Ed Storey dit que NON
Le Canada a la chance de disposer d’une collection de milliers de photos d’archives prises en temps de guerre. Ces clichés ont immortalisé l’armée du pays de la guerre d’Afrique du Sud (1899-1902) à la guerre d’Afghanistan (2001-2014). En effet, jusqu’à l’avènement de la photographie en 1820, les gens ne connaissaient la guerre que par des imprimés colorés très imaginatifs.
Roger Fenton, avocat britannique et amateur de photographie, fut le premier photographe de guerre. Il a documenté la guerre de Crimée (1853-1856). Ce nouveau média était tellement formidable qu’à peine quelques années plus tard, pendant la guerre civile américaine (1861-1865), plus de 3 000 photographes immortalisèrent la période en noir et blanc.
Les photographes devaient prendre en compte les limites inhérentes à leur film.
Les photos de guerre sont restées populaires. Elles servaient à vendre des journaux, à illustrer documents militaires et histoires officielles. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les trois services militaires canadiens employèrent des photographes pour documenter l’effort de guerre. Avec leur talent et leur courage, ils nous ont légué une incroyable collection nationale d’images.
Les films monochromes ou panchromatiques offerts sur le marché pendant une grande partie du XXe siècle n’étaient sensibles qu’à certaines parties du spectre optique visible. Cela voulait dire que les photographes devaient prendre en compte les limites inhérentes à leur film lors du travail de composition. La lumière et la place du sujet étaient des éléments essentiels du processus, ce qu’on voit bien dans le style et l’apparence de la version originale en noir et blanc des photos de guerre.
Les progrès récents de la photographie numérique et les logiciels de traitement de photos ont facilité le stockage, l’accès aux images d’archive et la colorisation de ces photographies.
Cette technique est acclamée, elle serait une manière de rendre les photos en noir et blanc plus pertinentes pour le public actuel habitué à voir des images en couleurs. Mais, la palette de couleurs et l’aspect du produit final sont désormais entre les mains de l’artiste, et non entre celles du photographe d’origine.
La précision des couleurs choisies varie selon la qualité des recherches contextuelles : par exemple, avec l’acquisition d’une solide connaissance des véhicules, uniformes, insignes et équipement qui, dans bien des cas, ne s’utilisent plus depuis plusieurs dizaines d’années, voire n’existent plus.
Bien qu’il semble facile d’extra-poler sur la couleur d’un uniforme ou d’un insigne, les caractéristiques du film utilisé à l’origine et les variations d’un fabricant à l’autre pour la couleur de la peinture ou du tissu, sans compter la décoloration éventuelle lors de l’utilisation sur le terrain et à la guerre, font qu’il est impossible d’illustrer avec fidélité des détails précis comme les couleurs ternies d’une vareuse camouflée ou d’un dessin peint sur un nez d’avion.
Tout comme avant 1820, les couleurs utilisées ne sont que des approximations éclairées, pas une amélioration factuelle de l’image originelle.
Les photos de guerre font partie intégrante de l’histoire militaire du Canada et ne devraient pas être colorisées. Personne ne songerait à mettre en couleur des croquis au crayon ou des dessins au fusain des collections d’art militaire du Canada. De la même façon, coloriser les photos de guerre altère l’image et fausse un document historique.
Stephen J. Thorne dit que OUI
Il est rare qu’on ne paie pas le prix du progrès. Les scientifiques s’accordent pour dire que l’industrialisation et l’avènement de l’automobile ont causé l’accélération des changements climatiques. On peut sans exagérer affirmer qu’Internet et les médias sociaux ont contribué à une solitude et une marginalisation croissante, ainsi qu’à l’effritement d’une certaine politesse, à l’irrespect des lois et à la renaissance du fascisme.
Ces grandes innovations ont été créées pour nous faciliter la vie, nous rapprocher et nous instruire. Et elles l’on fait. Nous sommes encore en train de nous y adapter et de prendre conscience de leurs inconvénients et de leur utilité.
L’art de modifier les photos n’a rien de nouveau. Photoshop et d’autres logiciels ont facilité l’exercice qui, entre les mains de quelques personnes irresponsables, peut s’avérer dangereux.
Les services de presse écrite et les publications l’ont appris à leurs dépens il y a une trentaine d’années. Ils ont édicté des règles que les photographes de l’information doivent suivre.
La colorisation des photos, historiques ou non, n’est pas considérée comme étant une pratique acceptable dans le monde de l’information. Elle est toutefois répandue dans certains domaines de l’art, de l’histoire ou des loisirs.
Je ne suis généralement pas un adepte de la colorisation. Dans bien des cas, les logiciels abâtardissent un art qui est sublime lorsque pratiqué de manière rigoureuse.
Les motifs de cette pratique sont discutables. À quoi sert-elle? Le fait que les personnes qui ont procédé à la colorisation apposent leur signature sur le cliché sans bien souvent rendre hommage à l’auteur original de la photo en dit long.
Et cela relève de la parodie que de coloriser des photos emblématiques comme les portraits de Lincoln réalisés par Mathew Brady, le portrait « Bulldog Tommy Churchill » que Yousuf Karsh a pris ou la photo « Raising the Flag on Iwo Jima » (levée du drapeau sur Iwo Jima, NDT) de Joe Rosenthal et, encore pire, de les diffuser sans mentionner les photographes qui en sont les auteurs.
Les tons noir et blanc ou sépia de ces images reflètent l’époque où elles ont été prises ou le choix et la maitrise de leurs créateurs. Karsh se délectait des nuances du gris. Dans les années 1960, Brady se servait de la lumière et des ombres pour soigner les détails comme rares sont ceux qui l’ont fait avant lui.
Cependant, la colorisation a aussi sa place. Le documentaire de 2019 du réalisateur Peter Jackson, They Shall Not Grow Old (Ils ne vieilliront pas, NDT), en est un exemple.
La Grande Guerre a été le premier conflit immortalisé sur pellicule. On a longtemps vu les protagonistes comme des acteurs d’une comédie à la Charlie Chaplin à cause des mouvements saccadés que l’on voyait à l’écran et de l’absence de bon son.
M. Jackson a changé tout cela. Il a pris 100 heures de séquences vidéo d’époque, a choisi les meilleures parties, les a méticuleusement colorisées et a adapté la vitesse de défilement. Des gens pouvant lire sur les lèvres ont interprété ce que disaient les soldats à l’écran, puis Jackson a distribué les rôles à des comédiens pour leur donner une voix; rien de moins qu’en jargon régimentaire d’alors.
Les effets sonores et les 100 meilleures heures d’entrevues d’archives avec d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale ont couronné le tout. Résultat : une révélation de la vie à l’époque de la Première Guerre mondiale, de la misère et de la mort; et un nouvel outil pour l’enseignement.
Encore une preuve que rien ne peut être tranché de façon absolue dans la vie.
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ED STOREY, qui a servi pendant 34 ans, est technicien en géomatique militaire à la retraite. Il étudie et collectionne des artéfacts militaires canadiens. Rédacteur de nombreux textes pour des revues et auteur de trois livres sur les vêtements et l’équipement militaires, il s’appuie dans son travail sur sa grande collection d’artéfacts et de documents ainsi que sur ses images d’archive.
STEPHEN J. THORNE est photographe, rédacteur et journaliste primé. Il a fait des reportages sur la chute de l’apartheid en Afrique du Sud et sur le front au Kosovo et en Afghanistan.
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