Inébranlables dans notre détermination

By ELLEN O’CONNOR

 

Dès l’instant où la cloche de la Tour de la Paix a sonné la 11e heure, un silence de deux minutes s’est établi parmi les dizaines de milliers de personnes fièrement canadiennes, présentes coude à coude à la cérémonie nationale du jour du Souvenir au centre-ville d’Ottawa.

Un coquelicot est déposé sur la Tombe du Soldat inconnu après la cérémonie nationale du jour du Souvenir. [photo : metropolis studio]

Un coquelicot est déposé sur la Tombe du Soldat inconnu après la cérémonie nationale du jour du Souvenir.
photo : metropolis studio

Plus de 50 000 personnes se serraient autour du Monument commémoratif de guerre du Canada, où la sécurité avait été accrue. Tous étaient venus, de près ou de loin, pour rendre hommage aux plus de 1,5 million de Canadiens dont le service illustre l’histoire de notre nation. Parmi eux,  118 000, ayant quitté leur foyer et leur famille, ne sont jamais revenus.

Des familles, des jeunes et des personnes âgées, des militaires actifs et d’anciens combattants, profitant de la température de novembre anormalement chaude, un coquelicot fièrement épinglé au revers et portant des drapeaux canadiens, des fleurs, des affiches qu’ils avaient fabriquées eux-mêmes ou des souvenirs personnels leur rappelant les êtres chers qu’ils ont perdus, ont commencé à s’assembler devant les barricades dès 6 h le matin.

Le cortège vice-royal arrive à  la cérémonie. [Photo : metropolis studio]

Le cortège vice-royal arrive à la cérémonie.
Photo : metropolis studio

Leurs pensées allaient vers un visage et un nom familiers, celui d’un fils, d’un camarade, d’un arrière-grand-père, d’un grand-père, d’un oncle, d’une sœur, d’un fiancé. Leurs pensées allaient aussi vers le caporal Nathan Cirillo qui, à peine 20 jours avant, a été abattu alors qu’il montait la garde de cérémonie au Monument commémoratif de guerre du Canada, le même monument autour duquel ils étaient réunis.

« Il y en a tellement que j’ai perdus. Chaque année, mon cœur se fend un peu plus quand je me rappelle toutes les personnes qui ont disparu » dit Donald Carrington, 86 ans, originaire de Hamilton. Ce dernier a été membre des Argyll and Sutherland Highlanders du Canada avant de servir dans les forces régulières au sein du Corps des magasins militaires royal canadien. « Cette année, je pense surtout au caporal Cirillo qui était dans mon régiment. Il fallait que je vienne leur rendre hommage, à lui et à tous ces gens-là. »

Le caporal de 24 ans montait la garde le 22 octobre dernier quand un homme armé l’a abattu avant de se précipiter jusqu’à l’édifice du Centre, sur la Colline du Parlement, où il a été tué par balles lors d’un échange de coups de feu. En quelques minutes seulement, un acte de violence insensé a enlevé la vie à un soldat canadien dé-sarmé et a transformé un lieu de commémoration et de réconfort en lieu de crime. Cela s’est produit deux jours seulement après que l’adjudant Patrice Vincent, 53 ans, a été tué par un homme à bord d’un véhicule en fuite dans le terrain de stationnement d’un centre commercial à Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, alors qu’il accompagnait un collègue visitant un centre de service d’Anciens combattants Canada.

Des anciens combattants défilent sous les applaudissements. [Photo : metropolis studio]

Des anciens combattants défilent sous les applaudissements.
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Les membres  du cortège vice-royal (de g. à d.) Sharon Johnston, le gouverneur général, David Johnston, la princesse royale Anne, sir Timothy Laurence, le premier ministre Stephen Harper, Laureen Harper, le ministre des Anciens combattants, Julian Fantino, le président national de la Légion, Tom Eagles. [Photo : metropolis studio]

Les membres du cortège vice-royal (de g. à d.) Sharon Johnston, le gouverneur général, David Johnston, la princesse royale Anne, sir Timothy Laurence, le premier ministre Stephen Harper, Laureen Harper, le ministre des Anciens combattants, Julian Fantino, le président national de la Légion, Tom Eagles.
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Pour beaucoup de gens, les souvenirs sont encore très vifs; ils essaient encore de composer avec la mort de Cirillo et de Vincent, et avec l’attaque survenue dans la capitale nationale. Pourtant, en dépit des sentiments de peur, de colère et de tristesse, ce qui s’est passé le 11 novembre était une démonstration de gratitude et d’admiration envers tous ceux qui ont donné leur vie, en temps de guerre ou de paix, et de détermination silencieuse afin de montrer au monde entier la force et la résilience de notre nation.

« Je suis venu rendre hommage aux soldats qui ont tant sacrifié, surtout vu ce qui s’est passé récemment ici, au mémorial. Je tenais absolument à montrer aux anciens combattants ce que nous ressentons à leur égard et que nous apprécions ce qu’ils ont fait pour nous », a déclaré Denis Bruneau d’Ottawa, qui est arrivé à 7 h 30 pour trouver une place. « Je viens chaque année et j’essaie d’être ici, en avant. »

Richard et Luann Busch de Cambridge, en Ontario, sont venus à Ottawa assister à la cérémonie nationale pour la première fois.

« Nous avons planifié de venir ici en raison du 100e anniversaire. En plus, les autres évènements qui ont eu lieu ici l’ont aussi rendu très spécial, a déclaré Richard, et sa femme d’ajouter qu’elle tenait à assister à la cérémonie au moins une fois avant de mourir. « Nous allons penser à tous nos soldats qui ont été tués, mais aussi certainement à ceux qui sont dans les forces aujourd’hui parce qu’ils sont tous vulnérables. »

Les représentants de la jeunesse (de g. à d.) Sarah Jessica Butler, Darynn Bednarczyk, Hareem Masroor, Joo Hee Chung. [Photo : metropolis studio]

Les représentants de la jeunesse (de g. à d.) Sarah Jessica Butler, Darynn Bednarczyk, Hareem Masroor, Joo Hee Chung.
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Le deuxième coup de canon du 30e Régiment de campagne de l’Artillerie royale canadienne a brisé le silence de deux minutes, suivi par la complainte de la cornemuse et du réveil joué par un trompettiste. Deux CF-18 ont rugi au-dessus des têtes alors que le président national de la Légion, Tom Eagles, récitait l’Acte du Souvenir en anglais. Le grand président de la Légion, Larry Murray, l’a ensuite lu en français et l’ancien combattant autochtone Alex Maurice l’a lu en michif.

La cérémonie de réinauguration du Monument commémoratif de guerre du Canada a été une nouveauté cette année. Les dates de la guerre sud-africaine et de la mission en Afghanistan ont été ajoutées au Monument commémoratif et l’inscription « Au service du Canada » est maintenant gravée fièrement dans le granit en l’honneur de tous ceux qui ont servi. La princesse royale (Anne), dont le grand-père, le roi George VI a dévoilé le Monument commémoratif devant 100 000 personnes en 1939, a lu un message de la reine Elizabeth II. Le gouverneur général, David Johnston, a également prononcé un discours.

« Nous sommes ici aujourd’hui, et ici nous resterons : inébranlables dans notre détermination; reconnaissants envers ceux qui se sont sacrifiés; reconsacrés, comme ce mémorial, à notre devoir éternel de paix et de liberté : l’âme de notre nation. Nous nous souviendrons d’eux », a déclaré Johnston.

Après la nouvelle dédicace du monument, le brigadier-général John Fletcher, aumônier général des Forces armées canadiennes et aumônier honoraire de la Direction nationale de la Légion, a récité des prières.

La princesse Anne et Johnston ont commencé la cérémonie de dépôt de couronnes lorsque les premières paroles d’Au champ d’honneur étaient chantés par le Chœur d’enfants d’Ottawa. La Mère de la Croix d’Argent, Gisèle Michaud, a fait une pause, une main sur la poitrine, après avoir déposé une couronne au nom de toutes les femmes qui ont perdu un enfant en service. Son fils, le caporal-chef Charles-Philippe Michaud qui était membre du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment, est mort le 4 juillet 2009 à la suite des blessures qu’il a subies quand il a marché sur un engin explosif improvisé lors d’une patrouille à pied dans le district de Panjwaii, au sud-ouest de Kandahar.

La Mère de la Croix d’Argent Gisèle Michaud. [photo : metropolis studio]

La Mère de la Croix d’Argent Gisèle Michaud.
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« Quand il a été blessé, car il a été conscient jusqu’au bout, il a dit aux gars : “Arrêtez de pleurer, les gars. Prenez soin de vous parce que les Talibans ne sont pas loin” », dit Michaud, se souvenant de la vitalité de son fils. Elle lui avait parlé au téléphone trois jours seulement avant qu’il n’ait été blessé.

Le caporal-chef Michaud a été transféré au centre médical régional de Landstuhl, en Allemagne, où il est resté cinq jours, avant d’être plongé dans un coma artificiel pour être transporté à un hôpital de Québec, le 28 juin 2009.

« Il savait qu’il était en train de mourir et il ne voulait pas mourir là-bas » a expliqué Michaud, résidente d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick, qui était accompagnée de son mari Conrad et de leur fils Denis. « Avant de partir en mission, il avait déclaré : “Ne vous inquiétez pas, je reviendrai”. Il est donc revenu avec toutes ses blessures pour mourir auprès de nous. » Michaud dit que depuis le décès de son fils, les membres de son régiment viennent chez elle chaque fois qu’ils le peuvent pour leur rendre visite et leur raconter des histoires du temps passé en Afghanistan avec leur ami et frère « Chuck ».

Parmi les membres du cortège vice-royal qui ont déposé une couronne se trouvaient le premier ministre Stephen Harper, le ministre des Anciens combattants, Julian Fantino, le chef d’état-major de la défense, le général Tom Lawson, le président de la Direction nationale, Tom Eagles, représentant les anciens combattants du Canada, le président du Sénat, Noël Kinsella et les représentants de la jeunesse, Sarah Jessica Butler, Joo Hee Chung, Darynn Bednarczyk et Hareem Masroor, ainsi que les porteurs de couronne, le PM1 David Ficht (cadet de la Marine), le C/adjuc Grégoire Martin (cadet de l’Armée) et l’adj2 David Joiner (cadet de l’Air). D’autres couronnes ont ensuite été déposées par des organisations d’anciens combattants, des membres du corps diplomatique, diverses associations et des gens du public.

L’aumônier honoraire de la Direction nationale, le rabbin Reuven Bulka, a prononcé la bénédiction. Il a dit que même si le Mémorial avait été violé, c’était encore un lieu sacré. « Nous aimons nos troupes! » a-t-il crié dans un tonnerre d’applaudissements.

Des membres du Cameron Highlanders d’Ottawa défilent devant le monument. [Photo : metropolis studio]

Des membres du Cameron Highlanders d’Ottawa défilent devant le monument.
Photo : metropolis studio

La cérémonie s’est terminée quand le regroupement des cornemuses et tambours des Forces armées canadiennes et des Governor General’s Foot Guards a joué pendant le défilé des anciens combattants et des contingents militaires.

Bien que la cérémonie officielle était terminée, la foule s’est attardée pendant plusieurs heures pour bavarder tranquillement, pour réfléchir en silence ou encore pour passer un coup de fil rapide à un parent ou à un ami pour les remercier de leur service.

Louise St-Jean de Gatineau, au Québec, assise à l’extérieur, tenait une photo en noir et blanc d’Horace St-Jean en uniforme. « C’est mon père pendant la Seconde Guerre mondiale; j’apporte toujours sa photo » dit-elle, des larmes baignant ses yeux de nouveau alors qu’elle se rappelle l’histoire d’amour de ses parents. « C’est important pour moi. Je me sens proche de lui. »

Autour d’elle, les gens se déplacent lentement vers le Monument commémoratif de guerre pour couvrir la Tombe du Soldat inconnu d’innombrables coquelicots rouges.

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