Face à Face: Les Forces armées canadiennes devraient-elles acheter des drones armés?

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Le Canada envisage d’acheter une nouvelle flotte de drones à technologie avancée, appelés aussi véhicules téléguidés (VTG) ou véhicules aériens inhabités (VAI). Le général et chef d’état-major de la défense, Jonathan Vance, demande que ces drones puissent être armés. Il a raison. Acheter de tels aéronefs sans pouvoir leur faire porter des missiles est aussi logique que de commander des chasseurs à réaction sans canons, missiles, ni capacité d’emport de bombes. 

Les premiers VTG étaient ceux dont la Luftwaffe s’est servie pour attaquer les bâtiments de guerre des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Radioguidés à partir d’un bombardier allemand, ils ont détruit un certain nombre de navires des Alliés. Le contretorpilleur canadien NCSM Athabaskan a été gravement endommagé par l’un d’eux en aout 1943. Depuis les années 1980, ils sont omniprésents dans les forces armées évoluées. Le Canada en a acquis un petit nombre pour la reconnaissance à la fin des années 1990. Ces Sperwers, fabriqués en France, ont été jugés obsolètes pour l’Afghanistan et ont été remplacés par des Heron fabriqués en Israël et loués par l’intermédiaire d’une entreprise canadienne. Les Heron canadiens n’étaient pas armés : ils ne servaient qu’à localiser l’ennemi et, supposons-nous (c’est encore un secret), à repérer des cibles pour l’artillerie ou les renforts aériens des membres de l’OTAN.

Aujourd’hui, la taille des VTG varie entre les petits appareils lancés à la main, un peu comme les modèles réduits vendus dans les magasins de bricolage, et le Global Hawk, un VTG fabriqué aux États-Unis, de la taille d’un petit avion de passagers ayant une portée de 22 000 kilomètres, une vitesse d’un peu moins de 400 milles à l’heure et un plafond de 60 000 pieds. Pratiquement tous les VTG militaires sont utilisés pour épier l’ennemi d’une façon ou d’une autre. Mais certains portent des missiles, comme le Predator américain. Ces VTG peuvent appuyer les forces terrestres sur le terrain de diverses manières, d’aussi loin que le désert du Nevada. Les États-Unis (et probablement d’autres pays) les utilisent de plus en plus souvent pour effectuer des assassinats ciblés.

A MQ-9 Reaper flies above Creech Air Force Base, Nev., during a local training mission June 9, 2009. The 42nd Attack Squadron at Creech AFB operates the MQ-9.  (U.S. Air Force photo/Paul Ridgeway)
A MQ-9 Reaper. (U.S. Air Force photo/Paul Ridgeway)

Le Président des États-Unis, Barack Obama, a fait des assassinats ciblés un élément fondamental des opérations spéciales américaines, avec un bilan mitigé : nombre de chefs insurgés ont été tués, mais de nombreux civils innocents l’ont aussi été, et cela a suscité une controverse sur la légalité et la moralité de l’utilisation de « robots volants » pour tuer des gens. Ainsi, il y a des Canadiens qui s’opposent à l’acquisition de VTG pouvant être armés.

Mais ni le gouvernement du Canada, ni les Forces armées canadiennes ne suivent une telle doctrine. Le Canada ne fait pas d’assassinats ciblés. Pour le général Vance et les FAC, la question est simple : les VTG devraient-ils être armés afin de pouvoir fournir un soutien rapproché aux soldats canadiens sur le terrain, qu’il s’agisse d’opérations d’imposition de paix ou de petites guerres, ou pas?

Si le Canada achète des véhicules télécommandés ne pouvant pas être armés, il y aura forcément un moment où l’opérateur se trouvant à des centaines ou même à des milliers de kilomètres des combats regardera impuissant des soldats canadiens tomber dans une embuscade. Par contre, si les VTG du Canada peuvent lancer des missiles, l’opérateur de VTG pourra non seulement prévenir ses camarades qu’ils courent un danger, il pourra les aider à repousser l’ennemi. Cette capacité est tout à fait légitime à la guerre, et les FAC devraient l’avoir.

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Il n’y a rien de surprenant à ce qu’un chef d’état-major désire acquérir des drones et qu’il veuille qu’ils soient armés, mais insister, comme le fait le général Jonathan Vance, pour dire qu’« il serait vain d’avoir des VTG capables de détecter un danger sans pouvoir le frapper », semble à tout le moins étrange. Après tout, la liste des systèmes qui servent à détecter les dangers sans capacité de frappe comprend des appareils plutôt importants.

L’avion de surveillance CP-140 Aurora porte une torpille dans ses missions de lutte anti-sous-marine, mais c’est sa seule capacité de frappe, et une torpille n’ajoute rien à ses patrouilles de souveraineté ni aux missions de recherche et sauvetage. Les satellites, les radars côtiers et les moyens de surveillance sous-marine en Arctique ne perdent certainement pas de leur utilité en l’absence de capacité de frappe.

Étant donné le consensus établi depuis la fin de la guerre froide, considérant que l’intégrité territoriale du Canada n’est pas menacée le vrai besoin en matière de sécurité ne relève pas de la défense armée, mais du renseignement pour aider les autorités civiles.

En fait, lorsque les observateurs militaires détectent des risques pour la sécurité ou le bienêtre du public, le ministère de la Défense nationale est rarement l’organisme d’intervention principal. Par exemple, lorsque les radars côtiers détectent des aéronefs non autorisés, qui depuis plus d’un demi-siècle sont pratiquement toujours civils, c’est la police civile qui y répond, aidée à l’occasion par des avions militaires. Les bombardiers stratégiques russes qui traversent de temps en temps l’espace aérien international adjacent à l’Amérique du Nord sont l’exception, mais ils ne représentent pas un danger militaire, et les attaquer n’est certainement pas la chose à faire en temps de paix.

Dans le milieu maritime, la Garde côtière et le ministère des Pêches et Océans sont les organismes responsables lorsque il y a des infractions aux lois du Canada ou une violation des exigences d’identifi-cation internationales.

Toute amélioration que les drones pourraient apporter à la sécurité canadienne proviendrait de leurs renseignements, de surveillance et de reconnaissance.

Quant aux drones déployés à l’étranger, devraient-ils être armés? Là aussi, le contexte est important.

Le gouvernement n’a pas exclu de prendre part aux opérations militaires de coalitions internationales, mais il propose justement de se concentrer sur la formation des forces locales et sur l’aide humanitaire, ce pour quoi l’acquisition de drones armés ne semble pas nécessaire.

Le gouvernement a également promis un « engagement renouvelé aux côtés des opérations de maintien de la paix », et bien que les opérations de soutien de la paix complexes de l’ONU comportent habituellement des éléments de combat, ce ne sont pas des scénarios de combat traditionnels. Elles servent davantage à appuyer les forces de stabilisation militaires ou policières par la surveillance qu’à vaincre un adversaire. Les objectifs primordiaux des opérations des Nations Unies sont la création d’un espace d’engagement politique et la neutralisation des perturbateurs, ainsi que la promotion des efforts humanitaires et de reconstruction. La surveillance et
un nombre suffisant d’agents de
sécurité internationaux sont bien plus pertinents que la possibilité de lancer des frappes de précision.

Bref, les drones armés n’ont aucun sens dans les opérations de sécurité territoriale, qui est la priorité des FAC, et ils ne sont pas une priorité pour les missions qui portent surtout sur la formation des forces de sécurité locales.


David J. Bercuson, auteur de notre rubrique « Eye on defence » (Œil sur la défense, NDT), est directeur du Centre for Military and Strategic Studies de l’université de Calgary. Ernie Regehr est agrégé supérieur de la fondation Simons de Vancouver et cofondateur de Project Ploughshares.

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