À l’Ouest, rien de nouveau (1930) est-il le plus grand film de guerre jamais réalisé?

Joel Kimmel

Stephen J. Throne dit que OUI

À l’Ouest, rien de nouveau est un film oscarisé de 1930 basé sur le roman antiguerre de Erich Maria Remarque, vétéran allemand de la Grande Guerre.

Et non seulement il se dispensait des idéaux traditionnels de gloire, il s’en moquait aussi.

Sorti 12 ans après la Première Guerre mondiale, alors que le nazisme montait en Allemagne, il a peut-être eu plus d’impact que n’importe quel autre film de guerre. Si l’on fait fi de l’évolution de la technologie et de son côté théâtral un peu vieillot, il n’est pas inconcevable de soutenir qu’À l’Ouest est le plus grand film de guerre de tous les temps par ce seul indicateur, son impact.

Réalisé par Lewis Milestone et mettant en vedette Lew Ayres et Louis Wolheim, il suit une classe d’étudiants allemands qui s’en vont à la guerre.

Il présente une chronique implacable de la misère et de la mort. Pour son époque, il s’agit d’une tranche avant-gardiste de la vie au front, un des premiers « parlants » qui s’appuyait sur de nouvelles techniques cinématographiques. Et non seulement il se dispensait des idéaux traditionnels de gloire, il s’en moquait aussi.

Réalisé bien avant C’est l’Apocalypse, La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan, À l’Ouest, révèle des soldats las de la guerre qui se demandent pourquoi ils se battent, un Allemand englué dans la culpabilité qui essaie de sauver son ennemi français et, enfin, le héros implorant les jeunes de ne pas gâcher leur vie en enfilant un uniforme.

« Il vaut mieux ne pas mourir du tout que de mourir pour sa patrie », dit le personnage d’Ayres, Paul Bäumer, aux écoliers perplexes.

 

De tels points de vue n’existaient tout simplement pas dans les films de l’époque et, étant donné le début imminent de la Seconde Guerre mondiale, des décennies se passeraient avant que l’industrie embrasse de tout cœur le point de vue d’À l’Ouest.

Le fait que Hollywood s’exprime du point de vue allemand était inhabituel. Cela permit aux cinéastes américains de rester fidèles au livre et de rendre leur film aussi cru qu’ils le voulaient sans que cela rejaillisse sur leurs propres troufions, qui n’étaient pas entachés par des représentations explicites et peu flatteuses.

Le film fut couvert d’éloges à sa sortie aux États-Unis le 21 avril 1930 : « un récit poignant, si convaincant dans son réalisme et son caractère repoussant qu’il devient tout de suite un succès commercial, » écrivait-on dans Variety.

Il sortit en Allemagne en décembre de la même année, trois mois après que six millions d’électeurs avaient consacré les nazis au rang de deuxième parti au Reichstag. Alors que les cinéphiles remplissaient la salle Mozart de Berlin pour le voir, le chef de la propagande d’Hitler, Josef Goebbels, fit irruption dans le cinéma avec un groupe de 150 jeunes Chemises brunes nazies.

Ils lancèrent des invectives antisémites et des boules puantes du balcon, projetèrent de la poudre à éternuer dans l’air et lâchèrent des souris blanches dans les allées.

Le livre de 1929 fut interdit et brulé par les nazis. L’Allemagne interdit À l’Ouest en 1931, avant qu’une version aseptisée ne soit projetée sur les grands écrans. Les nazis l’interdirent totalement lorsqu’ils prirent le pouvoir en 1933.

Beaucoup d’autres pays firent de même, notamment l’Italie et l’Autriche, où l’interdiction de 1931 ne fut pas levée avant les
années 1980.

Premier film honoré par les Oscars comme étant le meilleur en termes de production et de réalisation, À l’Ouest figure sur de nombreuses listes des « meilleurs » de tous les temps. 


Joel Kimmel

J.L. Granatstein dit que NON

Des centaines de films de guerre ont été réalisés dans de nombreux pays, et il est impossible de décider lequel prime sur les autres. On doit se contenter de dire qu’on pense que tel film est plus important que tel autre, tout en sachant pertinemment qu’il existe d’autres opinions également valables.

Je ne peux pas, en mon âme et conscience, en conclure que ce film soit le plus important.

Il ne fait aucun doute qu’À l’Ouest, rien de nouveau est un beau film qui a servi à rapporter l’horreur de la guerre au public du monde entier. Il est clairement anti-guerre, ce qui était une opinion politiquement correcte en 1930, surtout aux États-Unis où ce film du début de l’ère du son a été produit.

À l’Ouest raconte l’histoire de jeunes Allemands qu’on envoie se battre à la guerre et mourir pour Kaiser et Kultur. Pour moi, historien militaire, ce thème-là, même 90 ans plus tard, reste très difficile à vendre. C’étaient les Allemands qui avaient déclenché la guerre, et ils s’y adonnaient sauvagement en ravageant l’Europe de l’Est, la Belgique et la France, en brutalisant femmes et hommes, puis en détruisant usines, mines et chemins de fer à leur retrait. Je peux compatir avec les jeunes Allemands pris dans les filets d’un pays tentant orgueilleusement de dominer l’Europe, mais je ne peux pas, en mon âme et conscience, en conclure que ce film pro allemand soit le plus important.

En outre, le film est un peu mièvre, l’interprétation n’est pas franchement sensationnelle, et il n’y a que l’utilisation du son en ce début des « parlants » qui l’a fait se distinguer. Et, bien sûr, le film est en noir et blanc, de sorte qu’il ne peut tout simplement pas être comparé aux autres grands films de guerre sur le plan visuel. 

 

Est-ce un jugement trop sévère? Je ne pense pas. Prenons Lawrence d’Arabie (1962), merveilleux film en Technicolor et à trame sonore magistrale, avec l’interprétation mémorable de Peter O’Toole. Les scènes de bataille dans le désert sont superbes. Que dire de Zoulou (1964), le premier grand rôle de Michael Caine. Qui peut oublier les soldats gallois qui repoussent les guerriers zoulous en chantant Men of Harlech, et les Zoulous exécutant leur propre chant en l’honneur de la bravoure des Britanniques? Zoulou n’est pas tout à fait historiquement exact, mais c’est un film splendide.

Et qu’en est-il d’Alec Guinness dans Le Pont de la rivière Kwaï de 1957? Cette production anglo-américaine montre la manière atroce dont les Japonais traitaient les prisonniers de guerre britanniques. Dans l’intrigue, le colonel Nicholson, joué par Guinness, remplace l’incompétent colonel japonais Saito à la direction de la construction d’un pont et remonte le moral de ses soldats par la même occasion. Ce n’est que lorsque des saboteurs alliés font sauter son œuvre que Nicholson réalise ce qu’il a fait pour aider la cause ennemie.

Puis il y a Il faut sauver le soldat Ryan (1998). Pour moi, les scènes du débarquement américain le jour J à la plage Omaha sont vraiment bouleversantes. Pourrait-il y avoir une déclaration antiguerre plus fracassante? L’héroïsme pourrait-il être dépeint de manière plus réaliste? Les Canadiens aiment se moquer des films de guerre américains qu’ils qualifient de vantards (et il y a un coup bas lancé au général Bernard Montgomery dans Il faut sauver le soldat Ryan), mais ce film, surtout dans ses premières séquences, est réellement superbe.

Il y a beaucoup d’autres grands films, comme Stalag 17 et Les Sentiers de la gloire. À l’Ouest, rien de nouveau est bon, je ne dis pas le contraire, mais il fait piètre figure à côté d’une foule d’autres grands films émouvants. 


STEPHEN J. THORNE est photographe, rédacteur et journaliste primé. Il a fait des reportages sur la chute de l’apartheid en Afrique du Sud et sur le front au Kosovo et en Afghanistan.

J.L. GRANATSTEIN a écrit des dizaines de livres, dont Who Killed Canadian Military History? et Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace. Il a été directeur et chef de la direction du Musée canadien de la guerre.

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