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Venant d’être jeté à terre par une explosion, le caporal Richard Furoy est couché sur le sol afghan dur où il saigne, où il souffre énormément et où il est probablement presque en état de choc. À côté de lui se trouve le corps de son ami, l’adjudant Rick Nolan. Les balles de l’ennemi déchiquètent le sol ou sifflent au-dessus de lui en allant frapper le G-Wagen d’où Furoy vient juste de s’échapper.
Le caporal Sean Teal, qui répondait frénétiquement au tir de l’ennemi qui surgissait des champs de marijuana en zigzaguant, là-bas, au loin, près de l’école blanche, et en tirant des balles en abondance vers les Canadiens, est le seul compatriote que Furoy pouvait voir.
Furoy, de la 2e Ambulance de campagne, était l’infirmier du 7e Peloton, qui avait été détaché auprès de la Compagnie Charles. À son arrivée, Nolan l’avait pris sous son aile et lui avait montré ce qu’il devait savoir. Nolan était mort et Furoy n’avait rien pu faire : la situation était tout ce qu’il y a d’horrible.
Au flanc droit des Canadiens, le sergent Shane Stachnik était déjà mort et l’attaque était en train de se changer rondement en un sauve qui peut. Furoy continuait de penser à son ami. Au milieu de la bataille, il s’est étiré vers Nolan pour lui serrer le bras. “Désolé, mon frère, désolé”, dit-il.
Teal et Furoy étaient tout seuls et leurs moyens de communication, en dérangement. Furoy s’évanouissait par moments. Il pensait qu’il était peut-être au bout du rouleau. Ses pieds lui semblaient en feu et il sentait du sang sur son visage. Il perdit connaissance. Mais Teal ne lui permit pas de partir; il lui fit reprendre ses sens avec la crosse de son fusil.
Teal mit le fusil C8 de Nolan entre les mains de Furoy et lui dit : “L’ennemi est à 50 mètres droit devant, défends-toi”. Furoy en fit ainsi.
Les secours arrivèrent soudainement. Dans le maelstrom, Teal avait réussi à faire signe au VAL le plus près, indicatif d’appel 3-1 Charlie, lui indiquant qu’il avait besoin d’aide.
Le sergent Scott Fawcett choisit deux de ses hommes, le caporal Jason Funnel et le simple soldat Michael Patrick O’Rourke, et partit à la course à travers les champs de marijuana.
Furoy, toujours couché par terre, leva les yeux vers Funnel et vit des balles traçantes passer à côté de la tête de son ami, ainsi que des fusées, juste au-dessus. De penser Furoy : Funnel va certainement se faire tuer d’un instant à l’autre.
Par la suite, Funnel dit qu’il pensait la même chose en ce qui concernait Furoy, en voyant les balles sillonner le sol tout autour de l’infirmier blessé.
* * *
Ils sont allés à la guerre, ces soldats canadiens, les vétérans du Panjwai, ils sont allés à un monde qui n’a rien de normal. Ils ont vu leurs amis blessés par terre; ils les ont vus mourir. Et ils ont vu leur propre mort : elle était juste là, dans les fusées qui passaient à côté d’eux; la fin de tout. C’est un endroit où on ne se fait pas d’illusions; un endroit où la peur et le courage se valent : qu’on vive ou qu’on meure, on fait son devoir ou on ne le fait pas. C’est un endroit d’où on ne revient qu’à grand-peine.
Ne les prenez pas en pitié; ce n’est pas ce qu’ils veulent. Ce sont des guerriers professionnels et la première chose que les hommes de la Compagnie Charles veulent vous dire à propos de la bataille pour l’objectif Rugby, c’est qu’ils n’ont pas perdu. Ils n’ont pas perdu ce jour-là. Ils n’ont pas perdu leur mission. L’attaque a échoué et c’était tout un chaos. C’est sûr. Mais la force opérationnelle a donné une grosse raclée aux taliban ce jour-là. Les ennemis étaient alignés et cachés, des centaines d’entre eux, qui tiraient de trois côtés. Et les Canadiens se sont avancés, malgré tout; ils se sont lancés à l’attaque face aux fusils, face aux fusées.
La Compagnie Charles du Royal Canadian Regiment est la compagnie la plus décorée, celle qui a été la plus ensanglantée de toutes les compagnies des Forces canadiennes. À la fin de cette histoire, l’unité aura presque été anéantie, mais même ça ce n’est pas la fin. Sans exception, ces hommes protègent leurs souvenirs avec acharnement; ils ne racontent pas des histoires à la légère, mais ils veulent que vous sachiez ce qu’ils ont fait, à quoi ils se sont mesurés.
Voici ce qui est arrivé :
C’était le 3 septembre 2006, le deuxième jour de l’opération Méduse et la Compagnie Charles lançait une attaque hâtive directement en plein centre de l’objectif Rugby, un petit terrain fortement défendu au milieu du district de Panjwai de la province de Kandahar (Afghanistan).
Bien que ce soit principalement l’histoire de la Compagnie Charles des 3 et 4 septembre, Méduse était toutefois une opération immense, le premier assaut terrestre de l’OTAN et la plus grande bataille menée par des Canadiens depuis plus d’un demi-siècle. D’après le plan de Méduse, la Compagnie Charles, au sud, jouait le rôle du marteau et la Compagnie Bravo du major Geoff Abthorpe, au nord, celui de l’enclume. À l’est et à l’ouest, d’autres forces de la coalition, des Hollandais, des Danois et des Américains, essayaient d’encaisser les insurgés en bloquant les voies par où ils auraient pu s’échapper. Bien que les forces canadiennes aient été formées principalement du 1er Bataillon du Royal Canadian Regt. de Petawawa (Ont.), il y avait aussi des contingents non négligeables du 2e Régiment du génie de combat, des Royal Canadian Dragoons, de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, un escadron ISTAR (reconnaissance) commandé par le major Andrew Lussier et puis, bien entendu, il y avait les hommes sans nom, les forces spéciales alliées et canadiennes, qui disparaissaient dans l’ombre à l’occasion.
Méduse avait pour objet de contrer la force ennemi assez importante qui s’était rassemblée au Panjwai, à quelques kilomètres à peine au sud-ouest de la ville de Kandahar. L’histoire de cette terre en est une où des étrangers sont allés pour essayer d’exercer de l’influence sur l’Afghanistan du Sud. Les Britanniques ont eu de lourdes pertes là-bas, tout comme, plus récemment, les Russes, qui n’ont pas réussi à contrôler le territoire durant leur guerre afghane des années 1980.
Il n’y a pas que ses habitants qui font que c’est difficile de conquérir le district (c’est le berceau des taliban ainsi que des tribus pashtounes), il y a le terrain-même. Certains appellent la région de la rivière Arghandab une oasis, mais cette image nie son étrange désolation. Le désert Rouge se trouve à quelques kilomètres au sud, comme une fournaise géante où l’air craquant et sec extrait toute l’humidité de la terre. Ainsi, malgré la verdure luxuriante, la vie est dure, les gens sont durs et jusqu’à la terre qui est dure.
Le paysage autour de l’objectif Rugby est un paradis pour guérilleros, façonné par des générations d’insurgés pour en faire une parfaite redoute. Il y a des systèmes de fossés d’irrigation communicants qui ressemblent fort à un grand système de tranchées. De plus, il y a de vrais systèmes d’enceintes fortifiées, de tunnels, de champs de maïs, de plantes de marijuana qui poussent si densément et si haut qu’on ne voit que les antennes des véhicules canadiens lorsqu’ils se déplacent autour du champ de bataille et où la limite des arbres dessine des lignes s’entrecroisant à l’infini.
Et Rugby, centré à l’école blanche, était en plein milieu de toutes les activités des insurgés. C’était donc un problème difficile à résoudre, peut-être le plus difficile de tous. Et tout le monde le savait. Il ne s’agit pas de sagesse rétrospective mais bien de prévoyance : plusieurs sources ont rapporté que les renseignements obtenus par les Canadiens aux échelons du groupement tactique et de la brigade indiquaient que la position défensive principale au Panjwai se trouvait à Rugby. Mis à part les renseignements, on avait prouvé que Rugby était une position ennemie grâce à du sang canadien, le 3 août, un mois auparavant, quand la PPCLI avait perdu quatre soldats lors de sa tentative ratée de prendre l’école blanche.
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Tôt le matin, le 2 septembre, la Compagnie Charles avait pris Masum Ghar et Mar Ghar, deux points élevés qui surplombent l’objectif Rugby et la région autour de Pashmul. Alors que les VAL du RCR s’alignaient et se mettaient à tirer sur des cibles d’insurgés de l’autre côté de la rivière, les soldats du génie, dirigés par le lieutenant (aujourd’hui capitaine) Justin Behiels, entreprirent de construire de nouvelles routes dans le lit de la rivière.
Du haut de Masum Ghar, vers le nord, on voit plusieurs caractéristiques clés de Rugby. Une petite route jonchée de bombes et de mines de l’ennemi, surnommée la route Comox/Vancouver, encaisse l’objectif à l’est et au nord. À l’ouest se trouve l’école blanche. Et au nord, à quelques centaines de mètres à peine, il y a le village de Pashmul lui-même, qu’il allait falloir nettoyer aussi.
Mais avant d’en arriver à cette étape, il y avait nombre de problèmes, un immense tas de problèmes que le major Matthew Sprague devait résoudre. La besogne à faire d’abord était de faire traverser la rivière Arghandab à ses forces pour pouvoir atteindre l’objectif.
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Ce qu’on doit savoir à propos de Sprague, c’est que c’est un meneur d’hommes. Il n’hésite pas. Quand il dit que quelque chose doit se faire, ça se fait. Et il a aussi une autre qualité qui est indispensable chez un chef : il prend soin de ses hommes quoi qu’il arrive et ils savent qu’ils peuvent compter sur lui. En conséquence, ses hommes ne lui envoient pas de piques, pas même subtilement, et ils ne le questionnent pas.
Pour se rendre compte de la bataille–la fureur de la malchance et la sempiternelle calamité–il faut s’imaginer Sprague au centre du chaos, qui s’efforce d’aiguiller deux choses en même temps : secourir ses soldats blessés au champ de bataille et trouver une façon de contrer, sur le moment, l’immense force ennemie qui les a piégés et coincés.
Et l’autre chose qu’il faut garder à l’esprit, c’est l’atmosphère qu’il y avait là-bas au sol, quand des centaines de soldats ennemis tiraient un nombre incroyable de coups de feu de trois côtés, ainsi que le nombre encore plus grand de coups de feu tirés par les Canadiens, y compris l’artillerie presque constante de la coalition, l’appui aérien rapproché et le feu répressif du 9e Peloton de Charles en haut de Masum Ghar.
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Bien que la rivière Arghandab fût peu profonde en ce temps-ci de l’année, son lit est très large, environ 1 000 mètres par endroits. La force qui allait traverser était formée des 7e et 8e pelotons de la compagnie, d’un groupe d’ingénieurs, d’un petit convoi de soldats de l’armée nationale afghane avec leur équipe intégrée d’entraîneurs américains, une équipe de dégagement de route américaine et le quartier général tactique de Sprague, qui comprenait un contrôleur aérien avancé pour guider l’appui aérien de la coalition.
Bon nombre de soldats savaient que l’ennemi s’attendait à ce qu’ils traversent ici, mais la force d’attaque n’avait guère le choix. Le seul endroit où il y avait un feu de soutien ce matin-là c’était exactement là, juste devant Masum Ghar. Et il fallait éviter Comox/Vancouver, alors ils étaient canalisés au tout début.
La traversée de la rivière se fit sans incident, les brèches furent faites et l’avancée eut lieu dans les champs au-delà. Le sol était jonché de brochures larguées par l’OTAN pour avertir les gens de la localité qu’une opération allait y avoir lieu. Les gens avaient aussi été avertis à la radio et tous les soldats afghans locaux connaissaient bien le plan. Il ne s’agissait pas d’une attaque surprise.
Avant de traverser, on avait dit aux soldats que l’ennemi avait abandonné ses positions à Rugby. Malgré l’avertissement favorable, beaucoup de soldats sentaient que quelque chose allait se passer, leurs sens étaient troublés par ils ne savaient quoi. Mais, pour l’instant, pas un seul coup de feu n’avait été tiré et rien n’indiquait que la force ennemie était cachée à quelques centaines de mètres.
L’endroit de la tête de pont initiale avait à peu près la grandeur d’un terrain de football. Il était encaissé à l’ouest par la route Comox et au nord et à l’est par des replats, des fossés et des champs de grande marijuana. Les choses se sont embrouillées un petit peu, au début, car le 7e Peloton était parti au nord et il avait abouti à la route Comox. S’en étant aperçu, Sprague leur ordonna par radio de se réorienter et de revenir tout de suite vers l’école. Le peloton revint à travers les lignes de la compagnie pour prendre la tête de l’attaque de l’école.
Après que les ingénieurs aient produit leur deuxième ensemble de brèches, le chef du 8e Peloton, le lieutenant Jeremy Hiltz (qui a été promu au grade de capitaine depuis), se tint sur le replat au bord de la position principale de la compagnie pour voir passer dans un fossé le G-Wagen où Nolan appuyait son visage contre la vitre du passager pour rire, comme s’il essayait de s’enfuir. Ensuite, Hiltz vit le sergent Shane Stachnik traverser le fossé accroupi. Stachnick lui lança un drôle de regard, comme pour dire ‘c’est dingue, mais allons-y quand même’.
Le capitaine Derek Wessan donna rapidement des ordres au 7e Peloton, qui devait passer par la brèche des ingénieurs et s’enligner avec les quatre VAL, 3-1 Alpha, Bravo et Charlie, et la section du génie à bord d’Echo 3-2 Alpha, un peu en avant du G-Wagen, indicatif d’appel 3-1 W, que les soldats qui y montaient appelaient 3-1 ‘woof’ pour rire, comme pour imiter le dernier bruit qu’on entend quand un véhicule s’enflamme. Ils devaient s’avancer vers l’école blanche et s’arrêter 30 mètres avant pour l’observer. Wessan, un homme imposant, compétent et infatigable, aurait dû être dans son propre VAL, mais son véhicule se trouvant entre les mains des mécaniciens, il était à l’arrière de 3-1 Charlie.
Les quatre VAL s’avancèrent lentement, à travers le canal d’irrigation, jusqu’aux champs de marijuana si denses que les chauffeurs et les tireurs n’y voyaient pas grand-chose. Derrière eux, le G-Wagen franchissait la brèche, suivi par Sprague lui-même, indicatif d’appel 3-9, qui s’était avancé pour augmenter la puissance de feu au cas où cela s’avèrerait nécessaire.
Fawcett observait la situation par l’écoutille de la sentinelle arrière de 3-1 Charlie et, quand ils s’étaient approchés à 30 mètres à peu près de l’école, il donna l’ordre à son chauffeur de stopper. Quelques secondes après, Fawcett vit deux choses arriver presque simultanément. À sa droite, la tourelle d’Echo 3-2 sembla sauter en morceaux. Il se baissa pour rapporter à Wessan ce qu’il venait de voir. Ensuite, à sa gauche, Teal lui faisait signe avec les mains et criait derrière le G-Wagen qui était noirci et d’où sortait de la fumée.
Fawcett sauta rapidement de l’écoutille dans le ventre du LAV où il mit Wessan au courant et rapporta qu’il allait se rendre au G-Wagen. “Suivez-moi”, cria Fawcett à O’Rourke et Funnel et puis il descendit la rampe arrière en courant.
Durant leur course à travers les plantes de marijuana vers le G-Wagen, le bruit des armes à feu était assourdissant et le feu de l’ennemi déchirait les grandes plantes. Il pleuvait de la marijuana sur les soldats qui sprintaient.
* * *
Quelques instants auparavant, sur le siège passager arrière du G-Wagen, le caporal Furoy se penchait en avant pour mieux voir l’écran de son appareil photo numérique. Il venait de passer l’appareil à Nolan, pour qu’il prenne quelques photos et il voulait savoir s’il y en avait des bonnes.
Tout explosa soudainement. La première chose qui est passée par l’esprit de Furoy, c’est que son appareil avait explosé entre ses mains. Ce n’était pas le cas. C’était probablement une grenade propulsée par fusée qui avait explosé à travers le pare-brise en plein dans la face et la poitrine de Nolan. Des fragments déchirèrent l’épaule de Furoy et blessèrent gravement l’interprète afghan assis à sa gauche.
Pendant que O’Rourke et Funnel soignaient Furoy et l’interprète, Fawcett et Teal portèrent leur attention sur l’ennemi qu’il fallait tenir à distance. Peu de temps après, Fawcett ordonna à ses gars d’emporter les blessés à 3-1 Charlie, ce qu’ils firent sous le feu nourri de l’ennemi, et faisant l’aller-retour deux fois : un acte de bravoure pour lequel on leur a décerné la Médaille de la vaillance militaire.
Fawcett et Teal se sont donc retrouvés tout seuls avec le corps de Nolan au G-Wagen.
Le feu venant vers eux et celui qui partait en direction inverse–des centaines d’armes à feu tiraient en même temps–étaient assourdissants. Au G-Wagen, les balles arrivaient de trois côtés et il y en avait même qui passaient sous le véhicule. Couché par terre, Fawcett se demanda : “si les balles de l’ennemi passent sous le G-Wagen, pourquoi suis-je couché par terre?”
Il se releva d’un bond et cria à Teal de faire comme lui, et ils se mirent à l’abri du véhicule. À quelques douzaines de mètres à leur gauche, le canon principal de 3-1 Bravo s’enraya après n’avoir tiré que quelques coups, le caporal-maître Sean Niefer était assis à l’écoutille, exposé au feu ennemi, qui dirigeait son propre tir de barrage avec la mitrailleuse montée sur la tourelle. À l’esprit de ceux qui ont vu Niefer dans la tourelle, complètement exposé aux balles et aux fusées qui étaient tirées vers lui, cette image est devenue presque emblématique de toute la bataille. La Médaille de la vaillance militaire lui a été décernée.
Au flanc droit, Echo 3-2, le VAL de Stachnik, avait l’air bien mal-en-point. Pendant quelques instants effrayants, tout le monde pensait que le véhicule avait été détruit de façon catastrophique. Non seulement sa tourelle avait-elle été mise en pièces, mais il ne bougeait plus et aucun message radio n’en sortait.
Presque immédiatement, une opération de sauvetage fut lancée pour accrocher Echo 3-2 afin de le sortir de la zone létale. Le chauffeur d’Echo 3-2 reprit conscience au moment où un soldat allait y fixer un câble et il eut la présence d’esprit de faire marche arrière et conduire jusqu’en arrière de la ligne de combat, laissant le soldat, le câble à la main, au milieu du champ.
C’est au VAL de Sprague que s’arrêta d’abord Echo 3-2, d’où le caporal Derick Lewis et le caporal-maître (aujourd’hui caporal) Jean-Paul Somerset sautèrent pour soigner les blessés. Lewis monta dans le VAL et, après avoir découvert que Stachnik était mort, il commença à soigner le commandant de l’équipage.
Juste avant, Lewis avait vu quelque chose qu’on ne voit pas souvent, un combattant ennemi qui courait, à 75 mètres environ, à découvert. Il épaula son fusil et tira un coup de feu. Il manqua son premier coup. Il tira à nouveau, et puis encore une fois. Le combattant ennemi s’affaissa, mort.
Certains des gars se souviennent bien, mais pour d’autres tout est flou. Dans le cas de Lewis, c’est une toute autre histoire. Il se souvient de ces événements avec un détail cristallin, il se les rappelle coup par coup, seconde par seconde, comme s’ils venaient de se passer.
À ce moment-là, toutefois, Lewis avait mis son arme de côté et il donnait des premiers soins. Un infirmier américain, implanté dans l’armée nationale afghane, arriva d’on ne sait où et se mit à donner un coup de main pour soigner les blessés. Quand ce fut clair qu’ils avaient tous été soignés, Lewis se porta volontaire pour raccompagner l’Américain jusqu’aux lignes amies, alors ils se mirent en route tous les deux, une course à travers pratiquement tout le champ de bataille, environ 700 mètres, que Lewis dut refaire en sens inverse. Bien que les deux ont été immobilisés une fois en allant vers la position états-unienne, et que Lewis s’est fait jeter par terre par une explosion durant son retour, ils ont tous deux atteint leur objectif sans une égratignure.
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À la radio, Sprague avait commencé à organiser le 7e Peloton pour battre en retraite de la zone létale et retourner aux lignes de la compagnie.
Pour ce faire, 3-1 Bravo roula jusqu’au G-Wagen et baissa sa rampe. Fawcett se mit à tirer le corps de Nolan vers lui. Le soldat qui sortit en premier du LAV s’arrêta net près du bas de la rampe et les autres soldats s’empilèrent derrière lui.
Ils mirent vite le corps de Nolan à l’intérieur et s’apprêtèrent à partir. Fawcett se rendit vite compte que ça ne marcherait pas, le VAL était plein à craquer; il n’y restait plus de place. Fawcett jeta un coup d’oeil à son collègue commandant de section, le sergent Brent Crellin, et prit une décision assez dure. “Va-t-en d’ici”, lui cria-t-il dans le bruit de la bataille. Teal et lui allaient rester, se battre, chercher une autre issue.
Crellin actionna l’interrupteur pour relever la rampe du VAL. “Bonne chance”, cria-t-il à Fawcett. Teal et Fawcett retournèrent derrière le G-Wagen en flammes et recommencèrent à tirer sur l’ennemi.
Malgré qu’il se trouvât en sécurité relative grâce à l’armure du VAL, 3-1 Bravo allait avoir une nouvelle sorte de malchance. Le caporal Jason Ruffolo était le chauffeur du VAL. Ruffolo, voyez-vous, c’est le genre de gars qu’on veut de son côté au combat. Son regard, la manière dont il tient sa tête, on sait qu’il sera là quand on aura besoin de lui. Faisant fi des balles qui frappaient le VAL, Ruffolo partit à toute allure à travers le champ de marijuana et, manquant la brèche, tomba lourdement dans le fossé d’irrigation, qui avait huit à 10 pieds de profondeur.
Au début, lors de l’écrasement dans le fossé, tout ce que Ruffolo pouvait entendre c’était les cris des gens à l’interphone et il pensa d’abord qu’il venait de tuer toute sa section.
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Les choses étaient devenues encore plus compliquées. Non seulement le 7e Peloton était pris sous un feu croisé intense, trois de ses six véhicules étaient partiellement ou entièrement hors combat.
Mais ce n’était pas la seule action qui avait lieu. Au flanc gauche, au loin, au-delà de la zone létale, le 7e Peloton était coincé, le 8e Peloton livrait une bataille embrouillée pour s’assujettir un groupe d’enceintes sur la rive de l’Arghandab. Le peloton était descendu de ses VAL et il se battait d’enceinte à enceinte, défonçant les portes à coups de pied et nettoyant les salles en abattant les combattants ennemis à coups de feu.
Au bout du flanc droit, les soldats de l’armée nationale afghane, qui avaient été lancés dans un champ de marijuana, se battaient vers le nord, vers la route Comox. Bien qu’indubitablement agressifs, les soldats de l’ANA se tenaient un peu à l’écart de la force principale, surtout au flanc nord, parce que personne n’était sûr de sa maitrise des armes à feu et donc les risques de feu ami étaient trop élevés.
Pendant ce temps, au G-Wagen, Teal et Fawcett étaient encore au milieu du plus important combat de leur vie. Au moins une demi-douzaine de grenades propulsées par fusée avaient hurlé à côté d’eux et leurs munitions touchaient à leur fin. Vu leur dilemme, Fawcett et Teal s’élancèrent en un sprint de 100 mètres vers l’arrière pour rejoindre 3-1 Charlie. Malgré les chances plutôt faibles, ils y arrivèrent sans se faire toucher. Teal a obtenu l’Étoile de la vaillance militaire et Fawcett, la Médaille de la vaillance militaire.
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Il n’y a pas qu’une seule sorte d’insurgés au Panjwai. D’abord, il y a ceux qui le sont à temps partiel. Ces gars-là sont surtout des fermiers ou de jeunes hommes qui n’ont rien d’autre à faire. Peut-être que les taliban les paient pour se battre, peut-être que les barons de la drogue les paient pour se battre, peut-être qu’ils se battent pour leurs propres raisons. En général, ce sont des amateurs. Ils tirent sur une colonne blindée avec un AK-47 et puis ils essaient de s’enfuir à la course, à travers champs. Ce n’est pas bien difficile pour les tireurs des VAL de les descendre, alors ils ne font pas long feu.
En lançant l’opération Méduse, on pensait qu’environ la moitié des méchants du district étaient des gars à temps partiel. En grande partie, la raison en était qu’à cause d’une série de bévues et de scandales par rapport à la corruption, le gouvernement de l’endroit avait fâché tout le monde au point où le Panjwai s’était presque soulevé ouvertement.
Toutefois, de l’autre côté de la gamme d’ennemis il y a les professionnels. L’équipe des étoiles. Ces gars ont le commandement et le contrôle. Ils ont des tactiques. Ils organisent des attaques coordonnées. Ils sont sournois et pas très faciles à tuer. Au dire de tout le monde, la force qui frappait alors la Compagnie Charles était formée des tireurs sérieux, des professionnels.
Les rapports du renseignement allaient confirmer par la suite que les Canadiens qui tiraient sur les lueurs de départ ont tué des douzaines de ces gars-là, au moins, y compris quelqu’un qui aurait été un commandant de grade moyen.
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Vu que l’évacuation de la position avancée était en cours, c’était le moment de sortir 3-1 Bravo du fossé.
Dans le fossé, Ruffolo entendait le son que faisaient les balles de petit calibre qui frappaient le VAL et il sentit le véhicule bouger quand une grenade propulsée par fusée et puis une autre, heurtaient la partie arrière près de l’écoutille.
Il s’agissait de le remorquer en utilisant un bulldozer. Pour ce faire, deux soldats reçurent la consigne de sortir accrocher le câble de remorquage de 3-1 Bravo. Dans le tohu-bohu, toutefois, ils ne purent trouver le câble qui avait été remisé en avant du véhicule. Conséquemment, vu qu’il ne désirait pas rester immobilisé dans la zone létale, Ruffolo quitta le siège du conducteur et, s’exposant pendant quelques minutes périlleuses, accrocha le câble. Mais le véhicule lourd refusa de bouger; rien à faire, le VAL était immobile. Ayant reçu l’ordre d’abandonner 3-1 Bravo, les hommes enfermés en arrière–plusieurs d’entre eux souffrant beaucoup à cause de l’accident–se mirent à sortir lentement, par l’écoutille arrière car la rampe était bloquée. Ruffolo sortit à nouveau, cette fois-ci pour détacher le câble du VAL, afin que le bulldozer puisse s’en aller, le câble trainant par terre.
À ce moment-là, Ruffolo, sans véhicule, courut jusqu’à un autre VAL, mais on lui dit qu’il n’y avait plus de place. Alors, comme il n’avait plus le choix, il courut tout seul, à travers la brèche, jusqu’à la position de la compagnie.
Dans 3-1 Charlie, qui était sur place pour participer à la rescousse, Wessan se tourna vers Fawcett et lui dit qu’il allait voir si tout le monde s’était échappé de 3-1 Bravo. Fawcett jure que Wessan a traversé les 20 mètres jusqu’au fossé d’irrigation d’un seul bond.
Le corps de Nolan était encore dans 3-1 Bravo, dans le fossé.
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À ce moment-ci, alors que Sprague se préparait à contre-attaquer, deux choses se sont passées presque en même temps, qui en réalité ont couté la bataille pour l’objectif aux Canadiens.
À la position principale de la bataille, un point de rassemblement des blessés avait été organisé à la hâte par le caporal Lewis, à l’abri d’une grosse chargeuse frontale Zettlemeyer et d’un peu de terre entassée. Bien que sous le feu ennemi quand même, l’endroit semblait assez sécuritaire et personne ne s’attendait à ce qui allait arriver ensuite.
Un obus vola au-dessus de Hiltz et frappa le côté du Zettlemeyer. L’explosion tua le soldat William Cushley à peu près sur le coup. Funnel sentit la chaleur de l’explosion et puis, tout d’un coup, il se trouvait par terre à 15 pieds de là. Lewis aussi fut jeté à terre par l’explosion, un bras et une jambe à sang. Le sergent-major de compagnie John Barnes aussi fut blessé gravement et atterré par l’explosion. L’adjudant Frank Mellish était là aussi, il était venu du flanc du 8e Peloton pour voir s’il pouvait participer à l’extraction de Nolan. Du dire de tous, Mellish était le meilleur ami de Nolan et il n’allait certainement rester inactif dans une telle situation.
Mellish fut soufflé loin du Zettlemeyer, blessé gravement. Ruffolo venait d’arriver sur place et il se mit immédiatement à donner les premiers soins, à découvert et faisant fi des balles qui volaient de tous côtés. Ruffolo essaya d’arrêter le sang de couler, il travailla furieusement, mais au bout de quelques minutes il dut accepter que Mellish était passé de vie à trépas.
À quelques pieds de là, Funnel se releva et vit Lewis qui rampait, évidemment blessé gravement, dans la mauvaise direction.
“Je suis touché. Je suis touché”, criait Lewis.
Funnel lui cria qu’il allait du mauvais côté, vers les balles plutôt que vers l’abri.
À ce moment-là Lewis fut atteint à nouveau, par une balle qui lui poussa le bras sur lequel il s’appuyait. La première chose qui lui vint à l’esprit fut ‘t–c, je viens de me faire tirer’ et puis tout de suite après quelqu’un le soulevait par la taille et l’emportait à l’abri. C’était Funnel.
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Au même moment que la fusée atteignait le point de rassemblement, Sprague entendait l’avertissement ‘bombes larguées’ alors qu’un aéronef de la coalition passait au-dessus d’une position ennemie près de là. Tout le monde savait que la bombe allait venir, ils ne savaient simplement pas que la bombe de mille livres guidée par laser allait leur tomber sur la tête. Mais c’est à peu près ce qui est arrivé. La bombe atterrit tout juste au nord de la position principale et rebondit vers les soldats de l’ANA et les Canadiens, s’arrêtant à quelques mètres à peine du quartier général tactique de la compagnie.
Sprague la vit et sa première pensée fut que c’en était fini d’eux.
Dans le VAL des sapeurs, le chauffeur appela le lieutenant Behiels, le leader des sapeurs, à l’interphone.
“Euh, lieutenant, une bombe géante vient de tomber devant nous”, dit-il.
“Nous sommes encore vivants”, répondit Behiels. “Continue de tirer.”
Personne n’a jamais pu expliquer ce qui a cloché. C’était simplement une affaire comme il en arrive.
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Le flanc droit fermé par la bombe de 1 000 livres, le nombre de victimes qui augmentait, il ne restait plus grand-chose à faire à part de s’en aller et recommencer une autre fois. Mais il y avait encore une chose à faire.
Sprague n’allait pas encore perdre des hommes pour aller chercher le corps de Nolan, mais il n’allait pas le laisser là-bas non plus.
Alors selon ses ordres, à peu près toute la force se tourna vers l’avant et créa le tir de suppression le plus nourri possible, ne laissant qu’un petit couloir pour qu’un VAL du 8e Peloton se rende à 3-1 Bravo, à toute vitesse, chercher le corps de Nolan.
C’était la dernière chose que Sprague pensait pouvoir accomplir, alors quand ce fut fait, ils commencèrent à battre en retraite vers le milieu de l’Arghandab.
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Il y eut une dernière malchance pendant que tous se préparaient à battre en retraite. Alors que Hiltz vérifiait que les hommes du 8e Peloton avaient tous été pris en compte, il découvrit qu’une section se trouvait encore dans une enceinte, au flanc gauche. Le commandant de la section, quoi qu’il en soit, était revenu au VAL et il n’en tenait plus qu’à Hiltz d’aller chercher ses hommes.
Le capitaine Wessan, qui venait d’arriver à côté de Hiltz, sans son fusil car il l’avait perdu dans le chaos, indiqua d’un regard qu’il était prêt à y aller lui aussi et ils partirent ensemble.
Wessan arriva au replat en premier, Hiltz sprintant dans le champ derrière lui, et jurant parce qu’il portait une lourde radio dans son sac à dos, ce qui le ralentissait.
Les deux officiers, des commandants de peloton, se tenaient sur le replat au bord avancé de la position, des balles passant à leurs côtés. Ils entendaient les soldats immobilisés crier au secours. Hiltz leva son C8 et tira vers les lueurs de départ. Wessan fit parler son pistolet Browning, tous deux espérant que le tir de protection, tel qu’il était, allait donner courage à la section immobilisée pour que ses membres se lèvent et quittent l’enceinte. Ils le firent.
?La Compagnie Charles repartit à travers l’Arghandab et retourna au Masum Ghar. Durant la nuit, elle échangea des coups de feu avec les insurgés et regarda des aéronefs de la coalition détruire les véhicules qui avaient été abandonnés.
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Dans leur rapport officiel sur la journée, rapport que nous avons obtenu dans le cadre du programme canadien d’accès à l’information, les militaires appellent ce qui est arrivé à l’objectif Rugby une embuscade. Dans un certain sens, c’est vrai, mais communément, ce n’est pas le mot juste. Le 3 août, des membres de la PPCLI ont été victimes d’une embuscade à l’école. Dire que ce qui est arrivé le 3 septembre était une embuscade, c’est comme dire que ce qui est arrivé à Dieppe était une embuscade. Une petite force canadienne a été lancée à l’attaque d’un ennemi supérieur en nombre dans une position défensive bien établie.
Ceci dit, rien n’est sûr. On ne peut pas savoir si la décision de lancer l’attaque Rugby 48 heures avant que prévu a coûté des vies ou en a sauvé. Toutefois, les militaires sont entraînés à lutter avec les probabilités et, bien que rien ne soit certain, il est difficile de voir comment deux jours de bombardement lourd, de tir direct et de manoeuvres tactiques n’auraient pas affaibli l’ennemi.
En fin de compte, d’après les soldats, cela n’avait pas de sens. Ici, il y a un plan tiré depuis longtemps qui est basé sur l’encerclement, l’avance tactique résolue et l’usure consciencieuse des forces ennemies dans une zone de feu à volonté bien établie, qui va à l’encontre d’un assaut frontal grossier qui dépend davantage de la surprise et de la faiblesse de l’ennemi que de la force canadienne. Bien qu’il soit possible que les deux tactiques auraient pu réussir, ce n’était pas logique de les utiliser toutes les deux.
L’ennemi savait que les Canadiens allaient arriver parce que les brochures les en avaient avertis. Il n’y eut pas de tentative de déception parce que la déception ne faisait pas partie du plan.
L’ennemi était encerclé et isolé, et il possédait une puissance de feu grandement inférieure. Comme le dit un soldat doucement, comme si de rien n’était, “nous avions la main gagnante mais nous avons joué leur jeu”.
Des fois on gagne, des fois on perd.
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En fin de compte, la bataille, ce jour-là, sous le soleil brillant d’Afghanistan, a duré environ quatre heures, la force s’est avancée à 6 h environ et la retraite a commencé vers les 9 h 20, et on sait que c’est à ce moment-là que le caporal Lewis a reçu une piqûre de morphine car c’est écrit sur son casque, qu’il avait encore mais qu’il a l’intention de donner à la filiale de la Légion de sa localité un jour.
Bien que la bataille ait coûté la vie à quatre soldats canadiens et que 10 autres y aient été blessés, si vous voulez savoir quels ont été ses coûts cachés, et ceux de cette mission, parlez-en à ces vétérans et ils vous apprendront quelque chose. D’abord, on peut souvent entendre l’expérience dans leur voix : elle se brise et tremble un peu quand ils parlent de ces événements. Ensuite, et là on ne peut pas en douter, on peut le voir dans leurs yeux : ils regardent tout autour, en bas, au plafond, souvent en tressaillant, comme si l’histoire faisait mal. Bien entendu, ils rient encore et ils racontent des histoires drôles à propos de la journée, mais ils la décrivent presque comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. Ils y sont peut-être obligés.
Quant aux autres, ceux qui s’en sont sortis sans blessure physique, bien qu’ils ne portent pas de galon de blessé à l’uniforme, cet endroit semble gravé dans l’esprit de nombre d’entre eux comme par un éclat d’obus. Ces blessures ne sont pas visibles, mais elles n’en sont pas moins réelles.
Et bien que beaucoup voudraient oublier, d’autres veulent se souvenir. Comme Ruffolo qui, quand il est rentré au pays, s’est fait faire un tatouage au cou pour se souvenir de son copain Cushley. Il se fait constamment admonester par l’Armée mais ça ne le dérange pas. Il l’a fait pour son ami qui est mort : pour se souvenir.
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Méduse avait mal commencé pour la Compagnie Charles, et elle empira le lendemain matin.
En quelques secondes, le pilote d’un chasseur d’appui aérien rapproché, un Thunderbolt A-10 américain, fit une erreur qui couta une vie de plus, celle du simple soldat Mark Anthony Graham, un ancien sprinteur olympique, et qui causa des blessures à plus de 30 autres, certaines graves, y compris à Sprague lui-même.
Dans la brume de l’aube, le pilote prenant un feu de déchets allumé par les Canadiens pour de la fumée s’élevant d’une position ennemie et, manquant de connaissance situationnelle vitale, fit feu de sa mitrailleuse à chaine de 30 mm contre la cible qui ne se méfiait de rien.
Quand l’avion a frappé, Ruffolo se trouvait de l’autre côté d’une élévation avec le 7e Peloton. L’avion frappa le 8e Peloton et le quartier général tactique. Ruffolo arriva en courant par-dessus la colline et vit ce qui ressemblait à une fosse commune, des hommes couchés partout, des flaques de sang : un carnage incroyable. Il pensa que tout le peloton était mort.
Pour Sprague, en plein milieu de l’incident de tir ami, c’était comme de voir un grand nombre de cierges merveilleux qu’on allumait en même temps qu’il mangeait une volée. Ce dont il se souvient le mieux, c’est du choc de l’explosion, ou plutôt la force du choc de l’explosion, un peu comme se faire donner un coup de poing dans le nez 100 fois.
Sprague souffrait de graves blessures causées par des éclats d’obus, à la tête et ailleurs au corps et il fut évacué en Allemagne et puis ensuite au Canada avec plusieurs de ses hommes.
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La Compagnie Charles était finie. Elle avait perdu son commandant, une grande partie de ses chefs subalternes et presque 50 de ses soldats en tout. Pendant un petit bout de temps, l’unité était inapte au combat et ce qui avait été le marteau de Méduse avait largement disparu. L’énergie passait alors à la Compagnie Bravo, le nouveau marteau, qui frappait Rugby en venant du nord.
Quant aux soldats de la Compagnie Charles, ils n’étaient pas tous hors de combat. Le capitaine Wessan allait rester sur place et sa force rafistolée, contre toute attente, serait parmi les premiers Canadiens à Rugby quand ce dernier tomberait entre les mains du groupement tactique 10 jours plus tard.
Dans le prochain numéro : l’étape des combats de l’opération Méduse se termine par l’histoire de la Compagnie Bravo, venant du nord pour se joindre à ce qui restait de Charles à l’objectif Rugby.