Les anciens combattants doivent souvent lutter avec des douleurs mentales ainsi que physiques, mais jusqu’à ces derniers temps, les deux sortes de blessures étaient traitées séparément. La nouvelle clinique de la gestion de la douleur, dirigée par Anciens combattants Canada à l’Hôpital Ste-Anne de Ste-Anne-de-Bellevue (Qc), aide les anciens combattants à s’occuper des deux.
La clinique, inaugurée officiellement par le ministre d’Anciens combattants Canada Greg Thompson a connu au mois de mars, un bon départ en novembre 2005 grâce à un important don d’André Chagnon, le fondateur de la société de multimédia Vidéotron.
“Pour autant que nous sachions, c’est la première clinique (au Canada) qui soigne les blessures de stress opérationnel (BSO) et la douleur en tant que morbidités conjointes”, dit le Dr Serge Gingras qui est directeur des services professionnels à l’Hôpital Ste-Anne. Ce centre de soins de longue durée, où quelque 430 anciens combattants sont logés, est le dernier hôpital fédéral qu’ACC administre. “Aux autres cliniques de la gestion de la douleur, on vous dit que vous souffrez d’une maladie psychologique et on vous envoie chez un psychologue”, dit Gingras, qui ajoute que peu de cliniques offrent un plan de soins intégrés comme le fait la sienne. “Quand vous souffrez (d’une BSO et d’une douleur chronique), il faut soigner les deux en même temps, parce qu’elles sont liées étroitement. La douleur peut aggraver la BSO et inversement.”
Les BSO sont des blessures psychologiques tenaces qui résultent du service lors d’opérations militaires et comprennent des maladies comme la dépression, l’anxiété et le stress post-traumatique. Il arrive que ces maladies se manifestent au bout de plusieurs années. La douleur chronique, quant à elle, est une douleur qui dure plus de six mois et qui est reliée à des maladies difficiles à soigner.
Un grand pourcentage de la clientèle souffre d’une combinaison de BSO et de douleur chronique. Pour l’instant, la clinique a aidé plus de 150 vétérans de celui de conflits remontant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et aussi récents que l’Afghanistan. “La plupart des anciens combattants que nous avons sont des vétérans d’Haïti, de Bosnie (ou) de Croatie”, dit Monique Allard, la coordonnatrice des infirmières de la clinique de gestion de la douleur.
Le programme s’est beaucoup étendu. “Elle était vraiment petite quand nous l’avons inaugurée”, dit Allard, et elle remarque que la clinique servait surtout aux résidents de Ste-Anne. Toutefois, il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que les patients des quatre lits réservés aux anciens combattants plus jeunes qui souffrent de BSO fassent des demandes à son équipe. “La vitesse a augmenté et (maintenant) nous avons des clients de la région de Québec… présentement il y a une liste d’attente d’un mois. Nous avons 80 dossiers actifs.”
L’attente est extraordinairement courte quand on la compare à celle des autres cliniques de gestion de la douleur à travers le Canada. Gingras remarque que les autres cliniques n’acceptent qu’un petit nombre de patients et qu’on peut passer jusqu’à deux ans et demi sur leur liste d’attente. Le modèle à Ste-Anne a été conçu pour aider le plus d’anciens combattants possible. Pour les non-résidents, dit Gingras, “la rééducation se fait toujours mieux dans la collectivité”. Plutôt que de faire venir les anciens combattants à la clinique toutes les semaines ou toutes les deux semaines, “nous essayons de produire une très bonne évaluation ou un très bon plan de soins qui peuvent être suivis dans la collectivité. Nous demeurons en réserve, alors le médecin traitant ou le physiothérapeute peuvent nous appeler s’ils veulent.”
Faire en sorte que les résidents de Ste-Anne soient confortables est également prioritaire. “(Les gens) se font une idée fausse comme quoi, en vieillissant, la douleur est normale… Il faut infirmer cette idée fausse”, dit-il. “Il y a beaucoup de travail à faire dans le cadre des soins de longue durée pour s’assurer que la gestion de la douleur atteigne son état optimal.” Il dit que nombre de résidents ont profité du fait que la clinique se trouve si près de chez eux.
La clinique comprend un petit nombre de bureaux gais nouvellement rénovés dans l’aile de physiothérapie de Ste-Anne. Allard, une infirmière autorisée, et sa petite équipe de physiatres, physiothérapeutes et psychologues sont toujours occupés à voir des clients ou à suivre leurs soins en se servant du téléphone et de questionnaires.
L’équipe préfère une variété de techniques et thérapies, y compris des médicaments, la physiothérapie, les exercices de réduction du stress, la thérapie par chaleur et froid, et la psychoéducation. “On pourrait dire que c’est un abord holistique”, dit Gingras. L’objectif principal, dit-il, est de rendre les patients fonctionnels, “pas nécessairement de leur donner assez de médicaments pour les rendre complètement engourdis”.
Il fait remarquer que la clinique prend aussi une autre voie où, plutôt que d’avoir un anesthésiste en tant que spécialiste principal, comme c’est le cas d’habitude, Ste-Anne emploie aussi des physiatres. Ces médecins se spécialisent en médecine physique et en rééducation. “Les clients les plus jeunes, et les clients que nous avons aux soins de longue durée aussi, souffrent de maladies squeletto-musculaires. Il semble que ce sont des physiatres qu’il faut avoir.”
Quand un ancien combattant arrive, il passe par un processus complet d’interview et d’évaluation. “Nous avons remarqué […] que la plupart d’entre eux n’ont pas fait l’objet de suivi médical”, dit Allard. L’équipe sanitaire s’occupe de tous les aspects de la vie journalière de la personne; tout se discute, des difficultés à dormir jusqu’aux questions de relations. “Nous ne nous concentrons pas seulement sur la douleur ou l’état médical”, dit-elle. Après les interviews, Allard et son équipe s’entretiennent des recommandations avec le client.
L’éducation est aussi une composante importante. Nombre d’anciens combattants qui ont une douleur chronique “arrêtent (souvent) tout, ce qui n’est pas bien”, dit Allard. “Il y en a d’autres qui continuent de faire ce qu’ils faisaient quand ils étaient des militaires actifs, et pensent qu’ils peuvent faire des randonnées de 50 milles à pied et ne pas en souffrir.” En plus de leur donner des outils de relaxation, dit-elle, la clinique montre aux patients “comment régler leur allure et fixer des objectifs réalistes”.
Jusqu’à ces derniers temps, la clinique passait toute une journée avec chaque client. Toutefois, dit Gingras, si l’objectif est de montrer aux clients comment utiliser les outils pour qu’ils puissent gérer la douleur, “une journée ne suffit pas”. Alors la clinique a lancé un projet pilote dans le cadre duquel les anciens combattants suivent un atelier de gestion de la douleur de quatre jours.
De dire Allard : “même durant ces quatre jours, il y a beaucoup de renseignements parce que (certains clients) ont de la difficulté à se concentrer. Alors on fait beaucoup de poses et on incorpore beaucoup de conditionnement physique.”
L’équipe fait toujours attention aux besoins spécifiques des anciens hommes et femmes des services. “Normalement (nos clients) se sont engagés dans les services quand ils étaient très jeunes, alors c’est leur seul environnement de socialisation”, dit Allard. “Quand ils retournent à la vie civile, (ils se sentent) un petit peu embarrassés d’être retournés à la vie civile pour des raisons médicales. Et en plus de ça, si c’est relié à une sorte de BSO, ils trouvent ça très difficile.” L’invalidation de toutes ces marques est une partie intégrante du travail de la clinique.
Les anciens combattants apprécient cet abord. André Léonelli, qui a assisté au lancement au mois de mars, souffrait de dépression et de douleur au dos chronique quand il a quitté les Forces canadiennes il y a un an. Sa santé mentale s’est détériorée après une série de missions de maintien de la paix à Chypre et en Afrique, où il se sentait impuissant à propos de participer. Maintenant, ce vétéran de 18 ans des FC est un des clients à Ste-Anne. “Ici, tout le monde travaille ensemble pour aider”, dit-il.
Gingras aimerait que des services semblables soient aménagés à travers le Canada. “On est en train de prendre de l’expérience lentement, et on verra où ça va nous amener.”