Le combat pour Salavat – Partie 3

Le 1er Peloton entre à Salavat. [PHOTO : ADAM DAY]

Le 1er Peloton entre à Salavat.
PHOTO : ADAM DAY

Le monde obscur de la contrinsurrection

La présente est la 3e partie de notre série sur les efforts canadiens pour le cœur et l’esprit des gens de Salavat, une collectivité rétive du district mal famé de Panjwai, dans la province de Kandahar.

Nous sommes en octobre 2009 et les hommes du 1er Peloton de la compagnie Alpha du 1er Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI), sur les lieux depuis à peine plus d’une semaine, commencent à colleter tout un éventail de facteurs qui s’opposent à eux. Presque tout vient à manquer : les renseignements, les alliés, la main-d’œuvre, la coopération des villageois, les approvisionnements, mais personne n’abandonne, même quand on découvre que les camarades de l’armée afghane collaborent peut-être avec l’ennemi.

Pour lire les 1re et 2e parties, consulter legionmagazine.com

VIIe jour : Feu sur les montagnes; conjecture sur Saed

Quelle qu’en soit la raison, les questions importantes ne semblent pas avoir beaucoup de poids au Panjwai. Ou en tout cas, les soldats n’en parlent pas souvent. Ce serait bien de gagner la guerre; ce serait bien d’instaurer la démocratie dans la région; ce serait bien aussi d’éduquer les filles et de vaincre le terrorisme, mais ces questions ne se posent vraiment pas au quotidien.

Les choses qui importent sont plutôt les petites : traficoter honorablement la confusion quotidienne, essayer de ne pas avaler trop de sable, éviter de se faire empoisonner par les animaux, la mission actuelle. Ce sont là les problèmes immédiats, à propos desquels il faut prendre des décisions tout de suite.

Il n’en reste pas moins que la guerre a un autre degré : une bataille enfouie si profondément dans chaque soldat que c’en est presque magique. Voyez-vous, il y a des EEI (engins explosifs improvisés) partout, tout le temps et, après un certain temps, on a l’impression de se trouver dans un jeu non amu­sant de déminage où les enjeux sont des plus élevés. Les calculs funèbres sont constants, troublants; du moindre choix, de la moindre décision peuvent dépendre la vie et la mort : où placer les pieds, où s’asseoir, où se tenir, où regarder, que penser; dans un endroit où la violence est si aléatoire qu’on dirait qu’il s’agit du sort, chaque décision est suspecte.

Mais, même ça, ça n’a pas vraiment d’importance. On n’en parle pas non plus. Tout le monde parle plutôt de la mission actuelle : comment le 1er Peloton va-t-il obtenir le soutien des villageois de Salavat? Comment cela sera-t-il possible pour un groupe de Canadiens armés, quelques interprètes aux capacités langagières rouillées en pathan et un groupe de soldats de l’armée afghane indigne de confiance, de convaincre tant de villageois afghans effrayés et sur leurs gardes qu’ils auraient un meilleur avenir en coopérant avec des soldats étrangers, ou avec leurs mandataires de l’Armée nationale afghane (ANA) et du gouvernement?

Un groupe de filles en balade au centre de la ville. [PHOTO : ADAM DAY]

Un groupe de filles en balade au centre de la ville.
PHOTO : ADAM DAY

Personne n’en est tout à fait certain, mais tous vont quand même essayer.

Figurez-vous donc que le premier pas vers la victoire des Canadiens, aujourd’hui, c’est de s’assurer que leurs canons tirent tout droit.

Le soleil est déjà haut dans le ciel, qui brûle douloureusement, quand le 1er Peloton s’agite dans l’enceinte de la petite école, se préparant à grimper dans les VAL pour aller en excursion à travers l’étendue désertique du Sud de Panjwai. Inutile de préciser que c’est quelque chose de dangereux.

Personne ne le précise.

La patrouille d’aujourd’hui est un exercice d’échappement au sort. Le but de la patrouille est simple, logistique : les ca­nons des VAL doivent être réglés, alors on va aller tirer sur une montagne. Tout le monde est tendu, à cause de la bassesse du travail. Les soldats s’occupent de leurs affaires comme des soldats : « J’aime les VAL », dit le soldat Matt Charbonneau, assis, le dos vouté, sur le banc métallique peu rembourré de l’habitacle sans fenêtre du véhicule blindé.

« Pourquoi? réplique le soldat Bruce Hepner. Ce sont des cercueils ambulants. »

Personne ne lui répond.

« Allume le —* », dit un autre soldat.

(Le —* est un dispositif de sécurité secret qui sert à combattre les EEI.)

Charbonneau manipule l’interrupteur un bout de temps pour essayer de faire fonctionner l’appareil exigeant, puis il abandonne. « La lumière verte est pas continue, gars », dit-il.

« Ça fait rien; de toute façon, on va mourir » ronchonne Hepner. Les choix ont tous été faits. Tout le monde a décidé de venir, où s’asseoir. Il ne reste plus qu’à attendre et voir venir.

« Si ma face éclate comme de la viande hachée, tire la broche de ma grenade à frag et éloigne-toi vite », dit Charbonneau, pensivement, à la caporale infirmière Becky Hudson qui est assise en face de lui. « Tout le monde sait ce qui va arriver, poursuit-il. Mes parents diront : “On est si contents que tu sois vivant et on t’aime tellement”, mais après quelques années, l’amour va passer et je serai juste une affaire dans le salon. Ils vont glisser du rosbif et de la bologne sous la porte et je m’en servirai pour essayer de me reconstruire le visage. »

Hepner sourit. Le VAL démarre dans un grondement de moteur et l’attente se lit sur les visages pour voir si on va aller au bout du circuit sans se faire amocher. Les EEI, ça craint!

Auparavant, le capitaine et chef de patrouille Bryce Talsma avait tenu une réunion des commandants de son unité pour discuter des nouvelles révélations concernant le lieutenant Saed, commandant de l’unité de l’ANA qui demeure dans l’enceinte de l’école et qui, depuis la veille, est soupçonné de collaborer avec l’ennemi. La situation est si hasardeuse que des sentinelles ont été plantées — et le resteront — au poste de commandement canadien pour écarter une attaque éventuelle de l’ANA. « On doit aller voir s’il y a des talibans dans la région, au sud, car il se pourrait qu’on y installe une maison de peloton entre Salavat et Nakhonay », dit Talsma aux soldats rassemblés.

Le sergent Dwayne MacDougall (à g.) indique les attractions locales au major Ryan Jurkowski. [PHOTO : ADAM DAY]

Le sergent Dwayne MacDougall (à g.) indique les attractions locales au major Ryan Jurkowski.
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« Pourquoi pas demander à Saed », demande le caporal-chef Paul Guilmane, le rigolo de 27 ans qui semble avoir toujours le bon mot. Tout le monde rit.

En arrière-scène, il s’est avéré que les soupçons de Talsma concernant Saed ont été d’abord rejetés par le commandement supérieur, puis confirmés et acceptés. Beaucoup de choses se sont toutefois passées entre ces deux évènements. Talsma a reçu l’ordre de faire des excuses à Saed, de remédier à la situation malgré ses soupçons. L’instruction a été des plus consternantes.

Talsma a été disculpé quand d’autres preuves contre Saed ont été dévoilées et la semonce qu’on lui avait administrée a été oubliée. Le sergent Dwayne MacDougall grommelle : « Soyez discret et incorruptible, le bavardage intempestif vous mènera à la tombe. Il [Talsma] a reçu la consigne de ravaler sa fierté et de faire des excuses à Saed, mais maintenant, c’est [le commandement] qui doit se rabaisser; tout ce qu’a fait Talsma, c’est […] excellent. »

En effet, toute une phalange de gradés se sont dirigés vers la maison du peloton pour régler le problème.

Or, même s’ils doivent arriver aujourd’hui ou demain, il y a des problèmes qui ne perdent pas de temps à se manifester. Le stress, la chaleur, le froid, la mauvaise nourriture, les corvées sans relâche ont un impact évident sur le peloton : les gars vieillissent, et pas qu’un peu. Les nouveaux visages ont pratiquement tous disparu. « Prenez le pouls du peloton; les gars sont en train […] de se renfrogner parce qu’on manque de soutien ici. Ils font de moins en moins confiance au système », dit le sergent Craig Donaldson à Talsma après la réunion.

Et comme de fait, un des principaux ronchonnements des hommes concerne le fait qu’on leur avait dit de faire leurs valises pour trois jours seulement, alors ils n’ont pas assez de bas et de sous-vêtements, entre autres. La situation devient inconfortable et le fait qu’ils n’ont pas espoir que leurs affaires arrivent bientôt n’améliore pas les choses.

En plus de leurs nippes, ils attendent toujours les trousses d’extraction de puits et les fusils C-3 pour leurs tireurs désignés.

Une patrouille suit le bord sud-ouest de Salavat, d’où l’on peut voir Nakhonay. [PHOTO : ADAM  DAY]

Une patrouille suit le bord sud-ouest de Salavat, d’où l’on peut voir Nakhonay.
PHOTO : ADAM DAY

Par ailleurs, la patrouille partie tirer sur la montagne est un succès. Non seulement les canons des VAL ont-ils été réglés, la plupart des soldats qui y sont allés ont profité de l’occasion pour faire feu de leurs armes dans la montagne. Il s’agit certainement d’une démonstration d’armement que personne au Panjwai ne peut ignorer.

La dernière tâche en soirée est de se préparer à la réunion du lendemain avec les ainés : la choura. Talsma est excité. Il va rencontrer les hommes de pouvoir, les hommes influents; il aura l’occasion d’amorcer la vraie mission.

Ils attendent des dizaines de personnes et ils sont prêts à tout. Naturellement, l’ennemi pourrait aussi s’y intéresser.

« Quels troupiers veux-tu pour la choura? » demande Donaldson à Talsma.

« Ceux que tu voudras. »

« Ce sont tes gardes du corps. »

« Je fais confiance à tous nos hommes sans exception. »

L’espoir est formidable.

VIIIe jour : Le retour de One-Niner et la patrouille aux œufs

Le major Ryan Jurkowski, commandant de la Compagnie Alpha, mieux connu sous le nom de One-Niner, a quitté la base canadienne de Masum Ghar pour Salavat. Bien que la distance à parcourir ne soit que de 10 kilomètres, le trajet n’est pas facile. En partant de la maison du peloton de Mohajerin, à quelques milliers de mètres à peine, on passe par une route de combat cahoteuse qu’il faut faire nettoyer à la main par les troupes chaque fois qu’un convoi doit l’emprunter. Ce qui prend des heures, bien sûr.

Jurkowski s’en vient pour participer à la choura, mais aussi pour s’occuper de Saed, qui fait preuve de discrétion depuis sa flambée deux jours auparavant.

À l’intérieur des murs blancs de l’enceinte de l’école, le campement grouille d’activités, tout le monde se préparant à recevoir les villageois de Salavat juste de l’autre côté des barbelés entourant la base.

Si la choura est si importante, c’est principalement parce que l’homme important de la place, Hajji Pir Mohammed, doit y assister. Même si les rumeurs à son égard ne sont pas toutes bonnes, c’est quand même quelqu’un. « Est-ce le même Hajji Pir Mohammed qu’on soupçonnait de lancer des obus sur la base? demande un soldat du 1er Peloton. Est-ce qu’il pourrait y en avoir deux? »

« Non, c’est le même », répond le lieutenant Andrew Stocker, le chef de l’Équipe de liaison et de mentorat opérationnel (ELMP).

Quelques instants après, un soldat de l’ANA se présente à la terrasse du quartier général et, sans cérémonies, dit que la choura est annulée. Les villageois ne veulent pas venir. Talsma secoue la tête et rentre au poste de commandement.

Un tournoi de baby-foot en fin de soirée. [PHOTO : ADAM DAY]

Un tournoi de baby-foot en fin de soirée.
PHOTO : ADAM DAY

Un peu plus tard, Jurkowski fait ressentir sa présence dans le camp en soulevant des objections relativement aux projets que les sapeurs sont en train d’exécuter autour du camp, comme la reconstruction des latrines.

« Est-ce que quelque chose ne tourne pas rond? » demande-t-il à Talsma.

Talsma regarde autour de lui, essayant de deviner ce qui ne va pas.

« Oui, mon major, on devrait faire travailler des fantassins, ici. »

« Non, on devrait faire travailler les gens de la place. »

Merde, pense Talsma, presque.

Talsma part à la recherche de l’adjudant Dan Eisan pour lui dire de suspendre les travaux qui ne concernent pas la défense jusqu’à ce qu’ils puissent recruter des ouvriers locaux pour le faire à leur place.

Eisan lui jette un regard furieux. Il n’y en a pas, de volontaires locaux.

« Je ne peux rien faire. Je ne peux rien faire du tout » dit Eisan, tout en dansant sur place.

Peu après midi, Jurkowski rassemble le peloton pour faire la mise à jour officielle sur la situation, le plan et tout.

« C’est l’effort principal du groupement tactique, dit-il en regardant autour du camp. Le front, c’est nous. Il n’y a rien entre nous et Nakhonay actuellement.

« Ils s’attendent à une attaque (à Nakhonay); on va leur faire croire que ça s’en vient toutes les 72 ou 96 heures, mais ça s’en vient pas avant trois semaines.

« L’ennemi ne sait pas quoi faire en ce qui nous concerne. Mais ne prenez pas ça pour une garantie, ne croyez pas que vous êtes en sécurité. Quand vous allez en patrouille, que vous marchez le long de la principale, sans casque, que vous serrez les mains, n’oubliez pas qu’il y a des tueurs dans les environs, prêts à vous descendre.

« Quelle est la mission? Ça s’appelle resserrer la prise, et c’est comme ça que la merde s’étale. Le progrès qu’il y a eu au district Dand se propage à travers l’Afghanistan du Sud. On doit faire la même chose ici. C’est pour ça qu’on est ici.

« C’est un plan de campagne mis de l’avant par le général Stanley McChrystal et adopté par le brigadier-général Jonathan Vance. Notre espace de bataille a diminué, alors on peut se concentrer sur la population plutôt que simplement livrer bataille. La mission, c’est la protection inébranlable de la population.

« Le 2e Peloton mène des opérations offensives par ici pour actualiser les plans de votre commandant. Ensuite, on va proba­blement faire le bond suivant, pour créer une base de patrouille (au sud) et vous déménagerez pour devenir la force d’assaut.

« Ne vous attendez pas à rester quelque part plus de trois ou quatre semaines. On veut remettre ces endroits aux forces de sécurité afghanes pour pouvoir sacrer notre camp. »

Le sergent MacDougall s’assied sur un cheval lors de la patrouille aux œufs. [PHOTO : ADAM DAY]

Le sergent MacDougall s’assied sur un cheval lors de la patrouille aux œufs.
PHOTO : ADAM DAY

Après le discours, c’est le temps de la première vraie offensive du 1er Peloton à la bataille de Salavat; le sergent Dwayne MacDougall, qui est en train de mériter rapidement son sur­nom de « système de pacification de village à homme unique, » prendra la tête de la patrouille au magasin du village avoi­s­inant pour acheter une grande quantité de ravitaillements, surtout des œufs. Il s’agit d’une idée qu’il a eue quelques jours avant : un mouvement par la base pour se faire des alliés en commençant par adhérer à la collectivité.

Ainsi, pour ce qui semble être la millième fois, une patrouille de soldats canadiens et afghans s’introduit dans l’enceinte. Ils font la queue dans l’enceinte poussiéreuse, attachent leur casque bien serré, logent une cartouche dans la chambre et se préparent à traverser les barbelés.

Toutefois, ce n’est pas une longue marche. Le magasin ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres du camp. En chemin, la patrouille passe à côté du PO soviétique, la butte artificielle où a eu lieu une attaque dévastatrice à l’EEI contre les gars du 22e quelques semaines auparavant et un objectif stratégique du 1er Peloton au début, mais qui n’a plus d’importance actuellement.

Les Afghans du magasin savaient que les Canadiens allaient venir et une grande foule attend la patrouille. Il y a plus d’Afghans que prévu, mais MacDougall n’hésite pas. En lançant son cri habituel en pachtou (manana!), il s’enfonce dans la foule méfiante sans hésiter et se met à serrer des mains et à distribuer des bonbons.

Personne ne peut lui résister. Le marchandage n’est pas très dynamique parce que ça ne lui fait rien de payer deux ou même trois fois le prix : il ne s’agit que de deux ou trois dollars.

Après l’emplette, MacDougall monte sur un cheval qui est apparu d’on ne sait où et parade devant le magasin, ce qui amuse les Afghans et chagrine ses soldats qui s’efforcent de rester alertes malgré une atmosphère devenue carnavalesque.

Lorsque la patrouille se prépare à partir, le jusqu’au-boutiste revêche surnommé La punition du nord arrive d’un pas nonchalant devant le magasin et lance des coups d’œil menaçants tour à tour aux Canadiens et aux Afghans.

« On va l’écraser », dit MacDougall en le regardant s’éloigner.

Au moment où la patrouille passe au nord de Salavat, une autre maison de peloton canadien, A-10, à environ un kilomètre à l’est, subit une attaque. Le son des mitrailleuses lourdes retentit fortement même à 1 200 mètres.

Le feu dure un certain temps, ne finissant que lorsque le tir des canons M-777 canadiens de Sperwhan Ghar entrent en jeu. « C’est étrange, dit pour rire le caporal-chef Shave Stackpole au retour à la base, mais c’est une des affaires que j’aime le plus ici, d’entendre les M-777, les explosions et le feu des mitrailleuses. Ouais. Ça rappelle la liberté. »

Par la suite arrive le rapport qu’un insurgé solitaire armé d’un AK-47 a attaqué la base. Le barrage extrême du tir canadien, il faut le dire, est certainement une manière d’exploiter au maximum la théorie habituelle de la contrinsurrection. Les villageois de Salavat, quant à eux, ne semblent pas du tout impressionnés par cet étalage de destruction.

Pendant ce temps, à l’école, le commandement canadien commence à se faire une idée de Saed. En un mot : ce que Saed manigance n’importe pas vraiment parce qu’il n’y a personne pour le remplacer et qu’on n’y peut rien, sauf faire preuve de prudence. « Les Afghans et les Pachtous ont une manière bien à eux d’opérer et d’assurer leurs propres intérêts », dit Jurkowski, assis à la terrasse derrière le poste de commandement après le repas, « et je ne dis pas ça de manière négative. Je ne reprocherais jamais à qui que ce soit de faire le nécessaire pour nourrir sa famille et éviter qu’elle soit tuée. Ce qui veut dire que ce qu’il faut qu’il fassent, il faut qu’ils le fassent. »

S’il y a une chose à laquelle les Afghans excellent, poursuit-il, c’est qu’ils n’étalent pas leurs cartes tant qu’ils n’ont pas pris de décision; ils jouent sur les deux tableaux jusqu’à ce que leur sécurité soit assurée. Dans le monde obscur de la contrinsurrection, il y a des choses qu’on ne peut qu’accepter. Il faut s’occuper de sa propre sécurité et être disponible pour le peuple quand il le demande, et même quand il ne le demande pas. »

Bien qu’aux yeux d’un Canadien, être officier dans l’ANA ressemble à de l’engagement, pour Saed, comme ce sera bien­tôt évident, cela veut simplement dire qu’il s’engage à servir dans l’armée afghane sans tenir compte de qui est au pouvoir à Kaboul. C’est toute une distinction.

Le lieutenant Andrew Stocker, âgé de 23 ans, le chef de l’ELMP au centre de l’orage concernant Saed, le dit plus brutalement que Jurkowski. « C’est une guerre où tout le monde connait un taliban; c’est la nature des guerres civiles et des guerres tribales, dit-il. La perception et la possibilité [que Saed collabore avec les talibans] sont de vrais problèmes, parce que la perception détruit la confiance, qu’elle soit fondée ou pas, et si elle est fondée, elle sape tout l’effort militaire.

« Saed est un très bon commandant qui n’a pas pris de repos depuis trop longtemps, alors il a perdu quelque peu le sens de la mesure, dit Stocker. L’absence sans permission et la désertion, c’est problématique. L’ANA a 30 gars ici et 20 à Mohajerin; pourtant l’effectif est de 140 hommes sur papier. Et leur commandant (un capitaine) devait revenir de permission il y a trois semaines. »

Saed n’est pas parti. Bien que les soupçons relativement à ses raisons et à son honorabilité ne diminuent pas — Talsma ne lui fait ouvertement pas confiance — il n’y pas de mécanisme pour le remplacer, même s’il y avait quelqu’un pour ce faire.

Cette même soirée-là, le 1er Peloton organise son premier tournoi de baby-foot. Les membres des Forces canadiennes dans l’ensemble, surtout ceux de la PPCLI, sont des joueurs fanatiques de baby-foot et, on ne sait trop comment, il y a une table dans cet avant-poste, ce qui n’a vraiment rien de surprenant. « Il y a deux bonnes raisons pour venir en Afghanistan : le sexe d’apitoiement avant et le baby-foot pendant », dit un soldat près de la table.

Le sergent-major de compagnie arrive et arrête le tournoi sans fanfare ni trompette. Les lampes frontales des joueurs pourraient désigner l’endroit de la base à l’ennemi, dit-il. Quand il est parti, les soldats se moquent de son argument, mais le tournoi est quand même terminé. « La seule chose qui nous différencie des talibans, c’est le baby-foot », dit un soldat qui s’enfonce dans la nuit en grommelant.

Au prochain numéro : Saed tente un coup de force, Talsma survit à un combat au couteau avec un serpent afghan et les villageois de Salavat semblent abandonner tout espoir relativement à l’OTAN.

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