Le Canada a-t-il bien fait de régler les poursuites civiles entamées par Omar Khadr?

HOWARD ANGLIN est chercheur diplômé à l’Université d’Oxford. Il est avocat et a été chef de cabinet adjoint du premier ministre Stephen Harper.
Illustrations de Joel Kimmel

Howard Anglin dit que NO

Omar Khadr a été arrêté à l’âge de 15 ans pendant la guerre en Afghanistan. Prisonnier des États-Unis pendant dix ans, il a été rapatrié au Canada en 2012. Un an plus tard, il intentait un procès au gouvernement du Canada. Le gouvernement a conclu un règlement à l’amiable en lui versant 10,5 millions de dollars en 2017.

Ce règlement n’est pas un sujet de débat facile, car il est souvent dévié vers des sujets connexes, mais pas nécessairement pertinents, comme la participation du Canada à la guerre d’Afghanistan, la « guerre contre le terrorisme » en général, et les gouvernements de Jean Chrétien ou de Stephen Harper.

Les réactions émotionnelles sont bien naturelles dans l’affaire Khadr, qu’on éprouve de la sympathie à son égard parce qu’il a grandi dans une famille de terroristes ou de la colère à cause de ses liens avec al-Qaïda qui l’ont poussé à participer à l’échange de coups de feu qui a tué le sergent américain Christopher Speer. Toutefois, ni la sympathie ni la colère ne sont utiles pour répondre à la question juridique et politique, à savoir si le gouvernement fédéral libéral a bien fait de parvenir à un accord.

Pourquoi le gouvernement a-t-il
versé une telle somme? Voici les deux justifications habituelles : 1) Khadr a été brutalisé en tant que mineur en détention et 2) la Cour suprême du Canada avait déjà jugé que le gouvernement avait enfreint les droits de Khadr en vertu de la Charte
lorsqu’il a envoyé des fonctionnaires l’interroger à Guantanamo Bay.

NI LA SYMPATHIE NI LA COLÈRE NE SONT UTILES POUR RÉPONDRE À LA QUESTION LÉGALE ET POLITIQUE.

La première raison pèse lourd, mais elle n’est pas pertinente. Les mauvais traitements subis en Afghanistan (où des médecins américains lui ont sauvé la vie) ou à Guantanamo Bay ont été infligés par les États-Unis. Nous ne saurons probablement jamais comment il a été traité, mais toute blessure qu’il aurait subie lui aurait été infligée quand il était détenu par les Américains. Les Canadiens ne devraient pas payer pour de supposés préjudices causés par les Américains.

Il reste la décision de la Cour suprême de 2010 selon laquelle le gouvernement canadien avait enfreint les droits de M. Khadr à Guantanamo Bay. Mais, il ne s’agissait pas d’une poursuite au civil pour dommages où l’analyse et la norme de preuve sont bien différentes. Pour obtenir des dommages-intérêts, Khadr aurait encore dû prouver que notre gouvernement était responsable des blessures subies quand il était détenu par les Américains. Cela aurait été un défi de taille, car rien ne prouvait que le gouvernement avait conspiré avec les États-Unis pour lui faire subir de mauvais traitements ni que ceux-ci avaient été aggravés à cause du Canada.

Le gouvernement fédéral a versé 10,5 millions de dollars à M. Maher Arar en 2007 quand une commission d’enquête a jugé que des agents de la GRC avaient « transmis aux autorités américaines de l’information sur M. Arar qui était inexacte [et] qui dressait de lui un portrait injuste ». Autrement dit, les fonctionnaires canadiens étaient en partie responsables de sa torture. Mais, dans l’affaire Khadr, notre gouvernement lui a remis le même montant sans preuve semblable de responsabilité canadienne. C’est insensé.

À ce qu’on sache, M. Khadr est en train de se réinsérer dans la société canadienne. C’est bien. On ne peut qu’espérer qu’il obtienne l’aide dont il a besoin. Toutefois, il n’y avait aucune raison valable de parvenir à un accord de 10,5 millions de dollars dans une affaire douteuse au lieu de laisser le tribunal trancher. 

SHELLY WHITMAN est directrice administrative du Dallaire Institute for Children, Peace, and Security de l’Université Dalhousie à Halifax, institut fondé par le général Roméo Dallaire en 2007.
Illustrations de Joel Kimmel

Shelly Whitman dit que OUI

Environ 420 millions d’enfants, soit un sur six dans le monde, vivent dans des endroits touchés par les conflits armés. Pourtant, beaucoup de Canadiens n’arrivent pas à comprendre comment ce fait nous affecte tous.

En 2020, j’ai eu l’occasion d’organiser une rencontre entre deux personnes qui avaient été enfants-soldats : Omar Khadr et Ishmael Beah.

Khadr, né et élevé au Canada, a été forcé de déménager en Afghanistan quand il était enfant pour prendre les armes sous la direction de son père. Il a passé dix ans à Guantanamo Bay après l’échange de coups de feu où a été tué le sergent Speer.

Lors de l’incarcération illégale de Khadr, le Canada a transgressé les normes internationales relatives à la protection des enfants utilisés en tant qu’armes de guerre.

Beah avait 13 ans quand il s’est battu en Sierra Leone, mais contrairement à Khadr, il a été rééduqué plutôt qu’incarcéré. Beah est aussi l’auteur du livre à succès Le chemin parcouru, mémoires d’un enfant soldat, et un militant des droits de l’homme.

« Si un enfant de 15 ans en Sierra Leone ou en Uganda tue quelqu’un à la guerre, c’est une victime qui a besoin de rééducation, mais dès que cet enfant tue un soldat américain, les normes juridiques ne s’appliquent plus », fait valoir Beah.

Il existe cependant plusieurs lois internationales qui devraient empêcher les enfants d’être recrutés dans des conflits armés, ainsi qu’une orientation internationale qui définit les responsabilités principales. Par exemple, selon les Principes et Engagements de Paris relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, un enfant-soldat est toute personne de moins de 18 ans qui a été utilisée par une force armée d’une façon ou d’une autre, notamment comme porteur, messager, espion, cuisinier, esclave sexuel ou combattant au front. Il est important de réfléchir aux obligations juridiques du Canada quand on se penche sur le règlement de la poursuite civile de Khadr contre le gouvernement du Canada.

La loi internationale est claire : les enfants-soldats ne doivent pas être tenus responsables de leur participation à un conflit armé. Cela vaut quel que soit l’endroit où ils sont recrutés, par qui ils le sont et sans tenir compte de l’ethnicité, de la race, de la religion ou des opinions politiques. Beah a souvent déclaré que « les adultes sont les cerveaux de la guerre, les bailleurs de fonds de l’effort de guerre, et les personnes qui retirent des avantages […] ils ont aussi le pouvoir de l’empêcher ».

Le Canada a des obligations en vertu de sa Charte des droits et libertés et de la Convention contre la torture des Nations Unies. En 2010, la Cour suprême a qualifié les circonstances à Guantanamo d’« abusives » et déclaré sans équivoque que les agents du renseignement canadiens avaient enfreint les droits de M. Khadr pendant leurs interrogatoires.

Le manquement à notre devoir de protéger les droits de Khadr devait être reconnu, et il devait être dédommagé. Ce devrait être une leçon sur le caractère inviolable de la procédure établie et la protection de droits de la personne.

Lorsque Khadr a été libéré sous caution le 7 mai 2015, il a déclaré « je ne peux rien faire pour le passé, mais […] je peux faire quelque chose pour l’avenir ».

Pour briser le cycle de la violence, les Canadiens doivent accorder plus d’importance à la prévention du recrutement et de l’utilisation des enfants dans tous les conflits afin que nous puissions tous vivre en paix et en sécurité. 

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