By DON GILLMOR
À la mi-octobre 1918, mon grand-père Donald Mainland se trouvait près de Maurois, en France, comme membre du Fort Garry Horse. Un poids plume (68 kg, 1,68 m), les cheveux blonds et les yeux gris, Donald était plus âgé que certains autres hommes dans les tranchées. Son 25e anniversaire avait été célébré sans tambour ni trompette.
![Le soldat Donald Mainland qui s’est enrôlé en juin 1917. Cette photo a paru sur une carte postale en date du 27 septembre 1918. [PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DON GILLMOR]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_1.jpg)
À une cinquantaine de kilomètres de là, le frère jumeau de Donald, Tommy, se remettait de sa deu-xième attaque au gaz moutarde. Il était à l’étranger depuis septembre 1916, tout d’abord dans le 101e Ba-taillon, puis dans le 24th Victoria Rifles. En octobre de la même année, son unité était en France et se dirigeait vers la ville d’Aniche, au nord de Cambrai. Puisque Tommy s’était vite rétabli de la deuxième attaque au gaz, comme de la première, il se sentait à la fois coupable et soulagé d’avoir été un des survivants naturels.
Tommy a été le premier des deux hommes à s’en-rôler en décembre 1915. Donald l’a suivi en juin 1917. Ils étaient nés dans le Sutherlandshire, en Écosse du Nord, endroit connu pour sa longue tradition guer-rière. Les gens se battaient souvent entre eux s’ils ne pouvaient pas trouver un ennemi approprié. Ils avaient déménagé à Winnipeg à un très jeune âge et s’étaient intégrés facilement puisque l’influence écossaise était bien présente dans la culture locale. Ils étaient tous deux d’excellents athlètes : ils jouaient au baseball dans la ligue de baseball de Winnipeg et au soccer pour l’équipe du Fort Rouge. En hiver, ils jouaient au hockey. Les deux garçons ont travaillé pour l’entreprise de construction de leur père, et c’est là que Donald a appris le métier de maçon.
Leur père, Peter Mainland, était originaire de l’une des iles Shetland. Il avait hérité de la plus grande ferme de l’ile. Deux lignes dans les archives locales résument bien sa carrière d’agriculteur : « À cette époque, le Grand Hotel a été construit à Lerwick et la première table de billard des Shetland y a été installée. Peter passait son temps à jouer au billard et à boire du whisky et après un certain temps, il a fait faillite. »
Après cette faillite publique, Peter a immigré à Winnipeg où il a entrepris de construire des maisons. En 1907, comme les affaires allaient lentement, il a opté pour des manœuvres malhonnêtes et a été arrêté pour avoir « obtenu des marchandises sous de faux semblants ». Il a été incarcéré pendant trois mois. Si on les interrogeait sur leur père, les garçons devaient dire qu’il était « parti aux études ». Au début de la guerre, les affaires ont ralenti de nouveau. Poussés par leur lien avec la Grande-Bretagne et par le manque de travail à Winnipeg, les jumeaux se sont portés volontaires pour aller servir outre-mer. Peut-être s’agissait-il aussi d’une rédemption pour eux, une manière de sortir de l’ombre déplo-rable de leur père, ou peut-être voulaient-ils simplement s’éloigner de lui.
![Des soldats canadiens se fraient un chemin à travers les rues pleines de débris de Cambrai, en France, en octobre 1918. [PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA003286]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_2.jpg)
La guerre n’était pas l’entreprise romantique qu’ils avaient imaginée. Cependant, à l’automne 1918, ils étaient optimistes; la fin pouvait arriver d’un jour à l’autre.
Le Kaiser Guillaume II avait déjà été informé par le commandement suprême de l’armée allemande qu’il n’y avait aucun espoir de victoire. Bien sûr, aucun des deux garçons ne pouvait savoir cela. Le 4 octobre, le gouvernement allemand a adressé une note au président américain, Woodrow Wilson, suggérant la possibilité d’un armistice. Le général Erich Ludendorff, réputé pour être belliqueux, avait lui-même déclaré que la guerre était perdue (bien qu’il ait pris une position complètement différente par la suite). La paix était en train de s’établir lentement. Elle est cependant arrivée trop tard pour des milliers de soldats des deux côtés du front, dont l’un des jumeaux Mainland.
Mon grand-père a passé les premiers mois de son service militaire à creuser des tranchées près de la rue Main à Winnipeg. Il a finalement été envoyé en Angleterre en février 1918 et s’est ensuite retrouvé en France au mois de mars. L’unité de Donald a pris position le 23 mars entre Le Four Croix et la route Faillouel-Villequier-Aumont. C’était pour lui un avant-gout de la guerre des tranchées : les rats, les poux, les maladies et le bruit percutant des obus, choc que ressentait chaque recrue.
Le 10 aout, à la bataille d’Amiens, le Garry s’avançait le long de la route de Roye en direction de la colline 100. Les cavaliers ne pouvaient pas se déployer dans les champs puisqu’ils étaient bloqués par des tranchées et des barbelés. Ils ont donc galopé bien alignés le long de la route poussiéreuse : des cibles parfaites. Les soldats de l’Escadron C ont tous été abattus par les mitrailleuses comme ils chevauchaient le long de la route. En quelques minutes, hommes et chevaux jonchaient le sol. Le dernier ca-valier est mort à une centaine de mètres de l’objectif.
![Un escadron du Fort Garry à côté d’un village, en février 1918. [PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE; BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA002493]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_10.jpg)
La prochaine bataille du Garry n’a pas eu lieu avant le 9 octobre, quand il a donné l’assaut au bois de Gattigny, au sud de Cambrai. C’est ce jour-là que le Corps canadien a capturé la ville bien connue.
Le Garry, qui faisait partie de la Brigade de cavalerie canadienne et de la Quatrième armée, commandée par le général Henry Rawlinson, a soutenu l’avancée jusqu’à la Selle. À ce moment-là, la pression des Alliés avait contraint l’ennemi à se retirer jusqu’à la ligne Hermann qui reliait Valenciennes au village du Cateau, au sud, en face des Troisième et Quatrième armées. Tout en se repliant, les Allemands avaient laissé une série d’arrière-gardes qui ont opposé une résistance vigoureuse.
Le 9 octobre, il avait été prévu de suivre la vieille voie romaine qui reliait le village de Maretz à Bavay. La 6e Brigade de cavalerie devait attaquer à droite de la route et la Brigade de cavalerie canadienne devait s’avancer du côté gauche. Le bataillon de mon grand-père, accompagné de quatre mitrailleuses et d’une batterie de la Royal Canadian Horse Artillery, menait l’attaque.
Le bois de Gattigny, situé droit devant le bataillon des Canadiens, était toujours entre les mains de l’ennemi. Les mitrailleuses allemandes, au flanc droit, avaient été assignées à l’Escadron du Fort Garry qui a repoussé l’ennemi en avançant d’un pas ferme. Le côté gauche du bois a été pris d’assaut par un autre escadron qui a tué les Allemands à coups d’épée. En même temps, une charge du Lord Strathcona Horse en terrain découvert a protégé le flanc gauche du Garry et anéanti l’ennemi près de la commune de Clary.
Quelque 200 soldats, un obusier de 15 cm et environ 40 mitrailleuses ont été capturés. Selon le commandant de la cavalerie britannique, c’était « le meilleur combat de toute la guerre mené par une unité de cavalerie, à n’importe quel front ». Il faut dire qu’à ce moment-là, vers la fin de la guerre, la réussite d’une attaque de cavalerie était relative; cette dernière manifestation sanglante de guerre du XIXe siècle a provoqué la perte de presqu’un million de chevaux et de centaines de milliers de cavaliers.
![Des troupes sont déployées à moins de 1 000 verges de l’ennemi pendant la bataille d’Amiens, en France, en aout 1918. [PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE; BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA040183]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_3.jpg)
Les hommes du Garry se sont avancés le long de la route et ont capturé le village de Maurois avant même que l’ordre ne leur ait été donné.
Les Allemands n’avaient toutefois pas encore dit leur dernier mot. Ils étaient certes affaiblis par la désertion et le doute, mais il existait des poches de résistance farouche.
Le 15 octobre a été le jour de l’avancée des Alliés servant à repousser la 4e Armée allemande de l’autre côté de la rivière Lys. Mon grand-père cherchait un abri. Il avait été atteint de deux coups de feu, à la cuisse droite et au côté gauche de la poitrine près du cœur. Il gisait par terre, saignant et incapable de bouger. Le feu des mitrailleuses continuait de passer au-dessus de lui. L’air tonifiant de l’automne dans le nord de la France, saison parfaite, se maintenait. La guerre tirait à sa fin; tout le monde le disait. On rentrerait avant la fin de l’hiver.
À cinquante kilomètres de là, son frère jumeau, Tommy, membre des Victoria Rifles, se dirigeait vers Aniche. Au cours de son premier mois dans l’armée, il avait été pénalisé d’une semaine de salaire pour s’être absenté sans permission. Deux mois plus tard, il avait perdu deux jours de salaire pour la même infraction. Jeune homme maigre et nerveux avec un côté un peu sauvage, il avait hâte d’aller au combat. Beaucoup d’hommes s’impatientaient avant l’assaut.
Tommy était arrivé en France en septembre 1916. Dix mois plus tard, dans une tranchée qui ne ressemblait en rien aux tranchées bien sèches qu’il avait creusées à Winnipeg, il a entendu le clairon avertisseur d’une attaque au gaz. Les attaques au gaz toxique des Allemands s’étaient perfectionnées : ces derniers attendaient que le vent leur soit favorable. Le gaz lourd restait près du sol et remplissait les tranchées. Les clairons et les alertes au gaz ne donnaient que quelques minutes d’avertissement, parfois moins. Tommy a eu le temps de mettre son masque, mais il a quand même fallu l’emmener à l’ambulance pour se remettre du chlore toxique. Il a même remarqué que les boutons en cuivre de son uniforme avaient verdi.
![Le soldat Donald Mainland (en b. à d.) est accompagné d’autres membres du Fort Garry Horse. [PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DON GILLMOR]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_4.jpg)
Tommy a été victime d’une nouvelle attaque au gaz en 1918, mais il s’en est remis encore une fois. Pendant que son frère était couché par terre, non loin de la commune d’Inchy, Tommy s’est déplacé vers le nord-est pour suivre les Allemands qui battaient en retraite. Il n’avait pas de nouvelle de Donald, malgré leur proximité. Le 8 novembre, le 24e Bon se trouvait au village de Dour, à environ
12 kilomètres à l’ouest de Mons, en Belgique.
Le temps automnal était parfait et les hommes attendaient les ordres. La paix, avaient-ils entendu, arriverait d’un jour à l’autre. Il y avait une ambiance de célébration paisible. Les soldats avaient organisé un match de soccer entre le 24e et le 25e Bataillon. Ces moments-là, passés à jouer sous le soleil automnal étaient peut-être les plus heureux des trois années que Tommy a passées en France : le plaisir d’un sport auquel il excellait et la joie de savoir qu’il serait bientôt de retour chez lui. Lors de ce match joué sur un terrain boueux, entouré des récentes destructions de la guerre, la France lui donnait enfin un sentiment de promesse plutôt qu’un sentiment de mort et de ruine comme c’était le cas auparavant.
Les combats ont cependant vite repris, en se déplaçant vers l’est à la poursuite de l’ennemi qui se repliait sans savoir quoi faire. Des fantassins allemands se rendaient et la mutinerie éclatait dans leurs rangs. La canonnade des Allemands en retraite arrivait encore de temps à autre car ils ignoraient que leurs dirigeants, tant militaires que politiques, avaient déjà concédé la défaite.
Le 10 novembre, Tommy a assisté à un service religieux à Petit Wasmes, l’une des rares églises protestantes du pays. Il avait été élevé comme presbytérien mais depuis, s’était détourné un peu de la religion. Il s’est assis dans l’église en pierre et a prié avec les autres. Ils priaient tous pour la même chose : qu’ils se réveilleraient en paix le lendemain matin.
Cela a bien été le cas, même si les choses n’étaient pas aussi simples. Alors que Tommy priait au Petit Wasmes, le commandant suprême des Alliés, le maréchal Ferdinand Foch et son chef d’état-major, le général Maxime Weygand, étaient assis dans la petite église en pierre de Rethondes, au sud, à réfléchir sur la paix pendant que les négociateurs allemands étudiaient les conditions.
L’équipe de négociation allemande était arrivée à la forêt de Compiègne le matin du 8 novembre. Elle se composait entre autres du politicien Matthias Erzberger et du major-général Detlof von Winterfeldt. Il y avait peu de marge de manœuvre pour négocier. La révolte des marins qui avait commencée le 29 octobre à Kiel s’était répandue dans toute la ville, puis dans tout le pays. Le Kaiser Guillaume II était sur le point d’abdiquer la couronne (ce qu’il a fait le lendemain, 9 novembre) et le chef d’état-major général allemand, Paul von Hindenburg, avait signifié que l’armistice devait être signé, malgré le fait qu’ils ne pouvaient pas négocier de meilleures conditions.
![Une voiture blindée équipée de mitrailleuses appuie des soldats près du front. [Photo ; MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE; BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA003016]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_5.jpg)
Au départ, les termes de l’entente n’étaient pas clairs. Quand les Allemands ont pris place autour de la grande table de l’élégant wagon privé de Foch, ce dernier a demandé à Erzberger pourquoi il était venu. Surpris, Erzberger a répondu qu’il était là pour écouter les propositions des Alliés pour la paix. Foch a déclaré qu’il n’avait rien à proposer. Après une certaine confusion, Foch a déclaré que les Allemands devaient tout d’abord demander un armistice, et qu’ensuite Foch imposerait les conditions. Erzberger a bien demandé un armistice, et Weygand a exposé les conditions. Erzberger a demandé s’ils pouvaient déclarer un cessez-le-feu pendant qu’ils négociaient. Celui-ci devait rendre compte au gouvernement allemand et que cela prendrait du temps, des milliers de vies seraient donc certainement perdues inutilement pendant ces 72 heures. Foch a refusé et a dit que la réponse allemande devait être donnée au plus tard le 11 septembre à 11 h.
À 2 h 05, le 11 novembre, Erzberger a dit qu’ils étaient prêts à signer. Il avait fallu près de trois heures pour examiner les conditions. Quelques modifications mineures ont été apportées (le nombre de mitrailleuses et d’avions que les Allemands devaient livrer a été légèrement réduit) et à 5 h 10, il a signé.
Dix minutes après cette signature, l’annonce de la paix nouvelle a été diffusée par la station de radio de la tour Eiffel. À Paris, le temps était froid et pluvieux au réveil mais la ville s’est rapidement remplie de joie. Bon nombre de citoyens insistaient cependant sur l’échéance initiale de 11 h avant que l’armistice soit officiel. C’est qu’il y avait cette symétrie : la 11e heure du 11e jour du 11e mois. À ce moment-là, dans la pénombre d’une forêt française, la guerre était effectivement terminée.
Or, il y avait toujours ce vide, ces six heures. Elles ont été très meurtrières, même selon les normes horribles de cette première guerre moderne. Le 11 novembre, le corps expéditionnaire américain au Front de l’Ouest a subi plus de 3 500 pertes en vie humaines. Les Canadiens, les Britanniques et les Français en ont eu des milliers d’autres. Au total, il y a eu presque 11 000 victimes des deux côtés, ce qui est davantage qu’au jour J de 1944. La plus grande différence, c’est que les vies perdues pendant le jour J ont été sacrifiées pour servir l’effort de guerre, tandis que celles qui ont été perdues pendant le jour de l’Armistice ont sans doute été les plus futiles de cette guerre. Elle a servi, d’une certaine façon, à définir la futilité autant que la bravoure.
Après la guerre, un sous-comité du Congrès a été formé pour savoir pourquoi il y avait eu tant de victimes américaines le jour de l’Armistice, étant donné que les chefs militaires savaient que la paix était toute proche. Pourquoi avoir risqué la vie des hommes pour prendre du terrain alors qu’ils auraient simplement pu s’y promener quelques heures après? Des accusations d’arrivisme ont été portées contre des officiers ambitieux qui auraient sacrifié leurs hommes pour gonfler leur dossier. En fin de compte, le général John Pershing, chef des forces américai-nes, a livré un sombre témoignage, qui allait faire écho quelques décennies plus tard : il obéissait aux ordres, en l’occurrence ceux de Foch, qui avait ordonné aux Alliés de poursuivre les Allemands durant leur repli en leur mettant « l’épée dans le dos » jusqu’à la dernière minute.
Le matin du 11 novembre était pluvieux et froid dans le nord de la France et le soleil était voilé. Les terres dévastées se mêlaient au gris du ciel. Tommy Mainland était dans sa tranchée. C’était en milieu de matinée. La paix régnait. Tommy a alors grimpé au bord de la tranchée pour observer le paysage gris. Peut-être voulait-il un dernier aperçu du champ de bataille. Trois années de sa vie avaient été passées au combat. Il avait survécu à deux attaques au gaz et l’avait échappé belle à d’innombrables reprises; il avait vu des amis mourir à côté de lui. Il pensait peut-être à son pays, à la belle neige qui recouvrait déjà Winnipeg. Or, un tireur d’élite allemand était à l’affut, scrutant l’horizon pour voir son dernier objectif : la balle a atteint Tommy à la poitrine et l’a renversé en arrière.
Tommy a été emmené à une ambulance où il a été admis sous la mention « dangereusement malade. » Quand il est arrivé là-bas, la nouvelle de la fin de la guerre s’était répandue presque partout au front.
![Des soldats canadiens en périphérie de Valenciennes, en France, en novembre 1918. [PHOTO : WILLIAM RiDER-RIDER, MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE; BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA003377]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_6.jpg)
Cependant, la guerre n’était pas tout à fait finie, bien sûr. Le colonel Thomas Gowenlock, officier du renseignement de la 1re Division des États-Unis, a écrit dans son journal : « Il était enfin 11 h mais les coups de feu continuaient. Les hommes des deux côtés avaient décidé de donner tout ce qu’ils avaient : leur adieu aux armes. C’était une impulsion très naturelle après des années de guerre. Malheureusement, beaucoup d’hommes sont tombés après 11 h ce jour-là. »
Tommy a passé quatre jours au lit, méditant sur l’ironie de ses années en tant que soldat, sur son insouciance, sa belle vie, pour finir comme ça : gravement blessé après que la paix avait été déclarée, mais pas officiellement reconnue. Il est mort le 15 novembre.
Mon grand-père Donald Mainland a survécu à ses deux blessures. On l’a d’abord transporté à un hôpital stationnaire de Rouen, puis ensuite à Birmingham, en Angleterre. Il a été libéré en janvier 1919 et est revenu seul à la maison. Il avait perdu son frère jumeau, la personne de qui il était le plus proche.
D’après Donald, la guerre est une question de chance et de sort; une balle qui rate sa cible de quelques centimètres, un coup de vent qui repousse le gaz toxique, une mitrailleuse qui s’enraie, le moment de la déclaration de la paix choisi arbitrairement.
De retour chez lui, Donald a travaillé comme maçon, tout d’abord à Détroit, puis à Winnipeg, où il a construit la maison où il a vécu avec ma grand-mère. Il ne parlait jamais de la guerre. Mon père m’a dit que lorsqu’il demandait à son père de lui parler de son expérience en France, il évitait le sujet en blaguant et en parlant d’autre chose. Ses blessures lui ont toujours empoisonné la vie. Il a fini par ne plus être capable de travailler.
Deux mois après ma naissance, il regardait les Eskimos d’Edmonton jouer contre les Alouettes de Montréal pour la Coupe Grey. Mon grand-père habitait dans l’Ouest canadien. Quand l’équipe de l’Ouest a gagné, résultat de l’héroïsme de dernière minute de Jackie Parker, il a eu une crise d’angine. Il a survécu mais est mort d’une crise cardiaque cinq mois plus tard.
![Le couple parodie le bonheur conjugal dans sa cuisine, à Winnipeg. [PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DON GILLMOR]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_9.jpg)
![Donald et son épouse, Georgina, à côté de leur voiture à Détroit. [PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DON GILLMOR]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_8.jpg)
Son expérience de la guerre est morte avec lui. J’ai plusieurs photos de lui. Sur l’une d’elles, ma grand-mère et lui sont à côté d’une Ford modèle T à Détroit. Il porte un costume trois-pièces et un chapeau. C’était au début des années 1920 et ils semblaient optimistes comme on l’était souvent à l’époque. Sur une autre photo, il est dans la cuisine où il fait semblant de frapper ma grand-mère avec un rouleau à pâtisserie, caricature d’une querelle conjugale.
![Le soldat Donald Mainland avant de partir en France. [PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DON GILLMOR]](https://legionmagazine.com/fr/wp-content/uploads/2015/01/brothers_7.jpg)
La photo la plus marquante a été prise au studio de photographie de Valentine à Londres, en Angleterre, en 1917. Il pose debout devant une peinture murale caractérisée par un ciel gris pommelé. Il est à côté d’une petite ruine en pierre dont deux piliers sont encore dressés. Il porte une capote et a les mains derrière le dos. La photo est collée sur une carte postale; comme une chose à envoyer à la maison. Ce genre de photos servait à évoquer le romantisme du champ de bataille, à donner un sentiment de noblesse et à suggérer que le sujet avait survécu héroïquement. Un décor qui avait été créé pour ceux qui étaient en chemin vers le combat, plutôt que pour ceux qui revenaient de l’horrible massacre, souvent insensé.
Comments are closed.