Restaurer la grandeur

par Natalie Salat

Pendant deux ans, le Monument commémoratif du Canada à Vimy, qui domine la plaine de Douai dans le Nord de la France, était inaccessible aux 750 000 personnes qui vont au site iconique du champ de bataille de la Première Guerre mondiale chaque année, car il était enveloppé par un voile métallique.

Mais il ne l’est plus.

Le Projet de restauration des monuments commémoratifs canadiens des champs de bataille, qui s’élevait à 30 millions de dollars, ayant été complété, le chef-d’oeuvre de Walter Allward est entièrement visible; en fait, après la restauration, son aspect est même supérieur à son ancienne gloire.

Avec les avantages des connaissances et des techniques modernes, un certain nombre d’améliorations structurales ont été faites qui devraient permettre au monument de mieux supporter les extrêmes du climat. Les fortes pluies et le cycle brutal des gel et dégel avaient causé la décomposition de la maçonnerie et le dépôt de couches de tartre qui recouvraient nombre de noms inscrits autour de la base du mémorial, lequel a maintenant plus de 70 ans. Fait crucial, ces noms, ceux des 11 285 membres du personnel des services canadiens qui avaient été “portés disparus, présumés morts” en France durant la Première Guerre mondiale, sont à nouveau clairement lisibles.

Bien que le monument avait été entretenu par la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth (CSGC) à la demande expresse du gouvernement canadien, l’organisation n’avait ni les fonds ni les ressources pour s’occuper des questions structurelles majeures. “(La commission des sépultures de guerre) s’est toujours occupée des effets mais jamais des causes fondamentales (de la détérioration)”, dit Peter Craven de la CSGC. “Il a fallu un abord fondamental, ce qui n’a pas eu lieu jusqu’à ce que Vimy devienne lieu historique national (en 1997). Soudainement […] il commençait à prendre un air plutôt miteux.”

Le rapatriement en 2000 du Soldat inconnu canadien, pour lequel une cérémonie de cession a eu lieu à Vimy, offrait l’occasion au personnel d’ACC de montrer aux parlementaires à quel point la restauration était nécessaire. Une recrudescence d’intérêt pour l’histoire et le souvenir à ce moment-là offrait également le soutien public.

En 2002, le gouvernement canadien annonçait le projet de restauration. Alors que 10 millions de dollars étaient affectés à la restauration des 12 autres mémoriaux canadiens de la Première Guerre mondiale en Europe, la majeure partie des 30 millions de dollars allait servir à la perle des monuments canadiens, à Vimy. “Ce n’est pas un travail de briques et mortier”, dit Hélène Robichaud, la directrice du Projet de restauration des monuments commémoratifs canadiens des champs de bataille à Anciens combattants Canada. “Vimy est un endroit qui se maintient dans le temps.”

Le mémorial se trouve sur la colline 145, où quelques-uns des combats les plus féroces ont eu lieu. Au fil des années, il est devenu davantage que le plus grand hommage outre-mer du Canada aux gens qui ont servi à la Première Guerre mondiale. “Il représente un très grand nombre de conflits, bien que cela ne devait pas être le cas à l’origine,” dit Laura Brandon, la conservatrice d’art militaire du Musée canadien de la guerre.

L’inspiration pour le monument est venue à l’architecte et sculpteur Allward, semble-t-il, dans un rêve durant les jours les plus sombres de la Première Guerre mondiale. Sa création, dit Brandon, devait ressembler à une croix ensevelie; les deux pylônes représentant le Canada et la France forment la section supérieure, la base forme les bras et la crypte est la partie la plus basse, celle qu’on ne voit pas. Vingt sculptures allégoriques, représentant les valeurs et les idéaux comme le sacrifice et la sympathie, entourent le monument.

Vu son point élevé et, bien entendu, l’importance de la bataille qui y avait eu lieu, la crête de Vimy fut jugée le seul endroit acceptable.

Le monument blanc brillant fut dévoilé par le roi Édouard VIII, devant plus de 100 000 personnes, le 26 juillet 1936.

Le rôle qu’avait la Légion royale canadienne lors du dévoilement et de la dédicace avait une envergure nationale et internationale. La Légion a fièrement conçu, parrainé et organisé un immense pèlerinage jusqu’au site. Le pèlerinage a eu un succès fantastique et, au cours des années, la Légion a continué de participer aux importantes manifestations organisées en l’honneur des anniversaires de la bataille.

La nouvelle cérémonie de dédicace, qui doit avoir lieu le 9 avril, va sans doute être tout aussi imposante. “(Cela) va être une occasion pour nous tous de nous souvenir et d’honorer les braves Canadiens qui ont participé à la formation de notre nation”, disait le ministre d’Anciens combattant Canada Greg Thompson.

Les douzaines de personnes qui ont participé à la restauration vont se sentir très fières ce jour-là. Il y a eu beaucoup d’efforts physiques et intellectuels, depuis janvier 2005, quand la reconstruction a commencé. “Durant le projet, il y a eu en moyenne à peu près 25 travailleurs chaque jour”, dit Craven.

Pendant presque deux ans, l’équipe multinationale a travaillé sous une coquille en métal qui avait été construite au-dessus du monument pour que les intempéries ne fassent pas arrêter le travail. Craven a travaillé avec le personnel canadien de différents ministères fédéraux, des conseillers français et le titulaire du contrat belge, Group Monument. Un processus de soumission international a donné lieu à ce mélange.

Bien que couronné de succès au bout du compte, l’arrangement avait ses propres problèmes au début.

Les relations entre les Français et les Belges ont dû être dégelées quelque peu, tout comme les glaçons dans la crypte du mémorial. Vu que c’était inhabituel pour une société belge de travailler en France, les maîtres d’oeuvre n’ont pas exactement été reçus à bras ouverts. “Il y a eu beaucoup de changements”, dit Robichaud. Sa responsabilité, en plus de prendre soin que le travail de restauration soit de la meilleure qualité, était de “maintenir la collectivité. Il faut prendre un peu de recul quand il y a des cultures différentes et demander à l’autre personne d’être plus patiente et vice-versa”. Mais, ajoute-t-elle, “ça c’est très bien passé”.

Il y a aussi eu nombre de défis techniques à relever, en plus du fait que le mémorial, dont la surface est de plus de 2 000 mètres carrés, est vraiment grand.

Allward a conçu Vimy en tant que structure en béton armé à façade en calcaire. “Il voulait que la pierre et le béton soient parfaitement liés ensemble”, dit Craven. Avec le recul, cela créait deux problèmes fondamentaux. “D’abord, la pénétration de l’eau. Le calcaire est poreux. L’eau pénétrait et imprégnait le calcaire et, en passant à travers le mortier d’assise […] et à travers le béton armé sous le revêtement en calcaire, elle emportait des sels minéraux. Ces derniers formaient ensuite une couche de tartre qui estompait les inscriptions.”

Le deuxième problème était l’expansion thermique. “Les taux d’expansion thermique du calcaire et du béton armé sont tout à fait différents.”

Il en a résulté des fractures dans la pierre, alors encore plus d’eau s’infiltrait dans le mémorial.

Pour régler ces problèmes, il a fallu enlever tout le calcaire, nettoyer le béton armé, appliquer une membrane résistante, et puis ensuite remettre tout le revêtement. Cette fois-ci, toutefois, le calcaire n’a pas été “installé directement contre le béton ou la membrane”, dit Craven. Un espace a été laissé entre les matériaux et, à certains endroits, des sacs de sable ont été insérés pour améliorer l’écoulement.

Le revêtement en calcaire a été “tout un travail” à enlever, dit le conseiller technique principal, et l’équipe du projet voulait en conserver le plus possible. “L’entrepreneur (belge) a choisi comme solution de le couper avec une scie diamantée. Tous les murs ont été littéralement coupés de la surface du béton.” C’était une expérience émouvante pour beaucoup parmi les gens qui l’ont vu mais, dit Craven, “on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs”.

Il a fallu un système sustenteur à aspirateur spécial pour soulever les lourds morceaux de calcaire. Toutes les étapes ont été difficiles pour les enlever, car (les constructeurs d’origine) s’en étaient servi pour couler le béton derrière. Il y en avait qui étaient très bien collés.”

L’équipe a aussi dû faire beaucoup d’efforts pour que les pierres en calcaire de Seget, provenant de la carrière originaire en Croatie, puissent servir parfaitement. Group Monument a mené des tests aux ultrasons à Vimy ainsi qu’à la carrière. Il a fallu importer 500 mètres cubes de nouvelles pierres calcaires.

Les inscriptions ont donné lieu à d’importantes difficultés également. Dans le temps d’Allward, elles étaient faites au jet de sable avec des pochoirs en caoutchouc. Mais, “chaque fois […] le jet de sable rognait un petit peu du pochoir”, dit Craven. Les membres de l’équipe de restauration ont trouvé d’immenses variations dans la grosseur et la forme des lettres quand ils ont mené une étude photogrammétrique tridimensionnelle. Avec la technologie informatique d’aujourd’hui, l’écriture aurait été “immaculée, mais il y aurait eu beaucoup de bigarrure (par rapport aux inscriptions originelles), alors l’entrepreneur a dû copier les particularités originelles”.

Il y avait aussi un problème plus fondamental : celui de déterminer quels étaient les noms. Certains noms étaient illisibles malgré l’étude photogrammétrique. “Avec le recul”, reconnaît Craven, “ce qu’on aurait dû faire c’est de nettoyer le tartre avant de faire l’étude photogrammétrique. Mais nous ne l’avons pas fait.” Il en a résulté une longue enquête dans la base de données de la commission.

Ensuite, il y avait le fait que les noms n’étaient pas inscrits en colonnes sur le mémorial. À la place, les noms enveloppent le monument, traversant les joints. “Allward ne voulait pas de colonnes de noms […] alors le mortier dans nos joints doit pouvoir être gravé. (Il) doit aussi être assez flexible pour permettre l’expansion thermique.”

“Il a fallu un an et demi, et plusieurs laboratoires, pour en produire un.” La combinaison finale a fini par être un mortier à base de calcaire qu’on a acheté et auquel on a ajouté du butyle, de l’eau et de la poussière de la pierre calcaire d’origine pour que la couleur soit compatible. “Ce mortier fut soumis à des tests de vieillissement accéléré et de compression”, dit Craven. “Nous n’en sommes qu’au début (mais) nous avons très bon espoir que ce sera une bonne solution.”

Robichaud dit que l’atmosphère au site “a vraiment commencé à changer” quand la gravure a débuté. “Les gens faisaient des connexions personnelles, je crois.”

On est en train de s’occuper des derniers détails du monument et le projet n’a ni grevé le budget ni pris du retard. Ce qui est encore plus satisfaisant aux yeux de Robichaud, la fille d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, c’est le fait que cette icône canadienne sera préservée pour les générations à venir. “Il s’agit d’un site dont nous devons nous occuper.”

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