« Ils ne passeront pas! »

À la bataille de Verdun en 1916, ce cri de ralliement d’un général français exhorta son armée à tenir bon

Le fort de Douaumont tomba aux mains des Allemands, sans coup férir, au début de la bataille de Verdun. Les Français le recapturèrent huit mois plus tard, scène représentée dans un tableau d’Henri-Georges Chartier (en bas). Le fusil d’infanterie à verrou Lebel modèle 1886 était l’une des armes préférées de l’armée française.
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Ce commentaire d’un aviateur allié survolant le champ de bataille à Verdun, en France, décrit parfaitement les ravages causés par un des plus lourds barrages d’artillerie qui ait existé. Et ce n’était pas fini.

Verdun mena directement à la bataille de la Somme, où les Canadiens combattirent pendant plus de deux mois.

La bataille de Verdun, qui eut lieu du 21 février au 18 décembre 1916, fut l’une des plus longues de la Grande Guerre : deux fois plus longue que la bataille de la Somme et plus de trois fois plus longue que celle de Passendale. Selon certaines estimations, il y eut 750 000 victimes françaises et allemandes — dont près de 300 000 morts. C’est un peu moins qu’à la Somme, mais cela reste un chiffre effarant.

Les Canadiens ne prirent pas part à la bataille de Verdun, mais ils en avaient des nouvelles. Pendant qu’il se rétablissait en Angleterre d’une blessure à la jambe, le soldat Cliff Bowes du 44e Bataillon (Manitoba), âgé de 24 ans, écrivit à sa « chère petite sœur », Evelyn, le 10 mars 1916 : « Les Allemands sont en train de recevoir une raclée ces temps-ci; ils ont perdu des milliers d’hommes à Verdun sans rien gagner du tout. »

Verdun mena directement à la bataille de la Somme, où les Canadiens combattirent pendant plus de deux mois et subirent 24 049 pertes.

Des soldats blessés se déplaçant vers l’arrière. Le nombre de victimes des deux côtés s’élevait à presque 750  000.
Alamy/FGP57W

 

Le commandant français, le général Joseph Joffre (surnommé Papa Joffre) et le général Erich von Falkenhayn, chef de l’état-major allemand, prévoyaient tous deux de nouvelles offensives de grande envergure en 1916 pour sortir de l’impasse au front occidental. Les Allemands furent les premiers à attaquer.

Étonnamment, leur but à Verdun n’était pas de gagner du terrain, mais de détruire l’armée française au moyen d’une verblutung, c’est-à-dire une exsanguination. La stratégie réussit presque.

Le général Joseph Joffre (manteau clair) commandait les forces françaises à la bataille de Verdun.
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À 7 heures, le 21 février 1916, un bombardement allemand massif de plus de 1 200 pièces d’artillerie pilonna les positions françaises autour de la cité médiévale fortifiée. Le barrage d’obus explosifs et de gaz phosgène se poursuivit durant presque 10 heures. La dévastation fut immense. L’opération Gericht (jugement) avait commencé.

Verdun faisait saillie dans les lignes allemandes. La Meuse, qui traverse la ville, avait formé un escarpement rocheux à l’est. Le saillant était semblable à celui d’Ypres, plus au nord, en Belgique, où du sang canadien avait coulé au mois d’avril précédent. Il en coulerait encore beaucoup avant la fin de la guerre.

Verdun était la forteresse la plus puissante de la France d’avant-guerre, entourée qu’elle était d’un double anneau de 28 forts en acier et en béton, dont ceux de Douaumont et de Vaux, et de plusieurs petits ouvrages. Les forts, distants de 2,8 à 8 km de Verdun, étaient situés de manière à se défendre les uns les autres. Ils étaient hérissés de centaines de canons et mitrailleuses de 75 ou 155 mm. Mille autres pièces d’artillerie étaient en appui dans des batteries en béton.

Au point de vue stratégique, cependant, cette ville du nord de la France n’avait que peu d’importance. En fait, si les Français l’avaient abandonnée, ils auraient raccourci, redressé et renforcé leur ligne.

Les soldats français se protègent d’une explosion d’obus au champ de bataille de Verdun.
Musée du Mémorial de Verdun/Alamy/MPWM20

Mais Verdun avait une signification quasi mystique pour les Français. Elle avait été l’une des dernières forteresses à se rendre lors de la défaite humiliante de la France à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Les Français se refusaient à l’abandonner, bien que ses forts, construits après cette guerre-là, eussent été dépouillés de leurs canons, mis en service ailleurs et d’une bonne partie de leurs garnisons.

Lorsque le bombardement prit fin abruptement à 16 h 45, la cinquième armée allemande passa à l’attaque, dirigée par le fils ainé de l’empereur, le Kronprinz Wilhelm (surnommé le « Clown Prince » par les Anglais et le « con prince » par les Français). Les Allemands s’avancèrent sur un front de 13 kilomètres contre la troisième armée française, en utilisant pour la première fois une nouvelle arme : le flammenwerfer (lance-flammes).

Un lance-flammes allemand, le Flammenwerfer M.16.
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Bien que la ligne française ait été pilonnée sans relâche, miraculeusement des soldats français survécurent et tinrent bon. De lourdes pertes furent essuyées des deux côtés jusqu’à la tombée de la nuit.

La tactique allemande se reproduisit durant les quatre prochains jours. Après des avancées relativement modestes, les Allemands fortifiaient immédiatement les positions françaises capturées et déchainaient leur écrasante puissance de feu sur les Français qui contrattaquaient. À l’époque, la philosophie française était l’attaque à outrance : toute position conquise par l’ennemi devait être reprise à tout prix.

 

Douaumont, le plus grand des forts français, tomba le 25 février lors de ce qui fut une manœuvre d’opéra-comique. Neuf hommes du 24e Régiment de Brandebourg grimpèrent par une embrasure sans défense et maitrisèrent les 59 hommes qui restaient de la garnison. À ce moment-là, comme la plupart des canons du fort avaient été envoyés ailleurs, il n’en restait que deux de 75 mm et un de 155 mm.

Joffre interdit de se replier davantage et envoya le général Philippe Pétain et la Deuxième armée en renfort à Verdun. Les avions et pièces d’artillerie disponibles y furent également envoyés et le commandement fut confié au général Pétain. Ce dernier arriva au moment où les Allemands faisaient une pause lors de leur attaque contre leur premier objectif, ce qui lui permit de réorganiser son état-major et de faire venir des renforts, dont des pièces d’artillerie supplémentaires.

Les Allemands amenèrent trois corps en renfort. Ils lancèrent une nouvelle attaque le 6 mars, du côté ouest du saillant. Elle réussit au début, mais fut arrêtée par les contrattaques ordonnées par Pétain pour reprendre chaque pouce de terrain perdu.

Les Allemands s’aperçurent aussi de l’erreur qu’ils avaient commise en ne nettoyant pas l’artillerie française de la rive ouest de la Meuse qui pouvait tirer sur eux pendant qu’ils s’avançaient. Dans le cadre de cette nouvelle offensive, ils traversèrent le fleuve et attaquèrent trois terrains élevés au nord-ouest de Verdun. Le terrain le plus élevé était la colline du Mort-Homme, au centre, qui s’élevait à 297 mètres d’altitude. Elle portait bien son nom.

Une série d’attaques et contrattaques eut lieu pendant le reste du mois de mars, qui empira grandement la bou-cherie. Au front, les soldats français exténués étaient remplacés tous les 8 à 10 jours. Pétain reçut également deux subordonnés très capables : les généraux Robert Georges Nivelle et Charles Mangin.

Les masques à gaz étaient nécessaires au combat, où l’artillerie des Allemands tira plus de 116 000 obus à gaz phosgène.
Alamy/FGP594

À ce moment-là, les liaisons routières et ferroviaires à Verdun avaient toutes été coupées, sauf, au sud-ouest, une route secondaire de 65 kilomètres. Elle avait heureusement été élargie peu avant, et la circulation pouvait s’y faire dans les deux sens.

Un flot constant de camions transportait des fournitures militaires vers l’avant vingt-quatre heures par jour et ils transportaient des civils et des soldats blessés à leur retour.

Une division d’hommes harcelés par le feu incessant de l’ennemi formait des équipes affectées en permanence à la réparation de la chaussée. La route fut surnommée la Voie sacrée.

La troisième attaque des Allemands, livrée des deux côtés du saillant le 9 mars, fut repoussée par les Français. D’autres attaques et contrattaques s’ensuivirent jusqu’au 29 mai, quand les tentatives des Allemands du côté ouest finirent simplement par s’épuiser.

Le prince héritier félicita Raynal pour sa défense tenace.

Après une série d’attaques couteuses, les Allemands avaient fini par capturer Mort-Homme et les deux autres sommets à l’ouest de la Meuse. Ils en restèrent maitres jusqu’au mois d’aout 1917.

 

Le 19 avril, Nivelle succéda à Pétain, qui avait été promu à un grade supérieur. Pendant ce temps, les Allemands poursuivaient leurs attaques au fort de Vaux, du côté est du saillant.

La garnison du fort, qui s’élevait à 283 hommes avant les quelque 300 hommes envoyés en renfort, s’amenuisait tous les jours, mais elle résista pendant près d’une semaine aux assauts répétés. Le commandant français, le major Sylvain Eugène Raynal, se rendit le 7 juin, quand il ne restait plus d’eau et que l’intérieur du fort avait été détruit. Le prince héritier félicita Raynal de sa défense tenace et lui remit une épée.

Une délégation de Canadiens inspecte les dégâts à Verdun après la guerre. La cathédrale avait été gravement endommagée et les tours n’ont jamais été rebâties.
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Quatre jours plus tard, Pétain demanda à Joffre d’avancer la date de l’offensive à la Somme afin d’éloigner les Allemands de Verdun. Vu le nombre de soldats français engagés à Verdun, l’armée britannique s’apprêtait à jouer un rôle plus important que prévu à la Somme.

L’offensive à la Somme étant sur le point de commencer, Joffre ne pouvait pas se permettre de perdre davantage de terrain. Fin juin et début juillet, d’autres attaques allemandes du côté ouest du saillant réussirent presque à faire des brèches dans la ligne française. Mais les Français s’accrochèrent et les Allemands hésitèrent.

Le nouveau mot d’ordre français, souvent répété, était « Ils ne passeront pas! ». En fait, l’expression contenue dans l’ordre général du 23 juin était « Vous ne les laisserez pas passer! ».

Quinze divisions allemandes furent envoyées au front de l’est pour enrayer l’offensive Broussilov, puis Falkenhayn fut retiré en aout. L’équipe Hindenburg-Ludendorff qui le remplaça décida de réduire les pertes à l’ouest et de passer à la défensive.

 

Cet automne-là, Mangin remplaça Nivelle et les Français passèrent à l’attaque. Ils utilisèrent la nouvelle technique du barrage rampant que les Canadiens avaient utilisée avec succès à Courcelette, sur la Somme, à la mi-septembre. Le fort de Douaumont fut repris le 24 octobre et celui de Vaux, le 2 novembre.

Mangin fit une pause de quelques semaines avant de repasser à l’attaque. Le 18 décembre, il avait ramené les lignes françaises presque jusqu’à l’endroit où elles étaient en février, quand les combats avaient commencé. La bataille de Verdun était terminée. 


Les villages détruits de Verdun

Sur la rive est de la Meuse, les gaz toxiques, les explosifs chimiques et les cadavres d’humains et d’animaux en décomposition, en plus des 26 millions d’obus qui avaient brulé les sols, avaient rendu une partie des terres définitivement non arables. Dix millions d’obus enterrés et non explosés y créaient des problèmes supplémentaires.

Les Français donnèrent officiellement le statut de « village détruit « à neuf villages de la région, dont huit sont identifiés par des balises. Le neuvième, Fleury, fut choisi comme monument commémoratif en raison de son emplacement central. Ses rues sont maintenant des chemins boisés et il a même un maire symbolique.

Au site de Fleury-devant-Douaumont, des poteaux blancs indiquent où se trouvaient les maisons et les rues avant la destruction du village.
Mémorial de Verdun

Les monuments de guerre insolites de Verdun

L’ossuaire de Douaumont est incontestablement troublant. Il ressemble à un obus d’artillerie, et trois galeries s’étendent à partir de sa base. Les os de 130  000 combattants, que les visiteurs peuvent voir par les fenêtres, y sont empilés. 

Le Mort-Homme est une figure triomphante de la mort qui s’élève sinistrement de la colline du même nom.

La Tranchée des Baïonnettes est encore plus effrayante. Après la guerre, on a découvert une tranchée pleine d’où une ligne de baïonnettes dépassait, et dépasse encore aujourd’hui. Chaque baïonnette était fixée à un fusil, et un corps se trouvait à côté de chaque fusil. Victimes d’un bombardement cauchemardesque, les soldats auraient été enterrés debout.

Les restes des morts furent transférés aux caveaux dans l’ossuaire de Douaumont en septembre 1927.
Douaumont Ossuary
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