Adam Day and Sharon Adams
Photographie de Louie Palu
Les anciens combattants canadiens perdus, et le litige qui a ébranlé le gouvernement
Il s’agit d’une simple histoire millénaire. Il y a des soldats et des anciens combattants partout au Canada qui ont été blessés en Afghanistan et ne sont pas encore guéris. Ils sont dans la zone d’incertitude entre la guerre et la paix, et ils subissent les conséquences d’un conflit qui maintenant semble lointain.
Qu’ils aient été au combat ou pas, que leur esprit ait été blessé ou leurs jambes arrachées, qu’ils aient servi pendant 4 ou 34 ans, il s’agit d’une histoire aussi vieille que la guerre : on demande aux soldats
de tout donner, puis on les oublie lorsque cessent les coups de feu.
Le système servant à indemniser ces anciens combattants et à les soigner n’est pas parfait; il a des brèches; il est même peut-être brisé. Et bien que tout le monde sache qu’il y a un problème – les dirigeants militaires, les politiciens, les bureaucrates, le public –, le problème persiste.
Afin de bien comprendre l’enjeu, voici où nous en sommes : dans bien des cas, les anciens combat-tants blessés reçoivent un paiement forfaitaire pour leur blessure et puis presque plus rien. Des fois, ce système fonctionne parfaitement. En d’autres occasions, les soldats souffrent de graves blessures et ils reçoivent un petit pourcentage de ce que donneraient d’autres systèmes liés aux invalidités, comme l’indemnisation des accidentés du travail et les régimes d’avantages des employeurs privés.
Dans d’autres cas, les soldats handicapés à vie reçoivent une indemnité permanente, mais cette indemnité est calibrée de manière à ce qu’un mode de vie de classe moyenne soit pratiquement impossible à atteindre. Imaginez la vie d’un ancien combattant invalide qui ne peut se permettre d’acheter une maison, d’aller en vacances, de payer les frais scolaire de son enfant. Imaginez des décennies de vie, en fait, près de la pauvreté.
En ce qui concerne le nombre de personnes concernées, ce n’est pas un problème immense. Quelque 2 000 soldats ont été blessés en Afghanistan, et bien que beaucoup plus aient des blessures mentales invisibles, le nombre de ceux qui ont besoin d’aide ne crée pas un problème insurmontable. En ce qui a trait à l’argent, le montant qu’il faudrait pour réformer l’indemnisation aux anciens combattants n’est qu’une fraction infime du budget fédéral.
Pour arranger cela, et facilement, il suffirait d’en avoir la volonté.
Chacun se bat à sa propre guerre
Une des horreurs indicibles de la guerre, c’est qu’en fin de compte, les vieilles expressions sont justes :
Il n’y a pas d’histoire de guerre qui soit vraie. Toutes les histoires de guerre sont mensongères.
Si vous n’y étiez pas, vous ne saurez jamais comment c’était.
Même si vous y étiez, vous ne pourrez peut-être pas le décrire.
En fin de compte, seuls les endroits et les dates ont quelque dignité. Onze septembre, Kandahar, Masum Ghar, Panjwaye
En voici une autre :
On se souvient des héros et des morts, mais les blessés sont laissés pour compte.
Les soldats acceptent les risques de mort ou de blessure, en particulier lorsqu’ils sont dans une zone de combat. Ce qu’il est plus dur d’accepter, toutefois, et ce à quoi ils ne pensent guère dans les zones de combat, c’est quelle sera leur vie au pays en cas de blessure. Ils s’attendent, au moins, à ce qu’on les traite avec des égards et avec respect.
Maintenant, pensez à l’Afghanistan, au conflit de 12 ans : la mission n’a pas vraiment eu un grand impact sur la vie au jour le jour de la plupart des Canadiens. Ce n’est pas vraiment que les Canadiens ne doivent jamais oublier les sacrifices de ces soldats; c’est plutôt qu’ils ne les ont jamais vraiment compris. On ne peut pas oublier quelque chose qu’on n’a jamais su.
L’isolement, ce n’est pas simplement ce qui se passe entre les soldats et la population pour laquelle ils se sont battus, c’est aussi ce qui arrive entre les soldats eux-mêmes. Chaque période d’affectation était différente, chaque unité avait sa propre expérience; à part des gars à vos côtés, personne ne comprenait bien ce que vous faisiez. Chacun faisait sa propre guerre. Il en résulte une collectivité d’anciens combattants isolés, qui critiquent souvent le gouvernement et d’autres groupes d’anciens combattants, et beaucoup d’entre eux n’obtiennent pas les soins qu’on leur doit à moins de dérailler, à moins de se perdre. Et à ce moment-là, il est trop tard.
Une bombe qui change une vie
Le major à la retraite Mark Campbell est un dur à cuire, pourrait-on dire. Même maintenant, il sourit encore quand il se rappelle à quel point il était alors implacable.
En 2008, un de nos auteurs a été introduit dans une opération en Afghanistan, commandée par Campbell. Il était alors un des chefs de l’effort du Canada servant à guider l’armée afghane, et l’opération, appelée Ateesh Bazi, était aussi rude que possible. La force opérationnelle qui se composait de relativement peu de Canadiens et d’un grand nombre d’Afghans réticents a passé une nuit dans le territoire ennemi en bordure
du désert du Régistan, couchés sur le sable infesté de scorpions, de serpents et d’araignées, puis le lendemain ils ont marché presque 30 kilomètres jusqu’aux abords de ce qui était alors la capitale des insurgés : Nakhonay.
Campbell exhortait ses soldats pendant toute l’opération en proférant des jurons, en prenant la tête de l’attaque, en mangeant des sucettesau petit-déjeuner (au sens propre) et, en règle générale, en agissant comme s’il était intouchable.
C’est un homme dont l’agressivité était évidente et à l’occasion, alarmante. Ses dernières exhortations, faites à ses sous-chefs avant d’arriver aux abords de Nakhonay, étaient simples et brutales : « C’est pas pour rire, dit-il en grognant. Ne. Manquez. Pas. Votre. Coup. »
Cette opération s’est bien passée, mais quelques mois après Ateesh Bazi, tout s’est foutu dedans pour Campbell.
C’étaient soit les talibans, soit des soldats afghans traitres fatigués des manières d’affrontement d’un Campbell coriace, ou d’un mélange des deux, ce qui est le plus probable.
Il était debout sur une bombe, et quelqu’un l’a fait exploser. Il a sauté par en haut et en arrière; il se souvient d’avoir atterri, d’avoir vu des jets de sang rouge vif sortant de ses artères fémorales. Une jambe était complètement arrachée et l’autre ne tenait qu’à des fils. Le bas de son corps était déchiqueté.
À ce moment-ci, prenez un moment pour imaginer comment se sentait Campbell, s’il vous plait. Guerrier toute sa vie, agressif au plus haut point, le genre de gars qui porte un écusson « Team Canada » à côté de celui qui indique son groupe sanguin. Maintenant, il est par terre, les organes génitaux mutilés, du liquide jaune coulant de ses oreilles, du sang giclant sur le sol.
C’est assez pour abimer quelqu’un. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est incroyable que Campbell ait survécu. Dans aucune des guerres précédentes auxquelles des Canadiens ont participé n’existait-il une technologie permettant de le sauver, et il serait mort. Aujourd’hui, Anciens combattants Canada évalue son invalidité à plus de 150 %.
Il n’est pas exactement empressé de raconter son histoire, mais il accepte de parler dans certaines circonstances. Ainsi, après un long vol jusqu’en Alberta et une longue route jusqu’à la banlieue nord d’Edmonton, nous avons découvert laquelle des grandes maisons était la sienne en procédant par élimination.
La porte de devant s’ouvre et quelques secondes après, Campbell nous dit, d’une voix caractéris-tique, ce qu’il faut faire à propos du chien qui court vers la porte. (« Ne le laissez pas sortir. »)
Puis Campbell nous apparait sur son fauteuil roulant. Cet ancien officier supérieur d’un des bataillons canadiens les plus durs, un vrai guerrier, est vouté dans son fauteuil. Il nous regarde en souriant. « Bienvenue », dit-il.
Fissures du système
Une lutte est engagée. Nous l’appelons la révolte des anciens combattants. C’est une vague de dépit et d’indignation visant le gouvernement fédéral et la législation qui régit le traitement des anciens combattants.
En y regardant de près, ACC est extrêmement complexe : les taux d’indemnisation varient selon le pourcentage d’invalidité; les avantages superposés sont tellement individualisés qu’il n’y a probablement pas deux anciens combattants qui reçoivent les mêmes indemnités ou services; ils reçoivent des avantages sociaux qui ne divergent que d’après leur volonté de se battre avec ACC ou de se faire entendre par les médias.
D’un autre côté, le système est si vague que même ceux qui le comprennent en parlent en utilisant des termes qu’on pourrait presque qualifier de mystiques. Mais mettons cela de côté, car le vague est en réalité très simple, et la complexité n’est que de la poudre aux yeux. La seule chose qui compte, ici, c’est que les anciens combattants devraient être bien traités, étant donné qu’ils l’ont mérité.
Tout de même, il vaudrait mieux jeter certaines bases. Les membres des Forces canadiennes sont des employés fédéraux, bien qu’ils soient distincts à cause des contrats qu’ils signent et qui permettent au gouvernement et aux dirigeants militaires de les envoyer au danger, peut-être même à la mort, et de mettre fin à leur emploi s’ils sont blessés en faisant une chose qu’ils sont tenus de faire par contrat.
La première clause, « jusqu’à la mort », s’appelle responsabilité illimitée. Si un peloton de soldats a reçoit l’ordre de faire quelque chose qui risque d’être mortel, comme de se lancer à l’assaut d’une mitrailleuse ou de traverser un champ que l’on sait miné, c’est exactement ce qu’ils sont tenus de faire, par contrat. Les autres employés fédéraux ne signent pas de contrat comme celui-là.
Si les soldats sont rendus infirmes en faisant leur devoir, ils peuvent être libérés de leur devoir militaire en vertu d’une clause appelée universalité du service, ce qui signifie que si un employé du ministère de la Défense nationale n’est pas en assez bonne santé pour pouvoir combattre, qu’il ne peut pas être envoyé au combat, il peut être libéré. En conséquence, lorsqu’un soldat devient invalide, sa carrière militaire est le plus souvent terminée.
Le système est implacable, et il est lent aussi. Des années peuvent passer avant qu’un soldat blessé soit officiellement libéré de l’armée. À ce moment-là, la responsabilité passe entièrement du MDN à ACC, où les règlements concernant la manière dont les anciens combattants sont traités et indemnisés sont divisés entre deux lois fédérales – la Loi sur les pensions pour ceux qui ont été blessés avant avril 2006 et la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes (appelée communément la Nouvelle Charte des anciens combattants) pour ceux qui ont été blessés après avril 2006.
C’est là que commencent les problèmes.
Le point de vue de Campbell sur cette situation
Pendant une entrevue qu’il nous a accordée en exclusivité au mois d’avril, le ministre des Anciens combattants, Erin O’Toole, a pris grand soin de nous expliquer qu’ACC évoluait afin d’améliorer la manière dont il servait ses clients – centrée sur l’ancien combattant, disait-il –, et il nous a donné quelques explications concernant l’insatisfaction de certains anciens combattants au Canada :
« En ce qui concerne l’examen des demandes, il faut aussi faire face à certains mythes : on entend dire qu’il y en a qui sont extrêmement frustrés par un refus, dit O’Toole. Mais plus de 70 pour cent des réclamations à ACC sont acceptées en premier ressort. On s’en étonnerait en voyant le dialogue sur Facebook. Mais nous avons la responsabilité envers l’ancien combattant et la société de veiller à ce que notre système soit juste, rapide et moins stressant, mais qu’il soit toujours fondé sur des preuves. Parce que, par exemple, les personnes qui sont dans les Forces armées canadiennes et en fin de compte, les anciens combattants, sont un échantillon représentatif des Canadiens, alors il y a les gens qui ont déjà des problèmes de santé mentale au moment où ils s’engagent. »
La réaction de Campbell, confiné à un fauteuil roulant dans la cuisine de sa maison du nord d’Edmonton, quand il entend cette citation, est physique, viscérale. Tout d’abord, Campbell déclare laconiquement : « Ce n’est pas vrai, il s’agit d’une tranche de la société canadienne basée sur la sélection ». Et il a raison : pour entrer dans l’armée du Canada, il faut en passer par une sélection, selon des caractéristiques de base concernant la santé mentale et physique.
Il se penche en arrière et réfléchit à ce qu’il va dire ensuite. « C’est une bonne façon d’essayer de défendre ce qui se passe à Anciens combattants, dit-il. Mais en fait, je ne crois pas du tout à ces statistiques, étant moi-même un des clients dont les réclamations légitimes ont été refusées. »
‘Au mieux, l’indemnisation inadéquate pour les soldats est une mesure d’austérité imprudente; au pire, c’est un abandon inconsidéré de l’obligation du gouvernement.’
— Poursuite d’Equitas
Et le problème ne concerne pas seulement l’approbation ou le refus, dit-il, il y a la lutte incessante avec la bureaucratie. Par exemple, ACC a récemment modifié la manière de calculer l’indemnisation dans le cadre de ce qu’on appelle le Programme d’autonomie des anciens combattants (PAAC), qui paie les services comme le ménage et l’entretien du domicile. « Des choses arbitraires me sont arrivées, dit-il, comme lorsqu’ils ont adopté le nouveau processus d’octroi pour le PAAC. Ils ont déclaré que j’obtiendrais un octroi de 5 800 $ l’an prochain. Un instant! Vous me donniez 12 000 $ par année, 1 000 $ par mois, pour l’entretien et le ménage, avant le nouveau processus d’octroi, alors pourquoi réduisez-vous ça de plus de 50 %? »
Campbell a pu se plaindre de cela à grands cris, et assez fortement pour qu’ACC rétablisse sa prestation au degré précédent. « Ils ont réglé mon cas en rebroussant chemin et en pratiquant une sorte de magie vaudou du côté administratif, dit-il. Mais combien d’autres anciens combattants ont vu leur PAAC coupé et ne s’en sont pas aperçus ou ont été incapables d’y faire quoi que ce soit? »
(La Revue Légion a contacté le ministère des Anciens combattants du Canada pour lui donner l’occasion de répondre aux déclarations des personnes interrogées pour cet article, mais aucune réponse n’avait été fournie à l’heure où nous mettions sous presse.)
Là où Campbell s’offusque de la statistique d’O’Toole, c’est que même si une demande reçoit une réponse affirmative, « vous ne gagnez pas nécessairement », dit-il.
L’exemple de Campbell à ce sujet concerne ce qu’on appelle l’allocation vestimentaire. « Tout d’abord, on ne m’avait pas parlé de cet avantage, dit-il. Deux années avaient passé où Anciens combattants s’occupait de mon cas avant que ma femme apprenne que j’avais droit à une allocation vestimentaire. Ce n’est que 170 $ par mois, pas une fortune, mais le fait est que je ne l’obtenais pas et que j’y avais droit. Il se trouve qu’il y a trois degrés d’allocation vestimentaire. Alors ACC m’a dit “Oui, M. Campbell, vous avez droit à une allocation vestimentaire, mais malheureusement, elle n’est rétroactive que pour un an, et vous êtes au degré le plus bas”.
« Pourquoi suis-je au degré le plus bas? Il me manque les deux jambes, ce qui veut dire que j’ai des problèmes de transfert. Je déchire le fond de mon pantalon tout le temps. Je dois tout me faire faire sur mesure, sinon je dois replier les jambes de mon pantalon en dessous tout le temps. Alors je n’arrive pas à croire que je suis au degré le plus bas. Ça consisterait en quoi un plus haut degré? Alors nous nous battons là-dessus, ça va et vient jusqu’à ce qu’ils augmentent mon allocation vestimentaire au degré deux. Je ne sais toujours pas qui obtient le degré le plus haut, ou comment on s’y prend; peut-être faut-il avoir une griffe à la place de la main qui déchire le pantalon chaque fois qu’on se gratte le derrière? Je ne sais pas. Mais même quand on gagne, on ne gagne pas. »
En fait, il est difficile de concilier les positions adoptées par O’Toole : être axé sur l’ancien combattant, et en même temps se fonder sur les preuves, cela pose problème. Cette déclaration est peut-être en dessous de la vérité. En ce qui concerne les origines de la Loi sur les pensions, on avait l’intention de donner le bénéfice du doute à l’ancien combattant en ce qui concerne les demandes d’indemnisation. Comme le font remarquer les vétérans d’Afghanistan et l’ombudsman des vétérans, Pat Stogran, l’intention concernant le bénéfice du doute ne signifie pas que la prestation doit être accordée à l’ancien combattant dans la moitié des cas; « il signifie que s’il est possible que ce que dit l’ancien combattant soit vrai, l’indemnisation doit être versée. De ce point de vue, on a toujours eu l’intention qu’ACC soit axé sur l’ancien combattant, mais pas nécessairement fondé sur des preuves.
À la place, Campbell et d’autres anciens combattants s’aperçoivent que lorsqu’ils font une demande à la suite d’une blessure comme la perte de l’ouïe ou la douleur au dos, ils sont obligés de prouver que cette blessure résulte sans l’ombre d’un doute du service militaire.
« Il y a des années, on nous a dit qu’ACC avait modifié sa politique et reconnaissait l’usure causée par les métiers des armes. Mais cela ne semble pas se produire, dit Campbell. Le gouvernement n’a pas nécessairement obtenu le meilleur marché au monde quand il a acheté mes jambes, car mes genoux et mes chevilles étaient en purée. Il y a un clic dans ma hanche et le bas de mon dos est foutu. Je n’en ai que des ennuis. Il est foutu parce que je portais des sacs à dos et à cause de quelques mauvais aterrissages en parachute. J’ai des radiographies où on voit les vieilles fractures par tassement, mais je n’obtiens rien pour ça parce qu’il faut je prouve que mon mauvais dos résulte de quoi? De l’usure, d’avoir été fantassin. »
À moins que la réclamation puisse s’accompagner de preuves incontestables, dit Campbell, la méthode d’ACC « semble être de refuser au premier abord afin d’éviter de consentir des ressources […] et de garantir que seules les réclamations légitimes passent. Eh bien, tout ce qu’ils réussissent à faire, c’est que seules celles des gens qui insistent le plus passent. »
Si vous ne partagez des morts la foi rebelle
Les critiques soulevées par les anciens combattants à l’endroit d’ACC indiquent qu’il y a un bon nombre de mécontents sur Facebook qui rouspètent contre la performance journalière du ministère, comme le disait O’Toole. Campbell, par exemple, est un des plaignants de la poursuite du groupe Equitas. Aux nouvelles de temps à autre depuis quelques années, ce recours collectif contre le gouvernement fédéral intenté par un groupe de six anciens combattants est une nouvelle très, très importante dans le monde insulaire des anciens combattants au Canada.
Selon sa principale allégation, l’indemnisation pour blessure au Canada est inéquitable (d’où Equitas) et en règle générale les anciens combattants les plus nouveaux se font passer un sapin. Pour démontrer cela, comparons le degré d’indemnisation actuel pour les anciens combattants blessés à soit la norme fixée par la vieille Loi sur les pensions, soit aux normes d’indemni-sation relative aux blessures au travail dans le secteur privé, cette dernière étant habituellement fixée par les tribunaux.
Les avocats du gouvernement prétendent que la poursuite est sans mérite : ils se battent pour la faire casser, et ce faisant, ils ont dépensé des centaines de milliers de dollars. Mais les tribunaux ne sont pas d’accord. La poursuite est passée par le système judiciaire jusqu’à ce que, lorsque nous mettons sous presse, elle semble se diriger vers une épreuve de force devant la Cour suprême du Canada.
La poursuite civile déposée à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en termes crus en 2012 résume ce qu’ont subi les plaignants.
M. [Daniel Christopher] Scott a été frappé par nombre de balles de métal de la mine, dont une qui a traversé son armure et sa poitrine. Une côte gauche de M. Scott a été fracturée, son poumon gauche, collabé, et son rein, son spleen et son pancréas, endommagés. Les chirurgiens lui ont enlevé le rein, le spleen et le bout du pancréas. M. Scott a perdu 1,5 litre de sang.
Les blessures subies par M. [Gavin] Flett sont le fémur gauche brisé et l’astragale (cheville) droit écrasé. L’astragale a été fracturé en plusieurs endroits; trop pour qu’on puisse les compter sur les radio-graphies. M. Flett a été évacué d’Ashakay (Afghanistan) par pont aérien selon la priorité Alpha (blessures mettant la vie en danger).
L’explosion a arraché les deux jambes de M. [Mark] Campbell au-dessus du genou et causé des blessures considérables. Il a perdu le testicule droit et subi de nombreuses déchirures au reste de ses organes génitaux. Il a aussi des cicatrices à l’abdomen et le tympan droit perforé. M. Campbell a dû être réanimé sur la table d’opération.
À la suite de l’exercice de ses fonctions, M. [Kevin] Berry a les
genoux endommagés, dont, entre autres, le syndrome fémororotulien douloureux et l’ostéoarthrite.
M. [Bradley] Quast […] a retiré difficilement sa botte droite pour faire place à l’enflure, et il a vu des os qui avaient traversé la peau.
M. [Aaron] Bedard a subi un traumatisme au cerveau et un traumatisme cervical lorsqu’une mine antichar a explosé…
Le fait qu’à cause de la législation relative à la protection de la vie privée, il soit difficile d’obtenir des chiffres exacts nous empêche de comprendre parfaitement la situation lamentable dans laquelle se trouvent les anciens combattants modernes au Canada. Cependant, les chiffres ci-dessous servent d’exemple expliquant pourquoi le procès a du mérite aux yeux des tribunaux.
Anciens combattants Canada a versé 41 500 $
à M. Scott d’après ceci :
1) Perte du spleen = 0 %
2) Pneumothorax gauche = 0 %
3) Douzième côte gauche fracturée = 0 %
4) Ulcère gastrique = 0 %
5) Pancréas endommagé = 0 %
6) Perte du rein gauche = 13 %
7) Souffrances et douleurs = 0 %
8) Stress posttraumatique = 0 %
9) Qualité de vie inférieure = 2 %
Ce que M. Scott a reçu en versement forfaitaire revient à 15 % de 275 000 $. Selon les renseignements d’une banque canadienne sur un calcul fait en 2011, lorsque converti à une pension pendant 25 ans, ce règlement revient à un paiement d’à peu près 140 $ par mois, indexé à 3 % par année, mais imposable. L’Equitas Society a communiqué avec WorkSafe BC en 2011 et appris que le programme d’indemnisation des travailleurs de la province de la Colombie-Britannique paierait pour la même invalidité le montant de 1 400 $ par mois, qui ne seraient pas imposables et qui seraient indexés selon l’inflation à long terme.
En se basant sur l’évaluation préliminaire d’indemnisation aux travailleurs, le règlement offert en vertu de la NCAC telle que modifiée par le projet de loi C-55 est de moins de 10 % de ce qui serait versé d’après le programme d’indemnisation des travailleurs de la province. Après une conversion en espèces [M. Scott] aurait reçu 630 000 $ de moins en vertu de la NCAC.
Les auteurs de la poursuite résument la situation par cette phrase qui est peut-être la plus pertinente :
« Au mieux, l’indemnisation inadéquate pour les soldats est une mesure d’austérité imprudente; au pire, c’est un abandon inconsidéré de l’obligation du gouvernement. »
Le gouvernement est tout à fait au courant de cela et d’autres lacunes dans la NCAC. De multiples études menées au cours des quelques années passées recommandent des modifications à la NCAC. Dans certains cas, comme celui du rapport du Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes intitulé « La nouvelle charte vivante des anciens combattants » à l’heure de la mise au point (juin 2010), les modifications recommandées sont pratiquement les mêmes que celles que la poursuite d’Equitas s’efforce d’obtenir.
En général, la NCAC est une façon d’économiser de l’argent par rapport à la Loi sur les pensions qu’elle a remplacée. Comme le dit Campbell, « Je pense que c’est une mauvaise politique obtenue par des calculs. Je pense que, tout d’abord, Anciens combattants Canada ou le gouvernement, à quelque niveau que ça ait commencé, avait le désir de réduire fondamentalement les couts et de faire plus avec moins. »
Dans l’intervalle, les vétérans d’Afghanistan pris en charge par la NCAC espèrent que la poursuite d’Equitas se soldera par un succès, et qu’il en résultera une réforme palpable.
La poursuite a toutefois été mise en veilleuse en juin. Le gouvernement, O’Toole en tête, travaille dur pour convaincre les plaignants et leur équipe juridique que le meilleur règlement ne se fera pas par les tribunaux. En termes juridiques, la poursuite est en suspens jusqu’au 15 mai 2016.
« Le ministre nous a dit que ce qui a été fait pour l’instant, en période préélectorale et dans le budget actuel, n’est qu’un début, dit Campbell. Maintenant, il faut voir s’il va y avoir une volonté politique d’en faire davantage après la campagne électorale. Et nous n’en sommes pas convaincus. C’est ce qu’on attend.
« On ne la ferme pas avant d’avoir eu ce qu’on veut et, très honnêtement, ce qu’on veut, c’est collaborer avec le gouvernement en sachant que les ressources auront été mises en place pour régler ces problèmes tout de suite. On ne veut pas aller en cour pendant les sept prochaines années plus que d’autres, parce que quand on aboutit à la victoire, il y aura encore toute sorte de problèmes à régler, et c’est ça l’important, régler les problèmes. »
M. Franklin ne rigole pas
Paul Franklin est un des premiers vétérans d’Afghanistan gravement blessés devenu célèbre au pays, et il est encore un des plus reconnus et de ceux qui mâchent le moins leurs mots. Aux tout premiers jours de la guerre en Afghanistan, Franklin, technicien médical, se trouvait dans un VUS traversant la ville de Kandahar lorsqu’un attentat suicide a fait sauter son véhicule.
L’explosion était forte à tous points de vue. La jeep a été déchiquetée, Franklin a été déchiqueté, et l’effort militaire du Canada axé sur la reconstruction en Afghanistan du Sud a été déchiqueté à cause de la mort du diplomate canadien Glyn Berry qui se trouvait aussi dans le véhicule.
À la suite de la mort de Berry, on a interdit à la plupart des employés du ministère des Affaires étrangères dans la zone de guerre de quitter la base; les employés du ministère n’ont pas la même sorte de contrat à responsabilité illimitée. La zone de guerre était devenue trop dangereuse, alors les plans prévoyant que ces civils auraient un rôle important dans la stratégie du Canada ont été annulés.
Tout comme Campbell, Franklin a laissé une grande quantité de sang provenant de ses artères fémorales dans le sable afghan. Maintenant, comme il se plait à le dire, il n’a pas de genoux, bien qu’ils lui fassent encore mal.
Franklin est passé aux nouvelles surtout au prin-temps dernier, relativement à une fulmination de Rick Mercer diffusée par la CBC, et concernant le fait qu’ACC lui demandait encore de prouver qu’il n’avait plus ses jambes. Il les a perdues le 15 janvier 2006. Elles ne repousseront pas.
À part ses blessures et son appui aux cas d’anciens combattants au Canada, ce qui distingue Franklin, c’est qu’il est l’un des rares Canadiens blessés en Afghanistan qui sont indemnisés en vertu de la vieille Loi sur les pensions plutôt que de la NCAC. En conséquence, son mode de vie est relativement libre de pression financière, bien qu’il ne soit pas exempt de frustration face à la manière dont ACC traite les anciens combattants.
Par exemple, en 2014, après un accident à Banff, en Alberta, où il a été frappé par une automobile, Franklin s’est rendu chez un détaillant pour s’y procurer un nouveau fauteuil roulant. ACC a refusé de payer et le détaillant a demandé à Franklin de le lui rapporter, ce qu’il a fait. Le détaillant lui a dit qu’ACC n’avait pas donné son accord à l’achat parce que Franklin n’avait pas les bons documents.
Ce n’est pas qu’il n’avait pas besoin du fauteuil roulant, ni qu’il avait enfreint quelque loi le rendant coupable de fraude; c’est que ses documents n’étaient tout simplement pas en ordre. Et plutôt que de l’aider à y remédier, ACC a exigé que le fauteuil soit retourné. Après l’avoir fait, Franklin, en fureur, a appelé au téléphone quelques personnes en très haut lieu et a récupéré le fauteuil.
C’est contrariant pour Franklin parce qu’il y a « beaucoup de gars qui n’ont pas mon pouvoir. Que font-ils aux gars qui ne passent pas dans les médias, qui n’ont pas de relations? »
« Les anciens combattants n’aiment pas la contestation. Nous nous sommes engagés, pour la plupart, parce que nous croyons au gouvernement du Canada. Quand le gouvernement nous traite de menteurs, de tricheurs, ça fait mal. Et je n’ai pas vraiment envie de me battre, mais je m’y sens obligé. »
La solution de Franklin est simple, et Campbell y fait écho : le système fonctionne de travers. La charge devrait incomber à ACC de prouver que l’ancien combattant est un falsificateur ou qu’il fait une demande frauduleuse. Cela devrait être basé sur la confiance, comme c’est le cas pour les impôts, en grande partie.
« Il n’y a pas de raison pour que quelqu’un qui était fantassin, au combat, soit obligé de prouver quoi que ce soit, dit Franklin. C’est à Anciens combattants Canada de prouver le contraire. Quand il dit : “j’ai sauté d’un avion pendant 20 ans et maintenant, j’ai mal au dos”, ça devrait suffire. C’est sûr qu’il a mal au dos. Mais il n’a pas de preuve médicale, parce qu’à l’époque, c’était pas grave. »
Le problème, dit Franklin, se trouve dans les statistiques qu’O’Toole a données plus haut, à propos des 30 % des demandes qui ne sont pas approuvées. « Traitez-vous réellement 30 % de tous les anciens combattants de truqueurs? De menteurs? Le problème, ce n’est pas nous. C’est eux. Si vous voulez prouver que je suis un truqueur, allez-y. Si vous pensez que nous sommes des tricheurs, inculpez-nous. Nous croyons tous à la loi. Je suis prêt à me défendre n’importe quand; n’importe quel bon soldat est prêt. »
Franklin croit aussi que le vieux système qui consiste à verser les pensions d’invalidité aux blessés est bien plus logique que la méthode de versement forfaitaire de la NCAC, et à ce propos, il voit la poursuite d’Equitas comme étant une des initiatives d’anciens combattants les plus importantes depuis des années. « Je n’arrête pas de dire à ACC que le paiement forfaitaire sera leur perte. Ça n’a aucun sens. »
Franklin croit que la tentation du gouvernement d’économiser aux dépens des anciens combattants finira pas être vaincue par le désir qu’ont les Canadiens de traiter leurs anciens combattants avec respect. « Ce n’est rien de nouveau, dit-il. C’est un [budget] facile à couper parce que nous ne sommes qu’un petit nombre. Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que nous avons quand même un certain pouvoir. Ce qu’ils ont oublié, c’est que l’obligation sacrée est réelle. »
Un manque de direction
Pour les personnes qui ont répondu à nos questions pour cet article, la cause fondamentale est claire : c’est un manque de leadership. Que ce soit au niveau du premier ministre, du ministre d’Anciens combattants Canada ou du chef d’état-major de la défense, il est évident pour les anciens combattants sur le terrain, ceux qui souffrent, qu’aucun dirigeant ne s’efforce de régler la situation.
« Est-ce qu’un vrai dirigeant admettrait, sciemment, de son plein gré, que les soldats soient libérés dans une détresse financière? demande Campbell. Qu’est-il arrivé au deuxième principe du leadership : connaissez vos hommes et promouvez leur bienêtre. Quand a-t-on entendu un haut dirigeant des Forces armées canadiennes élever sa voix contre la Nouvelle Charte des anciens combattants et ce qu’elle fait à nos anciens combattants? Jamais. Il y a un grand manque de direction parmi les niveaux élevés des Forces armées canadiennes en ce qui concerne le traitement des blessés. C’est tout un fiasco. »
Il y a eu un afflux d’anciens militaires dans le personnel d’ACC au cours des derniers mois, probablement dans l’intention d’éliminer cette impression. L’ancien chef d’état-major de la défense Walter Natynczyk a été nommé à un poste de fonctionnaire supérieur : sous-ministre. (Il ne nous a pas accordé d’entrevue.) Sa nomination à ACC est généralement perçue comme étant encore une manœuvre du gouvernement servant à réprimer la révolte des anciens combattants avant qu’elle ne devienne un enjeu électoral cet automne.
De toute façon, les problèmes auxquels font face les anciens combattants lorsqu’ils reviennent au Canada – et les échecs systémiques relatifs à leur prise en charge –, n’ont pas seulement provoqué un sentiment de trahison, ils ont aussi inspiré des réponses positives. Partout au pays, les anciens combattants interviennent pour se prendre en charge.
Au plus fort du conflit en Afghanistan, le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry a organisé une Regimental Veterans Care Cell (cellule de soins aux vétérans du régiment, NDT) peu connue, mais très efficace. Elle fonctionnait tellement bien que le Royal Canadian Regiment y a envoyé une équipe pour se renseigner et a mis sur pied une entreprise semblable.
La cellule d’Edmonton a mis fin à ses activités depuis lors, mais dans le domaine numérique – avec encore moins d’assentiment officiel –, de multiples groupes de soutien par les pairs apparaissent. Parmi les plus remarqués et durables se trouve Send Up The Count (faire le décompte, NDT). Cette organisation a été fondée par quelques anciens combattants de Shilo, au Manitoba, notamment le caporal-chef Dan McInnis, après le suicide d’un de leurs amis militaires.
‘Maintenant, il faut voir s’il va y avoir une volonté politique d’en faire davantage après la campagne électorale.’
— Mark Campbell
« Il s’est avéré, dit McInnis, qu’il avait cherché de l’aide auprès de plusieurs personnes au téléphone. Mais il était très tard, alors personne n’a répondu à l’appel. »
C’est ainsi qu’une idée est née : un groupe de soutien sur Facebook pour les membres des Forces canadiennes, en service ou à la retraite, et ils ont dorénavant un endroit où ils peuvent demander de l’aide, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Le site, auquel se sont inscrits 10 000 militaires, est un cas de réussite remarquable.
C’est un réseau national de personnes qui prennent soin les unes des autres et qui correspondent entre elles. Par exemple, il y a un certain temps, un billet qui ressemblait à ceci a été écrit sur le site :
« Comment dire à quelqu’un qu’on a des pensées suicidaires? On vous dit d’être fort, mais je suis fatigué. Je veux simplement mourir et avoir la paix.
Je sais que je suis faible, mais je suis navré, je ne peux plus continuer. »
Quelques moments après que le message a été écrit, le réseau s’est mis à l’œuvre. Des centaines de messages de soutien ont afflué, et en même temps il y avait des appels à l’action, pour trouver la personne qui avait écrit le billet et l’aider avant que n’advienne le pire. Cette personne a fini à l’hôpital, et elle a survécu.
Les perdus
Quoi qu’il advienne à propos de la poursuite d’Equitas, en ce qui concerne les solutions financières pour colmater les brèches qu’il y a dans la NCAC, les plaignants recherchent aussi quelque chose d’autre : reconnaitre que le gouvernement du Canada, quel qu’il soit, a une obligation absolue de prendre en charge les anciens combattants, une obligation si grande qu’on pourrait la qualifier de sacrée, quelque chose de si important que la violer est impensable, inadmissible.
Il y a des soldats qui se sont battus pour le pays et qui se sentent maintenant abandonnés. Le lien de causalité est évident, c’est une réaction en chaine à partir du moment de leur blessure en Afghanistan, en passant par leur libération du militaire et jusqu’à leur situation actuelle. Ils souffrent, même s’ils ne sont pas invalides. Leur carrière est terminée, ils se sont retrouvés isolés de leurs pairs, et leur avenir, où ils vivent avec leurs blessures et le legs de leur service, s’étend au loin. Ils ont tout donné. La dette collective que les Canadiens ont maintenant envers eux est sacrée.
Pendant les journées qui ont précédé la bataille de la crête de Vimy, en 1917, le premier ministre Robert Borden s’est adressé aux soldats et les a assurés que leurs sacrifices ne seraient pas oubliés. « Le gouvernement et le pays considèreront comme leur premier devoir de prouver aux anciens combattants qu’ils apprécient à leur juste valeur les services inestimables rendus à la nation et à l’Empire et aucun homme, qu’il revienne des Flandres ou qu’il y reste, n’aura de raisons valables de reprocher au gouvernement d’avoir abandonné à leur sort les hommes qui ont remporté la victoire ou ceux qui ont perdu la vie. »
Ils se sont battus; ils sont morts; ils ont gagné. À la crête de Vimy, ces soldats ont servi à la création de l’identité nationale du Canada. Ils se sont donnés sans compter, jusqu’au sommet. Rien de cette victoire, inspirée par ce discours, ne devrait jamais être perdu.
Et bien que la situation actuelle soit désas-treuse – poursuites judiciaires, suicides, colère – une chose est évidente : personne ne veut ce qui se passe à l’heure actuelle.
Il n’y a pas de fonc- tionnaire qui dise : « Je veux incarner le pire d’un système bureaucratique sans visage. Je veux être la paperas-serie qui ligote et cause des retards. Je veux que tous les anciens combattants se battent pour chaque cent qu’ils obtiennent. »
Il n’y a pas de civil qui dise : « Une équipe d’avocats devrait rendre le système qui sert à s’occuper de l’indemnisation des anciens combattants aussi rigoureux et difficile que possible. Ne vous fiez pas à ce qu’ils disent, et donnez-leur aussi peu d’avantages sociaux que possible. »
Il n’y a pas de politicien qui pense : « La meilleure façon de me faire réélire, c’est de ponctionner nos anciens combattants. »
Et il n’y a certainement aucun Canadien qui dise : « Nos anciens combattants mutilés devraient vivre dans la misère. »
Et pourtant, nous en sommes là.
MARK CAMPBELL PREND LA PAROLE…
Nous lui avons demandé ce qui était le plus difficile, se battre avec les talibans ou se battre avec le gouvernement?
Pas de discussion. Se battre avec le gouvernement du Canada est bien plus pénible sur le plan émotionnel et psychologique que d’être blessé et de passer par tout le processus de réadaptation et de rétablissement. Je ne peux pas dire que mon expérience soit la même que celle de n’importe qui d’autre; je pense qu’elles sont toutes différentes. J’ai été formé en vue de supporter l’adversité tout au long de ma carrière. On m’a fait subir des défis de plus en plus difficiles pour voir si je pouvais les relever, pour voir si je méritais de passer au grade suivant. Ma vie dans les Forces était pleine d’adversité vraie ou fabriquée, pourrait-on dire, alors je suis formé pour pouvoir composer avec l’adversité.
« Honnêtement, me faire arracher les jambes, c’était le summum des situations conflictuelles, alors d’une certaine façon, j’ai été formé pour ça. Sur le plan psychologique, au moins. L’idée, c’était un peu comme : ‘Eh merde; ça craint, mais je m’en tirerai’. Alors le rétablissement n’a jamais été en doute dans mon esprit. C’était : jusqu’à quel point vais-je pouvoir me remettre? C’était ça la seule question.
« Ce sur quoi je n’avais vraiment pas compté, c’est le fait que la pire de mes batailles m’attendait chez moi : avec le gouvernement que j’avais servi. Ça m’a renversé sur le plan psychologique, mental, émotionnel, même physique. C’était pénible et c’était difficile de m’en remettre. Je m’en suis trouvé dans une dépression clinique, de laquelle je suis heureux d’être sorti, parce que c’était une période de ma vie horrible, horrible, horrible. Mais j’attribue cette dépression directement au fait que j’étais mêlé et que je me battais avec le gouvernement, et à cette époque, j’étais frustré parce que j’avais l’impression que je ne faisais aucun progrès, à cause de l’immensité du problème, du combat. Avant de me joindre à Equitas, c’était un gros effort démoralisant. Au moins, avec Equitas, on sait qu’on a accompli certaines choses. »
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