Un jour du Souvenir cérémoniel

Pour les Canadiens qui ont servi dans des endroits comme Ortona, Caen, Kap’yong, Nicosie, Bihac et Kandahar, la cérémonie du jour du Souvenir de 2005 à Ottawa a été un moment historique d’une année importante, l’année de l’ancien combattant.

Ce fut une cérémonie classique, pleine de rituels familiers. Un obusier du 30e Régiment d’artillerie de campagne a détoné un salut craquant, les voix hautes et douces du Central Children’s Choir d’Ottawa se sont élevées vers le ciel et, lors de ce qui était peut-être la manifestation de commémoration la plus éloquente, une foule, la plus grande de ces derniers temps (plus de 25 000), s’assemblait autour du Monument commémoratif de guerre du Canada pour présenter ses respects en ce jour automnal venteux.

De là où se trouvaient les anciens combattants, près de la base du monument, il y avait foule à perte de vue. Les spectateurs étaient serrés les uns contre les autres, le long de la rue Sparks, massés autour des édifices du Parlement et le long de la rue Elgin. “Je ne connais pas de meilleur endroit où rendre hommage aux disparus. Ottawa est fermée, ni plus ni moins. Tout le monde s’arrête pour se souvenir”, dit Albert Vollick, un membre de la filiale Long Branch de Toronto qui a servi dans l’Artillerie royale canadienne à des batailles allant de Monte Casino en Italie à Apeldoorn aux Pays-Bas.

Non seulement la foule rendait-elle hommage aux morts, elle reconnaissait aussi les vivants. Des milliers d’anciens combattants, de cadets et de membres des Forces canadiennes ont participé au défilé qui a passé devant la foule assemblée. Les applaudissements et les acclamations retentissaient autour de la place.

En plus du vent froid, de la grande foule et des anciens combattants qui défilaient fièrement, de la vraie histoire canadienne était créée en ce 11 novembre à Ottawa. Avec la dédicace du septième Livre du Souvenir, de nouvelles générations de morts ont fait leur chemin jusqu’à la Chapelle du Souvenir dans la Tour de la Paix, et dans la mémoire officielle du Canada. Le livre contient actuellement les noms de 1 300 membres des Forces canadiennes qui sont morts au service de la patrie depuis 1947.

La cérémonie du dévoilement du livre a eu lieu avant la cérémonie du jour du Souvenir. Elle avait lieu dans le Hall d’honneur des édifices du Parlement. Bien que ce soit la Gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, qui ait célébré la dédicace officielle, c’est la mère de la croix d’argent Claire Léger et son époux Richard qui ont fait de la manifestation qu’elle était fortement significative.

Quelques instants après le dévoilement, les parents étaient menés au livre où ils ont versé des larmes. “L’ouverture du septième Livre du Souvenir est ce dont je vais me souvenir le mieux parce que le nom de notre fils y est écrit”, dit Claire dont le fils, le sergent Marc Léger, a été tué près de Kandahar (Afghanistan) en 2002 quand son unité a été bombardée par erreur par un pilote états-unien. “Marc disait souvent que les Canadiens n’avaient aucune idée de ce que font les casques bleus, alors c’est très très spécial parce que ça sert à démontrer qu’ils ont obtenu la place qui leur revient de droit : ils vont se trouver à la Tour de la Paix pour que tout le monde puisse s’en souvenir et c’est très très important à mes yeux.”

Pour Claire, qui a été choisie par la Légion royale canadienne en tant que mère de la croix d’argent, représenter toutes les mères canadiennes était un fardeau que l’on pouvait lire sur son visage tout au long de la cérémonie au Monument commémoratif de guerre du Canada. Avec son mari à ses côtés, et la Gouverneure générale qui lui offrait son soutien, Claire en pleurs était le portrait de la grande tragédie de la guerre. “Nous sommes reconnaissants et extrêmement tristes pour tous les parents qui ont perdu leur fils ou leur fille”, dit Claire. “C’est presque comme un gros poids sur les épaules parce qu’on sait qu’on se tient là pour leur fille ou pour leur fils. C’est comme des funérailles et mes larmes coulent pour tous leurs enfants autant que pour le nôtre.”

Durant la cérémonie, les Léger étaient au milieu et devant. À leurs côtés, il y avait le Premier ministre Paul Martin, la Gouverneure générale, la présidente nationale Mary Ann Burdett, le général et chef d’état-major de la défense Rick Hillier, la ministre des anciens combattants Albina Guarnieri et le président de la Chambre des communes Peter Milliken. Au fur et à mesure que la cérémonie allait de l’avant, chaque membre du groupe vice-royal déposait une couronne devant la tombe du Soldat inconnu.

Sept jeunes hommes et femmes étaient aussi au centre et en avant, qui avaient été choisis par la Légion pour représenter la jeunesse à la cérémonie. Les quatre gagnants des concours nationaux littéraires et d’affiches de la Légion (Nathan MacLeod, Mari Sakamoto, Angela Malec et Melanie De Andrades) se sont joints aux trois premiers cadets : la cadette de la marine Christine Robidoux, la cadette de l’armée Shannon Potvin et le cadet de l’air Danilo Jankovic. Ensemble, ils ont déposé une couronne de la part de la jeunesse du Canada.

À part la cérémonie, il y avait un certain nombre d’autres manifestations dans et autour d’Ottawa durant la semaine du souvenir. En plus du dévoilement du septième Livre, il y a eu une veillée funèbre à la chandelle, un dîner spécial pour anciens combattants auquel assistait également le Premier ministre, et l’arrivée d’un Train de la journée du Souvenir appartenant à Via Rail, un voyage singulier qui amenait 275 anciens combattants à Ottawa.

L’événement solaire au nouveau Musée canadien de la guerre, qui n’a lieu qu’une seule fois par année, augmentait le sentiment événementiel à la cérémonie de cette année. La foule silencieuse qui entourait le Monument commémoratif de guerre du Canada a regardé l’événement sur de grands dispositifs d’affichage alors que le soleil, à 11 heures précises, illuminait l’artefact isolé dans la Salle du Souvenir du musée : la pierre tombale du Soldat inconnu de la Première Guerre mondiale.

Ce jour du Souvenir était celui du 87e anniversaire de la fin de la Grande Guerre. Bien que cinq Canadiens vétérans de cette guerre fussent encore vivants, aucun n’avait pu se déplacer jusqu’à Ottawa. Malgré cela, il y avait des milliers de vétérans de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre de Corée et d’anciens combattants des temps plus modernes qui se tenaient debout côte à côte à la cérémonie. Il était clair que c’était le moment de s’unir. “N’importe où l’on a servi”, dit Vollick. “Quand on offre sa vie, cela n’a pas d’importance où l’on arrive à la fin.”

Robert Waudby, âgé de 81 ans, habite à Lindsay (Ont.), mais il est membre de la filiale Peterborough depuis longtemps. Cet ancien membre de la Royal Hamilton Light Infantry, qui est allé se battre en France, en Belgique et en Hollande, s’était rendu à la cérémonie nationale du jour du Souvenir pour la première fois, et il dit que c’était pour une raison en particulier : son fils lui avait demandé de venir.

Pour Waudby, le jour du Souvenir n’est pas seulement une manifestation symbolique, c’est une occasion de rendre hommage à ses amis qui ne sont jamais revenus, des gars comme le caporal Schwartz de la Colombie-Britannique qui a mis le pied sur une mine près de Bergen op Zoom, aux Pays-Bas.

Dans son discours au groupe assemblé, la présidente nationale Burdett reliait parfaitement les deux thèmes que sont la jeunesse et la commémoration. “Smokey Smith VC nous disait autrefois que les vrais héros sont ceux qui sont morts”, dit-elle, dirigeant son regard vers les Léger, “et votre fils est un héros, pour tous les Canadiens, à jamais”. Ensuite, Burdett s’est tournée vers les cadets et les gagnants des concours “et vous, les jeunes, allez vous assurer que ce sacrifice vive à jamais et que personne n’oublie jamais”.

Pour MacLeod, dont l’affiche en couleurs comportant les yeux d’un ancien combattant lui a valu le voyage à Ottawa, maintenir l’esprit du souvenir parmi les jeunes du Canada est une mission en laquelle il croit. “C’est la principale occasion que nous avons d’honorer les gens qui se sont battus pour nous donner la liberté”, dit MacLeod.

Les Léger ont été occupés durant toute la semaine du souvenir, bien sûr, mais on leur a aussi demandé plusieurs fois durant l’année de l’ancien combattant d’assister à des cérémonies et à des manifestations. Heureusement qu’ils se passionnent pour l’éducation des Canadiens à propos du rôle et de l’histoire des mainteneurs de la paix. Les deux parents pensent qu’on ne fait pas assez pour reconnaître les sacrifices que les gens comme leur fils sont en train de faire. “Je pense qu’à moins que la personne qui est tuée soit un être qui leur est cher, la plupart des Canadiens ne reconnaissent pas ça”, dit Claire.

Claire est d’accord avec Burdett que c’est la jeunesse du Canada qui va vraiment faire une différence pour ce qui a trait au souvenir. “Il ne s’agit que d’éduquer les gens, comme pour n’importe quoi. Richard et moi avons décidé de nous-mêmes d’aller dans les écoles parler de ce que les mainteneurs de la paix sont en train de faire et nous espérons que ça va servir, parce que les enfants sont excellents quand il s’agit d’éduquer leurs parents. Mais bien entendu, il faut plus que cela, il faut beaucoup plus que cela, mais c’est un début et nous essayons; nous savons que c’est ce que Marc aurait voulu.”

Une autre indication que les temps changent, cette année et plus que jamais auparavant, les Léger ont agit tous les deux en tant que parents de la croix d’argent; ce n’était pas seulement une mère de la croix d’argent que nous avions. Bien que ce soit vrai que Richard et Claire semblent exceptionnellement près l’un de l’autre (l’un termine souvent la phrase de l’autre) les deux sont d’accord qu’il faut deux parents pour élever un enfant, et c’est pareil quand il s’agit d’en pleurer un. “C’est très dur pour moi d’être reconnue et que Richard ne le soit pas, parce que nous avons élevé Marc ensemble”, dit Claire. “Ce n’est pas que nous n’apprécions pas, et ce n’est pas que je me sente exclus. C’est simplement qu’il est notre enfant”, dit Richard.

“Nous l’avons élevé ensemble”, dit Claire. “Nous sommes mariés depuis 32 ans et nous n’avons jamais été séparés. Nous l’avons élevé en couple. Mais la tradition ne se termine pas facilement.”

La cérémonie de cette année a aussi donné lieu à une certaine controverse. Il y avait un petit groupe, y compris des anciens combattants, le long de la route du défilé, qui croient que Michaëlle Jean n’est pas acceptable en tant que Gouverneure générale. Ces gens, environ 25 d’entre eux, ont tourné le dos à Jean quand elle est passée.

Bien avant la cérémonie, la Légion avait clairement indiqué son point de vue concernant une protestation possible lors du jour du Souvenir qui s’adresserait à la Gouverneure générale. “Une telle façon d’agir serait une honte, ainsi qu’une offense à l’endroit de Sa Majesté et à la mémoire de nos camarades tombés au combat”, écrivait Mary Ann Burdett dans un communiqué de presse annoncé à grand renfort de publicité. “L’objet de la cérémonie nationale du jour du Souvenir est de permettre aux gens de rendre hommage aux morts de guerre du Canada et non de protester une nomination amorcée par le gouvernement du Canada sans égard à la façon dont elle pourrait être inacceptable d’après certains individus. Tourner le dos à la Gouverneure générale, c’est tourner le dos à tout ce que cette fonction représente et profane la mémoire des morts et le pays pour lequel ils ont combattu. La Légion royale canadienne croit qu’une protestation individuelle est l’un des droits pour lesquels nos anciens combattants se sont battus, mais elle croit fermement aussi qu’il existe un moment et un endroit pour protester, et que la cérémonie nationale du jour du Souvenir n’est ni le moment ni l’endroit de le faire.”

En fin de compte, toutefois, ce petit incident n’a pas déconcerté Jean, dont l’excellent et éloquent discours sur le septième Livre a sûrement fait plaisir aux anciens combattants qui assistaient à la cérémonie. “Ce livre est exceptionnel en ce qu’il ne sera jamais fermé. Il va servir à commémorer ceux qui ont donné leur vie pour le Canada durant les générations à venir”, dit-elle. “Ce (livre) comporte aussi une note d’espoir, parce que c’est un testament à la volonté de nos militaires, femmes et hommes, d’apporter la paix et la sécurité à un monde troublé.”

Gloria Frazer était une des autres invités d’honneur au dévoilement du livre. Le capitaine Keith Mirau, qui est mort en même temps que huit autres casques bleus en 1974 quand son avion a été abattu au-dessus de la Syrie, était son mari. Frazer résumait les sentiments de nombre de mainteneurs de la paix, et d’autres, à Ottawa, le 11 novembre. Il s’agissait d’un jour du Souvenir important, pas seulement pour les anciens combattants et leur famille, mais un jour dont les meilleurs historiens, les jeunes, vont se rappeler pendant des années. “Il a fallu bien des années pour en arriver à cette reconnaissance”, dit Frazer, “mais je me sens très honorée d’être ici”. C’est la vraie histoire canadienne, ce sont là des choses que ma petite-fille va savoir.”

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