Mettre ses objets militaires familiaux en valeur

Plusieurs soldats des guerres passées ont conservé des souvenirs de leur passage sous les drapeaux, des objets témoignant de leurs triomphes et de leur survie. On retrouve parmi eux des médailles, des photographies, des armes et d’autres pièces d’équipement, par exemple. Puis, la guerre s’est terminée, les vétérans sont revenus, et ils ont rangé leurs souvenirs et tenté d’oublier.

À la suite de leur décès, leurs héritiers hésiteront parfois avant de statuer sur le sort de ces choses qui pourraient leur sembler être des vieilleries sans intérêt. L’une des décisions les plus avisées pourrait se traduire par un don à un musée. Dans ces institutions, les objets sont restaurés, étudiés et mis en valeur, et ainsi rendus à la collectivité qui pourra les apprécier, puis comprendre et se souvenir d’un passé commun. Mais en réalité, la plus grande partie sera malheureusement éliminée par de nouveaux propriétaires n’ayant pas saisi la valeur historique, scientifique et patrimoniale, de ces papiers jaunis et de ces métaux ternis.

Pour le patrimoine national que nous partageons, les objets oubliés dans les sous-sols et greniers ne vaudront guère mieux. Mais pour les détenteurs plus réticents à se départir de leurs possessions, il existe toutefois une autre issue très responsable, qui consiste à mettre soi-même en valeur le bien en question. Cela pourrait se traduire par une démarche fort simple, une petite enquête sur l’histoire familiale et nationale, illustrée ici d’un exemple concret.

Mener l’enquête

Bien qu’il n’existe pas de bonne ou de mauvaise manière d’entreprendre cette recherche, les premières questions surgissant dans notre enquête seront toujours les plus simples. Qu’est-ce que c’est? Quelles sont ses dimensions, de quels matériaux est-il fabriqué? Les réponses à ces questions sont les éléments que l’on devra retrouver dans la fiche technique de l’objet, et ce sont elles qui donneront une direction à nos recherches. La fiche technique pourrait être insérée dans une base de données ou un cartable pour référence ultérieure. Il serait également généreux de faire connaître l’existence de ce témoin matériel du passé, par l’intermédiaire d’associations de chercheurs ou de forums Internet. Il pourrait ainsi être étudié par des spécialistes s’il s’avérait particulier.

En étudiant une décoration, on décrirait à cette étape ses couleurs, ses symboles et ses inscriptions, et tout autre détail piquant la curiosité. Le cas présent consiste, quant à lui, en un petit livre d’environ quatre-vingt-dix pages intitulé Livre de prières du soldat. En plus des initiales sur la couverture et des dates et noms de personnes à l’intérieur, il offre de nombreux autres renseignements facilitant son identification. En suivant jusqu’au bout chacune de ces pistes, on forcera bientôt cet objet à divulguer ses plus intéressants secrets.

Fiche technique de l’objet

Nom : Livre de prières du soldat

Titre complet : Livre de prières à l’usage des soldats et des marins

Dimensions : 12 X 8.5 X 0.8 cm (hauteur X largeur X épaisseur)

Couleurs :

· Extérieur : caractères et symboles en brun sur fond olive

· Intérieur : écriture noire sur papier jauni, illustrations en noir et blanc

Matériaux : encre et papier, colle et tissu sur carton rigide

Imprimés particuliers :

· Devant : l’inscription Livre de prières du soldat et le symbole du “Sacré Coeur” (un coeur encerclé d’une couronne d’épines et surmonté d’une couronne traditionnelle)

— Derrière : le dessin d’une feuille d’érable, sur laquelle sont inscrits le symbole “Paix” (un “P” et un “x” superposés) et le mot “Canada”, puis, dessous, le sigle “C.A.H.”

— Intérieur : prières, images pieuses

Date de fabrication : 1918

Autres détails : 88 pages

Notice bibliographique complète de l’ouvrage : CASGRAIN, Abbé P.H.D., Livre de prières à l’usage des soldats et des marins, Québec, S.E., 1918, 88 pages.

Conception de l’objet

Avant même d’avoir eu une vie utile, l’objet a été pensé, et fabriqué. Dans le cas d’artisanat ou d’articles de fortune (les briquets et armes blanches en sont deux bons exemples), les procédés peuvent ne pas avoir été documentés. En contrepartie, la fabrication de la plupart des produits courants, tels les vêtements et photographies, n’a plus de secrets et a été fréquemment étudiée. Il sera ainsi beaucoup plus simple d’accumuler de l’information sur une arme à feu que sur une peinture, par exemple.

L’étude de l’histoire de l’écrit au pays permet de comprendre le contexte industriel et commercial dans lequel aurait été manufacturé le Livre de prières du soldat. Le Canada vécut la multiplication des imprimeries vers le milieu du XIXe siècle, et à l’exception de la maison Beauchemin, les maisons d’édition modernes n’apparurent qu’au cours du vingtième siècle. Les ouvrages, auparavant, étaient confiés à des imprimeurs, et non à des éditeurs, et chaque étape de la production et de la mise en marché d’un livre était confiée à une entreprise différente, sans intermédiaire. Quant aux techniques, le procédé classique faisait place à la presse cylindrique, qui apparaît dans les colonies vers 1830, et l’énergie humaine est remplacée par la vapeur, puis par l’électricité. Les premiers ouvrages imprimés en sol canadien seront en majorité scolaires ou religieux. En 1918, lorsqu’est imprimé le Livre de prières du soldat, les procédés sont sensiblement les mêmes.

De cet imprimeur dont il est fait mention à l’intérieur, J.A.K. Laflamme, de Québec, peu de traces ont été retrouvées, malgré des investigations poussées. Malgré tout, une recherche pratique laisse croire qu’il aurait été actif au début du siècle, principalement entre les années 1900 et 1930 environ, à Québec et à Lévis, et qu’il se serait spécialisé dans les écrits folkloriques et religieux. On peut apprécier son excellent travail de reliure : solidement assemblé, ce livre, qui vécut la guerre des tranchées dans l’humidité, la boue et les gaz, sous les baïonnettes, les balles et les obus–des conditions tellement pénibles que soixante mille Canadiens en moururent–est encore, plus de quatre-vingts ans après, en un seul morceau.

Selon une lettre signée et imprimée dans les premières pages, les textes du Livre de prières du soldat auraient été écrits–ou assemblés–dans leur plus grande partie par le prêtre Philippe-Henri Duperron Casgrain (1864-1942), major honoraire et premier aumônier du Royal 22e Régiment (canadien-français), durant la période entourant le 15 novembre 1914, aux Casernes de St-Jean. Durant les trois jours qui suivirent, L. Lindsay, Censor deputatus (représentant censeur) parcourut le manuscrit et n’eut aucune objection d’ordre doctrinal à son impression (nil obstat), qui reçut l’imprimatur du Cardinal Bégin.

Le sigle “C.A.H.” retrouvé sur la couverture du livre signifie “Catholic Army Huts” (huttes catholiques de l’Armée), une institution caritative créée par les Chevaliers de Colomb, qui agirent donc ici à titre d’éditeurs : après avoir commandé le manuscrit, ils le confièrent à l’imprimeur, puis aux C.A.H. qui distribuèrent le produit fini; il sera question plus loin de cette dernière étape.

Ces détails nous révèlent donc, de prime abord, que le Livre de prières du soldat est un document religieux chrétien et catholique très officiel ayant été vérifié et approuvé par la censure religieuse de l’époque. On peut également présumer qu’au moins quelques centaines d’exemplaires auraient été imprimés. Ses dimensions, la solidité de sa couverture et sa couleur laissent croire qu’on l’a voulu facile à transporter et adapté aux dures conditions de la vie militaire.

Contexte

Pour bien comprendre l’environnement dans lequel l’objet d’étude a été utilisé, toute piste peut apporter des éléments révélateurs et doit être vérifiée. Des dictionnaires thématiques seront ici d’une grande utilité.

Dans le cas présent, l’inscription C.A.H. (qui se réfère aux huttes catholiques de l’Armée des Chevaliers de Colomb) est particulièrement significative. Avant 1917, les soldats catholiques (dont une majorité de Canadiens français) n’avaient aucune possibilité de célébrer leur foi en masse, ni au front, ni en Angleterre (où ils étaient fréquemment et pendant de longues périodes, stationnés), alors que la plupart des autres groupes religieux jouissaient pleinement de leurs propres églises, chapelles et autres institutions. De là prenaient naissance un profond malaise, du mécontentement et un sentiment d’infériorité vis-à-vis d’autres confessions, et c’était là fort légitime.

Pour pallier ce besoin, l’Ordre des Chevaliers de Colomb–dont les buts sont Dieu et la Patrie–crée une filiale appelée Catholic Army Huts (Huttes catholiques de l’Armée) en 1917. Grâce à quelques grandes campagnes de financement menées avec beaucoup de succès au Canada la même année, on crée le C.C.S. (Catholic Chaplain Service), responsable d’envoyer des prêtres catholiques célébrer l’eucharistie avec les fidèles servant outre-mer. Dans le même ordre d’idées, les C.A.H. exportent vers l’Europe des tentes gigantesques, les “huttes”. Celles-ci serviront, selon les heures, de chapelles pour les soldats catholiques, de salles de récréation ou de repos, ou même de théâtre, pour tous les soldats. Dans ces seconds cas, la fraternité de ceux qui servent sous les drapeaux était le seul test à passer pour avoir accès aux huttes. Un écriteau à l’entrée mentionnait d’ailleurs : “All Soldiers and Sailors Welcome” (bienvenue à tous les soldats et marins). À ce titre, les huttes canadiennes acquirent une grande renommée d’hospitalité, chez les soldats alliés de toutes nationalités et religions.

En tant que lieu de rassemblement de soldats et marins, les C.A.H. permettaient l’accès à une cantine, des tables de billard, gramophones, livres, etc. Aussi, on y offrait gratuitement de la gomme à mâcher, du café, des cigarettes et du papier à lettres à tout soldat, sans égard à son ethnie ou à ses convictions religieuses. De plus, aux soldats de confession catholique, on distribuait fréquemment et abondamment des rosaires, médailles scapulaires, chapelets, ainsi que des Livres de prières du soldat. C’est donc probablement dans l’une de ces nombreuses huttes que Wilfrid Vallée, jeune soldat canadien français de la Grande Guerre et premier propriétaire du livre, se procura le sien.

Premier propriétaire et vie utile de l’objet

L’une des étapes les plus palpitantes de l’enquête consiste à amasser des informations sur le premier propriétaire de l’objet. Quelques discussions avec la parenté plus âgée permettront de récolter des données intéressantes. On peut en plus consulter les dossiers d’anciens militaires conservés aux Archives nationales du Canada, notamment. Parfois, d’autres documents conservés avec l’objet faciliteront son identification. Dans le cas présent, un livret de paie et une médaille ont livré des renseignements précieux.

Le Livre de prières du soldat a appartenu à l’origine à Wilfrid Vallée (1897-1978), un homme très pieux, paraît-il. Lorsque ce dernier s’enrôla dans le Corps expéditionnaire canadien (par l’intermédiaire du 57e Bataillon d’infanterie, sous le matricule 448 369) pour aller rejoindre ses frères en Europe, le 3 novembre 1915, il n’avait pas dix-huit ans. Il était l’un des cinq cent deux volontaires qui venaient renforcer le célèbre 22e Bataillon (canadien-français). Comme la plupart des jeunes de son âge nouvellement sous les drapeaux, il ne s’attendait pas à se retrouver bientôt au beau milieu de l’enfer.

Il y eut les charges contre les positions ennemies, sous le feu nourri de l’artillerie et des mitrailleuses allemandes, dans les champs de mines, dans la boue des champs de bataille. Que l’issue fut victorieuse ou non, chaque bataille était un drame en soi, épreuve peut-être ultime dans la vie d’un homme. Parallèlement, il y eut les misères quotidiennes, auxquelles on ne s’habituait jamais : les épidémies, propagées par des rats qu’on disait énormes, engraissés par la chair humaine; la maladie des tranchées, douloureuse et dégoûtante; la décomposition, écoeurante et nauséabonde, des corps qu’on n’avait pu enterrer; les poux, dont la morsure cruelle était, dit-on, la pire des calamités; la boue, toujours et partout; l’éventualité omniprésente de la mort, qu’elle fût la sienne ou celle des camarades; les blessés, dont les cris et souffrances pouvaient briser le moral le plus solide; l’absence de bonne nourriture, d’hygiène et de repos; les préjugés, railleries ou moquerie, dirigés vers les Canadiens, ces “coloniaux”, par les Britanniques; les atrocités et crimes de guerre dont on était victime ou témoin; et tout l’affreux reste.

Devant toutes ces difficultés, sa foi en Dieu fut peut-être la motivation qui permit à Wilfrid Vallée, comme à d’autres, de survivre, bien que choqué à vie. Si le Livre de prières du soldat s’insère parfaitement dans les poches d’une vareuse, c’est que les soldats croyants en auraient besoin constamment : c’était un lien avec le Très-Haut, presque un porte-bonheur, qu’on pouvait avoir constamment avec soi.

L’usure du livre démontre que Wilfrid l’a souvent consulté. La tranche est fatiguée, les pages sont défraîchies. Manifestement, on les a lues, relues et même re-relues. Tellement, qu’encore aujourd’hui, le livre s’ouvre de lui-même, et de façon très marquée, aux pages 52 et 53 : “Mémoire des vivants”, “À l’élévation”, “Après la consécration”, et “Mémoire des morts”, tels sont les passages qui semblent avoir été le plus souvent consultés. La pliure et l’usure, distinctes, dans le coin supérieur droit de chaque page impaire, nous laissent facilement deviner le mouvement des pouce et index de l’homme qui chercha dans ce livre des forces, du courage, voire son salut. Le Livre de prières du soldat fut certainement une des possessions les plus estimées de Wilfrid Vallée. Le jour de son anniversaire, où mille hommes moururent, Wilfrid eut pour cadeau “la meilleure blessure”. Atteint d’un éclat d’obus à la hanche, pour lui, la guerre, avec son cortège de misères, prenait fin en avril 1918.

Après la démobilisation, Wilfrid Vallée épousa Bernadette Savard qui, elle l’avouera elle-même, avait prié, tout au long de ces années de tourmente, pour son futur mari qui se battait peut-être en Europe. Comme bien des rescapés de l’enfer, Wilfrid–on le comprend–fut avare de ses dures expériences passées au front, qu’il ne partagea, somme toute, qu’avec son épouse parfois, et avec d’autres vétérans qu’il rencontrait chaque semaine au “mess”. Sans doute conscient de sa chance, et croyant en la bienveillance qu’eut le Bon Dieu à son égard, Wilfrid, de toute sa vie, ne manqua-t-il une seule messe le dimanche. Le Livre de prières du soldat, quant à lui, ne fut jamais rangé bien loin, et resta toujours à portée de main. Après la mort de Wilfrid puis de Bernadette, leur fille Cécile en hérita.

L’objet dans notre patrimoine

De la même manière qu’un fusil pourrait s’insérer dans l’étude de l’évolution technologique des armements, un livre peut éclairer les chercheurs intéressés par l’histoire culturelle d’un peuple. Le Livre de prières du soldat a donc une portée très vaste puisqu’il se rapporte à une réalité délicate au Québec du début du siècle : la religion, longtemps l’un des principaux symboles de l’identité canadienne-française.

Les Canadiens furent nombreux, sur les champs de bataille d’Europe, durant la Première Guerre mondiale. Désignés sous le terme générique de “Britanniques”, vu leur appartenance à l’Empire, ils en perdirent, du moins dans certaines littératures et bon nombre de documentaires, une partie de leur identité. Pourtant, ses six cent mille soldats, sur une population totale de huit millions et demi d’habitants, firent du Canada l’un des pays (proportionnellement) les plus fortement militarisés. Les Britanniques oublient souvent, d’ailleurs, que plus de la moitié de leurs effectifs étaient composés de “coloniaux”, du Canada (environ 40 % de l’armée britannique) ou d’ailleurs. D’entre eux, environ une dizaine de milliers de soldats canadiens-français ont sué eau et sang sur les terres dévastées de France et de Belgique. Plusieurs n’en sont jamais revenus. Lorsque l’on s’interroge sur la religion des Canadiens français en Europe, on découvre la plus totale absence d’ouvrages, spécialisés ou non, sur le sujet. Pourtant, et c’était particulièrement vrai un demi-siècle avant la Révolution tranquille, le Canada français était farouchement catholique, et même, souvent, fervent pratiquant. Le culte ne perdait donc aucune valeur dans cet environnement hostile, au contraire, il en gagnait.

Le Livre de prières du soldat répondit donc au besoin, sérieux, qu’avaient nos valeureux de continuer à vivre pleinement leur foi outre-mer. Ils étaient en général les seuls francophones de l’Empire, et à part les Irlandais, les seuls catholiques. Ainsi, l’ouvrage–écrit en français et dans la plus pure tradition religieuse de l’Église catholique romaine–a certes une très grande valeur au sein du patrimoine québécois.

Le Livre de prières du soldat représente bien le début du siècle québécois. On y reconnaît, par l’intermédiaire des C.A.H., la place des bonnes oeuvres dans la vie sociale. Plus encore, il démontre l’attachement qu’on avait à l’époque pour le culte religieux catholique. Les différentes autorisations de publication délivrées par les autorités ecclésiastiques rappellent également la sévérité des contrôles. D’un point de vue matériel et technique, c’est également un livre qui représente bien les procédés industriels et commerciaux de l’époque.

Conservation de l’objet

La durée de vie des objets dépend des matériaux utilisés dans leur fabrication et des conditions dans lesquelles ils furent conservés. Il est donc important de se questionner sur la manière d’exposer ou entreposer ces trésors : si on ne peut s’improviser conservateur de musée, des sites Internet et des livres existent sur le sujet et fourniront des conseils précieux. Par exemple, il est essentiel de savoir que lumière, taux d’humidité, insectes et manipulation inappropriée sont les principaux responsables de la dégradation d’un objet. On pourrait aussi être tenté de réparer soi-même un article en mauvais état, ce qui n’est pas recommandé. Les spécialistes de la restauration formés à cet effet font parfois de petits miracles!

Certains produits de conception industrielle nécessiteront peu de soin. Un casque en acier, par exemple, se contentera d’un coin sec, tout simplement. Les livres, quant à eux, requièrent une attention toute particulière. Dans ce cas-ci, les pages sont déjà jaunies et usées par leur séjour dans les tranchées; il serait important, puisqu’on ne peut faire régresser les dommages déjà portés, d’au moins éviter d’en causer davantage.

Une lumière blanche mais filtrée, purgée des rayons ultraviolets et d’au plus 50 lux (unité de mesure de l’éclairage, très faible dans ce cas-ci) serait nécessaire si l’on souhaitait exposer le livre, ouvert sur un support. Dans ce cas, on devrait en tourner les pages tous les jours, afin de réduire l’exposition à la lumière et la décoloration subséquente des pages. Rangé dans une bibliothèque, on trouvera au livre un coin sombre, afin d’éviter de décolorer la tranche. On doit éviter les contacts des mains nues avec le vieux papier : les huiles retrouvées sur la peau salissent et dégradent le papier, comme certaines encres. On utilisera, au besoin, des gants de coton : un procédé habituel dans les institutions muséologiques. La chaleur et l’humidité doivent être soigneusement contrôlées : un taux d’humidité oscillant entre 30 et 50 % assorti à la température la plus basse possible (vers 21° C). Dans un milieu trop humide, le livre moisira; dans un milieu trop sec, la colle séchera et les pages tomberont. Les musées, bien sûr, offrent des environnements parfaitement contrôlés aux objets qu’ils abritent, grâce à des instruments de mesure spécialisés et très précis.

Dans les musées, les objets exposés ayant un historique sont accompagnés d’une “vignette”. Si le Livre de prières du soldat était présenté dans l’une de ces institutions, sa vignette contiendrait ces éléments :

“Livre de prières du soldat

Possession originelle du soldat Wilfrid Vallée (1897-1978)

12 X 8.5 X 0.8 cm

Brun et olive

Encre et papier, colle, et tissu sur carton rigide, 88 pages

Imprimé en 1918 par J.A.K. Laflamme, à Québec

Collection privée de Cécile Vallée”

On retrouverait également un panneau contenant des informations semblables à celles-ci, et qui résument notre enquête :

“Possession originelle du soldat Wilfrid Vallée (1897-1978), le Livre de prières du soldat lui fut fourni gratuitement par les C.A.H. (“Huttes catholiques de l’Armée”), filiale et oeuvre de guerre des Chevaliers de Colomb. Écrit ou assemblé à la fin de 1914 à Saint-Jean (Canada) par l’abbé Philippe-Henri Duperron Casgrain, premier aumônier du Royal 22e Régiment, les textes furent ensuite imprimés à Québec par J.A.K. Laflamme au tout début de 1918, puis envoyé aux soldats canadiens-français catholiques envoyés en Europe. Outil de culte, il permit à ces derniers, outre de vivre leur religion dans leur propre langue, de conserver le moral, le courage et l’espoir, dans les conditions épouvantables engendrées par la guerre des tranchées, durant la Première Guerre mondiale (1914-1918).”

Conclusion

Le Livre de prières du soldat n’est qu’un seul des millions d’objets ayant une valeur historique potentielle, mais il illustre bien la petite démarche suggérée dans cet article. Bien sûr, un livre offre une certaine facilité d’étude, vu le nombre de mots et symboles–autant d’indices potentiels–qu’il contient. Certains objets livreront leurs secrets avec beaucoup plus de parcimonie, mais leur valeur en sera augmentée.

Une vieillerie peut être chargée de signification, de valeur, de force, et être finalement bien plus qu’une babiole. Le Livre de prières du soldat nous rappelle que beaucoup de Canadiens français vécurent les horreurs de la Première Guerre mondiale, malgré l’éloignement du conflit, et le fait que c’était “la guerre des autres”. Il nous illustre également l’un des rôles joués par les Chevaliers de Colomb durant la Première Guerre mondiale. À une échelle moindre, c’est peut-être dans ce livre que mon arrière-grand-père trouva la force de survivre aux tranchées et à l’éclat d’obus qui l’a accompagné dans la tombe, soixante ans plus tard.

L’étude d’un objet permet d’établir des ponts entre les patrimoines familial, national et personnel. C’est un exercice identitaire stimulant, une enquête historique enrichissante. C’est également, à une toute petite échelle, l’un des aspects du travail des archéologues et des historiens professionnels. Pour ceux-ci, chacune de ces trouvailles est potentiellement l’élément qui bouleversera une théorie établie ou en confirmera une nouvelle. Il est donc primordial de faire connaître l’existence, à la communauté scientifique, des objets pouvant faire avancer les connaissances d’un peuple sur lui-même.

En conclusion, à la valeur familiale d’un vieil objet est jumelée une valeur patrimoniale à bien plus grande échelle, et en ce sens, l’objet est un bien collectif. En conséquence de quoi, sa possession est un droit accompagné du devoir d’en prendre soin et de le mettre en valeur. Ce devoir se transformera même, chez plusieurs, en passion, d’autant plus que le commerce par Internet permet désormais l’accès à encore plus de variétés d’antiquités. Ceux qui achèteront ces objets et sauront les mettre en valeur au profit de tous auront la cote!

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