Reprendre de la hauteur

La première attaque planifiée par les Canadiens pendant la guerre fut celle du mont Sorrel, en Belgique, en juin 1916

Les troupes canadiennes avancent dans un rideau de fumée pendant la bataille du mont Sorrel, en Belgique, en 1916.
Henry Edward Knobel/MND/BAC/3194767

Vers la fin du mois de mai 1916, il devint évident que les Allemands planifiaient une attaque du côté est du saillant d’Ypres, en Belgique, où se trouvait le Corps canadien.

Les hauteurs s’étendaient sur un peu plus de deux kilomètres, du mont Sorrel au sud en passant par les collines 61 et 62 (Tor Top [cime de la butte rocheuse, NDT]) jusqu’au bois du Sanctuaire au nord, et elles permettaient d’observer les arrières des Allemands. La crête de l’Observatoire allait d’est en ouest sur un kilomètre, du Tor Top jusqu’au milieu du saillant. Si les Allemands réussissaient à prendre ce territoire, ils pourraient dominer le saillant et obliger le Corps canadien à l’abandonner.

Tel était l’enjeu que voyait l’état-major du renseignement des Canadiens et des Britanniques en étudiant les activités des Allemands.

Tout au long du mois de mai, les sapeurs allemands avaient prolongé leurs tranchées de chaque côté de la butte rocheuse et en avaient creusé une autre à 50 mètres devant leur première ligne. Le Royal Flying Corps remarqua un nouveau système de tranchées dans les arrières des Allemands calqué sur les travaux des Canadiens autour du Tor Top. Une accumulation de mortiers de tranchée et d’autres canons de gros calibre indiquait qu’une attaque se préparait.

Toutefois, il manquait l’habituelle adjonction de fantassins présageant une attaque, et donc aucune préparation défensive ne fut entreprise.

 

Le fait que le lieutenant-général Edwin Alderson avait été renvoyé en mai à la suite de la défaite du mois d’avril aux cratères de Saint-Éloi n’arrangeait pas les choses. Il avait été remplacé par le lieutenant-général Julian Byng.

« Pourquoi m’envoie-t-on aux Canadiens? écrivit Byng. Je ne connais pas de Canadiens. À quoi cela rime-t-il? » Byng allait finir par commander avec sérénité; toutefois, il était encore en train de prendre ses marques fin mai et début juin.

La bataille du mont Sorrel eut lieu deux mois après les revers subis pendant les combats des cratères de Saint-Éloi.
Heinrich Hoffman/MDN/BAC/3329062

Les Canadiens faisaient face à deux divisions du XIIIe Corps allemand. Les soldats venaient du royaume de Würtemberg, état indépendant qui avait rejoint l’empire allemand après la guerre franco-allemande de 1870-1871. Au bout de six semaines de préparations dissimulées, l’artillerie des Allemands cessa le feu pendant sept heures dans la nuit du 1er au 2 juin afin de ne pas nuire aux détachements occupés à couper les barbelés. Ensuite, les canons reprirent leur activité coutumière.

Le 2 juin à 6 h, le major-général Malcolm Mercer et le brigadier Victor Williams de la 3e Division faisaient le tour des premières lignes où le flanc droit de la 8e Brigade d’infanterie était couvert par le 4e Bataillon canadien de fusiliers à cheval. Soudain, les Wurtembergeois lancèrent le bombardement « le plus intense qu’avaient enduré jusque-là les troupes britanniques ».

N’ayant pas réussi à s’emparer des premières tranchées à l’aide de gaz toxique, les Allemands adoptèrent les tactiques des Alliés : ils lancèrent une pluie d’obus tirés de positions situées juste derrière l’infanterie, qui elle, attaquait.

Le 4e Bataillon CFC fut le plus touché. Son entière position, écrivit un officier allemand, « était un nuage de poussière et de terre où les madriers, les troncs d’arbre, les armes et l’équipement, ainsi qu’occasionnellement des corps humains, étaient projetés dans l’air sans relâche ». Le 4e perdit 89 % de son effectif. Seuls 76 des 702 officiers et hommes s’en sortirent indemnes.

Williams fut blessé et capturé. Les tympans crevés, une jambe cassée, Mercer mourut atteint par des éclats d’obus. Sans direction à la division ni à la brigade, les communications coupées, la 3e Division sombra dans la confusion.

Un tireur d’élite avec son fusil Ross près du mont Sorrel en juin 1916. Les défauts du fusil le rendaient peu fiable aux premières lignes, mais certains tireurs d’élite du CEC le préféraient pour sa précision.
Henry Edward Knobel/MDN/BAC/PA-3520927

Le barrage écrasant et implacable dura toute la matinée. Et puis, quelques minutes après 13 h, quatre mines explosèrent devant les tranchées du mont Sorrel et l’infanterie allemande passa à l’attaque.

Six bataillons de Wurtembergeois prirent part à l’assaut, appuyés par cinq autres, et six de plus en réserve. Plus de 6 500 soldats vêtus de gris marchèrent d’un pas tranquille sous un soleil éclatant en quatre vagues espacées de 70 mètres, apparemment sûrs que les Canadiens avaient été anéantis.

Déferlant sur les tranchées du mont Sorrel et du Tor Top, ils ne se heurtèrent qu’à des groupes isolés des 1er et 4e bataillons CFC. Les combats avaient souvent lieu au corps à corps, les Canadiens tentant désespérément de tenir tandis que l’ennemi brulait les poches de résistance au lance-flammes.

Les Allemands se répartirent sur la crête de l’observatoire, prirent trois points d’appui, puis fondirent sur une section de la 5e batterie de campagne de la 2e Brigade de l’Artillerie canadienne de campagne dont les servants se battirent au révolver jusqu’au dernier homme. Ces canons du Corps canadien furent les seuls dont s’empara l’ennemi. (Les deux canons de 18 livres furent récupérés par la suite.)

L’attaque des Allemands serait allée plus loin sans la résistance acharnée du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry sur le flanc droit, dans le bois du Sanctuaire. Sa défense résolue couta 400 hommes au bataillon, dont 150 périrent. Parmi les défunts se trouvait le lieutenant-colonel Herbert Cecil Buller, commandant du PPCLI, tué par balle en commandant ses hommes.

« Il donna des ordres pour que « tout terrain perdu aujourd’hui [soit] repris cette nuit ».

Les Wurtembergeois disciplinés s’avancèrent jusqu’à 600 ou 700 mètres de leur objectif, puis ils s’arrêtèrent, bien qu’ils aient vu que la route vers Ypres était libre. Le saillant aurait probablement été perdu s’ils avaient continué sur leur lancée.

La 1re Division canadienne établit une ligne à la tombée de la nuit pour leur barrer la route, appuyée par des mitrailleuses du 10e Bataillon et de la Canadian Motor Machine Gun Brigade.

La 3e Division était toutefois dans une situation épouvantable. Byng fit renforcer temporairement ses deux brigades par la 1re Division et deux bataillons de la 9e Brigade. À 20 h 45, il donna des ordres pour que « tout terrain perdu aujourd’hui [soit] repris cette nuit ».

Les unités peinaient à atteindre les lignes de départ et l’attaque fut retardée jusqu’à 7 h. Six fusées vertes devaient donner le départ des quatre bataillons, mais elles eurent des ratés. Il fallut en essayer 14 pour en lancer six et deux bataillons n’en virent aucune.

Chaque bataillon attaqua seul, donc l’ennemi concentra son tir sur l’un avant de passer au suivant. La plus grande attaque que les Canadiens avaient menée jusqu’alors se transforma en un méli-mélo. Pire, les hommes peinaient à respirer à cause de leur masque à gaz.

Le soldat A.Y. Jackson, qui fit partie par la suite du Groupe des Sept, vit son lieutenant tomber « comme une masse ». Un camarade resta « figé d’étonnement en voyant le sang gicler de son bras qui ne pendait que par quelques lambeaux de chair ». Des éclats frappèrent Jackson à l’épaule, au dos et à la nuque, et il s’écroula. L’attaque échoua.

Les Allemands étaient à moins de trois kilomètres d’Ypres, et le général Herbert Plumer de la Deuxième armée britannique était bien décidé à les repousser. Le général Douglas Haig, commandant de la British Expeditionary Force, était d’accord avec lui.

Cependant, Haig préparait l’offensive à la Somme, et il refusa de renvoyer l’infanterie au saillant. Il ne fournit que des canons et une brigade de fantassins. La puissance de feu, et non l’infanterie, insistait Haig, assurerait la victoire, et 218 canons furent déployés. Pendant que les canons pilonnaient les lignes allemandes, la 1re Division se préparait à l’attaque du 6 juin.

Des soldats canadiens se reposent dans les tranchées de réserve pendant la bataille du mont Sorrel, en juin 1916. Le Corps canadien s’empara du terrain de l’ennemi, mais au prix de 8  000 victimes. L’Allemagne subit 5 765 pertes humaines.
MDN/BAC/3520931

Cette attaque fut retardée à cause du mauvais temps qui empêchait les observateurs aériens de localiser les canons les plus lourds. La 117e Division d’infanterie allemande lança un assaut de sabotage contre Hooge. Bien qu’il fût déjoué, les Allemands prirent le contrôle de la plupart des ruines de Hooge jusqu’à ce qu’elles soient encerclées.

N’ayant pas suffisamment de force pour reprendre Hooge puis attaquer au mont Sorrel et à la butte rocheuse, Byng laissa le village aux Allemands.

La 1re Division, dirigée par le major-général Arthur Currie, serait le fer-de-lance de l’assaut principal. Comme la 3e Division avait subi des pertes en appuyant la contre-attaque du 3 juin, Currie regroupa ses bataillons les plus forts en deux brigades composites. L’attaque, retardée au 13 juin, serait lancée contre un front qui s’étendait du mont Sorrel jusqu’au bois du Sanctuaire.

Les ruines éparses autour d’un poste de champ de bataille près du bois d’Armagh, au nord-ouest du mont Sorrel.
MDN/BAC/3329044

Le 9 juin, Currie ordonna un bombardement de quatre jours qui pilonna les Allemands toutes les 30 minutes, puis durant 12 heures d’affilée le 12 juin. Les Allemands se ruaient vers leurs postes de combat à la fin de chaque rafale d’obus. Ils étaient alors frappés par de nouvelles salves des canons.

La journée avait été « pluvieuse et déprimante, la brume et la bruine trempaient les vêtements des soldats ».

« Le nombre de pertes des 120e et 126e divisions d’infanterie [allemandes] était horriblement élevé… Ce qui était construit pendant les courtes nuits était détruit pendant la journée », est-il rapporté dans une histoire du 120e.

Les deux côtés considéraient les attaques nocturnes comme étant propices à la confusion, mais Currie décida que cette tactique lui donnerait l’avantage de la surprise. L’attaque du 13 juin fut menée par quatre bataillons.

La journée avait été « pluvieuse et déprimante, la brume et la bruine trempaient les vêtements des soldats qui, pendant ces heures, étaient couchés à découvert », écrivit le major Hugh Urquhart du 16e Bataillon qui prit une position de formation pendant la nuit du 11 au 12 juin.

Une équipe de servants de mitrailleuse fut réduite à deux hommes au tout début.

Les obus pilonnèrent les lignes allemandes jusqu’à 30 secondes seulement avant l’heure H, à 1 h 30. Les Canadiens s’ébranlèrent, les oreilles bourdonnantes. La pluie et la fumée épaisse réduisaient la visibilité à quelques mètres.

Ce ne fut pas une avancée ordonnée. Les officiers subalternes menaient des sections de 15 ou 25 hommes. Ils zigzaguaient parmi les cratères et les souches d’arbre éclatées, à travers les brèches dans les barbelés, glissant et tombant dans la boue. Les fusils et les révolvers s’encrassaient. Beaucoup de soldats furent fauchés, mais les survivants continuaient.

Une équipe de servants de mitrailleuse fut réduite à deux hommes au tout début. À cinq reprises, d’autres hommes se joignirent à eux pour utiliser la mitrailleuse, mais eux aussi furent tués. Toutefois, les deux survivants atteignirent leur objectif.

L’opposition allemande s’effondra lorsque les Canadiens atteignirent les tranchées ennemies. Un grand nombre de Wurtembergeois étaient abasourdis et confus, errant sans but, sans fusil, sans matériel. L’artillerie avait fait son travail.

Au lever du soleil, des fusées lumineuses rouges annoncèrent le succès. Les Allemands avaient perdu presque tout le terrain qu’ils avaient conquis le 3 juin. Le prix avait été d’environ 8 000 victimes au sein du Corps canadien et 5 765 parmi les Allemands.

Il fut noté dans l’histoire britannique officielle que la « première attaque planifiée sciemment par les Canadiens avait eu un franc succès ». La méthode employée au mont Sorrel était un avant-gout de celles que les membres du Corps canadien utiliseraient par la suite et qui feraient d’eux les soldats de choc de l’armée britannique. 

 

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