De la lumiere sur le chemin

Deux signaleurs utilisent un projecteur de lumière à bord du NCSM Assiniboine en 1940 (en regard).
Gerald Moses/MDN/BAC/PA-116048

En juillet 1942, une flottille de 13 U-boot passa des jours à traquer le convoi ON-115 en Atlantique Nord. Le piège devait se refermer les 2 et 3 aout, mais le mauvais temps compromit l’attaque des sous-marins. La situation n’en était pas moins tendue.

Les sous-marins allemands coordonnaient leurs manœuvres par radio. De leur côté, les 12 bâtiments escortant le convoi de 41 navires marchands n’avaient pas de système « Huff-Duff » à bord, l’équipe-ment de radiogoniométrie haute fréquence abrégé en HF/DF, qui leur aurait servi à les localiser avec précision. Les Allemands se guidaient vers leur proie grâce à une technologie semblable ou en interceptant les signaux radio des navires des Alliés.

Le groupe d’escorteurs du convoi était canadien et se composait des contretorpilleurs Saguenay et Skeena ainsi que des corvettes Agassiz, Louisburg, Wetaskiwin et Sackville de la Marine royale canadienne. Pour maintenir la formation du convoi, les escorteurs et les navires mar-chands s’envoyaient des signaux lumineux à l’aide de lampes. La majeure partie des messages sur les mouvements du convoi se transmettaient ainsi pour éviter que les U-boot les interceptent.

Le convoi ne perdit finalement que trois navires marchands. Un désastre encore plus important fut évité grâce au mauvais temps et au manque d’expérience de certains des membres d’équipage des U-boot.

Et les sous-marins détectés par des vigies attentives ou un radar furent attaqués. Le Sackville en prit trois pour cible. Deux subirent des dégâts considérables les forçant à se retirer, et l’on pensa même, bien qu’à tort, que l’U-552 avait coulé.

C’est d’ailleurs le Sackville, dernière corvette du genre, qui servit de modèle de corvette dans Greyhound, film de Tom Hanks sur un groupe d’escorte de la Seconde Guerre mondiale. Au début du film, une corvette communique avec un avion à l’aide d’une lampe clignotante afin que les Allemands ne puissent pas la repérer.

La communication par signaux lumineux plutôt que par radio permit de sauver d’innombrables vies lors de la bataille de l’Atlantique. L’histoire de ce système de signaux est intéressante, et il pourrait bien être en train de renaitre.

La communication par signaux lumineux se fait à l’aide d’une lampe à obturateurs mobiles permettant de produire des clignotements. L’alphabet, les chiffres et la ponctuation sont codés en Morse : les signaux les plus longs sont des tirets, les plus courts sont des points. Ce type de communication marche nuit et jour, et elle est visible de plus loin que les pavillons de sémaphore.

La Marine royale a commencé à utiliser les signaux lumineux dès 1867, et c’est depuis un classique de la communication maritime. Ils ont été très utilisés pendant les deux guerres mondiales, surtout lors de la bataille de l’Atlantique, où ce fut le principal moyen de communication entre navires.

La communication internavire était importante pour transmettre des messages administratifs, mais aussi pour orchestrer le mouvement des convois.

Un « écran » de navires de guerre protecteurs gardait les convois : c’était la défense la plus efficace contre les escadres de sous-marins. Grouper les navires marchands les rendait plus difficiles à localiser pour les sous-marins allemands. Cependant, les contrôler était compliqué, car la MRC manquait de signaux visuels. Anecdote cocasse : un officier supérieur exaspéré qui supervisait un convoi envoya un jour par signaux la question « Que faites-vous? » à une corvette de son groupe. La réponse? « Nous apprenons beaucoup. »

En mer, le lieutenant Stuart Keate (ci-dessus) lit un message envoyé par signaux lumineux à bord du NCSM Uganda en 1945.
MDN/BAC/PA-104384

La MRC utilisa aussi des lampes clignotantes infrarouges à réception non directionnelle pendant la Seconde Guerre mondiale. C’était le mode de communication par signaux clignotants le plus sûr, mais il fallait le matériel de détection infrarouge pour recevoir le message.

LA COMMUNICATION PAR SIGNAUX LUMINEUX PERMIT DE SAUVER D’INNOMBRABLES VIES LORS DE LA BATAILLE DE L’ATLANTIQUE.

Toutes sortes de signaux clignotants servirent pendant la guerre froide, mais son utilisation diminua beaucoup en 2007. Les innovations en radiocommunication et en communication par satellite remplacèrent presque entièrement les signaux clignotants, bien qu’ils s’emploient encore occasionnellement lors d’exercices de communication entre navires.

Aujourd’hui, les navires de la MRC naviguant de conserve par tous les temps ne maintiennent plus de quart de signalisation visuelle extérieure. Même au début des années 1990, les compétences en communication par signaux n’étaient plus celles de jadis.

En ce temps-là, à une heure très matinale, un réserviste de la MRC ayant une expérience des signaux lumineux fut obligé de quitter la chaleur de son lit pour aller sur le pont lire un message lumineux d’un navire américain. Aucun des communicateurs de quart ne pouvait le déchiffrer. L’officier, désireux comme tous ses congénères de démontrer l’efficacité de son quart, était impatient de savoir ce que disaient les alliés. À moitié réveillé, le réserviste marmonna qu’ils souhaitaient le « bonjour » au navire. Puis, il repartit prendre son café. Ce n’est pas sur cela que reposent les opérations navales modernes, dira-t-on.

En effet, pratiquée comme elle l’est depuis plus de 150 ans, la communication par clignotement lumineux a peut-être fait son temps. La faible vitesse à laquelle les messages peuvent être envoyés est son principal inconvénient, car l’opérateur se doit de se caler sur la vitesse de lecture du destinataire. La station réceptrice doit accuser réception de chaque mot au moyen d’un flash lumineux avant que le suivant puisse lui être envoyé.

Bien que la norme de l’OTAN soit de huit mots par minute, on en envoie généralement jamais plus de six. Les communications par satellite modernes ont une bonne bande passante et sont habituellement fiables, mais elles restent quand même vulnérables aux interceptions. Les messages radio, bien qu’ils dépendent toujours de bonnes conditions atmosphériques et d’autres facteurs, sont désormais de très loin supérieurs à ce qu’ils étaient pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi donc, il semblerait que la technologie ait rattrapé la communication par signaux lumineux.

Pourtant, elle a encore certains avantages. On ne peut l’intercepter que si l’on se trouve dans le champ de vision. Et les signaux lumineux peuvent toujours servir de moyen de communication entre les navires pendant les périodes de silence radio. Alors, pourrait-on émettre et recevoir des signaux lumineux beaucoup plus rapidement grâce à la technologie moderne?

L’artiste Albert Cloutier a illustré un membre d’équipage de l’Aviation royale canadienne communiquant avec un navire d’escorte pendant la Seconde Guerre mondiale en utilisant un équipement plus basique (ci-contre).
Albert Cloutier/MCG/19710261-1839

EN MARS 2020 A ÉTÉ EFFECTUÉ UN DEUXIÈME ESSAI AVEC DES DÉL POUVANT ENVOYER JUSQU’À 1 200 MOTS PAR MINUTE.

Des marins américains testent le convertisseur de lumière clignotante en texte, dernière technologie de signaux LUMINEUX, en juin 2017.
John Williams/US Navy (2)
Des marins américains testent le convertisseur de lumière clignotante en texte, dernière technologie de signaux LUMINEUX, en juin 2017.
John Williams/US Navy (2)

En 2016, la marine américaine a commencé à élaborer un convertisseur de lumière clignotante en texte. L’appareil, qui remplace les opérateurs, lit les messages beaucoup plus vite. Au départ, il s’agissait de lampes à signaux classiques, avec les ampoules au xénon existantes, et reproduisant une vitesse de transmission humaine. Puis, les ampoules ont été remplacées par des lampes à DÉL qui permettent d’envoyer des messages beaucoup plus rapidement. Le chercheur allemand Harald Haas a démontré en premier l’utilisation de DÉL à des fins de communication à très grande vitesse en 2011.

Ce système est mis au point aux États-Unis par l’Office of Naval Research, la Panama City Division du Naval Surface Warfare Development Center, en Floride et Creative MicroSystems. Une petite caméra détecte les messages, ensuite traités en temps réel par un ordinateur portable connecté. L’opérateur envoyant un signal tape simplement le message dans un ordinateur portable : il n’a pas besoin d’être formé au code Morse.

Les premiers essais du nouveau système ont été menés en juin 2017 à Norfolk, en Virginie, entre deux navires utilisant leurs lumières existantes et un ordinateur portable auquel était branché un capteur. Cet agencement a envoyé des messages à environ 120 caractères par minute. Des messages de routine rédigés d’avance pourraient encore accélérer la transmission. En mars 2020 a été effectué un deuxième essai avec des DÉL pouvant envoyer jusqu’à 1 200 mots par minute. On estime que les DÉL peuvent transmettre des signaux à des distances allant jusqu’à 12 milles nautiques, soit 22 kilomètres.

Le seul moyen qu’aurait un ennemi d’intercepter un de ces si-gnaux serait de se placer où il pourrait voir les navires communiquer, ou de se positionner derrière l’un des navires, auquel cas il ne rece-vrait que la moitié de la communication. Bien sûr, ce serait difficile à accomplir sans être vu par les navires qui s’envoient les messages.

Et bien sûr, les ennemis auraient également besoin de technologie pour lire la lumière des DÉL, qui clignotent si rapidement que l’œil humain ne détecte qu’une lumière en continu. Rien n’indique encore quand le nouveau système sera installé sur les navires de la marine américaine, mais il est clair qu’il fonctionne et il pourrait être utile de l’ajouter à l’ensemble des communications des bâtiments de guerre. Les outils de communication militaires modernes, dont les radars, les radios et les satellites, sont vulnérables au brouillage. Les plus grandes armées du monde ont démontré une capacité importante dans ce domaine. Ces mesures peuvent sérieusement dégrader l’efficacité des communications électroniques ou les rendre totalement inutiles. Un convertisseur de lumière clignotante en texte pourrait s’installer facilement, et il servirait à atténuer les problèmes de communication entre navires. Il pourrait également tenir lieu de système de messagerie de secours.

Pour les anciens de l’ère des signaux lumineux, il est encou-rageant de voir la technologie d’origine réutilisée et améliorée pour les opérations actuelles ou à venir. Les signaux lumineux ont encore de beaux jours devant eux. La MRC et les autres marines verront-elles la lumière? 

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