L’histoire du Canada est vivante. Dans tous les coins du pays, dans les salons, dans les greniers et dans les chambres d’amis, il y a des artéfacts relatifs à la longue histoire, parfois difficile, de ce pays.
Cette histoire vit dans les comptes rendus de famille et dans les souvenirs et les petites ou grandes reliques qui sont conservées, parfois montrées fièrement, parfois cachées, dans presque tous les ménages canadiens. Andrew Burtch, directeur par intérim de la recherche, des expositions et de l’interprétation au Musée canadien de la guerre, appelle cela « le Musée du grenier ».
Notre concours Faiseurs d’histoire, qui s’est déroulé de la fin de 2013 au début de 2014, était une tentative visant à mettre certains de ces trésors au grand jour. Nos juges n’ont pas trouvé facile de choisir trois lauréats parmi les plus de 60 inscriptions provenant de tous les coins du pays. Grâce à ces gagnants, vous verrez presque toute la gamme du passé militaire du Canada à partir de la guerre de 1812 jusqu’à la lutte contre les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre des Boers et la Première Guerre mondiale.
Cependant, ils ne représentent que la pointe de l’iceberg historique. Dans notre concours ont été présentées toutes sortes de choses allant d’un clairon bosselé qui pourrait bien avoir été présent à la Charge de la Brigade légère pendant la guerre de Crimée (a-t-il été utilisé pour sonner la charge?), jusqu’à un album de rares photos originales documentant les exploits du Rocky Mountain Rangers à Sitka au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Pour choisir trois inscriptions en tenant compte de la « signification historique », nous nous sommes adressés aux meilleurs dans le domaine : les experts du Musée canadien de la guerre.
Les spécialistes du Musée de la guerre sont habitués à raconter des histoires par l’intermédiaire d’objets historiques, alors on ne sera pas surpris que les gagnants présentés ci-après révèlent tous quelque chose d’intéressant sur l’histoire du Canada. « À part les objets eux-mêmes, ce qui leur donne de l’importance sur le plan de l’histoire, ce sont les comptes rendus », nous explique Eric Fernberg, juge des Faiseurs d’histoire et gestionnaire de collections du Musée. « Ces trois histoires sont extraordinaires. Et quand on met le compte rendu avec l’artéfact, d’après nous, c’est là que se dégagent les vainqueurs ».
Premier prix, 1 500 $ : les artéfacts de Charles Heathcote Graham
Inscrits par son petit-fils Chris Graham
« C’était l’un des plus jeunes, sinon le plus jeune, des Canadiens en service à la guerre des Boers en tant que clairon dans le Lord Strathcona Horse. »
Charles Heathcote Graham est un ancien combattant canadien dont l’histoire est tout à fait inhabituelle. Graham est allé outre-mer tout d’abord comme clairon du Lord Strathcona Horse à l’âge de 14 ans, pour servir en Afrique du Sud, à la guerre des Boers. Il est ensuite reparti à l’étranger lors du couronnement du roi Édouard VII en 1902 et, à nouveau, lors de la Première Guerre mondiale se battre en tant que lieutenant de la batterie 24 de l’Artillerie canadienne de campagne.
La série d’artéfacts que Heathcote a recueillie au cours de son service est tout aussi étonnante que ses états de service. Ils vont d’un fusil Mauser enlevé à l’ennemi pendant la guerre des Boers jusqu’à des images du couronnement, en passant par une multitude de souvenirs importants de la Première Guerre mondiale; les artéfacts, tels que photographiés, sont impressionnants. « Le jeune homme est parti en tant que musicien en Afrique du Sud, d’où il a ramené un fusil des Boers en souvenir, mais il a ensuite continué de servir, il est allé au couronnement, et il a poursuivi son service à la Première Guerre mondiale parce qu’il était encore assez jeune. Il s’agit d’une belle inscription, » a déclaré Fernberg.
L’histoire n’est rien sans les artéfacts, et les artéfacts ne sont rien sans l’histoire. Il s’agissait d’une inscription complète; c’est pour cela que les juges lui ont accordé la première place. « Elle en raconte tellement sur l’histoire, a ajouté Fernberg, la durée du service, l’attachement indéfectible au Canada du citoyen soldat. »
C’est Chris Graham, enseignant retraité d’Owen Sound, en Ontario, qui a ins-crit les artéfacts. Il n’avait que huit ans quand son grand-père est mort, mais il se souvient d’être assis sur ses genoux pour l’écouter chanter des chansonnettes de guerre. Come to the cookhouse door, boys, come to the cookhouse door (Venez à la porte de la cuisine, les gars, venez à la porte de la cuisine, NDT).
« Je me souviens qu’il racontait des histoires sur la guerre des Boers à mon père », dit Graham. « Quand les boulets de canon volaient, il n’y avait rien d’étrange à voir quelqu’un perdre une jambe ou une tête alors que les boulets s’abattaient autour d’eux ».
Les artéfacts avaient tous été exposés dans la maison du grand-père de Graham avant d’être transférés à la maison de son père. Son père a également servi en Afrique du Sud, mais au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il y a dix ans que les objets sont exposés dans la maison de Graham.
« Il a tout encadré, et son nom était partout, a déclaré Graham. Au cours de la Première Guerre mondiale, on craignait beaucoup d’exploser au point où l’on ne retrouverait que des parties de corps. Alors, il inscrivait son nom partout. Charles Heathcote Graham. »
« Il avait probablement le TSPT, a ajouté Graham à propos de son grand-père. Une des façons dont les anciens combattants réagissaient alors au stress, c’est en buvant. Il buvait beaucoup, et il disparaissait de Goderich (Ontario) pendant des jours d’affilée. Et il était joueur. À un moment donné, il a perdu un chalet qu’il possédait au bord du Canal Rideau. »
Heathcote Graham était architecte et dessinateur quand il était au pays, et bien qu’il ait été collectionneur et organisateur d’artéfacts dévoué (Graham dit que la collection comprend des boucles de ceinture allemandes de la Première Guerre mondiale encore maculées de sang), il ne parlait pas beaucoup de la guerre ni de son service. « C’était tout simplement un lointain souvenir qu’il gardait pour lui. »
« C’est évident, nous a expliqué Andrew Burtch du Musée de la guerre. Il y a clairement un argument pour mettre cela en première place : la panoplie, le niveau de la documentation, la connexion non seulement avec l’individu, mais avec sa ville natale, le matériel de son service dans différents théâtres, les photos, les artéfacts. C’est complet. »
Deuxième place, 1 000 $ : drapeau nazi de Stalag 8b
Inscrit par Charles Roberts
« Presque soixante-dix ans après, j’ai encore le drapeau. Pour moi, ce n’est pas un trophée ni un butin de guerre, c’est un souvenir des nombreuses bonnes âmes qui n’ont pas survécu à la marche de 1945. »
« C’est l’histoire de quelqu’un qui a subi l’enfer », dit Burtch après avoir lu la présentation de Charles Roberts, celle d’un Canadien vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a été abattu et fait prisonnier, et qui a ensuite utilisé un drapeau nazi qu’il avait volé pour survivre à une marche de la mort à travers l’Europe, à pied, en hiver.
« C’était le 21e jour du mois de janvier 1945, et l’ordre avait été donné de transférer tous les prisonniers à Berlin pour y former un mur humain contre les Américains et les Russes », m’a dit Roberts, maintenant âgé de 93 ans, au téléphone, de son domicile de London, en Ontario. « C’était quelque chose de très excitant, surtout pour les prisonniers qui étaient là depuis le début. »
Il s’agissait du début de la marche de la mort infâme, lorsque des dizaines de milliers de prisonniers alliés ont été contraints à marcher vers Berlin en hiver, avec peu de nourriture et encore moins d’abris.
Roberts ne s’est pas rendu compte à ce moment-là que ce qu’il faisait lorsque les prisonniers s’apprêtaient à quitter le camp allait lui sauver la vie. « Un garde allemand avait de la difficulté à descendre le drapeau du camp, s’est-il souvenu. Je lui ai demandé en souriant s’il voulait que je l’aide. Il était assez énervé, alors il m’a dit de porter le drapeau au camion. Alors je suis parti avec le drapeau et je l’ai simplement fourré dans ma veste. J’ai pris la route avec les autres sans regarder derrière moi. »
Le drapeau qui a tenu Roberts au chaud cet hiver-là n’était pas un petit morceau de tissu; il mesure 2,5 mètres de longueur et 1,5 m de hauteur, et il est en toile épaisse. « Il faisait assez froid, dit-il. C’était le mois de janvier et nous avions toute une marche à faire, à partir de la Pologne jusqu’à Berlin. C’est vers avril que nous sommes arrivés. Nous avons perdu beaucoup de gens. Il y en a beaucoup qui n’ont pas survécu. Nous n’avions que de vieux vêtements, tout ce que nous pouvions ramasser. Ils avaient très froid, 25 ou 30 kilomètres par jour de marche, tout mouillés et ensuite jetés dans une grange quelque part. Juste une question d’un pied contre l’autre. C’était une marche trépidante. Il y en a beaucoup qui étaient à bout de forces. Les Allemands voulaient qu’on avance et il n’y avait pas moyen de refuser. »
Il est difficile de savoir exactement combien, mais le nombre des marcheurs qui sont tombés en chemin est très élevé, sidérant.
« Ce n’était pas trop excitant à ce moment-là. On passait une grande partie du temps à contrarier les gardes allemands; il fallait se tenir occupé, voyez-vous. C’était assez amusant de penser que le gars m’avait remis le drapeau et que je ne m’étais pas fait prendre. »
Pour les juges, le drapeau était significatif, mais c’est l’histoire de la survie de Roberts qui a assuré sa victoire.
« Il arrive souvent qu’on nous offre des drapeaux que nous ne pouvons pas accepter parce que les histoires sont tellement imprécises, la provenance, ambigüe. Mais ça, avec un témoin oculaire et un compte rendu personnel, de l’avoir utilisé comme vêtement pour se protéger des intempéries, le symbolisme est assez bon, a déclaré Fernberg. C’est un dur, ce gars-là. »
« Ça marche sur plusieurs niveaux. Il y a la connexion personnelle, de l’avoir pris pour survivre, mais c’est aussi un petit acte de rébellion, une petite victoire d’un temps où les victoires ne sont pas très faciles à trouver. Et il est toujours vivant? » dit Burtch en secouant légèrement la tête. « J’aimerais que la Légion lui offre un repas. »
Quant à la deuxième place au concours de la Revue Légion et ce repas gratuit : « Excitant », a déclaré Roberts. « C’est la chose la plus excitante qui me soit arrivée, à part mon mariage. »
Troisième place, 500 $ : la médaille d’un Scout canadien de la guerre de 1812
Inscrite par Timothy Popp
« Alexander Clark était scout et interprète pour les Premières Nations et les troupes britanniques. Il était alors très jeune, à peine 13 ans, et il était membre de la tribu des Wyandot. »
Alexander Clark, scout et interprète à la guerre de 1812, était un agent de liaison entre les troupes et les guer-riers des Premières Nations, qui a reçu la British Military General Service Medal.
Clark avait été élevé en tant que personne d’une Première Nation, dans la tribu des Wyandot, même si son père était blanc. Il a commencé à servir d’interprète entre les troupes britanniques et les combattants des Premières Nations lorsqu’il était âgé de 13 ans seulement.
« Il y a une diable de différence entre un homme identifié comme étant un scout sur sa médaille et quelqu’un qui était dans le 49e Régiment d’infanterie. C’est donné dans la milice canadienne, et c’est donné à un scout. C’est vraiment rare. Cela la rend encore plus spéciale », dit Fernberg.
Clark a été impliqué dans plusieurs des plus grandes et plus importantes batailles de la guerre, notamment la bataille de Lundy’s Lane. Il était également à Fort Detroit avec Isaac Brock et les chefs Tecumseh et Split Log.
« Cela transcende les deux mondes : celui des opérations militaires britanniques et celui des Premières Nations. Cela indique les partenariats. Et bien sûr, nous sommes dans le circuit du 200e anniversaire de la guerre », a ajouté Fernberg.
« Une chose intéressante à propos de cette médaille, c’est que la tête est à l’envers, » a déclaré le soumis-sionnaire Timothy Popp de Battleford, en Saskatchewan. « La médaille a été placée dans un étau pour la graver et elle était à l’envers, par inadvertance. »
Clark est né en 1800 et mort en 1876. La médaille a été décernée en 1865, après que Clark eut écrit une lettre demandant une rémunération pour son rôle pendant la guerre.
Popp a trouvé une copie de la lettre dans les archives canadiennes. « Monsieur, » y est-il écrit. « Je soussigné, Alex Clark, chef indien Wyandot, fait par la présente une demande de gratification ou d’autre aide que le Dominion peut donner aux Indiens survivants de la guerre de 1812. »
Les dossiers indiquent que Clark a reçu 20 $. Après sa mort en 1876, Clark a été enterré dans un cimetière des Premières Nations du comté d’Essex, en Ontario.
« C’est une belle médaille, » dit Fernberg. « Ce jeune homme travaillait probablement aux côtés des rangers de Caldwell. C’est une histoire intéressante. »
Bien qu’il s’agisse certainement d’une médaille rare, l’inconvénient pour les juges a été l’absence de compte rendu ou de provenance familiaux. « Ce jeune homme est fascinant, mais son histoire n’est pas très claire. C’est une très belle histoire et je ne doute pas de ce qu’on nous a raconté, mais il n’y a aucun lien de famille »,a déclaré Fernberg.
Malgré tout, le caractère exceptionnel de la médaille et l’histoire qu’elle raconte sur les débuts de l’histoire du Canada étaient trop importants pour qu’on puisse les négliger.
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