Opération Méduse : la bataille du Panjwai — Partie 3: la chute de l’objectif Rugby

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Quand les soldats canadiens du nouveau roulement sont arrivés à Kandahar, en aout 2006, ils ne s’attendaient pas du tout à ce sur quoi ils sont tombés.

Ils s’étaient entrainés à la guerre contreinsurrectionnelle, mais ce sur quoi ils sont tombés ressemblait davantage à une guerre conventionnelle.

Ils sont tombés sur la bataille du Panjwai. Ils s’agissait d’une bataille de plein fouet contre un ennemi adoptant une tactique soviétique comme moyen de défense. Ce fut, durant 16 semaines, une hécatombe de batailles rangées et de bombardements aériens.

Ce ne sont pas les Canadiens qui ont choisi Méduse, pas exactement. Il serait plus juste de dire qu’ils n’avaient pas le choix. Les troupes ennemies s’assemblaient; et elles menaçaient tout. Il fallait les arrêter.

Alors la bataille a eu lieu.

Du 3 aout au 14 octobre 2006, à partir du premier affrontement important à l’école blanche de Pashmul et jusqu’à la grande attaque du stade de reconstruction de l’Opération Méduse, 19 soldats canadiens sont morts à la bataille du Panjwai et plusieurs douzaines d’autres ont été blessés.

Il y a des statistiques qui donnent une très bonne idée de l’histoire : sur les 19 soldats tués durant cette période, 11 l’ont été directement par le feu de l’ennemi. Depuis les six ans que des Canadiens sont en Afghanistan, deux autres soldats seulement ont été tués par le feu direct de l’ennemi. C’est dans le district du Panjwai, au sud-ouest de Kandahar, qu’est né le mouvement des talibans, à la petite mosquée d’un village appelé Sangisar. Le district lui-même est un peu plus étendu que le champ de bataille de Méduse, dans le cadre de laquelle on s’est concentré sur les positions défensives des talibans, dans la région du village de Pashmul, qu’on a surnommé objectif Rugby.

La poche était bordée au nord par l’autoroute 1, route très passante entre Kandahar et Kaboul. Au sud et à l’est, la rivière Arghandab est une frontière géographique tenace, et à l’ouest se trouve un dédale de villages et de terres irrégulières s’étalant jusqu’à la province voisine, Helmand.

Dans cette troisième et dernière partie de notre série sur l’Opération Méduse, le groupement tactique canadien, éclaté par la perte de la Compagnie Charles, se regroupe et met à exécution une attaque en plusieurs étapes, à partir du nord, avec en tête la Compagnie Bravo du 1er Bataillon du Royal Canadian Regiment commandée par le major Geoff Abthorpe.

Pendant ce temps, au sud, l’escadron ISTAR (renseignement, surveillance, acquisition d’objectifs et reconnaissance) du major Andrew Lussier, unité presque de la grandeur d’une compagnie qui comprenait surtout des Royal Canadian Dragoons, prit ce qu’il restait de la Compagnie Charles et forma la force opérationnelle Grizzly sous un colonel états-unien du nom de Steve Williams, indicatif d’appel Grizzly Six, qui avait alors la tâche de garder la ligne sud et semer le désordre parmi les forces ennemies de l’autre côté de la rivière Arghandab.

La Compagnie Alpha du 2e Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, commandée par le major Charles Wright, soutenait les forces du RCR au nord. En plus, la Force opérationnelle 31, comprenant surtout des membres des U.S. Special Forces, sillonnait la zone sud du champ de bataille, et la Force opérationnelle Mohawk, compagnie de soldats américains détachés en grande partie de la 10th Mountain Division de la U.S. Army, participait aussi au combat. Les gros canons de 155 mm de la 2nd Royal Canadian Horse Artillery, commandée par le major Greg Ivey, appuyaient toute la brigade.

Le lieutenant-colonel Omer Lavoie, commandant du bataillon du RCR, était aussi le commandant du groupement tactique canadien sur les lieux. Au terrain d’aviation de Kandahar, le brigadier-général David Fraser était le commandant de la brigade, qui donnait des ordres à Lavoie tout en commandant les opérations de l’OTAN dans le Sud de l’Afghanistan.

Au sens militaire classique, on ne pouvait pas envisager l’échec. Le lieutenant-général Michel Gauthier, commandant du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, était au bon endroit pour observer la pression stratégique du commandement supérieur qui a obligé les Canadiens à agir. « La Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’OTAN s’est rendue responsable des opérations dans le Sud de l’Afghanistan au début du mois d’aout », dit Gauthier. « Ainsi, dans le Sud de l’Afghanistan (et il s’agit ici du contexte de la perception des Afghans concernant la coalition–qui serait là pour aider ou pas–et la perception des talibans et des insurgés concernant la coalition) il y a ce nouveau commandement qui est responsable du Sud de l’Afghanistan.

« Alors il y a cette dynamique où les talibans ont l’intention d’éprouver la FIAS. Et tout ceci concerne la crédibilité de la FIAS par rapport à l’Afghanistan et à son gouvernement, alors je dirais que toutes sortes de pressions ont été faites sur la FIAS dans le but de démontrer au peuple afghan que la FIAS et l’OTAN s’engageaient en Afghanistan et qu’ils s’engageaient à protéger le peuple afghan. Et ce n’est pas de la propagande, c’est la réalité. C’est-à-dire que c’était la réalité au niveau stratégique dans le Sud de l’Afghanistan.

« Il y avait une vraie pression, un vrai danger provenant de cette force talibane qui prenait une attitude conventionnelle au Panjwai, et qui avait clairement l’intention de séparer Kandahar du reste du pays et de tronquer l’autoroute 1. Évidemment, tout cela n’augurait rien de bon pour l’avenir du Sud de l’Afghanistan. Il fallait donc faire quelque chose pour gagner la confiance du peuple afghan : commencer à faire en sorte d’obtenir leurs confidences et se débarrasser des méchants pour qu’il n’y ait plus de danger. »

L’Opération Méduse devait mettre fin au danger et apporter la paix et la stabilité au Panjwai. Ce serait le premier combat terrestre mécanisé à tous crins, par une brigade commandée par un Canadien, depuis la Seconde Guerre mondiale, et ça allait commencer bien mal.

Samedi, 2 septembre, premier jour des opérations de combat, la Compagnie Charles du major Matthew Sprague venait de foncer jusqu’à ses premiers objectifs, Masum Ghar et Mar Ghar, sans opposition, et de commencer à marteler les talibans de l’autre côté de l’Arghandab.

Au nord, la compagnie d’Abthorpe, en position au sud de l’autoroute 1, commençait à échanger des coups de feu avec les forces ennemies qui se trouvaient là.

Cette opération n’avait rien de surprenant. L’ennemi savait que les Canadiens allaient arriver. Tout le monde avait été averti, conformément au plan, pour que les civils aient l’occasion de s’en aller.

Sprague et Abthorpe ayant saisi leurs premiers objectifs, comme prévu, il y aurait une période d’observation et de collecte de renseignements et on commencerait un bombardement de 72 heures contre les forces ennemies qui se trouvaient dans la poche avant de lancer l’attaque terrestre.

En renfort, les alliés de l’OTAN avaient préparé la région autour du Panjwai avec toutes sortes de moyens aériens : des chasseurs, des bombardiers, des hélicoptères d’attaque, des drones et même des avions espions.

Au sol, tout juste au sud de Masum Ghar, Lussier et son escadron ISTAR allaient voir quelque chose d’horrible. « Regardez, major! » cria un des hommes de Lussier alors que des soldats regardaient le ciel, n’en croyant pas leurs yeux.

Le major sortit de son VBL, dirigea son regard vers le ciel et vit un gros avion espion britannique Nimrod MR2, enveloppé par des flammes orange vif, qui dessinait un arc dans les airs en descendant rapidement.

Lussier, à côté de ses hommes, regarda l’avion s’écraser et exploser à quelques kilomètres de là.

Il y eut une course effrénée pour se rendre au lieu de l’écrasement. Lussier envoya son peloton de reconnaissance sans hésiter. Quelqu’un aurait pu avoir besoin de secours et il fallait absolument empêcher le lieu de l’écrasement de tomber entre les mains de l’ennemi.

Mais il n’y a rien de simple en Afghanistan et ce fut difficile de passer par les petites routes et les villages pour s’y rendre. Heureusement qu’un hélicoptère d’attaque américain Apache apparut au-dessus de la force de Lussier pour lui indiquer le chemin à prendre.

Il fallut se rendre à l’évidence : il n’y avait pas de survivant.

Il y avait 14 hommes à bord du Nimrod quand il s’est écrasé. C’était l’incident causant le plus grand nombre de morts militaires britanniques depuis la guerre des Malouines de 1982.

On a rapporté qu’un incendie électrique a été la cause de l’écrasement. Aussitôt que les Canadiens eurent assuré l’endroit, un escadron de secours américain atterrit et, ensemble, ils se mirent à la sinistre besogne. L’avion ayant explosé lors de l’impact, les débris étaient éparpillés sur une grande surface. « Nous avons examiné la place à la recherche de restes humains et de matériel à caractère confidentiel », dit Lussier. « C’était un carnage et c’était un travail effroyable. Je pense que le plus gros morceau parmi les restes humains était un peu plus gros qu’un ballon de soccer. Il y avait toutes sortes de cochonneries de tous les bords. C’était une jungle toxique.

« C’était là une affaire étrange, pleine d’ironie. Méduse n’avait pas vraiment commencé, on ne faisait que se mettre en posture, et on est les premiers à voir du sang et de la merde. Alors, voyez-vous, mes gars ont ressenti tout un choc. »

Lussier et son escadron sont restés sur les lieux de l’écrasement toute la nuit et ont recommencé le travail le lendemain matin, 3 septembre. « Le moral était bas, bien sûr, et les gars s’apitoyaient sur leur propre sort. Ensuite, la Compagnie Charles a traversé la rivière et elle s’est fait secouer, et on a appris que quatre de nos gars étaient morts et d’autres étaient blessés, et tout.

« C’était toute une expérience. J’écoutais la bataille à la radio tout en marchant dans le champ recouvert de débris. On était assez prêt pour entendre les coups de feu et les explosions, et tout. On voyait les aéronefs qui allaient ça et là, donnant un coup de main. C’était épouvantable d’entendre toute l’affaire à la radio. Tout ce qu’on voulait faire, c’était d’aller les aider.

« Mes gars ont arrêté de s’apitoyer sur leur propre sort à ce moment-là. C’était comme ” C’est quoi que diable qu’on fait pitié? ” »

Ce que Lussier entendait, c’était la Compagnie Charles qui tombait en plein sur une importante force ennemie très aguerrie à l’objectif Rugby.

Méduse n’allait pas se faire dérailler si facilement que ça, mais, au milieu de l’après-midi du 3 septembre, la situation n’était pas très bonne. La première attaque terrestre avait échoué et 18 soldats de la coalition étaient morts. Et on n’était pas encore au bout de la malchance.

À quelques kilomètres au nord de Rugby, la compagnie d’Abthorpe était déployée en une mince ligne au sud de l’autoroute.

Quand la Compagnie Charles traversait la rivière, la Compagnie Bravo avait déjà été à cette position pendant quelques jours. « Notre tâche était simple », dit Abthorpe. « On devait faire une feinte au sud de l’autoroute pour détourner l’attention de l’ennemi. Tout le monde savait que le groupement tactique allait se concentrer sur le sud, mais, en traversant l’autoroute à partir de la base de patrouille Wilson, on espérait pouvoir établir une garde, protéger l’autoroute et nos lignes de communication, ainsi que distraire l’attention des talibans vers le nord. »

La Compagnie Bravo s’était déployée le long de son premier objectif–surnommé Cracked Roof–lequel était un système de fossés très profonds et de routes qui passait par Pasab, petit village au nord de Pashmul.

Peu de temps après que Bravo avait pris position, elle fut attaquée par deux insurgés très ambitieux qui s’imaginaient pouvoir prendre tout un peloton de VBL sans rien de plus que leur fusil d’assaut AK-47. « C’était on ne peut plus surréel », dit Abthorpe. « Les deux talibans se sont levés à découvert sur un mur de boue et ont commencé à tirer sur les VBL avec leur AK, et rien d’autre. »

Le 5e Peloton, commandé par le lieutenant Jeff Bell, refusa de s’en laisser imposer et lança une attaque rapide contre l’enceinte d’où tiraient les hommes. Il réclama à l’artillerie un bombardement à éclatement aérien, et finie la résistance. Malgré des recherches approfondies, un seul corps fut retrouvé.

« Cette étape (de Méduse) », dit le capitaine Piers Pappin, commandant du 4e Peloton de la Compagnie Charles, « je la compare presque à la guerre bidon, comme dans le temps de la Seconde Guerre mondiale, simplement parce qu’on a mené notre feinte et on est restés à cette ligne pendant un bon nombre de jours sans que l’ennemi agisse. On savait qu’ils étaient là, mais, il n’y avait pas de mouvement ni rien. C’était la Méduse bidon. »

Le matin du 3 septembre, Bravo patrouillait encore le long du Cracked Roof car le major Abthorpe apprenait à accepter la nouvelle situation tactique dans le sillage de l’attaque surprise de la Compagnie Charles. « Ainsi, la consigne (d’attaquer) fut toute une surprise. Nos ordres, mes ordres, étaient de feinter vers le sud de l’autoroute 1. La Compagnie Charles allait grimper Masum Ghar et, nous deux, des deux bouts, on allait observer comment les choses se passaient pendant au moins 24 heures, et puis on devait commencer le bombardement de 72 heures. J’ai donné des instructions selon ce plan de feux. Alors, tout semblait aller bien.

« On a roulé les 1 et 2, et on a engagé le combat avec les talibans. On voit que les talibans sont vraiment là, alors on commence à se faire une idée. Et puis, la nuit du 2 septembre, on m’appelle pour me dire de me tenir prêt. Que la Compagnie Charles est en train de traverser. Et de passer la consigne.

« Alors je me suis dit “Okay. Ça m’intéresse.”

« Ils traversent. On sait ce qui se passe. Ils se redéploient au sud, de l’autre côté de la rivière.

« Alors on se met en mode de t——k, ça y est. »

Vu la résistance sur laquelle la Compagnie Charles est tombée à Rugby, les soldats de Bravo sont partis du principe qu’ils allaient tomber sur un gros combat de l’autre côté de Cracked Roof, contre leur objectif, surnommé Templar, directement au nord de Pashmul.

Pendant ce temps, le matin du 3 septembre, l’escadron de Lussier a dû se diriger vers le nord jusqu’à la base de patrouille Wilson, près de l’endroit où Bravo a été déployée, pour déposer un de ses soldats, la caporale Kelly Dove, dont l’époux, l’adjudant Rick Nolan, avait été tué ce jour-là.

Lussier a ensuite reçu l’ordre de rejoindre la Compagnie Bravo qui se préparait à passer à l’attaque en traversant Cracked Roof, le lendemain à l’aube.

« Le lendemain, on était prêts, à la ligne de départ, aux premières lueurs du jour; je pense qu’il était 5 h 30, dit Lussier, et on était tous alignés tout juste au sud de l’autoroute 1. »

D’après le plan, Bravo et ISTAR devaient charger à travers Cracked Roof pour attirer l’attention de l’ennemi vers le nord. Les ordres concernant l’attaque leur ayant été donnés rapidement, les soldats prenaient position et s’apprêtaient pour la bataille. « Et c’est à ce moment-là qu’on a appris la nouvelle : “Stop! stop! stop! La Compagnie Charles vient de se faire arroser” », dit Lussier.

Le matin du 4 septembre, la Compagnie Charles, qui avait reçu la consigne de s’apprêter et de retraverser l’Arghandab pour attaquer Rugby de nouveau, était mitraillée par un A-10 états-unien, et le simple soldat Mark Graham était tué et plus de 30 autres blessés, y compris le commandant Sprague.

Tout s’arrêta. Les opérations offensives furent presque entièrement stoppées en attendant que le commandement canadien décide ce qu’il fallait faire. L’escadron ISTAR de Lussier prit une position temporaire dans le désert pendant que Bravo gardait la ligne de bataille nordique.

C’était le moment de réévaluer sérieusement le plan de bataille. Tout le monde resta sur ses positions pendant que les supérieurs discutaient. « Eh bien (Lavoie) et moi avons beaucoup parlé après cet incident de tir ami », dit Fraser. « J’ai même appelé (Lavoie) à mon poste de commandement pour discuter de quand on allait traverser la rivière.

« On a modifié le plan parce qu’il y a eu un événement important ce jour-là et je m’en suis servi pour faire croire aux talibans qu’on allait continuer de traverser l’Arghandab comme ils pensaient qu’on le ferait. Et après, à la place, on s’est orientés au nord, on s’est braqués du nord, d’où les talibans ne pensaient pas qu’on viendrait, vers le sud.

« C’est alors que la Force opérationnelle Grizzly est entrée en jeu. On a donné des tireurs d’élite à ce qu’il restait de la Compagnie Charles, on leur a donné des gens qui commanderaient le feu direct et l’appui aérien rapproché, et j’ai dit au colonel Williams : “Faites en sorte qu’on vous prenne pour une organisation de mille hommes, faites croire aux talibans que vous êtes toujours Omer Lavoie.”

« Et c’est ce qu’on a fait pendant les trois, quatre jours suivants; on a continué de serrer les talibans de trois directions, en venant du nord, la Force opérationnelle Grizzly du sud et la Force opérationnelle 31 au sud-est. Et c’est ce qu’on a fait jusqu’à ce qu’on atteigne Rugby. »

Ainsi, l’opération étant alors concentrée carrément sur la Compagnie Bravo, des choses ont commencé à se passer au nord. Lors d’une occasion mémorable, des soldats ont attrapé quelques meneurs talibans qui essayaient de « prendre la tangente ».

« Une berline blanche s’arrête », se souvient Abthorpe, « avec des gens qui essaient de quitter notre bulle de sécurité. Alors on leur demande : “D’où venez-vous? Pourquoi partez-vous?” Et puis c’est quand on est en train de parler à ces trois gars âgés qu’un cellulaire sonne. L’interprète (qui travaillait pour les Canadiens) prit le téléphone et répondit. C’était un commandant supérieur taliban qui criait à ces trois gars, leur demandant “pourquoi ils n’attaquaient pas les Canadiens. Vu qu’ils avaient eu beaucoup de succès au sud, ils auraient dû attaquer au nord”. Eh bien, ces gars essayaient de s’enfuir à ce moment-là. »

Le 5 septembre, Bravo a subi ses premières victimes–quatre blessés–lorsqu’un groupe de combattants ennemis a essayé de prendre sa position par le flanc et pris un de ses VBL comme point de mire avec des grenades propulsées par fusée et des canons sans recul.

Malgré l’activité ennemie, les soldats de Bravo patrouillaient le long de la tranchée profonde Cracked Roof pour bien connaitre le terrain et obtenir des renseignements sur les positions de l’ennemi.

Bravo, toutes ses forces à leur place, finit par faire une brèche, traversa la tranchée, et se mit en marche vers le sud.

Pendant les quelques nuits qui suivirent, le peloton de reconnaissance allait se disperser dans la noirceur, éclairant le chemin que les troupes allaient emprunter le lendemain. C’était une avancée classique et Bravo passa à travers une faible résistance jusqu’à l’objectif Templar. « Les talibans, depuis qu’ils avaient décidé de se battre de manière conventionnelle, imitaient, presque exactement, les tactiques soviétiques du temps de la guerre froide auxquelles certains d’entre nous avaient été entrainés quand on était des jeunes officiers », dit Abthorpe.

« Ils avaient des postes d’observation de deux hommes, une ligne défensive extérieure très mince, et puis, quand on y entrait, des positions défensives très très solides à l’objectif Rugby et (les autres objectifs). Très très bien détaillées, très bien retranchées. Avec du recul, il est facile d’analyser et dire “des tactiques comme dans le manuel, des tactiques conventionnelles exactement comme dans le manuel”. »

Pendant ce temps, au sud, à Masum Ghar et à Mar Ghar, Lussier et la Force opérationnelle Grizzly infligeaient des dommages importants aux talibans piégés et entourés.

« Mes ordres étaient simples », dit Lussier. « Semer le désordre chez l’ennemi.

« Les talibans nous ont rendu un fier service; ils avaient fait partir pratiquement tous les civils, alors il s’agissait vraiment d’un champ de bataille linéaire à ce moment-là. Il y avait mes lignes, il y avait la rivière Arghandab qui était essentiellement la zone neutre, et puis, de l’autre côté, tout le monde était taliban. Ça nous facilitait les choses. On a tiré sur ces gars et on les a bombardés pendant quatre, cinq jours pendant que le groupement tactique avançait, au nord. »

Lussier et son équipe de surveillance ont passé beaucoup de temps à l’écoute des talibans qui se parlaient à la radio.

Ils avaient des méthodes à la radio, comme nous, et pendant ce temps on savait qu’on ne les laissait pas dormir du tout : ils ne pouvaient pas se reposer. On les bombardait constamment. Et on s’est aperçu, au deuxième ou troisième jour, qu’il y avait beaucoup de disputes à la radio; on entendait beaucoup de noms alors on a recueilli beaucoup de renseignements sur eux grâce à ce qu’ils disaient.

« Par exemple, Ahmed appelle Haji à la radio et dit : “Est-ce que tu rentres souper?” Et l’autre répond, “Non. Le commandant m’a dit de ne pas quitter le pont blanc.”

« Alors je regarde ma photo de surveillance aérienne et je dis : “Le voilà, le pont blanc.” Alors, quand j’ordonne à l’artillerie de le bombarder, il revient à la radio et dit : “On s’est tous réunis dans la grange derrière toi.” Alors je matraque le pont blanc et je matraque la grange. Et ensuite on entend : “On a beaucoup de victimes, envoie les camions.” Alors on attend et quand on voit les camions qui arrivent, on les matraque aussi.

« Quatre-vingts gars ont été tués ce jour-là. On l’a vu. On l’a regardé. Alors il ne s’agit pas de conjecture. C’est donc des choses comme ça : les gens font des erreurs quand ils sont épuisés et tendus. On a tué beaucoup de gens, voyez-vous; on a tué beaucoup de talibans. Et il ne s’agit pas d’une organisation qui peut se permettre deux cents victimes. Ils ne sont pas prêts à les évacuer. Ils ne peuvent pas s’occuper d’un tel nombre de blessés. Alors ils s’effondrent. Ça faisait partie du travail de déstabilisation. »

Toutefois, au sud, les choses ne se passaient pas exactement comme prévu. Le colonel Williams, commandant américain de la Force opérationnelle Grizzly, avait une manière agressive bien à lui d’aborder le combat. Williams, qu’on disait « gonflé ou débridé », était toujours en avant, menant l’avancée, mais il n’avait pas vraiment réussi à convaincre Lussier et les autres officiers canadiens que sa manière de courir et tirer était vraiment la meilleure.

La situation se fit pressante plusieurs fois, surtout durant la deuxième semaine du mois de septembre, après que Williams a ordonné à Lussier et au reste de la Compagnie Charles de traverser l’Arghandab et d’entrer dans le territoire ennemi presque sans préparation ou renseignements. « Ben, l’affaire c’est que j’étais le Canadien supérieur qui lui avait été détaché et il voulait juste foncer », dit Lussier. « Il a dit, tout simplement, “Okay, on y va. On traverse la rivière tout de suite.”

« Et je lui ai dit “non”. Mais ce n’est pas chose facile, pour un major, de dire ça à un colonel, mais je lui ai dit “non”, j’ai dit : “écoutez, il y a des choses qu’on doit apprendre par rapport à ça.”

« Je voulais envoyer des gens en reconnaissance la nuit d’avant pour vérifier la rive de l’autre côté, pour s’assurer que les véhicules pourraient monter de l’autre côté, parce que ça sert à quoi d’essayer de lancer un assaut en traversant une rivière si on peut pas mettre un pied sur l’autre rive?

« Et puis il a fini par être d’accord avec moi. J’ai dit “ben voyons, on va pas foncer à nu. On a déjà essayé, on s’est fait calisser une raclée”. Alors je lui ai dit qu’on allait envoyer la patrouille de reconnaissance de l’autre côté. C’est ce qu’on a fait, et puis on a traversé le lendemain.

« Je ne voulais pas mettre Charles dans cette position à nouveau. En aucune façon. C’était complètement illogique. L’affaire c’est que, au bout du compte, le temps n’a pas d’importance là-bas. Si ça ne marche pas aujourd’hui, on ira demain. Après tout, ils n’étaient pas en train de nous attaquer. Ils n’étaient pas en train d’attaquer Ottawa.

« Il m’a parlé en privé par la suite : “Écoutez, m’a-t-il dit, j’ai l’impression que vous hésitez un peu.” Et quand je lui ai expliqué exactement ce que je pensais, il a été d’accord avec moi. J’veux dire, il aurait pu me faire prendre la porte, juste là. »

En fin de compte, la Compagnie Charles est bien retournée de l’autre côté de l’Arghandab. Cette fois-là, la traversée s’est faite à un autre endroit, plus vers l’est, près de Mar Ghar, et il n’y a guère eu de résistance.

Le capitaine Derek Wessan, commandant du 7e Peloton de Charles détaché à la Force opérationnelle Grizzly, fut un des premiers soldats à Rugby au cours des jours suivants.

Wessan se rappelle une scène un tout petit peu moins désordonnée, où les unités avaient reçu la consigne d’avancer vers Rugby rapidement et de chercher l’ennemi. « Grizzly Six ne donnait que très peu de renseignements », dit Wessan. Il disait simplement “Euh, allez deux kilomètres par là.” À chaque fois qu’on arrivait au terme de notre manoeuvre, on avait une consigne : “Avancez d’un autre kilomètre.” En fait, on avançait jusqu’au contact, sans le dire exactement.

« On le faisait pas de façon aussi délibérée que j’aurais voulu.

« On continuait d’aller de l’avant. Et encore de l’avant. Et, tout à coup, on s’est retrouvé dans un champ. On s’était pas f–rés du point de vue de la géographie, on savait simplement pas exactement où on se trouvait; et où on était, c’est où Frank Mellish et Will Cushley s’étaient fait tuer le 3 septembre. »

Il faisait noir quand Wessan est arrivé à Rugby. Il est descendu de son VBL et a vu les débris des véhicules qui avaient été abandonnés près de deux semaines auparavant et qui avaient été détruits par des frappes aériennes de la coalition. « On était les premiers soldats depuis le 3 septembre », dit Wessan doucement.

Ensuite, le lendemain matin, ils reçurent l’ordre d’aller au nord jusqu’au labyrinthe d’enceintes et de terrain défensif difficultueux de Pashmul-même. Cette fois-là encore, ils ont avancé sans vrai plan, ne faisant que suivre la consigne du colonel William d’activer. « C’est à ce moment-là que j’ai perdu mon calme », dit Wessan. « J’ai dit “C’est pas comme ça qu’on fait. On va perdre quelqu’un.”

« Le peloton lui-même ne fonctionnait pas d’une manière imprudente, mais le procédé de la manoeuvre n’était pas aussi avisé que j’aurais aimé.

« L’affaire, c’est que si j’ai perdu mon calme, c’est parce que j’avais promis à mes gars que dorénavant on allait essayer de faire les choses aussi posément que possible, alors on n’allait pas faire rentrer qui que ce soit au pays plus tôt que prévu. »

Heureusement qu’à ce moment-là les forces talibanes avaient été décimées par presque 10 jours de frappes aériennes, d’artillerie et de feu direct des VBL, et puis, à part de quelques petites collisions, il n’y a pas eu de combat important quand Rugby est tombé. « On a établi une ligne juste au nord de l’école et, tout à coup, il y a des antennes de VBL qui apparaissaient au nord », dit Wessan. « C’était délirant. C’était le bout, Rugby était pris et tout allait comme sur des roulettes. »

En fin de compte, Grizzly Six est un homme que d’aucuns ont appelé un chef de combat brave qui avançait habituellement en faisant fi du feu de l’ennemi. Toutefois, le fait qu’il risquait la vie des hommes sous son commandement d’une telle façon n’a pas été accepté aussi facilement.

Ce genre d’effort, en vue de trouver un équilibre entre les opérations agressives et les opérations risquées, est un des thèmes incessants de l’Opération Méduse. Ce sont les renseignements sur le champ de bataille, ou leur manque, qui font osciller la balance. Si on n’a pas de bons renseignements, l’avancée comporte des risques importants, ou même catastrophiques. La Compagnie Charles a certainement appris cette leçon à la dure, le 3 septembre.

Toutefois, comme le remarque Fraser, les renseignements sur le champ de bataille ne sont jamais certains et même les meilleures évaluations de la situation ennemie risquent d’être erronées.

« L’autre affaire que les Canadiens devraient comprendre », dit Fraser. « C’est qu’on n’a jamais 100 pour cent de renseignements, d’accord? Pour parler métaphoriquement, si j’en ai 20 pour cent, je suis content. On peut suivre toutes les lignes théoriques, de A à Z, par rapport à tout ce qu’il faut faire, mais en fin de compte, on se bat avec un ennemi et il faut travailler dans un monde imparfait, ce qui n’est pas chose facile. »

Quant aux commandants sur place, c’est certainement ce doute à propos des renseignements qui les pousse à compter sur les tactiques méthodiques et l’avancée réfléchie.

Bien que le militaire ne soit certainement pas une démocratie, ce n’est pas non plus une dictature. Si l’armée a une doctrine et une planification, c’est justement dans le but d’arriver à un consensus sur la manière dont les opérations devraient être menées. Mais on peut quand même laisser la doctrine de côté et on peut quand même abandonner le plan : le commandant tactique doit décider lui-même si l’on doit obéir à l’ordre ou pas.

Comme le remarque Gauthier, « c’est une opération de combat, et c’est une opération tactique, alors il n’y a ni certitude ni solution parfaite aux problèmes qu’on rencontre lors du combat. Ainsi, on peut dire que ça revient à la jugeote à chaque étape, si telle décision, tel jour, était la bonne ou la mauvaise. »

Quant aux commandement et contrôle durant Méduse, Gauthier dit qu’il n’avait pas de raison de s’opposer aux décisions prises à l’échelon de la brigade durant l’opération, ou de les critiquer après coup. Malgré les cas où les commandants tactiques comme Lussier, Lavoie, Sprague et Wessan ont fait objection à certains ordres, pour Gauthier, l’important c’est la nécessité militaire de prêter attention à l’autorité dans la chaine de commandement.

« Si (Lavoie) s’était opposé à ce qu’on lui demandait de faire au point où il se serait convaincu que ce n’était pas la chose à faire, il ne l’aurait pas faite. Et on peut direla même chose dans le cas de Sprague. Ainsi, malgré le fait qu’ils ne pensaient probablement pas que c’était la meilleure façon de faire les choses, il y a beaucoup de façons de faire les choses. »

De toute façon, vu que le stade du combat de l’opération Méduse était théoriquement terminé, c’était le moment de commencer le stade de la reconstruction.

Les efforts concernant la reconstruction du Panjwai et l’amélioration de sa connexion à l’économie de Kandahar étaient concentrés sur la construction d’une nouvelle route, appelée Route Summit, qui irait directement vers le nord à partir de la ville de Bazaar-e-Panjwai et rencontrerait l’autoroute 1 près de la base de patrouille Wilson.

Durant le mois suivant et, en fait, durant plusieurs mois, le groupement tactique devrait surtout s’occuper de la défense de la Route Summit et de la garde du territoire qu’il venait de prendre.

Bien que les principales opérations de combat étaient terminées avant le 14 septembre, les talibans ne semblaient pas vouloir accepter leur défaite. Effectivement, cette période de reconstruction s’est avérée plus mortelle que l’opération elle-même, car une combinaison de bombes de circonstance, de bombes suicidaires, de combats et de mines a tué 10 autres soldats canadiens durant le mois qui a suivi la capture de l’objectif Rugby.

Pour les Canadiens, le problème concernant la garde de la construction de la Route Summit c’est que, bien qu’ils pouvaient défendre comme il faut leur nouvelle route, ils n’avaient pas assez de main-d’oeuvre pour aller tuer l’ennemi à l’ouest, ni même le faire reculer.

« On n’avait pas assez de puissance de combat pour ce genre de nettoyage », dit Lussier. « Il faudrait une brigade pour faire ça. Et l’autre chose dont les gens ne tiennent pas compte, c’est que nos congés ont commencé à ce moment-là. Alors un tiers de notre force est parti.

?« Vous savez, même si on avait eu l’équipe de combat au complet, ou le groupement tactique au complet, ici, honnêtement, je ne crois pas que notre puissance de combat aurait suffi. Je veux dire, même pour prendre Pashmul, il nous a fallu l’aide des Américains. Et on était la priorité pour tout ce qu’il y avait dans les airs au-dessus du théâtre; et qui est parti après coup. Je veux dire, on l’a toujours eu quand on en a eu besoin, mais on l’avait certainement pas en grand comme à Pashmul. »

Fraser sait très bien quels problèmes il faudrait surmonter pour mettre la main sur une puissance de combat qui pourrait suffire. Toutefois, en fin de compte, un certain nombre de soldats seulement étaient disponibles. « L’OTAN était paralysé au point de vue politique et ne pouvait pas me donner plus que ce que je pouvais obtenir (à l’intérieur de ma brigade) », dit Fraser. « Les autres pays de l’OTAN avaient des contraintes politiques par rapport à ce qu’ils pouvaient me fournir. Et ce n’est pas mon rôle de faire des commentaires là-dessus; les choses étaient ce qu’elles étaient, d’accord? C’est mon expression préférée : les choses sont ce qu’elles sont, et on fait ce qu’il faut. »

En réalité, il n’y avait pas assez de troupes, de l’OTAN ou de l’armée nationale afghane, pour nettoyer et garder le terrain afin d’empêcher les talibans d’attaquer.

D’après les chiffres, on ne peut pas dire que la mission afghane a eu énormément d’importance pour les alliés de l’OTAN.

Les forces militaires combinées de l’OTAN se chiffrent à un tout petit peu plus de neuf millions d’hommes; il n’y en a pourtant que 38 500 en Afghanistan–moins d’un demi pour cent de la force totale.

C’est vraiment différent en ce qui concerne le Canada dont la force afghane de 2 500 personnes constitue 2,6 pour cent de toutes ses forces militaires, régulières et de réserve. Si les pays de l’OTAN contribuaient proportionnellement autant que le Canada, il y aurait 238 225 soldats en Afghanistan.

Il est facile de comprendre que les efforts de l’OTAN sont une tentative concernant une guerre complexe et difficile en s’engageant au minimum. Le résultat semble en être que l’OTAN est trop fort pour perdre, mais trop faible pour gagner.

En fin de compte, Méduse a été considérée un succès tactique. L’opération a nettoyé la poche du Panjwai et mis fin à l’espoir qu’avaient les talibans de repousser l’OTAN à l’extérieur de l’Afghanistan en une saison de combats.

Toutefois, la bataille pour le Panjwai n’est pas encore finie. Il y a encore des soldats canadiens qui y meurent.

Bien qu’il soit peut-être trop tôt pour savoir si une paix de l’OTAN profitera jamais au Panjwai, ce qui est clair c’est qu’entre le 3 aout et le 14 octobre 2006, des Canadiens s’y sont battus pour le nettoyer. Ils ont tué beaucoup d’hommes, mais ils en ont perdu beaucoup aussi. C’était une bataille historique. Les suivants ont trouvé la mort : Le caporal Chris Reid, le sergent Vaughan Ingram, le caporal Bryce Keller, le simple soldat Kevin Dallaire, le sergent Shane Stachnik, l’adjudant Rick Nolan, l’adjudant Frank Mellish, le simple soldat Will Cushley, le simple soldat Mark Graham, le simple soldat Dave Byers, le caporal Shane Keating, le caporal Keith Morley, le caporal Glen Arnold, le simple soldat Josh Klukie, le sergent Craig Gillam, le caporal Robert Mitchell, le troupier Mark Wilson, le sergent Darcy Tedford, le simple soldat Blake Williamson.

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