Un puissant navire de guerre de l’Allemagne nazie aux grands pavillons frappés de svastikas qui s’aventure effrontément dans le plus grand port du Canada où des Canadiens d’origine allemande lui font bon accueil. Cette scène troublante est bel et bien vraie : Montréal se réveilla face au croiseur Emden en mai 1936.
En septembre 1935, le consul général allemand Ludwig Kempff, qui habitait à Montréal, avait demandé à Ottawa l’autorisation pour que l’Emden fasse escale dans la ville du 12 au 18 mai 1936. Il s’agissait d’un « navire-école pour les aspirants de marine » sur le point d’entreprendre une croisière de huit mois en Amérique du Sud et du Nord.
De tels périples visaient à diffuser la propagande nazie et à afficher la puissance croissante de l’Allemagne. Kempff nota que « les visites de courtoisie habituelles seraient rendues, sans aucune attente d’animations officielles ». Ottawa accepta avec méfiance de recevoir le navire, et ce, en dépit de la révoltante répression de l’Allemagne contre ses citoyens (en particulier les Juifs et les groupes syndicaux), de sa répudiation du Traité de Versailles et de son programme de réarmement public.
Puis l’Allemagne se mit à agir de plus en plus mal. En mars 1936, elle renia un engagement antérieur et remilitarisa la Rhénanie. L’Allemagne était de nouveau sur le pied de guerre, et la visite de l’Emden semblait faire partie du plan. Des officiers canadiens pourraient effectuer des visites à bord du navire par courtoisie, mais seules des réunions officieuses se tiendraient entre les représentants des deux pays afin de ne pas faire preuve d’une apparente bienveillance. Il n’y aurait ni réception ni cérémonie gouvernementale, bien que certaines unités militaires locales, comme le Canadian Grenadier Guards et le 17 th Duke of York’s Royal Canadian Hussars trinquè-rent avec quelques Allemands.
La visite de l’Emden était controversée et les politiciens devaient faire preuve de prudence. Le maire de Montréal, Camillien Houde, refusa de rencontrer les Allemands pendant leur séjour, et la ville ne tint aucune réunion avec ces ambassadeurs du régime odieux d’Hitler. L’échevin de Montréal Joseph Schubert, partisan du Parti travailliste, nota que
« le croiseur en visite n’a pas de mission pacifique en vue » et qu’Hitler « opprime le peuple allemand ».
Mais d’un autre côté, l’échevin Léon Trépanier accueillit le navire et souhaita que la ville s’assure « que les marins du croiseur allemand aient le droit, comme les citoyens, de se promener à leur guise dans les rues de Montréal ».
L’Emden arriva en grande pompe et dans un climat d’attente à Montréal le matin du 12 mai. Le rutilant navire de 155 mètres et de 5 400 tonnes avait été mis en service en 1925 et comptait 660 membres d’équipage. Son armement principal se composait de huit canons de 5,9 pouces.
Le Montreal Daily Star rapporta que 3 000 personnes vinrent voir l’orchestre du croiseur jouer « d’entrainantes marches allemandes, et que plus d’un Allemand versa des larmes en réentendant des airs de sa patrie sur des lèvres allemandes et un navire allemand ». Dans le public se trouvaient des membres de la communauté allemande de Montréal, forte de 5 000 personnes, et environ « 300 ou plus » crièrent « Heil! Heil! Heil! » beaucoup avec le bras tendu du salut nazi.
Mais, il y avait aussi une vive opposition antinazie. Plus de 250 policiers assuraient le main-tien de l’ordre, et de nombreux spectateurs « huèrent et sifflèrent ». La police finit par disperser une foule incontrôlable de 200 manifestants par la force. Elle arrêta 10 personnes et saisit des banderoles, dont une qui clamait : « L’Emden est un symbole de per-sécution du peuple allemand ».
Les marins allemands furent tout de même plutôt bien accueillis. Une centaine assista à une réception en leur honneur au Teutonia Club, organisation allemande locale où un portrait d’Hitler saluait les visiteurs. Beaucoup aussi visi-tèrent le Mont-Royal et d’autres lieux touristiques à Montréal.
En outre, plus de 150 membres d’équipage se rendirent en train à Niagara Falls, en Ontario, tandis qu’une centaine préféra les forts historiques de Chambly, de Saint-Jean et de Lennox. Kempff et d’éminents Allemands de la région organisèrent diverses activités, dont des danses et des réceptions d’envergure dans les hôtels Windsor et Ritz-Carlton, fréquentés par l’élite de Montréal.
Le 18 mai, l’Emden appareilla pour retourner à son port d’attache. Un fort symbole de l’Allemagne nazie s’était trouvé au centre de Montréal, mais dans les jours qui suivirent, il commença à sembler inéluctable que le navire et le régime qu’il représentait allaient bientôt devenir des ennemis mortels du Canada.
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