Hong Kong

Les prisonniers canadiens et britanniques attendent d’être libérés par la compagnie de débarquement du NCSM Prince Robert, à Hong Kong, en aout 1945. [PHOTO : OM JACK HAWES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA114811]

Les prisonniers canadiens et britanniques attendent d’être libérés par la compagnie de débarquement du NCSM Prince Robert, à Hong Kong, en aout 1945.
PHOTO : OM JACK HAWES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA114811

L’histoire du rôle du Canada dans une garnison condamnée racontée par ceux qui y étaient

Comment cela avait-il commencé? Le bureau du chef d’état-major général à Ottawa n’était pas très somptueux en aout 1941, mais le major-général Crerar y reçut chaleureusement son collègue de l’Upper Canada College et du Royal Military College. Le major-général Arthur Grasett, commandant à Hong Kong depuis 1938, était en route pour la Grande-Bretagne où il servait dans les Royal Engineers depuis 1909. Les deux vieux amis évoquèrent des souvenirs et bavardèrent, et Grasett parla des défenses de Hong Kong, des façons de les renforcer et du moral de la colonie de la Couronne, remonté en y envoyant quelques bataillons. Tout le monde savait, dit Grasett, que les Japonais qui ravageaient la Chine ne pouvaient tout simplement pas se mesurer à des soldats blancs. « Ils se sont bien battus avec les Chinois de troisième ordre, dit-il, mais ils n’ont pas encore fait face à des soldats de première classe comme ceux de mes bataillons, qui leur donneront une bonne raclée. »

Crerar a toujours nié qu’une telle suggestion eut été faite par Grasett, mais il n’y a aucun doute qu’il en arriva à croire que quelques milliers de soldats renforceraient suffisamment la garnison de Hong Kong pour qu’elle puisse repousser n’importe quelle attaque.

Nonobstant ce que la vieille clique en pensait, Crerar aurait dû savoir qu’il était impossible de défendre Hong Kong. Lors de ses études au Imperial Defence College, en 1934-1935, il avait étudié la situation militaire problématique de la colonie. Toutefois, quand une demande de soldats parvint de Londres, le 19 septembre, le chef d’état-major général (CÉMG), amadoué par Grasett, décida qu’il était en faveur du déploiement. Le gouvernement le fut aussi parce que persuadé par le CÉMG. Tout d’abord, il était possible, semblait-il, que le Japon ne se fut pas encore tout à fait engagé à faire la guerre. Renforcer Hong Kong, et renforcer en même temps les garnisons de Malaisie, montrerait à Tokyo que la Grande-Bretagne était sérieusement déterminée à défendre ses possessions d’Extrême-Orient. Cette raison psychologique était importante. Tout comme l’étaient les raisons politiques intérieures. Étant donné que les soldats n’étaient pas encore à l’étranger et que les conservateurs, à l’opposition, se préparaient à demander la conscription et à accuser implicitement le gouvernement Mackenzie King de ne pas vouloir combattre, refuser une demande directe d’envoyer des hommes était pratiquement impossible du point de vue politique. Dans ces circonstances, et sans opposition significative, le Cabinet de guerre approuva le déploiement et ordonna à Crerar de trouver deux bataillons d’infanterie pour Hong Kong. Les origines de la décision d’envoyer des soldats étaient donc militaires et politiques.

Fait révélateur, l’Armée canadienne n’avait pas de renseignement indépendant sur les intentions des Japonais en 1941 ni de force en Extrême-Orient. Crerar, comptant sur ce qu’il avait entendu de Grande-Bretagne, comme quoi il ne semblait pas y avoir de risque imminent de guerre, choisit ses deux bataillons parmi une liste d’unités qui n’étaient pas jugées prêtes au combat. Il choisit les Royal Rifles of Canada, un bataillon de Québec formé en grande partie de francophones, et les Winnipeg Grenadiers. Les deux unités étaient en garnison, l’une à Terre-Neuve et l’autre en Jamaïque, et l’état-major de l’Armée croyait que leur mission à Hong Kong ne serait pas bien différente. Aucun des deux régiments n’avait acquis la formation normale de 1941, ni n’avait d’effectifs complets, mais on pouvait pallier les insuffisances, remplir les rangs en leur envoyant des hommes du Canada, et leur formation pouvait se terminer à bord des navires ou sur le terrain à Hong Kong. C’est du moins ce que croyaient Crerar et son état-major. Le Cabinet de guerre demanda peu après à Ottawa de fournir un QG de brigade le plus rapidement possible, ce qu’Ottawa accepta de faire sans hésiter, déléguant la tâche au brigadier J.K. Lawson, officier de la force permanente compétent. La force « C », comme on la baptisa, était prête à partir.

Les erreurs commencèrent rapidement à se multiplier. Les renforts envoyés aux régiments comprenaient, comme l’écrivit âprement le major Kenneth Baird des Grenadiers dans un journal qu’il cachait au camp de prisonniers, « certaines des ordures les plus trouillardes qu’on [put] obliger une unité à endurer ». Les centres de formation « nous ont envoyé leurs balayures, [ils] ne valent pas la poudre avec laquelle on les enverrait en enfer ».

Les soldats canadiens à l’inspection à Hong Kong, peu après leur arrivée, en novembre 1941. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C049745]

Les soldats canadiens à l’inspection à Hong Kong, peu après leur arrivée, en novembre 1941.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C049745

Une grande partie des 436 soldats absorbés par les Grenadiers n’avaient pas beaucoup de formation sur les armes légères ou sur les tactiques, et aucun des deux régiments n’avait participé à des exercices à l’échelle du bataillon, leurs fonctions précédentes en garnison n’ayant été que monter la garde. Il ne faisait aucun doute que les deux unités n’avaient jamais eu l’occasion de faire des exercices ensemble. En outre, selon les écrits du lieutenant Leonard Corrigan, les 15 officiers subalternes affectés aux Winnipeg Grenadiers se firent mal recevoir par les vieux routiers, dont un bon nombre avaient pris part à la Grande guerre et avaient servi ensemble longtemps dans la milice en temps de paix. Cela ne semblait pas prometteur. Et pire encore, le quartier général de l’Armée, inefficace, n’envoya pas à temps les véhicules de la force « C » à la côte du Pacifique pour qu’on en charge le plus possible à bord de l’Awatea, le bâtiment de transport des soldats. Les véhicules partirent une semaine après, à bord du Don Jose, un navire américain qui arriva à Manille après le début de la guerre du Pacifique; les forces américaines, on ne s’en étonnera pas, se les approprièrent et aucun ne fut remis aux bataillons canadiens. Cela ne serait pas sans importance.

La force canadienne de 96 officiers, dont deux infirmières, et de 1 877 hommes débarqua le 16 novembre à Hong Kong, où elle rejoignit une garnison formée de quelque 14 000 soldats britanniques et indiens et de volontaires de Hong Kong. Après s’être installés, les nouveaux se rendirent aux lieux de plaisir. Comme l’écrivit par la suite un Winnipeg Grenadier, Don MacPherson, ses copains et lui visitèrent une piste de quilles à l’extérieur de laquelle « il y avait une bonne dizaine de belles prostituées chinoises ». Elles approchaient les soldats et leur disaient « Un dollar, on s’amuse? ». Il ajouta, avec un peu de vague à l’âme : « Et dire qu’on allait quand même jouer aux quilles! ».

Les soldats canadiens, quand ils étaient en devoir, allaient en reconnaissance et écoutaient les instructions. Il n’y avait que 5 000 soldats japonais dans les environs, qui étaient mal équipés, n’avaient pas suffisamment d’artillerie, et n’étaient pas habitués au combat de nuit, et leurs avions dépassés, peu nombreux, étaient pilotés par des myopes; c’est du moins ce que disait à ses officiers le major-général C.M. Maltby, le commandant de Hong Kong. Ce genre de point de vue ethnocentrique, pour ne pas dire raciste, était courant dans les milieux militaires occidentaux, la plupart des observateurs n’étant guère intimidés par les aptitudes au combat montrées par les soldats japonais qui se mesuraient aux nationalistes chinois de Thang Kaï-chek; et les soldats japonais avaient été encore moins impressionnants quand ils s’étaient facilement fait malmener par les soldats soviétiques, en 1938 et 1939, lors de grandes « escarmouches » frontalières. Cette attitude affecta la plupart des Canadiens qui venaient d’arriver. « Je réalisais que si les Japonais nous attaquaient, ils nous anéantiraient », se souvint l’un d’entre eux. « On n’a pas d’aviation. Pas de marine, pas d’endroit où aller », dit-il. « Nous n’avons rien à craindre, Wilf », lui répondaient ses camarades. « Ce sont eux qui vont s’enfuir. »

Le camp du North Point. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE-19770323-019]

Le camp du North Point.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE-19770323-019

Hong Kong, dont la population actuelle est très dense (sept millions d’habitants), est un centre manufacturier, mais en 1941, elle était encore inexploitée et ne comptait guère plus de 1,5 million d’habitants. Les gens des Nouveaux Territoires, sur le continent, s’aggloméraient autour de Kowloon, alors que la Gin Drinkers’ Line (ligne des buveurs de gin, n. d. t.) sur les collines du nord n’était pas encore terminée et ne comptait que peu de défenseurs : une situation d’imprudence étant donné que les réservoirs d’eau de la colonie se trouvaient tous sur le continent. La plus grande partie de la population relativement faible de l’ile de Hong Kong se trouvait à Victoria, à la côte nord, en face de Kowloon.

D’après le plan défensif des Britanniques dressé par Maltby, le successeur de Grasett, la ligne des buveurs de gin devait être défendue par trois bataillons qui devaient tenir pendant au moins une semaine. Les autres soldats, un bataillon de mitrailleurs britanniques travaillant dans des casemates et les deux bataillons canadiens, défendraient les côtes de l’ile de Hong Kong en cas d’attaque venant de la mer. La force de Maltby était donc très dispersée et faible partout. La 38e Division japonaise, bien entrainée et bien commandée, ayant attaqué le 8 décembre et ayant battu les défenses du continent, les défenseurs qui restaient se mirent à évacuer leurs positions le soir du 10 décembre, le dernier d’entre eux partant le 13. La débâcle sur le continent écrasa le moral du personnel britannique et les Japonais remportaient tous les combats, mais Maltby refusa quand même de leur abandonner la colonie. Là, les Canadiens et leurs camarades britanniques et indiens allaient trinquer.

D’après le plan de défense nouvellement improvisé par Maltby, l’ile se divisait en deux et il y avait un bataillon de Canadiens dans chacune de ses deux brigades. Les Royal Rifles se trouvèrent dans la brigade de l’Est, commandée par C. Wallis, un lieutenant-colonel de l’armée indienne qui avait le grade local de brigadier; les Winnipeg Grenadiers servaient dans la brigade de l’Ouest commandée par Lawson. Il fut écrit dans le journal de guerre des Rifles, le 11 décembre, que même avant que les Japonais ne lancent leur assaut à travers le port, le 18 décembre, les membres du nouvel état-major de brigade de Wallis « étaient dans un état très nerveux et semblaient très fatigués », probablement un euphémisme de dire que les officiers étaient souls. Pratiquement la même chose avait été écrite dans le journal de Baird : « les puissants du jour […] tellement ineptes. C’était vraiment pitoyable, le chaos qu’il y avait à l’état-major pendant la bataille […]. »

La semaine suivante fut sanglante. Après son débarquement amphibie, l’infanterie japonaise sépara rapidement la défense de l’île en deux pendant que son artillerie pilonnait les défenseurs et que les aéronefs volaient librement au-dessus. Une cinquième colonne sabotait tout ce qu’elle pouvait. L’eau se mettait à manquer. « Ce n’était partout que confusion désor­ganisée, se rappela un Winnipeg Grenadier. Personne n’était prêt à ça. Il n’y avait pas de communication. Il n’y avait pas de transport. On portait tout sur le dos. » Les véhicules laissés au Canada leur manquaient énormément, l’ennemi ayant la supériorité aérienne; ils ne savaient pas combien de temps ils pourraient durer.

Les deux bataillons canadiens avaient perdu d’avance. Les hommes de Lawson essayèrent de tenir le col de Wong-Nei-Chong au centre de l’ile, et son quartier général fut séparé de sa brigade le 19 décembre. Dans son dernier message radio à Maltby, Lawson dit qu’il allait « sortir [se] battre » avec un pistolet dans chaque main. Il tomba peu après et son courage fut reconnu par les Japonais qui l’enterrèrent de manière cérémonieuse « sur le champ de bataille où il était mort si héroïquement », comme le remarqua un colonel japonais.

Les Grenadiers se battirent pendant trois jours dans la région du col de Wong-Nei-Chong où il y eut 800 morts et blessés japonais. Le lieutenant-colonel J.L.R. Sutcliffe, commandant du bataillon, avait organisé sa compagnie d’état-major en trois « colonnes volantes » et ces sous-unités essayèrent de venir en aide aux hommes assiégés sur un terrain surélevé surnommé Jardine’s Lookout (belvédère de Jardine, n. d. t.). Ils échouèrent, et la Compagnie A des Grenadiers, amenée au nord pour renforcer cette poussée et pour prendre le mont Butler, fut détruite par un bataillon japonais. « Tous les officiers, sous-officiers et simples soldats furent tués, blessés ou fait prisonniers », et en essayant de ramener les quelques survivants au col de Wong-Nei-Chong, le sergent-major de compagnie J.R. Osborn renvoya des grenades de l’ennemi, puis se jeta sur l’une d’elles pour sauver cinq ou six hommes. Ceux qui survécurent furent fait pri­sonniers peu après, et la Croix de Victoria fut décernée à Osborn de manière posthume après la défaite des Japonais.

Les marins envahissent les ponts du NCSM Prince Robert après son arrivée à Hong Kong, en aout 1945. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE-2002 0045-2772]

Les marins envahissent les ponts du NCSM Prince Robert après son arrivée à Hong Kong, en aout 1945.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE-2002 0045-2772

D’autres batailles désespérées suivirent au centre de l’ile. Le 20 décembre, la Compagnie B des Grenadiers lança une contrattaque en direction de Wong-Nei-Chong, mais elle tomba sur un bataillon japonais au mont Nicholson. Après qu’elle eut perdu deux officiers et 20 simples soldats, la compagnie se replia, puis s’avança de nouveau aux premières lueurs de l’aube du 21. Elle fut déchiquetée par les Japonais de nouveau : tous ses officiers, son sergent-major, six sous-officiers et 29 simples soldats sur les 98 qui étaient passés à l’attaque furent tués, blessés ou capturés. Les Grenadiers concentrèrent alors les ressources qu’il leur restait au mont Cameron avoisinant et tinrent leurs positions sous un feu d’artillerie féroce pendant plus d’une journée, puis finirent par se faire repousser par un bataillon de Japonais. Le 23 décembre, alors que les combats se poursui­vaient dans le secteur des Grenadiers, un message à Ottawa et à Londres annonça clairement qu’il ne restait plus de défense organisée : « Le reste des combats seront incontrôlés et limités à des centres de résistance […]. Manque d’eau et tous les hommes épuisés après plusieurs journées de combats incessants. Feu de mortiers très intense et bombardement en piqué […]. » Sutcliffe avait annoncé à Ottawa par radio, le 22, que Lawson et le colonel Pat Hennessy, son second, avaient été tués. « Situation critique. Soldats canadiens prisonniers en partie et reste au combat; lourdes pertes […]. Soldats ont été magnifiques, esprit de travail excellent. »

En même temps que les Winnipeg Grenadiers tentaient de sauver leur vie, les Royal Rifles aussi livraient de féroces combats à l’est de l’ile. Ayant découvert qu’une cinquième colonne (où des soldats japonais habillés en « chapeaux pointus » chinois) s’étaient emparés du fort de Sai Wan, une vieille redoute, la Compagnie C du régiment, commandée par la major W.A. Bishop, organisa, pour reprendre la position, une contrattaque de deux pelotons, qui échoua malgré des efforts extraordinaires. En milieu de matinée, le 19 décembre, Wallis avait donné l’ordre de se replier vers le sud et les Royal Rifles avaient pris de nouvelles positions avant de lancer des contrattaques inutiles contre l’ennemi qui avançait. Il y eut des succès, caractérisés par un courage extraordinaire, à certains endroits. Mais les Canadiens et les hommes du Hong Kong Volunteer Defence Corps allaient manquer de munitions, surtout d’obus pour les mortiers, l’artillerie avait été pratiquement éliminée, et les Japonais les surpassaient en nombre partout.

Le 24 décembre, il était sûrement clair, comme ce l’avait été depuis au moins trois jours, que la reddition était inévitable. Le lieutenant-colonel W.J. Home, commandant des Royal Rifles, « demandait avec insistance que le bataillon soit remplacé, sinon il ne répondait de rien », car ses hommes étaient en mauvais état. La plupart des Rifles se replièrent donc au fort Stanley, mais la journée de Noël, l’état-major de Wallis ordonna à la Compagnie D de mener une attaque inutile, suicidaire, contre les positions japonaises du village de Stanley. Les ordres concernant cette « dernière charge glorieuse » furent reçus par les soldats dans le silence. « Aucun d’entre eux n’arrivait à croire qu’on eut donné un ordre si absurde, écrivait le sergent George MacDonnel longtemps après, mais il dit à ses hommes qu’au moins c’était mieux que d’attendre l’inévitable ». Leur attaque à la baïonnette réussit, fait incroyable et ils saisirent la position, mais les pertes de la Compagnie D s’étaient élevées à 26 morts et 75 blessés. Wallis et les Royal Rifles apprirent peu après que Maltby s’était rendu.

Les Canadiens, soldats mal entrainés, avec des armes inadéquates, sans transport et sans avoir eu le temps de s’adapter au climat de Hong Kong, s’étaient très bien battus, ce que l’ennemi reconnut dans ses rapports. Ils avaient infligé d’importantes pertes aux Japonais, principalement au col de Wong-Nei-Chong, et leurs contrattaques sauvages avaient causé du retard à l’ennemi. Les Japonais avaient tué 293 hommes de l’état-major de la brigade, des Grenadiers et des Royal Rifles pendant les combats et par la suite, et ils en avaient blessé 493. C’était un taux de pertes de 40 p. 100, une proportion extraordinairement élevée en une semaine de combats féroces.

L’armée japonaise qui avait eu des pertes s’élevant, de son propre aveu, à 2 096 morts et blessés, s’était battue avec beaucoup de courage et d’habileté, mais après la reddition, sa discipline s’effondra complètement et les soldats se livrèrent à une orgie de viols et de meurtres. Dans un hôpital au St. Stephen College, des soldats donnèrent des coups de baïonnette aux patients alités, violèrent les infirmières et les aides bénévoles, et en tuèrent un certain nombre. Des soldats capturés furent exécutés ou mutilés, la langue coupée. « Ils se sont saisis de nous, écrivait un simple soldat canadien par la suite, nous ont arraché l’insigne, nous ont enlevé les souliers, la ceinture, les photos et les bracelets-montres […]. Ils ont fait sortir DesLaurier et deux ou trois autres gars et s’en sont servi pour s’exercer à la baïonnette toute la nuit. On les entendait. » Mais à un autre hôpital, rapporta un autre, « le commandant japonais faisait tout en son pouvoir pour que les traitements soient les plus attentionnés et les plus courtois ». Tout dépendait, semble-t-il, de la nature du commandant.

Les prisonniers de guerre de Hong Kong allaient apprendre que tout dépendait des Japonais. Ces derniers n’avaient pas ratifié la Convention de Genève de 1929 qui prescrivait le traitement des prisonniers et ils croyaient que les soldats qui se rendaient étaient des couards. Un « prisonnier de guerre n’est pas un invité », écrivait un intellectuel japonais en 1942, et les Canadiens internés au camp du North Point ou à celui de Samshuipo, à Hong Kong, n’ont jamais été traités comme s’ils l’étaient. Les rations étaient invariablement maigres et on peut lire dans le journal secret que tenait Baird des Grenadiers une histoire de famine lente; en fait, c’est un compte-rendu de nourriture mangée ou rêvée. « Nous semblons tous penser, rêver et parler de nourriture », écrivait-il 20 jours après sa capture, et il allait encore y passer plus de trois ans et demi. Le fusilier D.L. Welsh des Royal Rifles aussi tenait un journal et y inscrivait ses rations quotidiennes : « Le 1er mai 1942 : Déjeuner — riz, cassonade, petit pain et thé noir. Diner — deux petits pains et thé noir. Souper — riz, aubergine et eau froide ». Pour des hommes aux travaux forcés, allongeant les pistes d’atterrissage de l’aéroport de Hong Kong au début, transportant le gravier dans des paniers, c’était complètement insuffisant relativement aux facteurs calorique et vitaminique. Welsh mourut le 5 octobre 1942. Ses camarades étaient tous en mauvaise santé, sans presque aucun médicament pour leurs maladies; beaucoup moururent de la diphtérie.

Les prisonniers libérés se rassemblent pour en fumer une. [PHOTO : OM JACK HAWES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA151738]

Les prisonniers libérés se rassemblent pour en fumer une.
PHOTO : OM JACK HAWES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA151738

Empirant la misère des Canadiens, il y avait Kanao Inouye, « caporal honoraire » et interprète pour la Kempeitaï, la police secrète japonaise, qui rôdait dans le camp de prisonniers. Inouye, né à Kamloops, en Colombie-Britannique et sur­nommé le Kamloops Kid, se vengeait sur les prisonniers de la discrimination dont il avait été victime pendant son enfance. Trois moururent à la suite de ses attentions spéciales, d’autres reçurent de grosses raclées et un soldat se rappela qu’il était « sadique, c’est sûr ». Il y eut des châtiments après la défaite du Japon : Inouye comparut en justice et il fut jugé et pendu. Les officiers responsables de la torture et de l’exécution de quatre Winnipeg Grenadiers qui avaient essayé de s’échapper en aout 1942 furent aussi punis après la guerre.

En 1943, 1 184 prisonniers de guerre canadiens furent transportés par bateau au Japon et obligés de travailler dans des conditions répugnantes dans des mines et des chantiers navals. La nourriture, normalement à peu près 800 calories par jour et les médicaments étaient rares, et 136 prisonniers moururent dans les camps. Heureusement, les bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki mirent fin à la guerre et libérèrent les prisonniers après presque quatre ans d’emprisonnement, en aout 1945. MacPherson des Grenadiers se souvint qu’à Oeyama, le commandant du camp dit aux prisonniers « que la guerre était terminée et [qu’ils seraient] de nouveau tous amis. Il fit alors livrer un cochon à la porte et le laissa entrer librement dans l’enceinte. Je ne pense pas qu’il eut le temps de couiner avant d’aller au pot ». Quelques jours après, les B17 de la USAAF larguaient cent barils à huile pleins de nourriture aux prisonniers affamés. « J’ai mangé 32 grosses barres de chocolat Hershey, se rappela MacPherson, et 11 grosses boites de pêches en deux jours! Je ne faisais que manger et vomir, manger et vomir. » Comme beaucoup de prisonniers qui étaient sujets au béribéri, à la pellagre, aux « pieds électriques », et à d’autres maladies causées par la carence vitaminique, MacPherson avait déjà commencé à perdre la vue.

Quelques-uns des Canadiens capturés ont pardonné aux Japonais leurs mauvais traitements et la mort de 264 de leurs camarades dans les cages à prisonnier au Hong Kong et au Japon. La plupart des 1 418 Canadiens qui ont survécu à la guerre et sont revenus au pays ne le feraient jamais, et l’incapacité du Japon d’offrir réparation ou de présenter des excuses sincères n’a rien fait pour tempérer l’amertume de longue durée.

En 1998, j’ai obtenu le poste de directeur et chef de la direction du Musée canadien de la guerre. À ce moment-là, dans les locaux complètement inadéquats qui donnaient sur la promenade Sussex d’Ottawa, le musée avait une petite exposition sur la bataille de Hong Kong de décembre 1941, laquelle suggérait que la colonie de la couronne britannique et ses défenseurs, dont presque 2 000 Canadiens, avaient facilement succombé aux soldats japonais qui étaient mieux entrainés. L’exposition utilisait une grande partie de son espace pour dénoncer le trai­tement des prisonniers de guerre par le Japon, une exposition si insultante envers l’ambassade du Japon que le musée recevait des offres de donations de sociétés japonaises pour en adoucir le ton. Je n’ai rien changé à l’exposition.

Un jour, au milieu de mon mandat de deux ans, David Golden, fonctionnaire distingué à la retraite qui avait été sous-ministre de la production de défense puis de l’industrie et dirigeant de Télésat Canada, vint me voir. En 1941, à l’âge de 21 ans, il avait été officier des Winnipeg Grenadiers, me dit-il, et il avait survécu à la bataille et à quatre ans de détention. Il me demanda, exprimant l’avis de ses camarades, si le musée pouvait présenter la bataille de manière plus précise. Il y avait eu de nombreuses victimes canadiennes et japonaises lors des combats, ce qui indiquait clairement que les défenseurs de Hong Kong avaient résisté vigoureusement. Cela avait été une défaite, oui, mais les Canadiens s’étaient bien battus contre toute attente lors d’une lutte qui méritait d’être mieux reconnue. Golden avait tout à fait raison, au contraire du fonctionnaire de l’ambassade. Le Musée canadien de la guerre présente aujourd’hui la bataille de la force « C » d’une manière bien plus juste. Et j’espère que ce compte-rendu le fait aussi.

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