Les Chemins De La Victoire

Le lieutenant-général Charles Foulkes (à g. au c.) accepte la reddition des forces allemandes aux Pays-Bas, le 7 mai 1945. [PHOTO : ALEXANDER STIRTON, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA138588]

Le lieutenant-général Charles Foulkes (à g. au c.) accepte la reddition des forces allemandes aux Pays-Bas, le 7 mai 1945.
PHOTO : ALEXANDER STIRTON, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA138588

John Gray, officier du renseignement, est un des premiers libérateurs canadiens à Rotterdam après la reddition allemande. En sortant de la mairie, où il a demandé où se trouvaient les chefs de la résistance de la ville, il voit une dizaine de Hollandais autour de sa jeep. « En m’apprêtant à monter, j’ai vu le reste de notre repas dans une boite en carton : des sandwichs et une tarte. Si ces hommes avaient faim, est-ce qu’on m’en voudrait? » Gray demande alors à un des hommes si la nourriture les intéresse. Le Hollandais « m’a dévisagé d’un air incrédule : si elle les intéresse? » Il s’assoit sur le capot de la jeep où il rompt les sandwichs en petits morceaux pour en donner une petite poignée à chacun. Les hommes mangent lentement, avec un plaisir évident, et lèchent leurs mains pour en recueillir les moindres miettes. Certains ont eu du sandwich; d’autres, de la tarte, et tous s’en lèchent les lèvres… « Beaucoup de soldats, dit Gray, ont fait une expérience semblable le premier jour […] et pour beaucoup de Hollandais, le gout même de la liberté a été pendant longtemps une bouchée de bon pain ou de pâtisserie comme ceux qu’ils avaient presque oublié. »

À La Haye, un ado hollandais regarde le premier char d’assaut canadien rouler dans sa rue. « Un lourd silence s’établit dans la ville », écrit-il par la suite, dans un style qu’on pourrait qualifier de biblique, « et il fut soudainement brisé par un grand cri qui sembla émaner de la terre, et les habitants montèrent sur le char et en sortirent le soldat, et ils pleuraient. »

La réaction exubérante des Hollandais à la libération est évi-dente partout. Après cinq ans d’occupation nazie, de terreur, ils sont libres; après « l’hiver de la famine, ou de la faim » de 1944-1945, ils vont être nourris. Les soldats de la Première Armée canadienne ont libéré les Pays-Bas : la partie de la Seconde Guerre mondiale qui a le plus ravi les soldats cana-diens. Or la route vers la victoire en Europe a été longue.

Le IIe Corps canadien faisait partie de la Première Armée canadienne commandée par le lieutenant-général Harry Crerar quand il a traversé la Normandie. Ensuite, il y a eu le nettoyage de la côte de la Manche et puis, après, la bataille féroce pour l’ouverture de l’estuaire de l’Escaut, en octobre et novembre 1944.

À la fin février, le Ier Corps canadien du général Charles Foulkes, en Italie, prenait la route vers le nord pour se joindre à la Première Armée canadienne, pendant que le IIe, commandé par le lieutenant-général Guy Simonds, traversait la Rhénanie et puis, dans le cadre de l’opération Plunder, traversait le Rhin. Les combats étaient difficiles et les victimes, nombreuses, car les Allemands résistaient avec beaucoup de détermination aux armées alliées qui s’approchaient du Reich.

Des soldats canadiens et des civils hollandais heureux célébrant la libération d’Utrecht, le 7 mai 1945. [PHOTO : ALEXANDER STIRTON, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA140417]

Des soldats canadiens et des civils hollandais heureux célébrant la libération d’Utrecht, le 7 mai 1945.
PHOTO : ALEXANDER STIRTON, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA140417

Ensuite, alors que le Ier Corps se dirigeait vers le nord-ouest de la Hollande, le IIe allait vers le nord-est, traversant le canal Twente et la frontière hollandaise-allemande durant la première semaine d’avril, avec pour objectifs Oldenbourg et, au-delà, le fleuve Weser. Les combats qu’a dû livrer la 4e Division blindée canadienne ont souvent été terribles. À Delden, une compagnie du régiment de Lincoln et Welland demanda un tir de mortiers sur sa propre position afin de repousser une attaque. À Sogel, le 9 avril, de l’autre côté de la frontière, les fantassins motorisés du Lake Superior Regt. nettoyèrent la ville et essuyèrent une contrattaque brutale le lendemain. À peu près 30 ennemis atteignirent le centre-ville où ils prirent la 12e Ambulance de campagne pour cible. Le capitaine Harry Jolley, un dentiste qui avait servi en Grande-Bretagne et en Italie auparavant, se trouva dans un combat à mort et, peut-être à sa surprise, ses actions furent si louables qu’il fut cité à l’ordre du jour (il avait espéré recevoir la Croix militaire) et reçut la Médaille de l’Empire britannique par la suite. Jolley ne mentionna pas l’action dans sa prochaine lettre, disant simplement à sa sœur qu’il était en train de lire Forever Amber, le roman lubrique du jour, qu’il ne trouvait « pas très excitant ».

Quelques jours après, on informa (erronément, a-t-on su par la suite) le major-général Christopher Vokes, commandant de la division, que le commandant des Argyll and Sutherland Highlanders avait été tué par un civil, à Friesoythe. Vokes donna l’ordre de détruire la ville en représailles. « On se servait des décombres pour construire les rues qu’il nous fallait pour les chars, dit-il des années plus tard. Je dois avouer que je ressens encore un profond sentiment de perte (à propos de la mort de son officier) et pas beaucoup de remords à propos de l’élimination de Friesoythe. » Les Canadiens avaient fait de gros efforts pour préserver les civils hollandais de leur feu. Ils ne se sont pas inquiétés outre mesure des Allemands.

La division de Vokes, dont l’infanterie provenait de la 10e Brigade du brigadier J.C. Jefferson, dut ensuite trouver un moyen de traverser le large canal Kusten, à quelques kilomètres au sud d’Oldenbourg. Les Allemands avaient deux bataillons de fantassins de marine et des parachutistes pour défendre leur berge du canal et, les 17 et 18 avril, Jefferson fit traverser les fantassins de l’Algonquin Regt. en bateaux. La tête de pont s’implanta malgré une très forte résistance et, peu après, les hommes du Corps royal du génie canadien manœuvrèrent des radeaux et construisirent un pont sur le canal. Malgré les lourdes pertes, la 4e blindée maintint sa poussée.

Les combats en Hollande se poursuivirent, presque sans cesse. Les 2e et 3e divisions d’infanterie canadienne avaient la tâche de nettoyer le Nord-Est du pays, assistées par la 1re Division blindée polonaise et ensuite par la 5e Division blindée canadienne du major-général Bert Hoffmeister qui avait été détachée du corps commandé par Foulkes. La 3e Division eut de la difficulté à Warnsveld où elle captura des soldats ados qui, même en avril 1945, « pensaient que l’Allemagne allait gagner; leur confiance en Hitler et envers le nazisme […] toujours inébranlable ». Le teneur de journal de guerre du Régiment de la Chaudière remarqua à Zutphen que « les ennemis […] étaient souvent des troupes de première classe à l’esprit très combatif ». Les Canadiens prirent la ville le 8 avril.

Des Torontois lisent les nouvelles lors des célébrations, au centre-ville, du jour de la victoire en Europe en mai 1945. [PHOTO : OFFICE NATIONAL DU FILM  DU CANADA, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA114627]

Des Torontois lisent les nouvelles lors des célébrations, au centre-ville, du jour de la victoire en Europe en mai 1945.
PHOTO : OFFICE NATIONAL DU FILM DU CANADA, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA114627

Cinq jours plus tard, la 2e Division atteignit Groningen, la sixième ville des Pays-Bas en importance, où elle aussi endura une résistance acharnée de l’infanterie allemande et des troupes SS néerlandaises. Les SS, sachant ce qui les attendait à la libération de la Hollande, résistèrent farouchement, livrant combat au corps à corps dans les maisons et dans les rues. Certains se mirent des vêtements civils, se mêlant aux citoyens hollandais qui célébraient leur libération imminente, pour tirer sur les fantassins des 5e et 6e brigades canadiennes. Ils furent tués à vue. Le 16 avril, les Allemands se rendirent. L’infanterie de la 2e Division avait eu 209 victimes.

La 3e Division, ayant nettoyé Deventer le 11 avril, prit le chemin de Leeuwarden, à 15 kilomètres de la mer du Nord. À Harlingen, sur la côte, la Highland Light Inf. mena une attaque « de commande urgente », c’est-à-dire que le bataillon allait de l’avant aussi vite que possible. Plus de 400 Allemands leur tombèrent entre les mains, « beaucoup d’entre eux en état d’ivresse »; la résistance s’effondra si rapidement qu’il n’y eut aucune victime.

À Otterlo, une rupture allemande donna lieu à des combats désespérés la nuit des 16 et 17 avril. Le poste de commandement du général Hoffmeister se trouvait dans la ville avec des troupes du Irish Regt. of Canada, des Governor General’s Horse Guards et trois régiments d’artillerie. L’ennemi prit tout le monde par surprise, lançant des grenades, tirant au mortier et lançant des cris (d’homme ivre, dirent certains Canadiens). Hoffmeister se trouvait en plein milieu des combats — en pyjamas, selon certains — alors que les artilleurs les affrontaient au corps à corps. Trois cents Allemands trouvèrent la mort lors de ces combats désordonnés.

Des membres du Seaforth Highlanders of Canada fument, le 5 mai 1945, devant une affiche qui attire l’attention sur la guerre au Pacifique. [PHOTO : MICHAEL M. DEAN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA137732]

Des membres du Seaforth Highlanders of Canada fument, le 5 mai 1945, devant une affiche qui attire l’attention sur la guerre au Pacifique.
PHOTO : MICHAEL M. DEAN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA137732

L’unité de Hoffmeister prit ensuite la route de Delfzijl, petit port hollandais en face de la ville allemande de Emden, à l’embouchure du fleuve Ems. Quelque 1 500 soldats allemands, dans un système de tranchées bien protégé par des barbelés et appuyés par des canons navals de gros calibre, se battirent férocement là aussi. L’attaque des Canadiens, commandée par le brigadier Ian Johnston de la 11e Brigade Canadienne d’infanterie, commença le 25 avril. L’infanterie, des hommes du Westminster Regt., du Irish Regt. of Canada, du Perth Regt. et des Cape Breton Higthlanders, s’avança lentement sous le feu ennemi, déminant le terrain. Le terrain était boueux, ce qui lui rendait la vie encore plus difficile. Le Perth subit 78 pertes en cinq jours lors du nettoyage des abords de Delfzijl.

La prise de la ville même était la responsabilité du Cape Breton, son attaque principale devant avoir lieu le 30 avril à 22 h. Les défenses allemandes, ancrées grâce à d’immenses bunkers en béton de quatre pieds d’épaisseur, devaient être nettoyées et la résistance dura jusqu’au 2 mai, bien qu’Adolf Hitler s’était déjà suicidé dans les ruines du Troisième Reich à Berlin. Les 10 jours de combats aux environs de Delfzijl et puis dans la ville avaient couté 62 morts et 168 blessés aux Cape Breton Highlanders. Il est écrit dans le journal de guerre du régiment que ce fut son combat le plus dur de la guerre : un commentaire extraordinaire pour une unité qui s’est battue aux lignes Hitler et gothique en Italie, et un témoignage de la résistance fanatique des nazis qui dura jusqu’à la toute fin de la guerre.

Un portrait d’Hitler fracassé contre un véhicule allemand détruit en mai 1945. [PHOTO : DAN GURAVICH, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA130978]

Un portrait d’Hitler fracassé contre un véhicule allemand détruit en mai 1945.
PHOTO : DAN GURAVICH, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA130978

Pendant que ces combats avaient lieu sur sol hollandais, en avril, la population des villes continuait de mourir de faim. Le commandement des alliés et le gouvernement hollandais en exil à Londres étaient au courant des privations — la ration ali-mentaire quotidienne d’un travailleur était d’entre 320 et 500 calories — et on s’inquiétait que les soldats allemands à l’Ouest du pays défoncent les digues s’ils étaient attaqués. C’est là qu’on en était au début d’avril, quand le Reichskommissar nazi Arthur Seyss-Inquart autorisa la livraison de nourriture pourvu que les troupes alliées ne traversent pas ses lignes. Le reichskommissar avait exercé une monstrueuse tyrannie; il avait probablement peur du sort qui serait le sien après sa reddition et il essayait de négocier la clémence des alliés. Le 28 avril, un accord de cessez-le-feu entra en vigueur au front du Ier Corps canadien. Peu après, les camions traversaient la ligne et les avions du Bomber Command parachutaient des rations dans le cadre de l’opération Manna. La 1re Armée canadienne envoya 1 600 tonnes de nourriture par jour et les quartiers généraux supérieurs prirent des arrangements afin d’envoyer du charbon pour la production d’électricité. Les bombardiers larguèrent 11 millions de rations : la manne tombant du ciel; ou tout au moins, c’est ce qu’ont dû penser les Hollandais.

Les efforts d’urgence n’avaient pas coupé court à la spirale du nombre des morts. Au moins 150 000 Hollandais des régions urbaines souffraient d’œdème d’inanition et le taux de mortalité atteignait environ 10 p. 100. Et le geste « humanitaire » de Seyss-Inquart — ses troupes avaient défoncé les digues soudainement, sadiquement et par là inondé les terres hollandaises juste avant le début des négociations — ne le protégea pas de l’échafaud.

Une cuillère dépassant de ses pantalons, un garçon hollandais espère obtenir de la nourriture pendant l’hiver de la famine. [PHOTO : TACONIS KRYN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA169941]

Une cuillère dépassant de ses pantalons, un garçon hollandais espère obtenir de la nourriture pendant l’hiver de la famine.
PHOTO : TACONIS KRYN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA169941

L’amertume des Hollandais était justifiée; celle des Canadiens aussi. Le général Harry Crerar s’était battu avec les Allemands à deux guerres et il ne voulait pas que ses soldats mourant en Allemagne soient ensevelis dans une terre ennemie. Il donna la consigne que les restes de ceux qui mourraient en Allemagne — 1 482 pendant les six dernières semaines de la guerre — soient transportés aux Pays-Bas pour être enterrés à Groesbeek ou à Holten, les lieux choisis par les Canadiens comme cimetières de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth.

Or la guerre touchait à sa fin. Le capitaine Jolley, écoutant la radio le 1er mai, syntonisa un poste allemand qui jouait La Chevauchée des Walkyries sans cesse jusqu’à l’importante annonce qui eut lieu à 10 h 25 : Hitler était mort. « C’était décevant », écrivit-il. La reddition des Allemands, qui eut finalement lieu le 7 mai, fut décevante elle aussi. « C’est un jour, aurait-on pu croire, où un vieux soldat pourrait se rappeler les scènes inoubliables : le drame, les émotions intenses, le soulagement, la joie, les larmes, le rire. » Ce ne fut pas le cas. « Personne n’a crié, lancé son chapeau en l’air, ni rien dans le genre […]. Je ressentais; je ne sais… pratiquement rien. Si j’ai ressenti quelque chose, c’est la surprise, et j’étais peut-être impatient et contrarié de ne pas réagir d’une manière qui correspondait plus à l’occasion. »

Le premier ministre Mackenzie King et Louis St-Laurent annoncent le message sur le jour de la victoire en Europe. [PHOTO : NICHOLAS MORANT, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — C022716]

Le premier ministre Mackenzie King et Louis St-Laurent annoncent le message sur le jour de la victoire en Europe.
PHOTO : NICHOLAS MORANT, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — C022716

Jolley dit avoir appris par la suite que la plupart des soldats au front avaient réagi comme lui. C’est certainement le cas de l’artilleur James Brady et des hommes de son équipe, qui se trouvaient aussi en Allemagne le jour de la victoire en Europe. « Nous n’exultons pas, nous ne ressentons que la légère satisfaction du travail accompli, et d’être à même de revoir le Canada. »

Revoir le Canada. Les Canadiens ne voulaient que rentrer chez eux. Presque tous étaient des civils en uniforme; parce qu’au fond, ils étaient presque tous des civils. Le brigadier James Roberts, commandant de la 8e Brigade, avait négocié la reddition allemande au front de la 3e Division canadienne. Le général allemand avec qui il avait traité lui avait demandé s’il était soldat professionnel. Roberts, qui avait été lieutenant dans la milice en 1939, dit dans son autobiographie : « J’ai répondu, simplement, que je n’avais jamais été soldat professionnel, que comme la plupart des soldats canadiens, je m’étais porté volontaire et qu’avant la guerre, j’étais fabricant de crème glacée. » L’Allemand, avait remarqué Roberts, fut grandement offensé d’être obligé de se rendre à « un civil ordinaire » .

Le lendemain de la victoire en Europe, le régiment de l’artilleur Brady se rassemble à un service commémoratif. Comme il l’a écrit dans son journal, « le colonel se met à lire les noms de nos 36 morts. Sa voix tremblote et il remet la feuille à l’adjudant qui plie le papier, le met dans sa poche et dit doucement : “Ce n’est pas nécessaire. C’étaient nos camarades. Nous nous souvenons d’eux” ».

Il n’y a pas de doute que les Hollandais se rappellent encore onze Canadezen (nos Canadiens). En Hollande, les célébrations nationales des 50e et 60e anniversaires du jour de la victoire en Europe ont été immenses et les anciens combattants canadiens y ont été acclamés sincèrement partout, avec émotion, avec enthousiasme. Le défilé à Apeldoorn, en mai 1995 — que j’ai vu moi-même — est une de mes expériences les plus émouvantes : les anciens combattants à pied ou en véhicule sous des bannières pendues à travers les rues parsemées de drapeaux et sur lesquelles était écrit Bless you boys (Soyez bénis les gars). Des écoliers de Deventer visitent le cimetière militaire canadien de Holten chaque année, à la veille de la Noël, et allument un cierge sur chacune des 1 394 tombes.

Les sourires et le manifeste disent tout après la fin des hostilités en Europe. [PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION]

Les sourires et le manifeste disent tout après la fin des hostilités en Europe.
PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION

Le grand nombre de familles hollandaises qui y vont à longueur d’année est encore plus émouvant, car elles le font volontairement, sans se concerter. On entend les adultes dire aux enfants que sous ces pierres tombales gisent les hommes venus de l’autre côté de la mer pour redonner la liberté aux Pays-Bas. Un agent de police d’une petite collectivité non loin de Groesbeek le résuma de la meilleure façon : « À la Seconde Guerre mondiale, vous, les Canadiens n’aviez pas été attaqués. Vous n’étiez pas obligés d’aller en guerre. Mais vous avez décidé de nous venir en aide, ici. Beaucoup de vos jeunes hommes et femmes ont donné leur vie afin que la Hollande recouvre la liberté. Nous ne vous oublierons jamais. »

Le 65e anniversaire du jour de la victoire en Europe va avoir lieu cette année et il y aura à nouveau des commémorations et des célébrations aux Pays-Bas, surement les dernières auxquelles pourront assister beaucoup d’anciens combattants canadiens. Il n’empêche que rien n’indique que les Hollandais oublieront. Prenons l’expérience de Malcolm Young, lieutenant du 8e Régiment de reconnaissance de la 2e Division il y a 65 ans. Son unité avait réquisitionné une maison à Appeltern dont les propriétaires, les Loeffen, avaient 10 enfants. Young a pris des photos de la famille et il n’a jamais oublié la gentillesse dont elle fit preuve envers ses hommes. En 2005, à l’Hôpital Sainte-Anne pour anciens combattants, il a été présenté à la princesse Margriet, née à Ottawa car sa mère, la princesse Juliana, s’y était exilée pendant la guerre. Il demanda à la princesse de l’aider à retrouver les Loeffen, ce qu’elle eut la gentillesse de faire.

Le reste de l’histoire a été publié dans le quotidien montréalais The Gazette : « Deux semaines après, Young recevait un coup de téléphone de Hanny van Dongen, petite-fille du couple qui l’avait hébergé. “Ma famille a été très surprise; elle désirait le voir”, dit van Dongen, qui habite près d’Appeltern. En juin, deux ans après la visite de la princesse, Young et son épouse, May, sont retournés en Hollande pour voir quatre des enfants Loeffen. L’une d’eux, Thera Loeffen, qui avait neuf ans en 1944, se rappelait que Young lui avait donné du chocolat […]. “Ils étaient très bons pour nous et je voulais les revoir pour les remercier », dit Young.  L’estime mutuelle semble sincère.

Les liens tissés pendant la guerre demeurent. Évidemment, pour les Hollandais, il y a un élément de promotion touristique ces jours-ci, mais il y a plus, beaucoup plus. Les femmes dans la vingtaine qui offrent leur bébé aux baisers d’un ancien combattant canadien — ce que j’ai vu à Apeldoorn en 1995 et en 2005 — pour pouvoir lui dire un jour qu’il a touché un homme qui a participé à la libération de leur pays en 1945, en est certainement une preuve.

Les Canadiens qui ont fait la guerre se souviennent de leurs amis, de leurs camarades morts, du bon temps et des moments difficiles. Mais est-ce que les Canadiens — la plupart sont nés après la fin de la Seconde Guerre mondiale et un grand nombre sont la progéniture d’immigrants de l’après-guerre — se souviennent du courage et des sacrifices de la génération qui a fait la guerre et qui l’a gagnée?

Pas autant qu’ils le devraient. Pas grand-chose a été fait, pendant des années, pour encourager le souvenir ou enseigner l’histoire de ces temps affreux. Toutefois, lentement, les choses changent. Il y a beaucoup d’enseignants dévoués qui emmènent des écoliers en voyage aux champs de bataille et qui leur apprennent l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Il y a le nouveau Musée canadien de la guerre qui a d’excellentes expositions et un bon site Web. Il y a la Tombe du Soldat inconnu à Ottawa. Et il y a le jour du Souvenir qui, chaque année, grandit et s’améliore. Il est indiciblement émouvant de voir la foule, au Monument commémoratif de guerre du Canada, déposer les coquelicots de la Légion sur la Tombe tous les 11 novembre, comme en 2000, quand c’est arrivé, pour la première fois, spontanément. Nous savons que les Hollandais s’en souviennent et commémorent leurs sacrifices et leur libération, et que de plus en plus de Canadiens se souviennent aussi de ceux qui se sont battus pour la liberté.

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