Le lieutenant-colonel Arthur Hadow a-t-il eu tort d’ordonner au Newfoundland Regiment de se lancer à l’attaque à partir des tranchées de réserve à Beaumont-Hamel?

Terry Copp dit que NON

Les historiens déterminent souvent avec du recul quelles questions méritent d’être posées. Vu que nous connaissons les résultats tragiques des ordres du lieutenant-colonel Arthur Hadow, nous voulons bien sûr savoir pourquoi il a envoyé le Newfoundland Regiment à l’attaque le 1er juillet 1916. Le recul ne nous aidera pas à répondre à cette question. Il nous faut plutôt apprendre ce que Hadow savait quand il a pris la décision, et ce qu’il aurait pu raisonnablement en déduire.

Hadow, officier de l’armée régulière britannique, avait été nommé au commandement du Newfoundland Regiment pendant la dernière phase de la campagne à Gallipoli. Son attitude autoritaire, masquant l’insécurité d’un officier d’état-major à qui l’on avait demandé de commander un bataillon d’infanterie, ne lui valut pas beaucoup d’amis, mais au fil du temps, il apprit à devenir le leader de ses troupes autant que leur commandant.

Quand le lieutenant-général Aylmer Hunter-Weston, commandant du VIII Corps, reçut ses ordres – capturer les deux premières positions allemandes le premier jour –, il dit au général Henry Rawlinson, commandant de la Quatrième armée, que « tout le monde [s’opposait] fortement à une ruée sauvage vers un objectif distant de près de quatre kilomètres ». Il l’avertit qu’on risquait de « perdre la substance en essayant d’attraper son ombre ». Rawlinson était d’accord. Il avait proposé un plan « mordre et tenir bon », c’est-à-dire la prise de la première position de l’ennemi, puis une pause avant de s’avancer à nouveau. Le commandant en chef, sir Douglas Haig, rejeta ce plan comme étant « trop prudent ». Il voulait une percée, pas une bataille d’usure.

Hunter-Weston obéit aux ordres, ordonnant à la 29e Division d’avancer des bataillons des 86e et 87e brigades jusqu’aux lignes allemandes à 7 h 30 (heure zéro), et de les avancer selon un certain horaire. La 88e Brigade, dont le Newfoundland Regiment faisait partie, devait prendre le départ une heure après pour attaquer la deuxième position allemande éloignée de 3 000 mètres.

Hadow était prêt à obéir aux ordres,
mais il les mit en doute.

L’explosion de la mine sous la crête Hawthorn à 7 h 20 avertit l’ennemi et lui donna le temps d’arriver au bord du cratère avant les Britanniques. L’avancée a ralenti quand les soldats ont découvert qu’il n’y avait pas suffisamment de brèches dans les barbelés des Allemands. Ensuite, le barrage minuté s’est déplacé, alors les hommes ont été exposés à un feu incessant.

Les Terre-Neuviens et leur bataillon partenaire, l’Essex Regiment, attendaient dans les tranchées de réserve. Ils entendaient la bataille, mais aucun renseignement ne leur parvenait. À 8 h 20, Hadow reçut l’ordre d’« avancer et occuper le premier système de tranchées », un objectif tout à fait autre que celui auquel il s’était préparé. Hadow était soldat professionnel. Il était prêt à obéir aux ordres, mais il les mit en doute. « Est-ce que la première ligne de l’ennemi a été capturée? » demanda-t-il.

Le brigadier-général Douglas E. Cayley, commandant de la 88e Brigade, n’en savait guère plus que Hadow. Il croyait que les brigades de devant se battaient dans les tranchées ennemies et qu’elles avaient besoin d’aide. Cayley dit à Hadow que « la situation [n’était] pas claire », alors le Newfoundland Regiment devrait attaquer « aussi vite que possible » indépendamment de l’Essex Regiment. Hadow ne pouvait rien faire d’autre. Il donna des instructions à ses commandants de compagnie et à 9 h 15 commença l’avancée en enfer.

Tout fut joué en moins d’une heure. À Beaumont-Hamel, comme en d’autres endroits le premier jour de la bataille de la Somme, la responsabilité échoyait à un homme : Haig. Son plan d’attaque, limiter l’artillerie pouvant servir à attaquer la première position afin que la deuxième position puisse être frappée, signifiait réellement « perdre la substance en essayant d’attraper son ombre ».

Frank Gogos dit que OUI

Lorsque le lieutenant- colonel Arthur Hadow a ordonné aux hommes du Newfoundland Regiment de sortir de leurs tranchées près de Beaumont-Hamel, le 1er juillet 1916, il a déchainé une controverse qui sévit encore. Ses opposants le voient souvent comme officier britannique qui ne se préoccupait guère de la sécurité de ses hommes. Ils jettent une grande partie du blâme concernant les victimes terre-neuviennes sur lui et le système britannique qui l’avait formé.

Hadow ne devrait pas être blâmé pour le carnage qui a eu lieu près de la Somme le 1er juillet. La faute incombe à ses supérieurs. Mais est-ce que sa décision de s’avancer à partir des tranchées de réserve a donné lieu à un plus grand nombre de victimes au sein du Newfoundland Regiment?

Quand les commandants de la 88e Brigade ont donné l’ordre d’attaquer à 8 h 45, Hadow a demandé s’il devait attaquer indépendamment du 1er Bataillon de l’Essex Regiment, et on lui a simplement répondu que oui. Le même ordre avait été donné en même temps à l’Essex. La 88e Brigade avait ordonné aux deux bataillons d’attaquer lorsqu’ils seraient prêts. Le commandant de l’Essex a décidé de passer par les tranchées de réserve et de communication pour prendre position à la première ligne, ce qui prit deux heures.

Hadow savait que ses hommes ne pourraient pas se rendre au front sans prendre un retard considérable. Il fallut 30 minutes à Hadow pour faire part des nouveaux objectifs à ses commandants de compagnie et lancer l’assaut à 9 h 15.

Est-ce que Hadow obéissait à des ordres stricts de lancer l’assaut à partir des tranchées de réserve? Ou aurait-il pu faire comme l’Essex et traverser le carnage par les tranchées de communication et se placer à la ligne de feu avant de lancer l’assaut?

Il est un fait qu’il n’y a pas eu d’ordre d’avancer à partir des tranchées de réserve. C’est lui qui a interprété ainsi l’ordre de passer à l’attaque.

Et est-ce que sa décision a mené à un plus grand nombre de pertes?

Il est moins facile de répondre à cette question. Le retard qu’auraient pris les Terre-Neuviens pour se rendre à la première ligne aurait peut-être réduit le nombre de victimes.

La décision de Hadow de partir
des lignes de réserve ne
semble guère sensée.

Au premier abord, le fait que les pertes de l’Essex ont été moins nombreuses que celles du Newfoundland est dû au retard de l’Essex. Et quand l’Essex est passé à l’attaque, il n’est pas allé loin avant que l’ordre lui soit donné de cesser l’attaque. Personne d’autre ne s’est avancé en même temps que les Terres-Neuviens ni après eux. Mais si le Newfoundland et l’Essex avaient attaqué côte à côte, peut-être que les deux bataillons auraient subi le même nombre de pertes. La seule différence, c’est que nous ne serions pas en train de débattre de la décision de Hadow.

Si le Newfoundland Regiment n’avait pas lancé l’assaut quand il l’a fait, le brigadier-général Cayley n’aurait pas eu besoin de révoquer
l’ordre relatif à une deuxième attaque quand Hadow a exprimé ses préoccupations à un officier de l’état-major de la 29e Division.

La seule raison fournie par Hadow pour expliquer sa décision d’attaquer à partir des tranchées de réserve, c’est que les morts et les blessés bouchaient les tranchées. À la suite de sa décision, beaucoup d’hommes sont tombés avant même d’atteindre leur ligne de feu. En fin de compte, cela a réduit le nombre de victimes de l’Essex.

Bien que la décision de Hadow de partir des lignes de réserve ne semble guère sensée, les vrais coupables des mauvaises décisions prises dans ce secteur, ce sont les commandants de la brigade et de la division, car il y avait d’importants problèmes de communication qui ont été sources de confusion pour Hadow, et des retards concernant l’annulation d’une attaque subséquente avant qu’une partie de l’Essex ait lancé son attaque.


Terry Copp, collaborateur fréquent de la Revue Légion, est directeur émérite du Laurier Centre for Military and Strategic Disarmament Studies de l’Université Wilfrid Laurier. Il est l’auteur de nombreux livres et articles sur le rôle du Canada aux deux guerres mondiales.

Frank Gogos est membre du comité des collections historiques du Conseil consultatif du Royal Newfoundland Regiment. Il est l’auteur de The Royal Newfoundland Regiment in the Great War: A Guide to the Battlefields and Memorials of France, Belgium, and Gallipoli.

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