour la première fois depuis la guerre de 1812, un ennemi s’introduisit dans les eaux canadiennes. Les sous-marins allemands attaquèrent sans pitié les navires tout au long de la bataille du Saint-Laurent, qui faisait partie de la bataille de l’Atlantique, coulèrent pas moins de 23 navires et firent d’innombrables victimes. Ces attaques sous-marines ne furent pas les seules missions de l’Allemagne dans le Saint-Laurent. À deux reprises au moins, Abwehr, agence du renseignement militaire de l’Allemagne nazie, donna la consigne de se rapprocher suffisamment des rives du Canada pour permettre à un espion d’y débarquer.

L’Allemagne ne perdit pas de temps pour implanter ces espions.Elle s’efforça de trouver des hommes capables de s’assimiler à la vie canadienne sans éveiller les soupçons. Le premier fut le lieutenant M.A. Langbein. Ce dernier avait vécu au Canada de 1928 à 1932, et travaillé en Alberta et au Manitoba. Le U-213 fut chargé de le déposer à l’est de Saint John, et de profiter de l’occasion pour tenter de couler un navire. Sa première tâche fut une réussite, mais la deuxième, un échec. Langbein débarqua aux premières heures du 14 mai 1942, sur une rive du fleuve Salmon, au Nouveau-Brunswick. La stratégie était simple : il porterait un uniforme de la marine, de sorte qu’il puisse être traité comme un prisonnier de guerre s’il était démasqué, au lieu de risquer la peine de mort en tant qu’agent civil. Il avait reçu de l’argent canadien et américain, ainsi qu’un émetteur. Une fois à terre, il enterra son uniforme de marin avec l’émetteur et se dirigea vers St. Martins, puis vers Saint John, Moncton et Montréal, pour finir par s’installer à Ottawa. Il logea au Grand Hôtel que fréquentaient beaucoup de fonctionnaires et de politiciens. Fait étrange, Langbein ne recueillit apparemment aucun renseignement pendant sa mission. Il semble qu’il ait profité de l’occasion pour échapper à l’Allemagne nazie. On ne sait pas exactement combien de temps il est resté au Grand Hôtel, mais à la fin de 1944, il ne lui restait ni argent, ni option. Il s’est donc rendu aux autorités canadiennes. Les agents de la GRC doutèrent de son histoire : pourquoi un espion allemand viendrait-il au Canada sans y faire d’espionnage? Cependant il leur montra où il avait enterré son uniforme et l’émetteur. Les fonctionnaires vérifièrent qu’aucun fait d’espionnage n’avait eu lieu, et Langbein passa le reste de la guerre dans un camp d’internement.

Navire de défense du port de Saint John 15 patrouillant pendant la Seconde Guerre mondiale.
MDN

Le deuxième espion allemand s’avéra tout aussi inutile, mais pour d’autres raisons. Werner von Janowski arriva au Canada à bord du U-518, qui avait reçu des ordres semblables à ceux du U-213. Von Janowski devait se rendre à Montréal le plus rapidement possible. Comme Langbein, il avait vécu au Canada pendant plusieurs années, ayant immigré en 1930, mais il était retourné en Allemagne peu avant la guerre. Son voyage jusqu’au Canada fut bien plus long que celui de Langbein : Janowski passa 44 jours à bord du sous-marin, et il était atteint de la « puanteur sous-marine » causée par l’humidité et le diesel dans les sous-marins. Il débarqua à la Baie-des-Chaleurs, au Québec, aux premières heures du 9 novembre 1942, avec quelque 5 000 $ canadiens en poche, en vieux billets. Il se changea rapidement et, comme Langbein, enterra son uniforme de marin. Il était cependant beaucoup plus fidèle à sa cause, et il garda son émetteur. Il attendit la lumière du jour et se rendit à un hôtel de la ville où il s’inscrivit sous le nom de William Branton. Il dit au personnel qu’il ne resterait pas longtemps, qu’il n’était là que pour manger un morceau et prendre un bain. La brièveté de son séjour, son odeur, ses vieux billets et ses vêtements firent toutefois naitre les soupçons des gens de l’hôtel. Janowski avait également dit à un client qu’il était arrivé en ville en autobus, alors que le premier autobus n’arrivait pas avant midi ce jour-là. Quand Janowski quitta l’hôtel pour aller prendre le train à la gare de Montréal, le fils du directeur de l’hôtel en informa la police. À l’arrivée des policiers, Janowski s’empressa de se rendre et leur montra où il avait enterré son uniforme, dans l’espoir d’être fait prisonnier de guerre. La GRC tenta sans succès d’en faire un agent double. Janowski fut envoyé en Grande-Bretagne, où il a passé le reste de la guerre dans un camp d’internement.

On oublie souvent que les sous-marins allemands firent de telles incursions en territoire canadien, au point où ils ont réussi à y faire débarquer des espions dans le plus grand secret. La bataille du Saint-Laurent fut une grande préoccupation pour les défenses canadiennes, et les sous-marins firent des ravages partout où ils allaient. Heureusement, les deux espions que l’Allemagne réussit à placer au Canada ne collectèrent pratiquement aucun renseignement d’importance, et leur rôle fut négligeable dans l’issue de la bataille, dont le Canada sortit victorieux.

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