Hors pair : les Canadiens à Vimy

par J.L. Granatstein

La bataille de la crête de Vimy tient encore une place spéciale dans l’esprit canadien. Au mois d’avril, des milliers d’écoliers, leurs enseignants, leurs parents, des vétérans de la Grande Guerre et des représentants d’organisations d’anciens combattants et des gouvernements vont se rendre en France en l’honneur du 90e anniversaire de la bataille. La couverture médiatique va être immense et la réfection du monument sera révélée sous autant d’acclamations que lorsqu’il a été dédié, en 1936, devant une grande foule d’anciens combattants et de membres de leur famille. Cette manifestation a été appelée un “pèlerinage”, un terme intéressant qui suggère la nature quasi-religieuse de la cérémonie et l’importance de la victoire à Vimy qui a eu lieu en avril 1917.

Ainsi, Vimy est importante, mais pourquoi? Pourquoi, presque un siècle après l’attaque lancée le lundi de Pâques 1917, la prise de la crête de Vimy résonne-t-elle encore si puissamment dans ce pays si peu militaire?

Les Canadiens voient Vimy comme un événement constructeur de nation, une marque clé du développement du nationalisme canadien. Certains la voient comme l’escalade de la crête, presque l’équivalent des hommes de Wolfe qui grimpaient la falaise du Saint-Laurent jusqu’aux plaines d’Abraham. Presque tous estiment la bataille de Vimy en tant qu’événement décisif de la Grande Guerre, la victoire qui aurait gagné la guerre. Et tous les Canadiens voient Vimy comme un triomphe entièrement canadien qui a démontré la supériorité de “nos gars” par rapport à l’ennemi, oui, mais aussi par rapport à nos alliés. Tous ces points devraient être étudiés de plus près.

Mais d’abord, il faut préparer la scène. En avril 1917, la Grande Guerre ne se passait pas bien pour les alliés. L’empire russe, se faisant dissoudre par la révolution, chancelant, avait presque quitté la guerre et les armées françaises, maltraitées au-delà de toute endurance lors d’une série de batailles, étaient au bord de la mutinerie. La Grande-Bretagne et les Dominions seulement semblaient résolus, mais les pertes dépassaient grandement le recrutement sous les drapeaux. Nombreux étaient les gens au Canada qui avaient commencé à demander la conscription, bien que le gouvernement n’avait encore rien fait à ce propos. La seule éclaircie pour les alliés eut lieu le 6 avril, quand le Président américain Woodrow Wilson fit entrer son pays en guerre. Les États-Unis n’étaient toutefois pas prêts et il allait falloir plus d’un an avant que leurs soldats aient commencé à atteindre les tranchées en grand nombre.

Les victoires durant les combats étaient rares pour les alliés et les armes, les tactiques et le leadership allemands semblaient dominer les champs de bataille européens. À la mi-mars, les Allemands raccourcirent leurs lignes, se retirant sur une longueur de 100 milles du front ouest jusqu’à la ligne Hindenburg très fortifiée, laquelle s’étirait d’Arras à Saint-Quentin.

Là, la nouvelle doctrine de l’ennemi, la défense en profondeur, allait être appliquée.

Les plans de l’attaque alliée durent être modifiés et on donna la tâche à la British Expeditionary Force de déborder la nouvelle ligne de défense de l’ennemi. La bataille d’Arras, comme on allait l’appeler, comprit deux armées britanniques, la 1re et la 3e, et le but, bien qu’il ne fut jamais déclaré explicitement, était l’attrition ou l’usure des forces ennemies. L’attaque du Corps canadien à la crête de Vimy était une partie de cette grande campagne britannique.

Le terrain surélevé, dont la crête de Vimy est la caractéristique la plus importante, domine la plaine de Douai en France du Nord et de là on voit Lens à l’est et Arras au sud. La crête elle-même, à part la colline 145 et le Pimple (bouton) au bout nord, s’élève peu à peu d’ouest en est. L’à pic se trouve du côté est, derrière les principales positions allemandes et l’importance de la crête était principalement que sa possession permettait, ou interdisait, de voir une grande partie du territoire avoisinant détenu par les Allemands. La crête de Vimy avait été saisie par les Allemands en octobre 1914 et puis attaquée, sans succès, par les Français en 1915 et par les Britanniques en 1916. Le terrain, qui avait été l’objectif de tant de combats sauvages, avait été dévasté par l’artillerie, les sapeurs qui creusaient des puits de mine pour y planter des explosifs (plus de cent mines britanniques avaient explosé en 1916) et par les tranchées et les fosses-réservoirs de plus en plus profondes. Quand les Canadiens sont arrivés à Vimy, les efforts faits dans le but de prendre la crête avaient déjà causé 300 000 victimes. Comme l’a remarqué un fantassin par la suite, Vimy “était le point central d’un immense cimetière”.

La 6e Armée allemande avait eu beaucoup de temps pour développer ses défenses en haut de la crête. Il y avait trois lignes défensives principales avec des tranchées et des fosses-réservoirs profondes, qui étaient toutes protégées par des ceintures de fil barbelé et des postes de mitrailleuse en béton. Le sol calcaire de la crête avait été creusé, plein de tunnels et de tranchées de communication, et la deuxième ligne de l’ennemi, située un à deux milles à l’est de la crête, comprenait de gros abris enterrés, dont certains pouvaient accueillir en sécurité jusqu’à un bataillon. La troisième ligne, cinq milles en arrière, comptait sur des positions puissamment fortifiées. Et il y avait une quatrième ceinture défensive en construction plus en arrière, la ligne Drocourt-Quéant, que les Canadiens allaient rencontrer durant ce qui allait s’appeler les Cent jours du Canada en 1918. La faille fatale dans la planification allemande était que les divisions de la contre-attaque se trouvaient entre 12 et 24 heures de marche en arrière. Si les Canadiens pouvaient faire une brèche dans les lignes ennemies à la crête de Vimy, ils ne seraient pas expulsés.

À l’hiver 1917, le Corps canadien, dirigé par le lieutenant-général britannique sir Julian Byng, était un groupement expérimenté. Il s’était bien battu aux batailles coûteuses de la Somme en automne 1916 et ses divisions, brigades et bataillons étaient bien commandés. La plupart de ses hommes étaient nés en Grande-Bretagne, pas au Dominion, mais son esprit et sa sensibilité étaient de plus en plus canadiens. Ses quatre divisions avaient appris leur métier durant deux ans de combats, maîtrisant la guerre des tranchées, apprenant la meilleure manière d’utiliser l’infanterie et étudiant la meilleure façon de se servir de la reconnaissance aérienne, le gaz et l’arme qui allait gagner la guerre, l’artillerie, avec beaucoup d’efficacité. Le Corps canadien était une institution en apprentissage, une organisation recherchant à répondre à la question qui tourmentait les stratégistes : comment surmonter les avantages qui favorisaient la défense au front de l’ouest?

Chaque commandant s’escrimait à y répondre, mais certaines des réponses vinrent du commandant pragmatique, analytique et à l’esprit ouvert de la division canadienne, le major-général Arthur Currie. Envoyé par Byng pour étudier la manière dont les Français s’étaient battus à Verdun en décembre 1916, Currie, dans son rapport, faisait remarquer qu’une bonne reconnaissance était essentielle, ainsi que les efforts faits pour familiariser chaque soldat à propos des objectifs désirés et puis de faire exercer son rôle à chaque homme. Les cartes et les photographies furent distribuées jusqu’au niveau du peloton et chaque poilu (le surnom affectueux du fantassin français), pouvait utiliser chaque arme de l’infanterie, ainsi que celles qui appartenaient aux Allemands. Les Français comptaient sur le feu et le mouvement, l’infanterie consolidant les positions capturées et les troupiers reposés, se ruant en avant lors des assauts, employaient des mitrailleuses et des grenades pour forcer l’ennemi à baisser la tête.

Nombre d’officiers britanniques avaient fait des conclusions semblables à propos des tactiques de leurs alliés, mais ce ne serait pas faux de dire que Byng s’en servit avec bien plus de vigueur que quiconque avant lui. Le Corps canadien fut réorganisé, ses compagnies comprenant dorénavant quatre pelotons de quatre sections chacun, et chacune de ces dernières employant le feu et le mouvement. Les officiers insistaient sur l’initiative du particulier et les pelotons devinrent plus autonomes, une politique qui fit rentrer les spécialistes comme les mitrailleurs à Lewis, les bombardiers et les fusiliers-grenadiers au peloton et le rendit capable d’actions intégrées.

Mais à travers du Corps expéditionnaire britannique, dont le Corps canadien faisait partie, le fusil et la baïonnette étaient toujours essentiels. Le pioupiou (simple soldat) canadien avait peut-être un tempérament plus flexible que le britannique, mais le diagramme de l’attaque que chacun utilisait était très semblable. Ce qui était différent, comme le disait souvent le brigadier-général William Griesbach de la 1re Brigade, c’était que le Corps canadien était bien entraîné, bien dirigé et bien disposé à apprendre.

Les conclusions de Currie furent rapportées à tous les hommes. Un soldat écrivant à son frère quelques jours après la bataille de Vimy, lui dit que “on nous avait organisé pour l’attaque conformément au nouveau système français”. Le simple soldat Frank Teskey, qui avait servi avec la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, dit que son unité avait été “formée conformément à ce nouveau système à l’école de formation. J’ai été nommé scout. Mon travail, rester au flanc droit de notre peloton quand nous nous élancions de la tranchée et maintenir le contact (avec le) peloton à côté du nôtre et, si nous étions ralentis, avancer et essayer de découvrir l’obstacle, couper les fils de fer barbelés etc.”.

Il s’agissait d’un changement tactique pour le mieux.

Byng et son état-major, les principaux étant des officiers impériaux formés dans les collèges d’état-major de l’armée britannique, avaient préparé un plan pour l’assaut de Vimy le début de mars 1917. On avait l’intention de charger le lundi de Pâques, le 9 avril, en une attaque de quatre stades conçue pour pouvoir employer les quatre divisions du Corps canadien en ordre, allant du 4e, à gauche, jusqu’au 1er, à droite de la ligne canadienne. Chaque division attaquerait avec deux brigades à 5 h 30. Le premier objectif, la ligne Black, comprenait les tranchées des premières lignes allemandes, lesquelles devaient être prises au bout de 35 minutes tout au plus. Ensuite, les troupes devaient faire une pause de 40 minutes pour s’implanter solidement et se regrouper. Au bout de 20 minutes de plus, la ligne Red, les 3e et 4e divisions, devaient se trouver maîtres des derniers objectifs des Canadiens. Les brigades de réserve des 1re et 2e divisions, ainsi qu’une brigade britannique, devaient ensuite passer à l’assaut vers la ligne Blue, prenant les défenses de deuxième ligne des Allemands, lesquelles étaient centrées dans le village de Thélus. Finalement, après une halte de précisément 96 minutes, les mêmes brigades devaient avancer jusqu’à la ligne Brown, les derniers objectifs, à quelque 4 000 verges de la ligne de départ.

Si tout allait comme prévu, le combat du Corps canadien serait terminé à 13 h 18. Les ordres de Byng prenaient compte du besoin de se préparer aux contre-attaques allemandes. Il faudrait apporter rapidement des mitrailleuses en grande quantité et préparer des lignes de défense hâtivement sur le terrain récemment gagné.

On dépendait beaucoup de l’artillerie. En effet, la préparation de l’artillerie était la clé de la victoire. Les tranchées de l’ennemi furent bombardées à partir du 20 mars et le bombardement fut intensifié le 2 avril, une semaine avant l’assaut. On devait surtout faire attention aux défenses de fil barbelé allemandes, lesquelles devaient être détruites par les nouveaux obus no 106 qui explosaient au contact avec le fil. Ils furent si efficaces que bien peu d’unités rapportèrent avoir eu de la difficulté à avancer le 9 avril. Les canons ennemis avaient été localisés grâce au réglage du tir par avion, au repérage par le son et au repérage par éclats, et mis hors d’action par le feu des contre-batteries, un processus dirigé par le lieutenant-colonel Andrew McNaughton. Lors de l’attaque, 83 pour cent des 212 canons allemands avaient été neutralisés.

Des canons en grandes quantités avaient été mis à la disponibilité du Corps canadien : 11 groupements d’artillerie lourde, comprenant 245 canons, et 15 brigades d’artillerie de campagne, totalisant 618 canons. Les mitrailleuses Vickers, 150 d’entre elles, tiraient indirectement sur les places fortes ennemies. On pouvait obtenir encore plus de puissance de feu si nécessaire. La plupart des canons, comme la plupart des efforts de logistique appuyant les bataillons des lignes du front, provenaient des ressources de l’armée britannique. Le major Alan Brooke, qui allait être chef du grand état-major impérial, créa le plan pour l’utilisation de l’artillerie.

Les canons avaient aussi un autre rôle crucial. Un barrage traînard allait avancer en étapes de 100 verges, le tout minuté avec précision. L’infanterie qui avançait devait faire attention à rester derrière le barrage, à cause du danger d’être détruite par le tir ami.

Une immense quantité d’obus devait être accumulée, stockée et puis avancée au bon moment. Il en allait de même pour la nourriture, 600 000 gallons d’eau chaque jour, le matériel du génie, les munitions, les fournitures médicales, le fourrage et tout ce dont les 100 000 hommes du Corps canadien et leurs 50 000 animaux avaient besoin. Un système de tramways servait au transport des fournitures vers le front grâce aux tunnels creusés par les cinq compagnies de creusage de tunnels du corps. Ces tunnels, où l’on trouvait de l’éclairage, des téléphones et de l’eau, ont servi à abriter de nombreux troupiers durant la préparation de l’attaque.

Ceux qui se trouvaient à l’extérieur vivaient dans la fange. L’artilleur Wilfred Kerr écrivait que “les tranchées avaient de la boue jusqu’au genou […] comme du gruau; elle montait par-dessus les bandes molletières, les trempait, remplissait les bottes et pénétrait les chaussettes jusqu’à ce qu’on soit obligé d’utiliser un couteau pour l’enlever d’entre les orteils”.

Pendant que les préparations prenaient de la vitesse, les bataillons d’attaque s’entraînaient encore et encore. L’entraînement avait lieu sur des terrains semblables en arrière, avec des rubans qui indiquaient les objectifs. L’objet était de prendre soin que chaque soldat connaisse son rôle. À la surprise de tout un chacun, cela fonctionna. Un servant de mitrailleuse Lewis des 2nd Canadian Mounted Rifles disait par la suite que “quand nous avons fini par atteindre le haut de la colline, non seulement sommes-nous arrivés exactement au bon endroit, nous savions que nous étions dans la bonne section des tranchées où nous devions nous trouver”.

Un colonel ajoutait qu’il avait étudié les plans si souvent que “je n’avais pas besoin de regarder mes cartes pour dire où je me trouvais à quel moment”.

Pendant que l’entraînement se poursuivait, des unités de chasseurs sortaient chaque nuit pour tracasser les Allemands qui étaient déjà maltraités par “la semaine de la souffrance” infligée par le feu de l’artillerie qui avait commencé le 2 avril.

Certains raids réussirent, mais un raid de 1 700 hommes contre les défenses allemandes du Pimple, une élévation de la crête, ne résulta qu’en de lourdes pertes pour les attaquants, des pertes assez importantes pour affaiblir l’attaque de la 4e Division le 9 avril.

Les Allemands savaient qu’une attaque allait avoir lieu, mais Byng espérait obtenir une surprise tactique en fourvoyant l’ennemi. Le taux du feu des canons pouvait être varié, par exemple, et les canons se sont relâchés après minuit, le lundi de Pâques. Et le dernier bombardement traditionnel qui annonçait l’attaque des alliés n’eut pas lieu non plus. Les officiers apprirent l’heure de l’attaque le dimanche de Pâques et ils passèrent la consigne à leurs hommes peu de temps après. À 5 h 30, à l’aube, avec un vent du nord-ouest fortuit qui poussait la neige dans le visage des sentinelles ennemies, tout était prêt. Les hommes attendaient stoïquement l’heure zéro, écrivait le lieutenant Stuart Kirkland, qui remarquait que son bataillon ontarien se tenait dans la boue jusqu’à la ceinture 15 minutes avant l’heure zéro, “je pris deux bouteilles de rhum et donnai une bonne gorgée à chaque homme, car le froid était rigoureux […]”.

L’attaque commença par un immense barrage d’artillerie, “le barrage d’artillerie le plus merveilleux qui ait jamais eu lieu”, écrivait Kirkland. “C’était tout un feu d’artifice”, dit l’artilleur Fred Sims de Lethbridge (Alb.) alors que chaque canon tirait quatre coups par minute. En tout, les canons tirèrent 40 000 coups le 9 avril, tout un feu d’artifice en effet.

L’artilleur Harold Panabaker, qui travaillait avec un officier observateur avancé, se trouvait dans un des tunnels les plus profonds de Vimy et même sous le terrain, le son du barrage d’ouverture “ressemblait à un grand roulement de tonnerre”.

Les 15 000 fantassins de la première vague des 21 bataillons s’élancèrent des lignes de départ sur un front de 7 000 verges. Ils portaient tous leur fusil à baïonnette, leur masque à gaz, 120 balles, des grenades, une bouteille d’eau, peut-être un sac à dos avec des vivres et une pioche ou une pelle : le fantassin devait porter quelque 50 à 75 livres sur son dos. La boue, brassée par le bombardement continuel, fit ralentir l’avance, mais les fantassins continuèrent d’avancer. Le soldat Arthur Southworth écrivait chez lui que tout “ce qu’on pouvait voir c’était la fumée, des Frisés qui couraient et des morceaux de Frisés, même des fois des entiers, qui étaient projetés dans les airs”. L’artillerie frappait les batteries ennemies et les positions défensives principales, et le barrage rampant permit à l’infanterie de rester près du mur de shrapnel.

Quand ils atteignirent les premières tranchées ennemies, la plupart des bataillons au moment prévu, ils trouvèrent des Allemands qui étaient encore dans leur trouée. L’ennemi se rendait ou il était expédié à la grenade. Il n’y avait “pas beaucoup d’excitation où j’étais”, écrivait un lieutenant du 16e Bataillon de la 1re Division. “Je ne vis que deux Allemands vivants et deux qui étaient morts.” Le barrage donna à tous les hommes “un sentiment de confiance”, écrivait le soldat William Elder chez lui à Huntingdon (Qc), “et nous n’étions en danger qui si nous nous en approchions”.

Un des meilleurs comptes rendus de l’assaut initial, qui n’a jamais été publié, fut écrit par le simple soldat Teskey de la PPCLI. Il faisait partie de la première vague de l’attaque de la 3e Division, tout juste au sud de la colline 145. “Une série de cratère de mines nous séparait de la ligne du front de l’ennemi. Nous nous trouvions à un bord des cratères et les Frisés de l’autre. J’étais en haut de notre côté (où on) voyait bien ce qui se passait. Il fallait passer par des crêtes étroites entre les cratères et mon travail était de prendre la tête d’une des files. À 5 h 30, tous les canons que nous avions crachèrent le feu […]. Un barouf affreux. Les Allemands à 35 verges. (La) crête que je devais traverser était haute de 25 pieds. Après un court bombardement, le signal pour qu’avance la 1re vague. Pas le moment de réfléchir! Couru jusqu’à notre propre barbelé; démêlai et continuai. Dus arrêter parce que notre artillerie déversait encore un barrage de shrapnel dans la tranchée ennemie. Le prévu, c’était que la première vague avance sous les obus et aussitôt que le barrage stoppe, se ruer dans la tranchée. Bonne partie de notre 1re vague touchée par nos propres obus! Font pas leur devoir si pas de victimes! Notre barrage n’a pas eu tous les Allemands de la première ligne. Alors que nous nous accroupissions à l’extérieur de leur parapet, une pluie de bombes tomba. Mais aussitôt que nous nous sommes rués en avant, nous étions tous des ‘kamarads’ […].

Comme Teskey le disait dans la lettre qu’il écrivait d’un lit d’hôpital, “juste avant d’atteindre notre objectif, un de nos propres obus toucha terre derrière moi et je fus frappé au dos […]. J’entrai dans le trou fait par un obus. Difficile de retourner à nos lignes : la boue!”

L’expérience de Teskey n’avait rien d’étrange. Le major Percy Menzies notait que des “fois c’était très difficile de savoir exactement où se trouvaient nos lignes de barrage et c’était très dur pour nous, officiers, de ramener nos hommes hors de notre propre feu. Le terrain était tellement trituré que c’était impossible de reconnaître les points de repère sur lesquels nous comptions”.

La courte pause à la ligne Black permit aux attaquants de s’implanter solidement. Et puis l’avance recommença, qui se passait bien à la droite de la ligne. Les Allemands avaient commencé à réagir et des tireurs, le feu des mitrailleuses et l’artillerie causèrent des victimes chez les Canadiens, mais cela ne ralentit guère l’avance. La ligne Blue tomba facilement devant les brigades de réserve des 1re et 2e divisions, “exactement de la même façon qu’on s’était entraîné sur les champs d’exercice”, ou en tout cas c’est ce que disaient les historiens officiels britanniques. L’objectif final, la ligne Brown, atteinte après une charge à la baïonnette par des hommes de la 6e Brigade, tomba vite aux mains des Canadiens.

Les pires difficultés du Corps canadien eurent lieu dans le secteur de la 4e Division, à gauche. À la colline 145 et au Pimple, les troupes allemandes solidement retranchées, qui avaient l’avantage des points les plus élevés de la crête, résistèrent avec acharnement. L’ennemi avait des bunkers sur une pente de l’autre côté de l’artillerie qui le protégeait du bombardement et les 11e et 12e brigades attaquaient les points forts à mitrailleuse avec bien peu de succès. En fait, les contre-attaques allemandes à quelques occasions ont menacé leurs efforts.

Le capitaine Thain MacDowell, à qui l’on avait décerné l’Ordre du service distingué à la Somme, était à la tête de l’attaque du 38e Bataillon. Avec deux coureurs, il se retrouva à une redoute allemande bien en avant du reste de ses hommes. Il détruisit un nid de mitrailleuse et obligea une autre équipe ennemie de servants d’arme à battre en retraite. Ensuite il remarqua un soldat allemand qui entrait dans un des nombreux tunnels qu’il y avait dans la crête. MacDowell le suivit dans le tunnel et persuada un Allemand, au bout de son fusil, qu’il était l’avant-garde d’une force bien plus grande. Il convainquit deux officiers et 75 soldats de se rendre, et les fit sortir par petits groupes afin que ses coureurs puissent les emmener aux lignes canadiennes. MacDowell maintint sa position jusqu’à ce que son bataillon le relève, fut promut major et on lui décerna la Croix de Victoria. Il était l’un des quatre Canadiens à qui la Croix de Victoria a été décernée durant la bataille. Les autres étaient Ellis Sifton, William Milne et John George Pattison.

Quatre mille prisonniers furent faits par les Canadiens, mais beaucoup d’entre eux moururent avant d’atteindre les cages à prisonniers. Le lieutenant-colonel de la PPCLI Agar Adamson écrivait à son épouse que son régiment avait capturé des vingtaines de prisonniers, mais “un major allemand refusa d’être envoyé avec les prisonniers en arrière sauf sous la garde d’un major”. Adamson fut franc: “il ne nous causera plus de difficultés”. Cette histoire n’a rien d’extraordinaire. Richard Rogerson de l’Île-du-Prince-Édouard, qui avait vu un ami se faire tuer près de lui, racontait sans se déconcerter qu’il n’avait pas fait de prisonnier : “j’ai eu mon quota d’Allemands. Il y en a eu 14 à mon crédit en à peu près deux heures, certains j’ai tiré dessus avec mon fusil (et) j’ai enfoncé ma baïonnette dans d’autres et il y en a deux que j’ai tués avec une bombe à main (c.-à-d. une grenade) […]. Une fois que j’ai tué mon premier Allemand avec ma baïonnette, mon sang s’est troublé (et) quand je ne pouvais pas atteindre les Allemands avec ma baïonnette, je leur tirais dessus. Ça ne me dérange pas plus de les tuer que quand je tuais des lapins”. Il se peut qu’une partie de cela soit de la vantardise pour les proches, mais l’histoire de Rogerson sonne juste.

À la tombée de la nuit, la colline 145 appartenait encore aux Allemands. Ce n’est que lorsque la 4e Division a envoyé deux compagnies du 85e Bataillon de Nouvelle-Écosse, récemment arrivés au front et qu’on ne devait employer qu’en tant que bataillon de travail à Vimy, que les Allemands se sont rendus. Le reste des positions de la ligne Red qui faisait face à la 4e Division, à part le Pimple, tomba le matin du 10 avril après une charge à la baïonnette par deux bataillons.

Le Pimple devait être capturé par des troupes britanniques. À la place, le 12 avril, trois bataillons de la 10e Brigade de la 4e Division lançait une attaque, une nuit où hurlait le vent et enlevaient la position à un régiment de gardes allemands lors d’un combat corps à corps. “Je suis roi du Pimple”, disait le brigadier-général Edward Hilliam. La crête de Vimy, y compris le site du mémorial canadien qui allait être construit à la colline 145, était entre les mains des Canadiens.

Il ne restait plus qu’à apporter les canons, et le matériel de toutes sortes, la nourriture, et l’eau, en avant. L’artilleur Kerr s’est rappelé que sa batterie a avancé d’environ deux milles à 11 h, le lundi de Pâques. “Du côté droit de la route, devant nous et derrière, des batteries et des wagons, des camions et des hommes s’avançaient; du côté gauche, il y avait un défilé d’hommes pansés et d’hommes sur des civières qui coulait vers nous.” Les autres batteries, comme le disait l’artilleur Tom Walker à son épouse, “devait attendre que les ingénieurs eussent construit un chemin de fer léger pour aller (de l’avant). La boue était si molle et spongieuse qu’il était absolument impossible de les faire monter avec les chevaux. Ensuite, quand nous atteignîmes la crête, les Allemands battirent en retraite d’environ cinq milles et nous dûmes nous établir devant la crête sur la plaine”. Les canons allemands qui fonctionnaient encore continuaient de tirer sur les Canadiens qui avançaient et le commandant de la 3e Brigade d’artillerie de campagne, le lieutenant-colonel Woodman Leonard, fut tué vers les 9 h 30. Il avait écrit dans son journal, la veille, qu’il avait “renouvelé mon abonnement au London Times pour six mois”.

L’agent du YMCA William Fingland écrivait que “bien sûr les pertes ont été lourdes mais ça a été une grande victoire, et chaque veuve ou mère d’un homme tombé devrait se sentir fière et heureuse le reste de ses jours, que l’être cher a accepté de donner sa vie pour la liberté et la démocratie […]”. Percy McClare du 24e Bataillon de la 2e Division dit à sa mère qu’il “avait participé à toute la bataille et c’était l’enfer”. Mais, ajoutait-il, “je suis heureux de pouvoir dire que je suis passé à travers car ça va être une des choses les plus importantes de l’histoire du Canada”. Le médecin militaire Harold McGill dit à sa fiancée que “c’était une bataille merveilleuse, le meilleur spectacle auquel j’ai jamais assisté. Nos hommes ont taillé le Boche en bonne forme et nos pertes n’ont pas été lourdes”.

McGill avait tort et Fingland avait raison, car les pertes avaient été terribles. L’infirmière Clare Gass écrivait dans son journal le 10 avril que “ce matin, des centaines de blessés canadiens sont arrivés, si fatigués, mais la majorité des blessures n’étaient pas trop graves”. Cinq jours après, elle ajoutait que les “victimes, bien qu’on rapportait comme étant peu nombreuses après la bataille de la semaine dernière ont simplement rempli les hôpitaux à en déborder”. Le Corps canadien a eu 10 602 victimes au combat de Vimy, y compris 3 598 morts. La 4e Division, rien de surprenant, a eu le plus grand nombre de victimes et 4 401 de ses fantassins, soit un sur trois, a été tué ou blessé. Quoi que Vimy ait été, ce n’était certainement pas une simple promenade.

Alors qu’était Vimy? La bataille délibérée, planifiée avec précision et lancée brillamment avait été un triomphe d’armes combinées qui avaient donné une avance de 4 500 verges, la plus grande qu’aient eu les alliés jusque là. La victoire avait démontré combien les Canadiens avaient appris depuis les batailles d’Ypres en avril 1915 et elle prouva que les hommes du corps étaient sans égal.

Malheureusement, la bataille de la crête de Vimy, du 9 au 12 avril 1917, n’avait pas changé le cours de la guerre. Il n’y eut pas de tentative d’exploiter la percée faite par les gars de Byng, pas d’effort pour envoyer la cavalerie à travers les lignes allemandes. L’ennemi battait en retraite quelques milles jusqu’à de nouvelles positions et le combat continuait.

L’importance transcendantale de Vimy le fut pour le Canada. Ce fut une grande victoire, accomplie par l’armée d’une nation qui ne commençait qu’à peine à devenir consciente de sa nationalité. Qu’une majorité des soldats et les officiers d’état-major principaux aient été nés en Grande-Bretagne ne faisait rien. La victoire importait aux soldats parce qu’elle les avait persuadés qu’ils étaient aussi bons qu’ils voulaient croire qu’ils l’étaient. Elle était importante pour les Canadiens au foyer qui pensaient que leurs fils et leur pays étaient spéciaux. Et ils l’étaient.

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