Une Grande Victorie

Les troupes canadiennes revenant victorieuses du front à Vimy, leurs célébrations tempérées par la perte de 3 598 camarades tués et de 7 004 blessés.
William Ivor Castle/BAC/3194757/Colorisation : la Fondation Vimy

L’ATTAQUE À LA CRÊTE DE VIMY, PLANIFIÉE ET MENÉE AVEC PRÉCISION, A REDÉFINI LE CORPS CANADIEN EN TANT QUE FORMATION D’ÉLITE

La plupart des Canadiens connaissent le chapitre de l’histoire militaire sur la victoire d’avril 1917 à la crête de Vimy. Certains de nos meilleurs écrivains, journalistes ou historiens, de Pierre Berton à Tim Cook, ont écrit des livres sur Vimy, et l’évènement a été souligné aussi bien dans les manuels scolaires que dans le matériel du gouvernement fédéral pour les nouveaux citoyens, sur notre monnaie et au Mémorial national du Canada à Vimy, en France.  

Les célébrations des 90e et 100e anniversaires ont attiré à Vimy des milliers d’élèves du secondaire qui ont collecté des fonds pour leur voyage, et Radio-Canada a consacré des heures de diffusion à la retransmission de l’évènement au Canada. Plus d’un siècle plus tard, Vimy reste dans l’esprit des Canadiens.

La guerre avait pris une mauvaise tournure pour les Alliés au printemps 1917. Les Russes chancelaient, et il faudrait des mois aux Américains, récemment entrés en guerre, pour entrainer leurs soldats, les équiper et les amener au front. Le nombre de morts et de blessés à Verdun et à la Somme grimpait sans cesse, et la France, la Grande-Bretagne, de même que le Canada, étaient au bord de la ruine à cause des couts financiers de la guerre totale qui allaient croissant. 

L’ennemi souffrait aussi des pénuries de nourriture et de matériel entrainées par le blocus maritime britannique, et les pertes allemandes étaient énormes. Toutefois, si la guerre avait pris fin le 1er avril 1917, les Allemands, qui occupaient la Belgique, une grande partie du nord de la France et de vastes étendues du territoire russe, auraient certainement été considérés comme vainqueurs.

Le lieutenant général Julian Byng inspecte l’un des canons allemands pris pendant la bataille.
BAC/PA-001308

Le maréchal commandant le corps expéditionnaire britannique (CEB) composé des quatre divisions du Corps canadien, Douglas Haig, préparait une attaque de grande envergure dans le secteur d’Arras au mois d’avril. Les Canadiens, sous les ordres du lieutenant-général britannique Julian Byng, devaient prendre la crête de Vimy, secteur géographique fortifié par les Allemands pour protéger une grande partie des exploitations et des industries extractives de la France occupée.

La tâche serait ardue : les assauts précédents des Alliés avaient échoué avec d’importantes pertes, et les Allemands semblaient de taille à résister à toute attaque.

Toutefois, les ordres étaient les ordres, et Byng et son état-major se mirent à dresser leurs plans. En janvier, Byng inclut le major-général Arthur Currie, commandant de la 1re Division canadienne, dans la délégation britannique qui rendait visite aux armées françaises pour se renseigner sur les combats livrés à Verdun.

Dans son rapport, Currie souligna l’importance de la préparation des contrebatteries servant à éliminer les canons de l’ennemi, et il remarqua que les Français avaient perfectionné le barrage rampant qui avançait avec efficacité juste devant les combattants. Il apprit qu’ils avaient mis en place des pelotons pouvant évoluer indépendamment avec des sections de mitrailleurs, de grenadiers à fusil, de bombardiers et de fusiliers. Contrairement aux Canadiens, les Français n’attaquaient plus par vagues : les pelotons pouvaient appuyer leur propre avance en se déplaçant de manière à contourner les centres de résistance ennemis.

Currie avait aussi été très impressionné par les missions de reconnaissance et les répétitions que les Français effectuaient avant de passer à l’attaque, au point où les soldats étaient « familiarisés autant que possible avec le terrain sur lequel ils allaient se battre ». Il fit remarquer que les Français affectaient des hommes de la ligne aux forces d’assaut et leur faisaient suivre un entrainement spécial, et qu’ils veillaient à ce qu’ils reçoivent « un nouvel équipement, de nouveaux vêtements et que des divertissements leur soient offerts, et que donc, ils étaient suffisamment reposés et bien entrainés ».

Currie admirait aussi la pratique française de distribuer des cartes et des photographies en grand nombre, pas seulement aux officiers supérieurs comme le faisait le CEB. Les soldats devaient savoir où et pourquoi ils attaquaient, et ce qu’on attendait d’eux. À son retour, Currie recommanda que les Canadiens imitent les Français, et Byng accepta, modifiant ainsi l’entrainement et l’organisation des pelotons de fantassins, réduisant le nombre de leurs soldats à entre 35 et 40, le maximum qu’un officier subalterne puisse mener.

L’assaut à Vimy, en partie grâce au rapport de Currie, fut précédé d’un entrainement inédit de tirs et déplacements appuyé par les rôles de spécialistes et, comme l’a noté l’historien G.W.L. Nicholson, « une copie grandeur nature du terrain de la bataille fut imaginée […] aux arrières », où les unités, du peloton à la division, « répétaient à plusieurs reprises », si souvent que quelques soldats se plaignaient de devoir se plier aux « jeux stupides de leurs officiers ».

Quarante mille cartes furent distribuées et un nouveau plan d’artillerie fut lancé : les canons commencèrent leur préparation du champ de bataille deux semaines avant l’attaque, l’artillerie lourde se concentrant sur les batteries ennemies. Les Allemands savaient très probablement qu’une attaque se préparait, mais ils ignoraient quand elle serait lancée. En outre, déplacer les troupes à tra-vers les tunnels percés dans le terrain calcaire très près des tranchées du front en maintenant le rythme des bombardements jusqu’au dernier moment avant l’assaut allait produire un effet de surprise tactique.

Une carte de l’époque montre les limites, les objectifs et les points d’appui auxquels se heurtaient les Canadiens entre le 9 avril et le 3 mai 1917.
MCG/19750215-030a

Le plan de Byng fut arrêté le 5 mars. Ses quatre divisions qui allaient combattre ensemble pour la première fois seraient disposées en ordre : la 1re à droite et la 4e à gauche. Il y avait quatre objectifs avec chacun sa propre couleur sur la carte : la crête dans son ensemble et la deuxième ligne de l’ennemi devaient être saisies en un peu moins de cinq heures. Il y avait 863 canons en appui, et leurs servants utilisaient l’obus qui pouvait trancher les barbelés de l’ennemi grâce à la nouvelle amorce n° 106. Le barrage rampant devait s’avancer par étapes de 50 verges. Les munitions pour les canons furent apportées en grand nombre (plus d’un million d’obus allaient être tirés entre le 20 mars et la capture de la crête), en grande partie transportées sur des voies de passage nouvellement tracées. L’eau pour les hommes et les chevaux arrivait au front par des aqueducs; les signaleurs enterraient les lignes téléphoniques pour résister aux bombardements; et les sapeurs creusaient de vastes chambres souterraines pour les quartiers généraux de bataillon ou de brigade. Chaque soldat savait ce qu’il devait faire.

Des membres du 8e Bataillon (90th Winnipeg Rifles) s’entrainent à la baïonnette avec des sacs de paille à la plaine de Salisbury.
BAC/MCG/19930003-359

« Je suis grenadier à fusil, écrivit le soldat Ronald MacKinnon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry dans une lettre envoyée chez lui. Je vais me battre avec un bon nombre de gars et un bon appui de l’artillerie, donc nous allons atteindre notre objectif. » Il fut tué au combat.

Des artilleurs canadiens manient un canon allemand confisqué de 4,2 po et font feu sur l’ennemi qui bat en retraite durant la bataille.
BAC/PA-001083

L’attaque fut lancée le 9 avril à 5 h 30, un lundi de Pâques, alors que le vent envoyait de la neige et du grésil sur les Allemands. Avec ce que le lieutenant Stuart Kirkland décrivit comme étant « le plus merveilleux barrage d’artillerie de l’histoire du monde » qui prenait pour cible les canons et les tranchées de l’ennemi à l’aide d’explosifs puissants et de gaz, plus de 80 % des canons allemands furent détruits, et leur infanterie dut se terrer dans des abris. « Les canons firent tous feu en même temps dans un grondement de tonnerre, écrivit le médecin militaire du 31e Bataillon (Alberta), et un beau feu d’artifice éclata tout le long des tranchées allemandes […]. »

Les munitions pour les canons furent apportées en grand nombre.

Les 15 000 fantassins s’avancèrent d’un pas ferme derrière le barrage rampant, leur poignée de chars ne pouvant malheureusement pas les accompagner à cause des cratères d’obus et de la boue. Quand la 1re Division atteignit les premières lignes allemandes, tenues par les Bavarois, la plupart des défenseurs étaient encore dans leurs abris. Les troupes chargées du nettoyage arrivèrent peu après, et les soldats de Currie gagnèrent la ligne rouge, leur deuxième objectif, à 7 h, même si les tireurs d’élite et les mitrailleurs ennemis commençaient à faire bien des victimes.

La 2e Division traversa rapi-
dement son premier objectif, la ligne noire, et ne reçut un feu nourri qu’en arrivant à son deuxième objectif dont elle s’empara à 8 h. À 9 h 30, les brigades de réserve des deux divisions s’avancèrent vers le troisième objectif, celui de la ligne bleue.

« Nos troupes se déplaçaient d’un pas assuré comme elles l’avaient répété », dit McGill, mais en réalité, il fallait souvent beaucoup de courage pour atteindre les objectifs. Le sergent Ellis Wellwood Sifton du 18e Bataillon (Western Ontario) fonça sur une mitrailleuse qui tirait sur ses hommes, planta sa baïonnette dans ses servants et repoussa les fusiliers venant vers lui dans la tranchée en maniant son propre fusil comme un gourdin. La Croix de Victoria lui fut décernée à titre posthume.

Tout se passa relativement bien pour la 3e Division qui occupa ses deux objectifs rapidement. Billy Bishop, jeune pilote du Royal Flying Corps qui n’avait pas encore connu ses victoires, regardait ce qui lui semblait être des hommes traverser avec désinvolture le terrain neutre. Des obus faisaient des victimes, mais les autres continuaient d’avancer. 

Le terrain avait été très abimé par les bombardements des deux dernières semaines, et beaucoup de points de repère qui devaient aider les attaquants à se situer avaient été détruits. Certaines unités avançaient trop vite et se heurtaient au barrage des Canadiens. Beaucoup hommes frôlèrent la mort.

« [Nous] avons réussi à extirper nos hommes sans devenir victimes, écrivit le major Percy Menzies du 4e Bataillon de la 3e Division canadienne des fusiliers à cheval. Pendant tout ce temps-là, nous étions gênés par nos propres obus qui éclataient trop près de nous, mais je n’ai pas été touché. »

La 4e Division était celle qui était vraiment en difficulté. Son objectif principal était la côte 145 fermement défendue par quatre lignes et de profondes casemates en contrepente. Les 11e et 12e brigades, qui avaient chacune un bataillon supplémentaire, s’emparèrent de la première ligne, mais les Allemands de la seconde ligne les repoussèrent lors de multiples contrattaques.

La côte 145 resta entre les mains des Allemands jusqu’à ce que le 85e Bataillon (Nova Scotia Highlanders) arrivé récemment la leur prenne cette nuit-là. Le lendemain, les 44e et 50e bataillons suivirent le barrage lors d’un affrontement sans merci en descendant le versant oriental, et la 4e Division prit la ligne rouge.

Le 29e Bataillon (Vancouver) traverse le terrain neutre malgré les barbelés et le feu nourri des Allemands à Vimy.
William Ivor Castle/BAC/3192389

Il ne restait plus que le Pimple (bouton, NDT) à l’extrémité nord de la crête.

Tôt le matin du 12 avril, la 10e Brigade lança une attaque-surprise contre les Allemands qui tenaient la côte. La brigade s’empara du Pimple à 6 h, lors d’un combat au corps à corps. 

 Vimy A ÉTÉ « LA CHOSE LA PLUS FANTASTIQUE À LAQUELLE LES CANADIENS ONT PRIS PART ».

Du haut de la crête, les Canadiens avaient vue sur les banlieues de la ville minière de Lens, à l’est, et leur artillerie peina dans la boue épaisse jusqu’à de nouvelles positions du côté oriental. La position allemande prétendue imprenable avait été prise, et le succès du Corps canadien fut acclamé à Paris, à Londres et au pays.

Byng fut le premier à être félicité de la victoire. Il fut promu général et le commandement de la British Third Army lui fut confié. Son successeur, Currie, eut une promotion, la chevalerie, et le commandement du Corps canadien au mois de juin, poste qu’il occupa jusqu’à la fin de la guerre.

La bataille avait été couteuse, et le succès, mitigé. La crête avait été prise, mais les Allemands n’avaient pas été mis en déroute. Il n’y avait pas eu de percée, pas de cavalerie mise à la disposition de Byng pour exploiter la réussite.

En cinq jours de combats, les Canadiens déplorèrent 10 602 victimes, dont 3 598 morts, un nombre tel que le premier ministre Robert Borden, qui se trouvait alors à Londres, commença à prendre conscience que la conscription serait nécessaire. Beaucoup de soldats étaient fiers de la victoire.

Vimy a été « la chose la plus fantastique à laquelle les Canadiens ont pris part, ils ont été merveilleux, dit le capitaine William Fingold du YMCA. Bien entendu, il y a eu des pertes importantes, mais c’était une grande victoire. »

D’autres étaient simplement heureux d’avoir sur-vécu : « C’était l’enfer sur terre, écrivit un autre soldat, et je suis très chanceux d’être encore de ce monde. »

Des soldats canadiens assistent à un service commémoratif en septembre 1917 en l’honneur des hommes du 87e Bataillon (Canadian Grenadiers Guards) tombés à Vimy tombés à Vimy. Au cours de la guerre, des cimetières  impromptus ont été construits le long du front occidental. Les réenterrements et les monuments plus détaillés viendraient par la suite.
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LA BATAILLE DE LA CRÊTE DE VIMY A-T-ELLE COMPTÉ?

major-général Arthur Currie
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La bataille de la crête de Vimy est parfois décrite dans l’histoire populaire du Canada comme une victoire grâce à laquelle la guerre a été remportée. Les Canadiens du major-général Arthur Currie ont réalisé quelque chose dont les Alliés avaient été incapables : grimper sur les hauteurs de la crête et battre les Allemands.

Mais, les réalistes savent que c’est Julian Byng, général britannique qui commandait le Corps canadien en avril 1917, et non Currie. Nous savons que la plus grande partie de la crête où a eu lieu l’attaque des Canadiens était une pente douce et que l’à-pic se situait derrière les tranchées de l’ennemi, sur l’autre versant. Nous savons qu’il n’y a pas eu de percée ni de cavalerie balayant les arrières de l’ennemi, et que les Allemands n’ont reculé que de quelques kilomètres vers l’est, jusqu’à leur prochaine ligne. Nous nous souvenons aussi que les Canadiens ont déploré 10 602 morts et blessés à Vimy, les pires pertes de notre histoire, et que l’hécatombe a continué pendant un an et demi de plus. Les mythes dépassent de loin la réalité.

Toutefois, Vimy a quand même compté. Les Canadiens étaient loin d’être des professionnels de la guerre au début, mais ils avaient appris à se battre à Ypres, à Saint-Éloi et à la Somme.

Après Vimy, les soldats ont compris qu’ils avaient accompli quelque chose de très important, que leurs bataillons, leurs brigades et leurs divisions avaient gagné en maturité, et que le Corps était devenu une formation d’élite. La guerre allait continuer. La confiance et la détermination acquises à Vimy avaient fait des Canadiens des soldats parmi les meilleurs des Alliés de la Grande Guerre.

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