La guerre dont on parle peu

Comment la guerre du Golfe a changé les Forces armées canadiennes

PW
Tour de guet Des soldats font le guet dans le tableau de Ted Zuber de 1991, Long Day at Doha.

On n’a pas l’impression qu’un quart de siècle ait passé depuis la guerre du Golfe de 1990-1991. Quand j’ai rejoint le Collège militaire royal en tant qu’élève officier en 1975, c’était 25 ans après le début de la guerre de Corée, sans parler de la Deuxième Guerre mondiale qui s’était terminée à peine cinq ans plus tôt, et ces conflits me semblaient de l’histoire ancienne.

Il y avait probablement tout autant de respect dans mes yeux quand je regardais les anciens combattants que j’en vois dans les yeux des jeunes marins et élèves aujourd’hui quand je leur parle de l’opération Friction, comme nous appelions la contribution canadienne à la coalition sous l’opération Bouclier du désert et l’opération Tempête du désert menées par les Américains.

À vrai dire, on ne parle pas souvent de la guerre du Golfe ces temps-ci. Par rapport aux guerres, à la manière dont on les quantifie, elle parait à peine mériter ce nom : aucun des 4 500 marins, aviateurs et soldats canadiens qui y ont pris part n’a été tué ni blessé gravement, et on ne peut pas prétendre que le Canada ait fait beaucoup de tort aux forces irakiennes. La coalition, cependant, a causé de graves dégâts à l’armée irakienne : entre 20 000 et 35 000 morts, 75 000 blessés et 300 000 déserteurs ou prisonniers.

Les vétérans canadiens de la guerre du Golfe sont rarement mentionnés lors des commémorations du jour du Souvenir, et il n’y a pas d’inscription « Guerre du golfe Persique 1990-1991 » sur le Monument commémoratif de guerre du Canada. Pourtant, c’était un point culminant de l’histoire des Forces canadiennes, qui mérite bien plus d’attention que celle qu’on y porte, car il s’agit non seulement de la fin de la guerre froide, mais d’un changement important dans la manière dont les Forces canadiennes mènent leurs opérations. Presque tout ce que nous faisons maintenant remonte à l’opération Friction.

Notre unité allait être la première
des Forces canadiennes à avoir
des femmes au combat.

Rien de tout cela n’était évident à mes yeux le matin du jour de l’an 1991, quand je me rendais à l’aéroport international d’Halifax, mais je savais que ce que je faisais était bien loin de l’expérience dans la marine que j’avais eue jusqu’alors.

J’étais l’officier de combat du navire de ravitaillement NCSM Preserver et j’allais rejoindre le reste de son équipage de 250 personnes pour embarquer dans un Boeing 747 nolisé jusqu’à Dubaï, dans le golfe Persique. Nous allions effectuer une première pour la Marine canadienne : un changement d’équipage en théâtre d’opérations, à bord du navire identique NCSM Protecteur, dans un port très éloigné des eaux du nord de l’Atlantique et du Pacifique qui étaient nos endroits de prédilection d’aussi loin qu’on se souvienne. Et nous étions relativement certains que nous allions à la guerre, la vraie, pas à un cycle d’exercices prévisibles de l’OTAN. Comment en était-on arrivé là?

View of HMCS Protecteur and HMC Mercy at sea.
En mer Le NCSM Protecteur s’approche pour alimenter en carburant le navire hôpital Mercy au golfe Persique, en janvier 1991.

Quand Saddam Hussein a envahi le Koweït pendant la nuit du 1er au 2 aout 1990, le président américain George H.W. Bush a immédiatement formé une coalition pour appuyer les Nations Unies qui exigeaient le retrait des Irakiens. Au Canada, on supposait que les Forces canadiennes finiraient par contribuer à la mission de maintien de la paix qui suivrait, mais le premier ministre Brian Mulroney suivit le conseil du vice-amiral Charles Thomas, vice-chef d’état-major de la défense (et chef d’état-major de la défense intérimaire), d’envoyer un groupe opérationnel naval pour faire respecter l’embargo de l’ONU sur l’Iraq.

C’était un geste audacieux, car on considérait la marine comme étant « rouillée », en attendant les nouvelles frégates de classe Halifax qui étaient alors en construction et le Projet de modernisation des navires de classe Tribal qui lui donnerait les nouveaux contretorpilleurs de classe Iroquois. Un grand nombre des systèmes d’armes et de communication étaient déjà entre les mains de la marine, et ils pouvaient être installés sur les vieux navires au chantier d’Halifax.

Le 24 aout, après deux semaines d’activités frénétiques, le groupe opérationnel naval formé des contretorpilleurs Athabaskan et Terra Nova et du navire de soutien Protecteur prenait le large sous le commandement du commodore Kenneth Summers.

Summers proposa une démarche encore plus audacieuse. En étudiant les régions d’opération éventuelles et leurs conditions, il conclut que la contribution des navires la plus efficace aurait lieu non pas dans la région arrière relativement sécuritaire de la mer d’Arabie, mais bien plus en avant, au milieu du golfe Persique. Cela dépen-drait de la supériorité aérienne de la coalition, alors le gouvernement envoya aussi ce qui allait devenir une escadre de 24 avions CF-18 basés à Doha, au Qatar.

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Dans les airs Un chasseur à réaction est ravitaillé en l’air.
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C’était un rôle normal pour les Hornet basés à la BFC Baden, à Soellingen, en Allemagne, mais ce qui était très différent, c’est qu’ils voleraient avec la marine des É. U. plutôt qu’avec leur armée de l’air, et cela nécessiterait un important changement de la doctrine et de l’équipement de communication. Les « Desert Cats (chats du désert, NDT) » se sont bien adaptés aux nouvelles conditions, et le 14 octobre, ils ont effectué leur première patrouille aérienne au-dessus du centre-nord du golfe Persique.

C’était la première fois de l’histoire que les forces navales et aériennes canadiennes s’appuyaient directement dans un environnement tactique rapproché. Pour répondre aux exigences logistiques croissantes, et comme aucune date de fin de l’opération n’était fixée, on décida qu’il fallait un commandement unifié pour coordonner la supervision. Le commodore Summers reçut l’ordre d’aller à terre installer le Quartier général des Forces canadiennes au Moyen-Orient. Le QG FORCANME, qui ouvrit à Manamah, au Bahrain, le 6 novembre 1990 était le prototype de ce qu’on appelle depuis lors le quartier général interarmées des FC.

Durant les deux prochains mois, ces forces navales et aériennes canadiennes ont contribué de manière importante à l’embargo de plus en plus serré sur l’Iraq, pendant que les armées de la coalition grandissaient en Arabie saoudite du nord, indiquant l’intention ferme d’obliger Saddam Hussein à quitter le Koweït. Le 30 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté la résolution 678 autorisant « tous les moyens nécessaires » pour effectuer le retrait iraqien au plus tard le 15 janvier 1991.

ISC91-4148-16 January 1991 Manama, Bahrain OP FRICTION Commodore Summers announces start of war.
Briefing à minuit Le commodore Kennet Summers avise l’état-major que la campagne a commencé le 17 janvier 1991.
ISC91-4148-16

C’est dans ces circonstances que nous sommes arrivés à Dubaï, le 2 janvier. L’équipe de commandement était consciente de deux facteurs. D’abord, comme des femmes formaient presque un quart de l’équipage du navire, notre unité allait être la première des Forces canadiennes à avoir des femmes au combat (elles étaient membres régulières de l’équipage depuis quelques années). Ensuite, nous n’étions pas un groupe très uni, car lorsque le Preserver avait été remis en état le printemps précédent, la plupart des membres d’équipage avaient été postés ailleurs (bon nombre d’entre eux à bord du Protecteur), ce qui signifiait qu’une grande partie de ceux qui étaient alors à bord provenait du détachement aérien et du groupe professionnel militaire commun (des emplois concernant la logistique, la médecine, la justice et la police militaire qui ne sont pas liés de près ni à l’armée, ni à la marine, ni à l’aviation); pas moins de la moitié de l’équipage se composait de « nouveaux » et presque un quart n’avaient jamais pris la mer.

Nous nous sommes occupés de la prise de possession du Protecteur, de l’inventaire, de la signature des comptes de distribution (une préoccupation significative à bord d’un navire ravitailleur), de la formation, en prenant des pauses de temps en temps sous le soleil brulant de la ville cosmopolite. Partout autour de nous, CNN, réseau de nouvelles lancé peu de temps auparavant, diffusait le compte à rebours jusqu’au 15 janvier.

Lorsque la guerre aérienne a commencé, le 17 janvier, nous étions dans la mer d’Arabie et prêts sur le plan opérationnel. On nous rappela immédiatement au golfe, et en chemin, nous avons ravitaillé en carburant plusieurs escortes du dernier des six groupes aéronavals qui se concentraient là-bas.

L’embargo sur l’Iraq était alors superflu, et pendant les six semaines qui ont suivi, le groupe opérationnel naval s’est occupé de la protection et de l’organisation des forces de réapprovisionnement, un défi organisationnel difficile à relever. En même temps, la supériorité aérienne de la coalition assurée, les Desert Cats avaient assumé des rôles plus offensifs; d’abord d’« exploration et escorte », puis le 24 février, premier jour de la bataille terrestre, des missions de bombardement en Iraq.

A CF-18 taxis into line after completion of a combat air patrol.

Cent heures plus tard, la phase des combats était terminée : l’armée irakienne brisée avait été repoussée du Koweït (après avoir incendié les champs pétroliers) et la coalition s’était avancée jusqu’à moins de 240 kilomètres de Bagdad avant de déclarer un cessez-le-feu et de retourner au Koweït.

Un aspect inhabituel de la guerre du Golfe était que notre force terrestre n’y était pas un facteur important, surtout à cause de sa préoccupation concernant la crise d’Oka à l’été et à l’automne de 1990. Notre seul élément terrestre dans l’invasion était le 1er Hôpital de campagne du Canada, provenant de la BFC Petawawa, qui avait été rattaché à la 1re Division du Royaume-Uni.

Le seul échange de coups de feu entre les forces canadiennes et irakiennes avait eu lieu pendant la nuit du 30 au 31 janvier, lorsque deux CF-18 avaient fait subir des dommages irréparables à une vedette rapide qui essayait de passer en Iran.

Pour finir, tout récit de la manière dont la guerre du Golfe a transformé le point de vue des Forces canadiennes serait incomplet si l’on ne faisait pas mention du syndrome de la guerre du Golfe. Bien que les causes physiques (dont l’exposition à l’uranium appauvri, les vaccins et la fumée des puits de pétrole en feu) n’aient toujours pas toutes été déterminées, il est indiscutable qu’un grand nombre de vétérans de la guerre du Golfe ont cette maladie chronique, conséquence des plus regrettables qu’on n’avait pas vue au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale : un éventail de symptômes que l’on regroupe aujourd’hui sous le nom de trouble de stress posttraumatique.

La reconnaissance de la valeur fondamentale d’une bonne formation et d’un bon équipement pour les forces de combat est peut-être le changement le plus important apporté aux Forces canadiennes par l’opération Friction. Le groupe opérationnel naval et l’escadre de chasseurs ont été déployés très rapidement et envoyés essentiellement « tels quels », et ils se sont adaptés très vite à des rôles et à une doctrine extérieurs à leurs concepts opérationnels établis. Je suis fier d’avoir pris part à l’action.

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