“Jimmy était comme moi là-bas : un marcheur. Nous étions exposés à la boue et à la merde. Il s’est fait asperger directement.”
Grant Payne, un ancien fantassin du Black Watch, regarde Jim Burke, de l’autre côté de la table, en parlant de leur service à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau-Brunswick, durant le milieu des années 1960. La “merde” dont il parle n’a rien à voir avec les résidus organiques.
Quand Burke conduisait une des trois jeeps en manoeuvre à Gagetown, c’était en 1966 ou 1967, cela fait si longtemps qu’il ne peut s’en souvenir exactement, un aéronef à voilure fixe est passé au-dessus de la formation, pulvérisant un liquide blanc grisâtre qui “nous a laissés dans ce qu’on aurait dit était un brouillard”, dit Burke, qui aujourd’hui réside à Saint John. “Notre peau et nos vêtements en ont été mouillés”. Au cours des trois semaines suivantes, les buissons et les arbres sont devenus rouges orangés, et puis bruns et “toutes les herbes dans la zone pulvérisée étaient mortes”.
Ce vétéran des Forces canadiennes souffre actuellement d’un tas de problèmes de santé qui vont de l’affection du coeur à la dépression, en passant par l’insuffisance pulmonaire globale. Il dit que ses supérieurs ne lui ont jamais dit avec quoi il a été aspergé. En ce temps-là, il ne savait rien du produit Orange.
Il y a un an, le gouvernement du Canada a reconnu que le défoliant mortel, dont l’utilisation était si notoire à la guerre du Vietnam, a été pulvérisé à la base d’entraînement lors de tests menés avec le militaire états-unien en 1966 et 1967. En juin dernier, le gouvernement confirmait que le programme de pulvérisation d’herbicide à Gagetown durant les cinq dernières décennies a été bien plus important.
La longue histoire dont l’épicentre est dans la petite ville d’Oromocto, tout à côté de la base, est en train de devenir un fatras de plus en plus complexe de faits et de beaucoup d’émotions.
D’abord, voici quelques faits : La BFC Gagetown, une institution d’entraînement militaire de calibre mondiale, s’étend sur 1 100 kilomètres carrés, y compris 65 lacs et 251 ruisseaux. On y a utilisé un vrai cocktail de produits chimiques, dont l’agent Orange, l’agent Pourpre et l’agent Blanc, au cours de quelques décennies pour dégager la forêt luxuriante renommée du Nouveau-Brunswick. Et c’était tout un cocktail. Rien qu’entre 1956 et 1984, 1,3 million de litres d’agents Orange, Pourpre et Blanc sous forme liquide et 2 millions de livres d’agent Blanc sec ont été utilisés pour nettoyer plus de 181 000 acres.
Les produits Orange et Pourpre contenaient des dioxines, une sorte de produits chimiques extrêmement toxiques produits involontairement durant la fabrication. Certains types de dioxine sont aussi produits naturellement dans l’environnement, bien qu’à des concentrations bien moins fortes. Ces perturbateurs hormonaux ont été reliés à des cancers rares chez l’être humain, à des problèmes respiratoires, à l’impotence, à la chloracné, aux troubles des systèmes immunitaire et de croissance, ainsi qu’à des anomalies congénitales, entre autres. Des quantités infimes, calculées en parties par billion, peuvent causer des dommages.
L’agent Blanc, connu aussi sous le nom Tordon, contenait une impureté de fabrication d’une autre sorte : l’hexachlorure de benzène (HCB). Comme les dioxines, l’HCB est un composé toxique bioaccumulatif, c’est-à-dire qu’il s’accumule dans l’environnement et se dégrade très lentement. La U.S. Environmental Protection Agency l’a inscrit à la liste des carcinogènes humains probables, et des études faites sur des animaux ont prouvé que des quantités infimes endommagent le foie, les reins, le système immunitaire et le sang.
On connaît bien mieux les effets du produit Orange grâce aux études qui ont été faites sur la population vietnamienne et les soldats américains qui y ont été exposés. Toutefois, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d’établir un lien causal entre l’exposition à un produit chimique particulier et une maladie particulière.
Tous les deux ans, The National Academy of Sciences’ Institute of Medicine des États-unis met à jour sa catégorisation de maladies reliées à l’exposition au produit Orange; le ministère des anciens combattants états-unien s’en sert pour prendre des décisions sur les pensions.
Ici, au Canada, le gouvernement est en train de créer un ensemble d’indemnités pour les anciens combattants et les civils qui ont été affectés par les herbicides à Gagetown. C’est au ministre des Anciens combattants Greg Thompson, le député du Nouveau-Brunswick-Sud-Ouest, que cette tâche a été donnée. “Il nous faut un ensemble d’indemnités qu’on puisse utiliser pour s’occuper d’eux à un degré humain, et il faut comprendre qu’il s’agit d’une équation complexe”, dit-il lors d’une interview au téléphone. “Certains des morceaux ont disparu depuis 50 ans. C’est le premier gouvernement qui dit ‘Non, nous n’allons pas passer cela sous silence pour qu’un autre gouvernement s’en occupe.'”
Simultanément, un groupe d’enquête factuelle, nommé par le ministère de la Défense nationale, entreprend des études sur l’environnement et la santé humaine à la base et aux alentours. D’aucuns ont loué le Projet d’établissement des faits à la base Gagetown et les environs, lequel doit être terminé en été 2007, et d’autres l’ont reçu avec scepticisme. Ses conclusions ont donné lieu à une restriction de l’accès à trois zones de la base. Plusieurs autres zones ont été désignées ‘points chauds’ et les risques pour la santé vont y être évalués.
Dix pour cent des 1 200 échantillons de terre, de sédiment et de la nappe souterraine prélevés dans les zones de tir et d’entraînement indiquent des niveaux élevés de dioxines ou d’hexachlorure de benzène. Ces chiffres sont basés sur des niveaux actuels, pas historiques. Le coordinateur de la recherche factuelle Dennis Furlong, un ancien ministre néo-brunswickois de la santé et médecin de famille pratiquant, dit que l’extrapolation rétrograde n’a pas encore été faite. “La question a été soulevée… ‘si ces niveaux en sont là maintenant, où en étaient-ils il y a 50 ans?’ Je ne peux que répondre ‘je ne sais pas, mais je suis certain (qu’ils étaient) plus élevés.'”
Le chef d’état-major de la BFC Gagetown, le lieutenant-colonel Paul Kearney, insiste que le commandant de la base Ryan Jestin et lui sont “engagés complètement pour s’assurer que cette base soit un endroit sécuritaire où travailler, habiter, s’entraîner et jouer”. Ils assistent les enquêteurs factuels de toutes les manières possibles, qu’il s’agisse de l’accès aux dossiers (maintenus méticuleusement par un employé durant plusieurs décennies) ou du nettoyage des zones dangereuses.
Mais les vétérans de Gagetown comme Burke ne savent où donner de la tête. Le temps file, et dans certains cas il arrive à sa fin.
Bien plus de 150 000 personnes ont travaillé à Gagetown depuis 1952. Dans la plupart des cas c’étaient des soldats canadiens, mais il y avait aussi les visiteurs militaires internationaux, dont des Américains et des Britanniques. La création d’une base de données sur les gens qui ont travaillé à la base fait partie de l’enquête factuelle. Toutefois, nombreux sont ceux qui n’habitent plus dans la région et il se peut fort bien qu’ils ne soient pas au courant de ce qui se passe. Une grande partie de l’attention médiatique est restée au Nouveau-Brunswick.
“Ces gens étaient de bons et forts soldats”, dit Payne, un membre de la filiale Oromocto de la Légion royale canadienne ainsi que de la Black Watch Association. “Ils ont obéi aux ordres et maintenant ils sont malades. Ils ont été empoisonnés par leur environnement.”
De plus, dit-il, Anciens combattants Canada place une charge déraisonnablement lourde de preuve sur les anciens combattants qui font une demande de pension. “Ils ont servi leur pays et maintenant, quand c’est le tour de leur pays de s’occuper d’eux, on le leur refuse parce que les systèmes de soutien dont ils ont besoin n’ont pas été mis en place.” À propos de Burke, il dit que “Jimmy a fait une demande (de pension) pour sa maladie pulmonaire et d’autres difficultés auprès du ministère des anciens combattants. (On la lui a) refusée”.
De dire Burke, “J’ai toujours été en santé. Ce n’est qu’il y a trois ou quatre ans que ceci m’a affecté. Depuis lors j’ai eu (deux) infarctus du myocarde, des troubles pulmonaires congestifs et je commence à avoir des protubérances et des bosses partout sur le corps. Je suis du genre de personne qui travaille toujours […] tout à coup mon univers s’est anéanti”.
Payne et ses camarades du Black Watch et du Corps royal canadien des transmissions aident les anciens combattants à remplir les formulaires d’ACC. Le réseau du bureau des services de la Légion également, qui comprend des bénévoles et des agents des services rémunérés aux niveaux de la filiale, de la division et de la nation. Payne dit que l’agent des services Kelly Newstead de la Division du Nouveau-Brunswick a beaucoup coopéré avec lui. L’agent des services de la filiale Oromocto John Perry remarque que sa filiale a fait quelque 115 demandes.
“La majorité des clients (de la Légion) sont venus à la Division du Nouveau-Brunswick pour obtenir leurs services”, dit le directeur Pierre Allard du Bureau national des services de la Légion et il ajoute que l’organisation a aussi écrit des lettres et participé à des discussions avec ACC. Allard reconnaît que les anciens combattants “ont été très frustrés”, et il dit que le réseau du bureau des services de la Légion suggère que les clients qui auraient essuyé un refus de la part d’ACC lors de la première demande devraient attendre que les rapports d’enquête factuelle aient été faits avant de lancer le processus de révision et appel. “On est un peu attrapé ici. L’opportunité est vraiment essentielle.”
Sur les 1 100 demandes reliées aux herbicides reçues à ACC avant le mois de juillet, il n’y a que celles de quatre vétérans de Gagetown qui ont abouti à une pension. Une de ces dernières était celle de feu le brigadier-général Gordon Sellar, le soldat décoré de la Seconde Guerre mondiale qui a commandé le Black Watch à Gagetown, quand il était colonel, durant les années 1960; il a développé une leucémie lymphoïde chronique presque trente ans après. Son épouse, Gloria, a réussi la campagne qu’elle a faite pour obtenir une pension pour lui, mais il lui a fallu plus de dix ans pour convaincre ACC du lien entre les tonneaux d’herbicide étiquetés distinctement, le service de son mari et la maladie de ce dernier. “J’étais absolument résolue à découvrir quelque chose à propos de ceci, parce qu’il y avait tant de gens du Black Watch mourants et extrêmement malades”, dit cette vive dame de 79 ans. Heureusement que, vu son grade, Sellar a pu démontrer où se trouvait son époux à tel ou tel moment donné. Ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres gens.
Anciens combattants Canada a octroyé une pension à Gordon Sellar en 2004; il est mort quelques semaines après. Gloria a fait part de son histoire aux médias en mai 2005, devenant le catalysant d’un torrent d’activités. Depuis lors, elle est devenue une des voix les plus célèbres pour les vétérans de Gagetown et leur veuve. Une fois par mois, elle prend le train de Kingston (Ont.) à Oromocto pour s’acquitter de ses devoirs, lesquels comprennent siéger au comité consultatif indépendant du projet d’enquête factuelle et aider les anciens combattants par l’entremise de la Black Watch Association.
Bien que Sellar constate qu’il existe une perception selon laquelle le grade de son époux aurait contribué à ce qu’il obtienne une pension, elle a beaucoup fait pour aider d’autres soldats. Parmi eux se trouve le chauffeur et radio de Gordon, Chester Harding, qui était constamment avec lui sur le terrain à Gagetown; Harding aussi est devenu gravement malade. Gloria l’a aidé à remplir sa demande pour ACC, mais pour l’instant il n’a pas réussi. De dire Sellar, “Pourquoi il n’a rien reçu, je ne sais pas. Je pense qu’il y a un bâillon sur tout ceci. ”
Deux autres défenseurs se sont mis de la partie quand le ministère de la Défense nationale a déclaré, en juin 2005, que 21/2 tonneaux seulement de produit Orange ont été pulvérisés à la BFC Gagetown en 1966 et 1967. Kenneth Dobbie et Art Connolly, des ‘gosses de militaire’ de Gagetown, ont formé l’Agent Orange Association et se sont servi de l’Accès à l’information pour découvrir l’importance de la pulvérisation d’herbicide à la base une année après l’autre. Ils maintiennent que le gouvernement continue de se concentrer sur les tests américains de 1966 et 1967, négligeant les autres années, entre 1956 et 1984, où le militaire canadien se servait de produits chimiques toxiques. “En l’occurrence, nous avions un programme 12 ans avant que les Américains viennent pulvériser l’agent Orange”, dit Dobbie. “Il s’agissait d’une pratique continue de défoliation délibérée.”
La question les touche profondément tous les deux. Ils ont tous deux perdu leur père (et Connolly, d’autres membres de sa famille) des suites de maladies qu’ils imputent à habiter et travailler à la base durant les années 1960. Dobbie lui-même a souffert d’une variété d’affections, y compris l’atrophie cérébrale et le diabète non insulino-dépendant, depuis l’été 1966 quand, adolescent, il a travaillé à Gagetown au nettoyage de feuillage trempé d’herbicides.
Dobbie et Connolly ont affiché les documents révélateurs du MDN sur leur site Web populaire www.agentorangealert.com et ils continuent d’exiger une enquête publique complète. “Il ne s’agit pas d’argent, ce dont il s’agit c’est que le gouvernement doit accepter ses responsabilités”, dit Connolly.
Alors que la saga des herbicides se dévoilait sous le gouvernement de Martin, les voix de Thompson et de son homologue provincial Jody Carr, député d’Oromocto-Gagetown, étaient parmi les plus fortes qui posaient des questions et exigeaient qu’on passe aux actes. En tant que ministre d’Anciens combattants Canada actuel, Thompson a déclaré qu’il allait proposer son ensemble d’indemnités au cabinet “à la fin de l’automne ou au début de l’an prochain” et qu’il s’agirait probablement d’un paiement à titre gracieux.
Le député libéral Robert Thibault remarque que Thompson “avait suscité de grands espoirs en tant que critique […] comme quoi il allait donner de l’argent immédiatement”, mais que telle allocation ne se trouvait pas dans le premier budget des Conservateurs. Il dit qu’ACC va se servir d’une “épreuve plutôt décisive” pour prendre des décisions sur les demandes de pension des anciens combattants.
À Oromocto, Carr répond que “Greg Thompson a toujours dit, et moi aussi, qu’on ne peut pas écrire des chèques en blanc. Ce que nous avons réussi à faire c’est d’ajuster les lettres (d’ACC) pour qu’on y lise “C’est refusé pour l’instant. Il y a un processus en cours, et au fur et à mesure que ce processus va servir à obtenir davantage de renseignements, votre dossier sera révisé.”
Avant, dit Carr, “le gouvernement fédéral mettait des limites (à sa couverture de pensions) à sept jours de pulvérisation d’agent Orange. Collectivement, tout le monde a dû les convaincre à Ottawa que ce n’était pas seulement ça. Finalement, nous avons réussi à le faire”.
Thompson reconnaît que la charge de la preuve est “difficile” pour les anciens combattants qui demandent une pension. “Si nous voulons suivre le processus des pensions, nous parlerons probablement encore de ceci dans 10 ans, parce qu’il n’y aura probablement pas du tout de résolution favorable pour tous ces soldats.” Toutefois, dit-il, les difficultés pour obtenir l’ensemble d’indemnités seront amoindries.
Mais les indemnités ne viendront probablement pas avant la fin 2007, dit Thompson, car le gouvernement attend les résultats du projet d’enquête factuelle. “Ce n’est que lorsqu’on a obtenu les faits”, dit le ministre, “qu’on peut résoudre un problème.”
L’Agent Orange Association n’est pas très convaincue du projet d’enquête factuelle, que Dobbie appelle un exercice de relations publiques. “Ils n’ont pas du tout de vrai pouvoir, car tout ce qu’ils vont faire c’est recueillir des faits et […] (les) remettre au gouvernement. Nous nous inscrivons en faux contre ça parce que nous connaissons déjà les faits.” Il demande réparation par l’entremise d’une action collective intentée en juillet 2005 par le Merchant Law Group, une société d’avocats nationale.
Le projet d’enquête factuelle de plus de 800 000 $ a commencé en août 2005. Son coordinateur initial, Vaughan Blaney, est tombé malade et a été remplacé par Furlong en novembre dernier. Alors que le docteur Furlong ne passe que deux ou trois jours par semaine au bureau du projet à Oromocto, il y a un personnel de quatre personnes ainsi que des entrepreneurs privés qui s’occupent des études de l’enquête factuelle.
Jusqu’à présent, Furlong a interrogé quelque 500 ou 600 anciens combattants et civils de la région. Il va se servir de ces renseignements ainsi que des études environnementales et de santé pour assembler un rapport déterminant pour le gouvernement. “Je ne crois pas qu’il y ait quelque culpabilité dans ceci”, dit Furlong. “Ce qui a été fait l’a été quand on ne savait pas tout ce qu’on sait aujourd’hui à propos des produits chimiques […]. Nous vivons dans un environnement chimique. “Mais, ajoute-t-il, “le gouvernement veut la responsabilité.”
Les deux tâches terminées dernièrement concernant la détermination de l’utilisation historique d’herbicides à Gagetown, en plus de l’évaluation environnementale préliminaire, sont des “étapes décisives” vers l’achèvement du projet dit-il. “Le gouvernement du Canada ne peut pas être tenu responsable d’après (des conjectures). Il doit avoir des données et des faits pour représenter l’argent du peuple du Canada comme il se doit.”
Bien que Sellar croie que Furlong fait un “travail formidable”, elle a hâte que le gouvernement “s’y mette”.
Furlong reconnaît qu’il est nécessaire d’agir vite. “Comme je l’ai dit aux gens qui disent que ‘ça prend trop de temps’, j’ai dit ‘Eh bien, ça dure depuis il y a 50 ans… Dix-huit mois (à partir de novembre 2005) ne me semblent pas trop long pour bien faire. Nous allons aussi vite que possible.”
Quant aux critiques de l’Agent Orange Association, Furlong répond calmement : “On fait ce qu’on a à faire, ils font ce qu’ils ont à faire. Rien de ce qu’ils font ne va affecter ce qu’on fait ici. ”
Kearney, le chef d’état-major de la BFC Gagetown, remarque que Furlong a le truc pour séparer les faits et les émotions. “(Il) n’est pas là pour faire l’intéressant. Il est là pour obtenir les faits et les faire parvenir au ministre. Il ne s’agit pas du tout d’un exercice de relations publiques.”
Quelques points méritent qu’on y fasse attention maintenant que le projet arrive à terme. Bien que Thompson ait dit que les gens qui habitent, ou qui ont habité, dans les collectivités entourant Gagetown allaient être pris en considération en ce qui concerne les indemnités, ils ne font pas partie du mandat de Furlong. ” (Mon) mandat comprend les anciens combattants–je présume que cela comprend les épouses des anciens combattants décédés–les employés du gouvernement du Canada et les entrepreneurs privés à la base. C’est mon mandat actuellement.”
Deux résidents de Hoyt, que la rivière Oromocto sépare de la BFC Gagetown, observent les événements de près. Gloria Paul, une infirmière à la retraite qui a déménagé d’Angleterre au Nouveau-Brunswick en 1977, inquiète des effets des opérations de la base sur l’environnement, a écrit d’innombrables lettres à des ministres du gouvernement et au personnel de la base. “On ne vous dit jamais rien. Il faut le découvrir et leur montrer, et à ce moment-là ils disent : ‘Oui, c’est bien ça.'”
Sa voisine, Suzanne McCann, s’est fait inscrire dans l’action collective de Dobbie. Pendant 40 ans elle a habité à Enniskillen, une collectivité à côté des zones d’entraînement qui sont devenues infertiles à cause des nombreuses pulvérisations. Sa santé s’est améliorée depuis qu’elle est partie, en 1997. “Dans cette petite collectivité où j’habitais, sur huit maisonnées, 25 personnes sont mortes du cancer.” Son fils travaille à la base et il a fait un rapport aux enquêteurs factuels, mais elle ne sait que penser du projet, dit-elle.
Quant à l’évaluation environnementale faite par la société d’experts-conseils Jacques Whitford, une révision interne a servi à en identifier les points faibles. D’abord, il n’y avait pas assez d’information sur les procédés de l’analyse qu’ont utilisé les laboratoires qui se sont occupés des échantillons. Sans ces informations, écrivaient les scientifiques, il est difficile, même impossible, de fournir une assurance et un contrôle de la qualité.
Les scientifiques indiquaient que les échantillons auraient dû être pris plus profondément que les premiers 10 centimètres de terre superficielle, et lors de l’analyse de la terre, on aurait dû se pencher sur “les paramètres essentiels comme le contenu de matières organiques total”. Il y a également eu “un défaut d’inclusion des zones d’échantillonnage de comparaison à l’extérieur de la zone de tir et d’entraînement”. Ceci aurait donné une base pour qu’on puisse faire les comparaisons et aurait permis à Jacques Whitford de caractériser “les sources régionales des produits chimiques dont il s’agit”.
Thompson fait remarquer qu’il y a d’autres essais environnementaux à faire. “J’ai offert quelques suggestions. Je crois que quelques essais vont traiter […] de la proximité de la base. Certaines de ces collectivités auraient été affectées rien qu’à cause de la direction des vents et de leur proximité. Non seulement j’ai pour mandat d’étudier les militaires et les civils de base, mais ceux de l’extérieur de la base aussi. C’est exactement ce qu’on fait. ”
Alors que les camarades de Payne attendent la décision sur leur demande de pension, l’ancien combattant au parler franc remarque : “Il ne s’agit pas de quelque chose d’aussi simple que d’acheter une nouvelle voiture. Le problème, ici, dans les cas de lésions reliées aux herbicides, c’est qui va s’occuper de nous?”