Ils étaient jeunes comme nous

Il était évident que le pèlerinage qu’Anciens combattants Canada avait organisé en l’honneur du 90e anniversaire des batailles de Beaumont Hamel et de la Somme en serait un auquel ne participerait aucun vétéran de la Première Guerre mondiale, mais il concernerait certainement la commémoration et le maître mot en serait la jeunesse d’aujourd’hui.

Aucun vétéran de la Première Guerre mondiale ne pourrait participer au voyage qui allait avoir lieu du 27 juin au 5 juillet, mais des groupes d’anciens combattants, y compris la Légion royale canadienne et 10 autres organismes, seraient représentés et il y aurait cinq vétérans de la Seconde Guerre mondiale et six vétérans des Forces canadiennes. La Légion serait représentée par le président national nouvellement élu Jack Frost qui allait en France après le Congrès national qui avait eu lieu, du 25 au 28 juin, à Calgary.

Le plus grand contingent, toutefois, serait celui des 39 jeunes choisis dans toutes les provinces et territoires par diverses organisations, y compris Scouts Canada, Rencontres avec le Canada et les Amputés de guerre du Canada. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador avait choisi quelques jeunes gens en l’honneur de son éminente histoire et des liens émotifs avec Beaumont Hamel, où a eu lieu le premier engagement du Newfoundland Regiment en France, et le plus coûteux de la guerre, le premier jour de la bataille de la Somme.

Il était vraiment approprié que le pèlerinage commence par des commémorations à St. John’s où le premier ministre Danny Williams a appelé la bataille de Beaumont Hamel “le jour le plus sombre de Terre-Neuve”.

Le 1er juillet 1916, le Newfoundland Regiment reçut l’ordre de sortir de ses tranchées pour attaquer un ennemi bien retranché de l’autre côté d’un terrain neutre. Une demi-heure après, le régiment avait été décimé. Chaque officier qui s’était avancé avait été tué ou blessé et sur les 801 soldats originaires, seuls 68 répondaient à l’appel le lendemain matin. Terre-Neuve ne s’était pas encore unie au Canada, alors les jeunes hommes du “Rocher” se battaient pour l’armée britannique.

Les soldats canadiens sont arrivés au champ de bataille de la Somme à la fin du mois d’août, quand la bataille avait deux mois. De juillet à la fin de la bataille, à la mi-novembre 1916, le front des alliés n’avait avancé que de 10 kilomètres à l’intérieur du territoire défendu par les Allemands. Le nombre total des victimes alliées s’élevait à environ 620 000, dont 24 000 à peu près étaient canadiennes.

Avant de quitter St. John’s, la délégation a entr’aperçu la vie militaire du XVIIIe siècle grâce à une présentation d’exercices de tattoo exécutés par le Royal Newfoundland Regt. of Foot et la 27e Compagnie du Régiment royal de l’Artillerie. Le Royal Newfoundland Regt. actuel remonte au groupe rassemblé en 1795 pour les postes de garnison qui a participé à la plupart des batailles de la guerre de 1812 et a été dispersé en 1816.

Chaque été depuis 1967, de jeunes Canadiens sont engagés par la Signal Hill Tattoo Association et Parcs Canada pour exemplifier la vie et l’entraînement d’un soldat de garnison au jour le jour.

La prochaine halte de la délégation a eu lieu à la mairie où la ville de St. John’s lui a offert un dîner spécial. Le député Fabian Manning, membre de la délégation, a parlé de l’objet du voyage. “En politique, un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale m’a appris que la seule chose qui aide à survivre à toutes les batailles auxquelles on doit faire face, c’est qu’il faut danser avec celui qui vous a amené. Bientôt nous serons en France et nous devrons nous tenir aux côtés de ceux qui nous ont donné ce pays.”

La première cérémonie de commémoration a eu lieu au parc Bowring de St. John’s où un groupe s’est rassemblé autour de la statue du fier caribou, l’emblème du Royal Newfoundland Regt. Il s’agit d’une des six statues identiques créées par le sculpteur anglais Basil Gotto. C’est la seule qu’il y a au Canada. Les cinq autres sont en Europe, où elles marquent les endroits où les Terre-Neuviens se sont battus et sont tombés. Ici, des couronnes ont été déposées par Manning et les représentants des organisations d’anciens combattants. La Légion royale canadienne était représentée à ce moment-là par Eugene Breen, le second vice-président de la Division de Terre-Neuve-et-Labrador.

Les jeunes eurent l’occasion d’apprendre à se connaître les uns les autres à l’aéroport de St. John’s où la délégation est montée à bord d’un vol de nuit d’un airbus des Forces canadiennes en direction de Lille (France). De dire Adam Fedyk de Kelowna (C.-B.) : “je pense que la plupart d’entre nous étions en état de choc. Au pays, je suis président du conseil des étudiants et la plupart d’entre nous étions angoissés à propos de la remise des diplômes. Certains des jeunes ont même laissé passer la remise des diplômes pour participer à ce voyage.”

Le ministre des anciens combattants Gregory Thompson, accompagné par le ministre des Pêches et Océans et du ministre régional de Terre-Neuve Loyola Hearn, menait la délégation. La princesse Anne a participé aux cérémonies à Beaumont Hamel, tout comme le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams, qui a assisté à plusieurs manifestations.

Deux bataillons du Royal Newfoundland Regt. d’aujourd’hui ont aussi donné énormément de sens et de couleurs aux cérémonies du pèlerinage.

Le groupe a commencé la partie européenne du pèlerinage par une cérémonie en l’honneur de l’implication du Newfoundland Regiment aux combats qui ont suivi la bataille de la Somme, au petit village de Monchy-le-Preux, situé à environ à neuf kilomètres à l’est d’Arras (France). Le 14 avril 1917, le Newfoundland Regt. faisait partie d’un front de 22 kilomètres qui repoussait les lignes allemandes. Les hommes n’ont atteint leur objectif, une position élevée fortifiée près du village, qu’après de durs combats. Les Terre-Neuviens survivants avaient été blessés jusqu’au dernier quand on apprit qu’une force de 200 ou 300 Allemands s’apprêtait à contre-attaquer. Le lieutenant-colonel James Forbes-Robertson rassembla les 10 hommes qui restaient et réussit à stopper l’ennemi pendant quatre heures, jusqu’à l’arrivée des renforts.

Le groupe vit une statue de caribou européenne pour la première fois à Monchy-le-Preux. Il se tient férocement debout en haut d’un mur de brique médiéval. Le colonel honoraire du régiment, Ed Roberts, qui est aussi lieutenant-gouverneur de Terre-Neuve-et-Labrador, y a parlé de l’implacabilité des contre-attaques allemandes quand le régiment était réduit à une unité de 10 hommes.

Le lendemain, la délégation est allée voir le mémorial de Courcelette qui honore l’implication du Corps d’armée canadien aux batailles de la Somme entre le 3 septembre et le 18 novembre 1916. “Nous nous souvenons durant notre hommage des gens de Courcelette. Ce petit village tient une place si grande dans l’histoire du Canada et on y voit encore les marques des grandes batailles mortelles qui ont eu lieu ici”, dit Thompson. “Et mortelles, elles l’étaient : 8 000 Canadiens sont morts entre la mi-septembre et la mi-novembre 1916. Plus de 16 000 autres ont été blessés. Les chiffres nous stupéfient encore aujourd’hui.

“Si nous ne faisions pas l’effort de nous souvenir d’eux, de comprendre l’importance de leur sacrifice et la dette que nous avons envers eux, nous leur ferions du tort, mais nous ferions du tort aussi au Canada et à nous-mêmes. Ils ont fait ce qu’ils devaient faire et, aujourd’hui, nous faisons ce que nous devons faire : les honorer, les remercier de leurs sacrifices et célébrer leurs accomplissements.”

Tout en contemplant l’envergure du combat, le vétéran de l’Aviation Bill Brown de Winnipeg remarquait : “j’imagine que je me suis engagé pour l’aventure, tout comme ces gars. Je n’ai jamais fait face à quoi que ce soit de semblable”.

Au fur et à mesure que le pèlerinage allait de l’avant, les leçons de service et de sacrifice se clarifiaient, surtout aux yeux des jeunes. C’était bien évident quand les jeunes gens sont arrivés à un cimetière au nord d’Albert (France), le 30 juin, la veille de l’anniversaire de Beaumont Hamel.

Au coucher du soleil, les jeunes et leurs leaders se tenaient silencieusement debout à un endroit qu’on appelle le second cimetière canadien de Sunken Road. On y trouve la tombe de 44 Canadiens, tous du 22e Bataillon, qui se sont battus avec beaucoup de distinction à Courcelette. Un représentant de la jeunesse se tenait devant chaque pierre tombale quand le reste de la délégation est arrivé, à pied, des autocars qui avaient été stationnés hors de vue.

Chaque jeune avait une petite chandelle éteinte dans un bocal quand il regardait la pierre tombale et le nom et l’âge de la personne enterrée là. Deux jeunes maîtres de cérémonies ont annoncé que ce serait une cérémonie pour se souvenir des gens qui se sont battus durant la guerre, et malgré la présence de politiciens, il n’y a pas eu de discours.

Le service commémoratif solennel a commencé par la dernière sonnerie, jouée par un clairon qui se tenait à côté d’un cornemuseur, près du mur bas du cimetière. Ensuite il y a eu un silence de deux minutes et puis le réveil et la lecture de l’Acte du Souvenir. Les jeunes ont aussi lu la Promesse du souvenir, une promesse qui allait devenir bien familière à tous les gens du voyage.

Ils étaient jeunes comme nous,

Ils ont servi leur pays en faisant preuve d’abnégation,

Nous leur promettons, malgré le temps qui passe, de porter le flambeau et de ne jamais oublier.

Nous nous souviendrons d’eux.

Seul Thompson a déposé une couronne. Ensuite les jeunes se sont mis en cercle à nouveau et leurs chandelles ont été allumées. Chacun d’eux est ensuite retourné à une pierre tombale et y a déposé son bocal avec la chandelle allumée dessus. Ils ont ensuite passé quelques minutes en silence devant les tombes. Il y avait de la tension à la fin de la cérémonie et les gens se mirent à déambuler à travers le cimetière. On n’entendait que les sanglots assourdis provenant des jeunes. Une fille, ayant commencé à pleurer ouvertement, se tourna vers le garçon derrière elle et sanglota dans ses bras. Cette image en déclencha d’autres et les jeunes gens cherchaient à se réconforter les uns les autres alors que les adultes observaient inconfortablement. “Nous regardions simplement chacun une des 44 tombes. Des messages avaient été écrits dessus par des gens qui étaient passés par là”, dit Megan Welsh, âgée de 16 ans, de Yellowknife (T. N.-O.). “C’était très émouvant; tout le monde qui pleurait. On ne sait pas comment on se sentirait en pleurant devant tout le monde de sa classe, mais nous pleurions tous, toute la classe.”

Bert Lafond des Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes au Canada dit qu’il était vraiment content de voir un si grand nombre de jeunes gens participer au voyage. “Je pense que c’est la jeunesse qui va faire que le voyage aura valu la peine”, dit ce résident de Moose Jaw (Sask.) qui a passé nombre d’années dans les Forces canadiennes. “Ce sont les jeunes qui doivent continuer de transmettre le message.”

Les émotions ressenties durant la visite au petit cimetière n’allaient avoir d’égales que celles qui furent ressenties à Beaumont Hamel le lendemain, en présence du régiment et de sa colonelle en chef, la princesse Anne.

Environ 2 000 personnes se sont rassemblées à ce qui est actuellement un champ de bataille historique où le terrain est resté criblé des trous faits par les obus de l’artillerie qui y ont explosé. Le paysage boueux de 1916 a disparu, remplacé par un champ vert luxuriant qui est tondu par des moutons qui paissent à cause du risque de la mise au jour de bombes qui n’ont pas explosé. Les vieilles lignes de tranchées sont encore là, ainsi que d’autres restes de la bataille. Thompson dit que les hommes du 1st Newfoundland Regt. ont avancé sur un terrain à découvert malgré un barrage implacable d’artillerie et de feu de mitrailleuses. Le massacre était énorme et Thompson racontait qu’il allait falloir deux semaines avant que la nouvelle du désastre parvienne à Terre-Neuve. “Nous ne pouvons qu’imaginer la détresse qui s’est étendue sur l’île ce jour-là. Sur à peine un quart de million d’habitants, la tragédie a épargné bien peu de familles et encore moins de collectivités. Pères, fils, frères, amis, voisins, une génération de leaders à venir : perdus en 30 minutes.”

Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador a aussi parlé des pertes et de la bravoure des jeunes Terre-Neuviens ce jour-là. “C’était un étalage magnifique de vaillance entraînée et disciplinée et l’assaut n’a failli que parce que les hommes morts ne peuvent plus avancer; ou tout du moins c’est ce qu’écrivait leur commandant par la suite. Nous, à Terre-Neuve et au Canada ne devons pas oublier.”

La princesse Anne n’a pris la parole qu’un court instant. “C’est ici à Beaumont Hamel que nous voyons les grands courage et souffrance du régiment qui ont fait que mon arrière-grand-père George V lui a conféré le titre ‘royal’. Le seul régiment qui ait été honoré ainsi durant la guerre”, dit-elle.

La princesse allait assister par la suite à une réception donnée par le ministre pour l’occasion, sous une tente près du centre interprétatif de l’endroit. Elle y saluerait les anciens combattants et les dignitaires locaux avant de faire son tour privé des lieux.

Le lendemain, la délégation est allée à Ypres, en Belgique. Elle a fait le tour des champs de bataille et a fait une halte au poste de secours d’Essex Farm. C’est dans ces quartiers exigus que les médecins canadiens, y compris John McCrae, qui était alors major, soignaient les blessés arrivant des champs de bataille.

Le 2 mai 1915, McCrae allait présider à l’enterrement de son ami, le lieutenant Alexis Helmer. Peu de temps après, McCrae écrivait le poème In Flanders Fields qui allait tellement servir à démystifier la guerre.

La raison principale du voyage à Ypres était d’assister au rituel de soirée de la dernière sonnerie au monument restoré de la porte de Menin, un grand arc impressionnant qui sert à commémorer les presque 55 000 morts des armées du Commonwealth qui sont tombés en Belgique, la plupart au saillant d’Ypres, et dont la tombe n’est pas connue. Sept mille des noms qui y ont été inscrits sont ceux de Canadiens.

Chaque soir, au coucher du soleil, la circulation sous l’arc s’arrête et les accents tristes de la dernière sonnerie et du réveil sont joués par des membres de la Société de la dernière sonnerie. La manifestation a été exaltée grâce aux délégations qui y assistaient, venant du Canada et de Grande-Bretagne, mais sa simplicité était sobre alors que les clairons jouaient la dernière sonnerie durant la courte cérémonie de commémoration.

Jim Fisher de Dawson (Yukon), qui a servi dans les Canadian Guards et le Royal Canadian Regt. en Égypte et à Chypre, dit de la cérémonie que c’était une des plus émotionnelles du voyage. “J’ai été très ému par tous les noms et j’espère que les jeunes pourront faire part de leurs expériences à leurs collègues. La porte de Menin m’a vraiment touché. Il fallait que je m’en aille.”

La visite suivante du groupe a eu lieu au monument national canadien de Vimy, où vont avoir lieu en avril prochain les grandes commémorations en l’honneur du 90e anniversaire de la bataille de la crête de Vimy, une bataille qui, d’après certains, a donné au Canada son statut de nation. La visite commença par une cérémonie autochtone informelle à un des cimetières non loin de là. Ed Borchert, président de la National Métis Veterans Association, a dirigé ce qu’on appelle une “cérémonie de purification”. Il a montré sa pipe et expliqué comment la cérémonie marche et quel est son objet. “Cette pipe n’appartient à personne. Elle est prêtée à une génération après l’autre. Quand j’allume la pipe, je la lève vers le Créateur. Ensuite je l’offre à la mère Terre qui a fait un bel oreiller pour que ces garçons dorment jusqu’à ce qu’ils empruntent le chemin du retour au foyer.”

Borchert expliqua que lorsque la pipe est allumée il inspire la fumée pour la prendre dans son coeur. Il a alors passé la pipe à sa droite, à Gabe Cameron de la Première nation Crie de Duck Lake (Sask.), qui l’a ensuite passée au suivant. “Je connais bien la cérémonie de purification”, dit Cameron. “Je participe à beaucoup de cérémonies chez nous, comme les assemblées et les cérémonies du calumet. Je voulais faire quelque chose pour que les soldats et les jeunes se sentent reliés davantage, plus à l’aise.”

Cameron dit qu’il compatis grandement avec les soldats qui sont allés à la guerre. “Je vois tellement de tombes de ceux qui sont allés se battre, et j’y fais face à mon âge. C’est quelque chose de voir le respect qu’ont les gens pour les Canadiens et les Terre-Neuviens.”

Le groupe est allé voir le mémorial, mais il ne l’a pas vraiment vu car il était entouré d’échafaudages, à cause d’un grand projet de réfection. Le groupe a été reçu par Hélène Robichaud, la directrice du Projet de restauration des monuments commémoratifs des champs de bataille. En mai 2001, ACC annonçait un octroi de 30 millions de dollars pour la restauration des mémoriaux canadiens en France et en Belgique. Les sites ont en moyenne 75 ans et ils ont été exposés aux intempéries.

Le jeune Adam Fedyk a résumé ce qu’il a ressenti durant le voyage. “Nous nous attendions à certaines choses, mais ça s’est avéré une production épique. Nous avons vraiment appris à connaître les anciens combattants de bien des manières, grâce au bavardage agréable et aux entretiens individuels plus significatifs. On ne peut vraiment comprendre qu’en venant ici.”

Il dit qu’il va se servir des photographies qu’il a prises pour illustrer les discours qu’il a l’intention de faire quand il sera rentré au Canada. “Je vais faire ce que je pourrai pour la cause du souvenir.”

Le président national Jack Frost a félicité Anciens combattants Canada d’avoir organisé un excellent voyage et il a reconnu l’impact qu’il a eu sur les jeunes gens. “Ce fut une expérience formidable. Je pense que le programme Le Canada se souvient touche vraiment les jeunes. J’espère qu’ils vont en parler de retour chez eux.”

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