OÙ TERRE-NEUVE SE SOUVIENT

Les anciens combattants Maurice Hynes, Mario Forest, Eugene Heesaker et Jarrott Holtzhauer présentent leurs respects au Mémorial de Beaumont-Hamel. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les anciens combattants Maurice Hynes, Mario Forest, Eugene Heesaker et Jarrott Holtzhauer présentent leurs respects au Mémorial de Beaumont-Hamel.
PHOTO : SHARON ADAMS

Il n’y a plus de survivant de ce qu’IL s’est passé le 1er juillet 1916 À Beaumont-Hamel, en France, le jour où 801 membres du Newfoundland Regiment ont avancé sous un déluge de balles. Les faits et les chiffres sont consignés dans les livres d’histoire : il ne fallut qu’une demi-heure pour décimer le régiment; seulement 68 de ses membres répondirent à l’appel le lendemain.

outefois, certains ont l’intention de compléter les faits, d’empêcher que ne s’estompent les souvenirs des Terre-Neuviens des villes et des côtes, des frères, des oncles, des pères et des fils; les hommes et garçons qui se sont portés volontaires pour se battre à la Grande Guerre, comme Leonard True Rendell qui avait 25 ans quand il s’est engagé le 2 septembre 1914.

« Si je suis ici aujourd’hui, avec vous, c’est en partie grâce à mon arrière-grand-père Rendell et à bien d’autres encore qui se sont battus à la Première Guerre mondiale », dit Andrew Redmond, âgé de 17 ans, de Middle Cove (T.-N.). Lors du 95e anniversaire de la bataille où ont été établies les bases de la formidable réputation du Newfoundland Regiment, qui a obtenu l’appellation Royal en 1917, Redmond a rendu hommage à son aïeul au Mémorial terre-neuvien de Beaumont-Hamel, en France. « C’est grâce à leurs sacrifices que nous vivons dans un pays libre. »

En compagnie d’autres fiers Terre-Neuviens, dont le colonel Maurice Hynes, ancien commandant du 2e Bataillon du Royal Newfoundlant Regt. à la retraite, le clairon sergent James Prowse du Royal Newfoundland Regt. Band et la sergente de la GRC Sue Efford de Foxtrap (T.-N.), Redmond faisait partie d’une délégation d’Anciens Combattants Canada rendant hommage aux soldats qui ont combattu à la Somme, et qui ne sont plus. Le ministre des Anciens Combattants, Steven Blaney, était à la tête de la délégation composée aussi de la sous-ministre Suzanne Tining et d’autres employés du ministère. La Légion royale canadienne était représentée par sa présidente nationale, Pat Varga. Eugene Heesaker du Conseil national des associations d’anciens combattants, Neil McKinnon de l’Association des anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes du Canada, Jarrott Holtzhauer de l’Organisation canadienne des vétérans de l’OTAN et Allan Glass de l’Association du Canada des anciens combattants de la guerre du Golfe, les députés Brian Jean, Peter Stoffer et Sean Casey et les sénateurs Donald Plett et Joan Fraser faisaient également partie du groupe, en plus de représentants de la jeunesse, du régiment et du ministère de la Défense nationale.

La présidente nationale de la Légion, Pat Varga, dépose une couronne au monument de Courcelette. [PHOTO : SHARON ADAMS]

La présidente nationale de la Légion, Pat Varga, dépose une couronne au monument de Courcelette.
PHOTO : SHARON ADAMS

« C’est un honneur de représenter le Royal Newfoundland Regiment », dit Prowse, qui a joué à une demi-douzaine de cérémonies pour des délégations aux monuments et cimetières de la Somme. « Les divers liens au régiment que nous avons tous remontent à quelques générations. Je suis très fier d’être ici et de porter l’insigne de coiffure » arborant un myosotis que portent les membres du régiment chaque année le jour du Souvenir de Terre-Neuve, le 1er juillet.

La bataille de Beaumont-Hamel eut lieu le premier jour de la bataille de la Somme : le « grand coup » qui devait en finir avec l’impasse de la guerre des tranchées de la Première Guerre mondiale. Les troupes britanniques et françaises se lancèrent à l’attaque à 7 h 30, en plein jour, ce qui entraina les pires pertes de l’histoire de l’armée britannique « Massacre à la Somme », juillet-aout 2011).

Le champ de bataille était près de la partie nord du front de 45 kilomètres. L’artillerie avait pilonné les lignes allemandes pendant cinq jours avant l’attaque, dans l’intention de détruire les fils de fer barbelés de la zone neutre et de tuer ou démoraliser les soldats allemands. Mais ces derniers étaient retranchés bien profondément sous terre et les bombes n’affectèrent guère les barbelés. À 7 h 20, la détonation d’une mine avertit les Allemands et, 10 minutes après, les premières vagues d’attaquants furent reçues par le feu inattendu des mitrailleuses et des fusils.

Le 1st Newfoundlant Regt. attendait dans une tranchée qui était invisible du champ de bataille. Les hommes, mesurant en moyenne 5 pieds 2 pouces, étaient chargés de sacs à dos pesant 27 kilogrammes car pleins de nourriture, d’eau, de provisions et d’outils. Leur objectif était de prendre et d’occuper la deuxième position des Allemands, à environ deux kilomètres. Ils portaient aussi des échelles qui devaient leur servir à traverser les tranchées. Mais quand ils quittèrent leur tranchée de soutien — sur­nommée la route de St. John’s — à 9 h 15, les tranchées devant eux étaient pleines de morts et de blessés, les obligeant à avancer à découvert, sans protection. Dans la zone neutre, leur silhouette se détachait sur la crête, et ils étaient des cibles faciles pour les mitrailleurs et les fusiliers qui se tenaient dans leurs tranchées à 500 mètres en bas de la pente.

Rendell fut blessé au bras et à l’épaule, types de blessures probablement répandues à cause de la manière dont les Terre-Neuviens se lançaient à l’attaque, le menton contre la poitrine, comme contre un vent fort. « Les balles volaient tout autour d’eux, dit Prowse. À Terre-Neuve, il est habituel de lever le bras pour se protéger le visage du vent froid hivernal, et c’était aussi leur réaction quand ils affrontaient les balles. »

Les survivants avançaient malgré la grêle d’acier. « Je suis toujours ébahi quand je pense à leur courage, dit Hynes, qui représentait l’association du Royal Newfoundland Regt. Ils ont peut-être peur de s’arrêter, mais ils ont été entrainés à ne pas abandonner […] quand les choses arrivent tout d’un coup, l’entrainement revient, c’est ce qu’on appelle la Black Spot [tache noire, n. d. t.]. On est concentré, on a une poussée d’adrénaline. On a aussi le sentiment que “ce sera pas moi”; quand on a 18, 19 ou 20 ans, [on pense] qu’on est invincible. » Malgré les camarades qui tombaient autour d’eux, les Terre-Neuviens continuaient vers la ligne allemande tant qu’ils pouvaient encore marcher, certains s’abritant derrière l’Arbre du danger à mi-chemin de la côte, lequel attirait un feu nourri. Au bout du compte, il ne restait plus personne debout.

Un triangle en métal brillant avait été fixé à leur sac à dos afin que les commandants puissent suivre leur progrès au moyen de jumelles. « Bien entendu, au bout d’un quart d’heure, dit Hynes, ils avaient été presque entièrement exterminés. » Hynes raconte des histoires dont lui a fait part Walter Tobin, dernier survivant du Newfoundland Regt. à Beaumont-Hamel, mort en 1995, à l’âge de 97 ans. On ne pouvait pas ramasser les blessés pendant la journée à cause du feu dévastateur, et Tobin se souvenait de soldats adolescents qui appelaient leur mère. Beaucoup de blessés furent ramenés, dit Hynes, « mais ils ont dû attendre que la nuit tombe » et il y en avait tant que cela dura plusieurs jours, pendant lesquels beaucoup d’entre eux moururent. Ce jour-là, il y eut 255 morts, 386 blessés et 91 disparus; il fallut des mois au régiment pour se reformer.

Terre-Neuve, qui était alors un dominion de la Grande-Bretagne, avait répondu à l’appel immédiatement quand la guerre fut déclarée. « C’était une vocation supérieure, quelque chose de plus important que soi-même, dit Hynes. Les gens ressentaient le devoir de servir Dieu, le roi et la patrie, ainsi que la famille ». Étant donné qu’ils venaient de collectivités isolées, « ils pensaient aussi qu’ils avaient le devoir de répondre aux appels à l’aide », y compris celui de la Grande-Bretagne quand elle déclara la guerre.

Pour certains, la guerre était un gage d’aventure. « Beaucoup étaient des pêcheurs qui n’avaient jamais voyagé plus loin que là où leur bateau les avait emmenés, dit la guide de Beaumont-Hamel, Allison Stentaford de Manuels (T.-N.). Ils n’avaient même pas voyagé au Canada. » D’autres s’enrôlaient pour obtenir un revenu stable car la plupart des Terre-Neuviens gagnaient leur vie de façon précaire en pêchant la morue, en chassant les phoques ou en coupant des arbres.

Le régiment fut formé et équipé si rapidement qu’il fallut emprunter le tissu des bandes molletières à la réserve navale; c’est ainsi que les 500 premiers qui s’enrôlèrent furent surnommés The Blue Puttees (les bandes molletières bleues, n. d. t.). Pères et fils, oncles, neveux et cousins s’enrôlèrent ensemble. « Ils se connaissaient tous, dit Hynes. C’était un régiment familial. » Il n’y eut donc que peu de familles qui ne furent pas affectées par les pertes. Les recrues du Newfoundland Regt. venaient de 800 des 1 200 collectivités de l’ile. En 1918, l’archevêque Edward Patrick Roche dit qu’il n’y avait que peu de districts où l’on ne pleurait pas des fils. « La guerre est […] comme un cauchemar effroyable dont on ne peut s’affranchir. » L’impact causé par la perte de tant de fils à la Grande Guerre est encore ressenti aujourd’hui, dit Hynes de Stephenville (T.-N.).

Dans le Newfoundland Book of Remembrance [livre du souvenir de Terre-Neuve n.d.t.] , 1867-1949, il est écrit :

Où un homme est mort bravement

En accord avec sa destinée, cette terre est sienne.

Que se souvienne son village.

Le sergent James Prowse tient des myosotis délicatement. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Le sergent James Prowse tient des myosotis délicatement.
PHOTO : SHARON ADAMS

Bien que les sentiments soient vifs, 95 longues années ont permis aux souvenirs de s’estomper. Le programme de commémoration d’Anciens Combattants Canada sert à maintenir la vitalité des souvenirs. Hynes s’est renseigné sur son grand-oncle George Emberly de Fortune Bay (T.-N), tué le 8 octobre 1917, en consultant le Mémorial virtuel de guerre du Canada, à http://www.veterans.gc.ca/fra/sub.cfm?source=collections/monumentvirtuel. Pendant le voyage, la présidente nationale a visité le cimetière Drummond qui est entretenu par la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth. Il est situé sur la route Arras-Cambrai près de Raillencourt, en France, et entouré par des champs paisibles où poussent des coquelicots sauvages. L’arrière-grand-père de Varga, le sergent suppléant Patrick Rudden des 2nd Canadian Mounted Rifles, est enterré « en compagnie de 87 autres […] qui furent tous tués le 29 septembre 1918. »

La cérémonie réglée en l’honneur du 95e anniversaire de la bataille eut lieu au Mémorial terre-neuvien de Beaumont-Hamel, à neuf kilomètres à peu près au nord d’Albert, en France. Il y a, sur un tertre, un grand caribou en bronze, emblème du Royal Newfoundland Regiment, qui défie l’ennemi. À la base du tertre, le nom des 820 membres du Newfoundland Regt., de la Newfoundland Royal Naval Reserve et des marins marchands morts, dont la sépulture est inconnue, est inscrit sur trois tablettes en bronze. William Jones de Pilley’s Island, qui s’est enrôlé dans la Naval Reserve à 23 ans et qui a disparu en mer lors d’une tentative de sauvetage en décembre 1915, est l’un d’entre eux. Son arrière-arrière-petite-fille, la guide de Beaumont-Hamel âgée de 21 ans, Shaundel Leamon de Little Rapids (T.-N.), a raconté son histoire à l’occasion de la cérémonie.

Des couronnes ont été déposées par Blaney, ainsi que par la première ministre de Terre-Neuve-et-Labrador Kathy Dunderdale, les représentants d’organisations d’anciens combattants et les représentants de la jeunesse Redmond et Sydnie D’Aoust de London (Ont.). « C’était une perte ressentie dans tous les coins de Terre-Neuve; on ne peut que s’imaginer à quel point ce jour-là était sombre partout dans l’ile », dit Blaney à la foule. Le 1er juillet est célébré par les autres Canadiens, mais « à Terre-Neuve, les cérémonies sont marquées par la joie ainsi que par la tristesse. Nous nous réjouissons de la nationalité canadienne, mais dans notre cœur il y a aussi le souvenir des jeunes garçons perdus […] à la guerre ».

« Nous revenons ici pour rendre hommage à ces braves jeunes hommes qui ont donné leur avenir pour les générations futures. L’histoire de Beaumont-Hamel ne survivra que si nous rappelons l’évènement et écrivons à son sujet. »

Les Terre-Neuviens Maurice Hynes et Andrew Redmond au pied du Mémorial de Beaumont-Hamel. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les Terre-Neuviens Maurice Hynes et Andrew Redmond au pied du Mémorial de Beaumont-Hamel.
PHOTO : SHARON ADAMS

Dunderdale a remercié ceux qui ont payé un prix démesuré pour mettre fin à la tyrannie, ceux qui se sont battus avec détermination et courage, et les centaines de familles qui ont payé le prix en entendant « la nouvelle bouleversante que leur fils ne reviendrait jamais ».

Le voyage de commémoration commença, le 30 juin, par une cérémonie au cimetière du Cabaret rouge, près de la crête de Vimy. Une tombe y marque le lieu de repos du Soldat inconnu du Canada dont les restes ont été rapatriés en 2000 et transportés à Ottawa, où ils gisent dans un sarcophage devant le Monument commémoratif de guerre du Canada. Plusieurs pèlerins allumèrent des cierges en mémoire des presque 40 000 Français enterrés au cimetière militaire français de Notre-Dame-de-Lorette. La première journée se termina par une cérémonie de dépôt de couronnes au Monument commémoratif du Canada à Vimy, où, en 1917, les quatre divisions canadiennes se sont battues ensemble pour la première fois.

Le 2 juillet, les délégués et les invités des collectivités environnantes prirent part à des cérémonies au mémorial de Courcelette et au Monument aux morts de Courcelette. La bataille de Flers-Courcelette préludait à la dernière grande tentative entreprise dans le but de faire une brèche dans les lignes ennemies. Le 15 septembre 1916, les 2e et 3e divisions canadiennes se lançaient à l’assaut aux côtés de neuf divisions britanniques. Suivant un barrage rampant sur un front de deux kilomètres et appuyés par des chars d’assaut, les 22e (Canadien français) et 25e (Nova Scotia) bataillons reprirent Courcelette. Le commandant du 22e, le lieutenant-colonel Thomas Tremblay, dit ceci sur les féroces combats de Courcelette : « Si l’enfer est aussi terrible que ce que j’ai vu à Courcelette, je ne voudrais pas que mon pire ennemi y aille. » Plus de 300 soldats du 22e furent tués ou blessés. « C’est là que la renommée du 22e a débuté », dit Mario Forest, représentant de l’Association du 22e. « Ils repoussèrent 13 contrattaques. »

Après Flers-Courcelette, les combats passèrent à la tranchée Regina, la tranchée allemande la plus longue du front occidental, où plusieurs vagues d’attaquants canadiens furent décimées l’une après l’autre. La tranchée finit par tomber en novembre 1916. En quatre mois et demi de combats, à la Somme, le front n’avait avancé que d’à peu près 10 kilomètres, au prix de plus de 620 000 victimes alliées, dont plus de 24 000 canadiennes.

Les restes des Canadiens dans les champs de bataille et les petits cimetières près de Courcelette furent transportés au Cimetière militaire d’Adanac après la signature de l’armistice. Ici, après la cérémonie commémorative du 3 juillet, la représentante de la jeunesse D’Aoust a raconté l’histoire de James Cleland Richardson : un cornemuseur âgé de 20 ans du 16th Scottish Battalion (canadien) à qui fut décernée la Croix de Victoria pour actes insignes de bravoure à la bataille de l’Ancre. Il jouait quand ses camarades se lancèrent à l’attaque pour la première fois, le 9 octobre. Les lourdes pertes, y compris la mort de leur commandant, démora­-li­sèrent les attaquants. Richardson se porta donc volontaire pour jouer à nouveau, marchant calmement à l’extérieur des barbelés, inspirant ses camarades à attaquer de nouveau.

Le cornemuseur de la délégation, le sergent William MacDougall des Queen’s Own Cameron Highlanders d’Ottawa, joua les airs choisis par Richardson en ce jour fatidique. « Comme c’est inspirant de se trouver sur le même sol que les hommes de notre régiment […] c’est la dernière chose que certains d’entre eux ont vue », dit MacDougall.

Le dernier service du voyage fut celui au Mémorial terre-neuvien de Gueudecourt, lieu de la bataille de Transloy et de la capture de la tranchée allemande Hilt, le 12 octobre 1916, au cout de 239 victimes.

Le régiment se rebâtit après Beaumont-Hamel et, dit Prowse, « c’était la bataille suivante du régiment : une victoire. Il y retournait en octobre, c’est une des rares unités qui ont atteint leur objectif ce jour-là. » Prowse voudrait que davantage de Canadiens le sachent. « Il y a tellement d’histoires de bravoure et de victoire qui concernent le Royal Newfoundland Regt., mais celle qu’on entend surtout, c’est que 68 soldats ont répondu à l’appel après Beaumont-Hamel. Le régiment s’est toutefois battu jusqu’à la toute fin de la guerre. »

« Je croyais que je savais ce qu’était la commémoration […] jusqu’à ce que je vienne ici pour la première fois, dit Varga, que je me promène dans les cimetières, et que j’entende les histoires. Je pense qu’on ne voit plus ça de la même manière après. Quand on associe des visages aux gens, ce ne sont plus seulement que des chiffres, des statistiques et des dates. »

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