Les Chenilles à Courcelette

Des fantassins suivent un char en 1916. À la Somme, on disait aux soldats canadiens de ne pas attendre, car ils allaient plus vite que les nouvelles armes.
Archives de la revue Légion
Dans l’esprit de beaucoup de gens, la Première Guerre mondiale se caractérisait par un front essentiellement statique qui s’étendait de la mer du Nord à la frontière suisse, et où l’on utilisait constamment des mitrailleuses, des barbelés, des tranchées et de l’artillerie. Ils rajoutent à cela une indigence d’idées.

La guerre apporta pourtant plusieurs innovations matérielles et techniques. Il y eut les premières utilisations de l’avion, du char, de l’artillerie de longue portée, du barrage roulant, de la communication sans fil et du lance-flamme.

Une nouvelle technique et une nouvelle arme furent utilisées pour la première fois au cours de la célèbre bataille de la Somme. Et les soldats canadiens faisaient partie de ceux qui s’en servirent.

 

Les circonstances de la bataille sont généralement bien connues. Le 1er juillet 1916, au commencement de la confrontation, eut lieu un des plus grands carnages d’un jour de l’histoire : plus de 57 000 victimes britanniques avant la tombée de la nuit, dont 710 soldats du Newfoundland Regiment.

L’offensive de la Somme se transforma en une guerre d’usure qui dura quatre mois. Pourtant, au lieu de mettre fin à l’assaut, le général commandant en chef britannique, Douglas Haig, le renouvela. Mais d’abord, il lui fallait de nouvelles troupes.

Haig fit appel au Corps canadien, qui était alors déployé au saillant d’Ypres, en Belgique. Les trois divisions du Corps arrivèrent à la Somme vers la fin aout. À ce moment-là, la première ligne allemande et la plus grande partie de la deuxième avaient été capturées, et il y en avait aussi une troisième.

La 1re Division canadienne, commandée par le major-général Arthur Currie, alla prendre la relève des Australiens sur 3 000 mètres de la crête de Pozières. Aux premiers jours de septembre, les 1re et 3e brigades de la division furent la cible de bombardements intenses et d’attaques fréquentes.

Le 15 septembre à 6 h 20, après un barrage d’artillerie intensif de cinq jours, 11 divisions britanniques engagèrent le combat sur un front de 11 kilomètres entre Flers et Courcelette. Le rôle des Canadiens était un assaut de deux divisions sur 2 000 mètres pour capturer la commune de Courcelette en ruines.

C’est à cette bataille qu’eut lieu la première opération offensive du Corps. Les Canadiens avaient déjà participé aux batailles de Festubert et du mont Sorrel, mais leurs formations étaient alors au niveau du bataillon et leurs objectifs, limités à la reprise de terrains perdus.

 

C’est à Courcelette qu’apparurent pour la première fois le barrage roulant et le destructeur chenillé des mitrailleuses : le char d’assaut. Les attaques antérieures avaient presque toujours été précédées par un barrage d’artillerie standard ciblant les positions ennemies. Ces bombardements duraient des heures ou même des jours, qui avaient pour but de démolir les troupes ennemies et leurs défenses.

À la fin du barrage, l’artillerie passait aux cibles plus éloignées alors que l’infanterie se lançait à l’assaut en espérant que la plupart des soldats ennemis étaient morts ou se terraient de peur. Toutefois, les soldats allemands s’abritaient habituellement dans leurs bunkers souterrains et ils étaient de retour dans leurs tranchées pour recevoir les fantassins d’un feu dévastateur lorsqu’ils passaient à l’attaque.

En revanche, le barrage rampant, ou roulant, se déplaçait lentement mais surement devant les combattants. La fumée et la poussière des explosions d’obus servaient à dissimuler les soldats qui s’avançaient. Après avoir atteint les positions ennemies, le barrage poursuivait sa progression, et à ce moment-là l’infanterie aurait dû s’être approchée suffisamment des tranchées ennemies pour les occuper avant que les défenseurs ne réagissent.

Quant au char, il avait été créé en Grande-Bretagne, dans le plus grand secret, pour restaurer la fluidité au champ de bataille. Il devait accompagner les fantassins pour leur fournir un feu d’appui direct à partir d’une plateforme pare-balles et venir à bout des tranchées et des fils barbelés.

Courcelette était un labyrinthe de caves, de tranchées-abris et de galeries souterraines interconnectées.

Les chars Mark I de 28 tonnes étaient soit « mâles », armés de deux canons navals de 6 livres montés en porte-à-faux et de trois mitrailleuses Hotchkiss de 8 millimètres, soit « femelles », quatre mitrailleuses Vickers de 0,303 po et une de 8 millimètres. Chaque équipage se composait d’un officier et de sept hommes.

Lorsque Haig apprit leur existence, il demanda immédiatement tous les chars disponibles. Bien que 150 chars eussent déjà été construits, 49 seulement lui furent expédiés. Trente-deux d’entre eux furent répartis parmi les divisions et lancés dans la bataille. Il y en avait sept dans la 2e Division canadienne.

 

Courcelette avait été puissamment fortifiée par les Allemands et transformée en un labyrinthe de caves, de tranchées-abris et de galeries souterraines interconnectées pour se protéger. Deux tranchées principales, Sugar à gauche et Candy à droite, traçaient un grand « X » à environ 800 mètres devant la commune. La tranchée Candy se trouvait à côté des ruines fortement fortifiées d’une usine de sucre. Ces positions étaient les premiers objectifs de l’attaque des Canadiens.

À droite, les 4e et 6e brigades de la 2e Division, commandées par le major-général Richard Turner, menèrent l’attaque principale en direction de Courcelette à cheval sur la route parfaitement droite d’Albert-Bapaume. L’ancienne voie romaine séparait les brigades.

L’attaque fut appuyée par un nombre de canons d’artillerie sans précédent lors d’une opération canadienne. La 2e Division avait 114 pièces de 18 livres et 29 obusiers de 4,5 pouces, tandis que la 3e avait 72 canons de 18 livres et 20 obusiers de 4,5 pouces. Une batterie de 234 pièces d’artillerie de campagne et 64 canons lourds appuyait les deux divisions.

Le barrage roulant fit rapidement ses preuves. Les pièces de 18 livres ouvrirent le feu à l’heure H, et les obus éclataient à 45 mètres de l’ennemi. Une minute après, le barrage se déplaça vers les tranchées du front qu’il martela pendant trois minutes, s’avançant ensuite de 90 mètres toutes les trois minutes jusqu’à l’objectif ultime.

Turner affecta trois chars Mark I à chaque brigade de l’assaut, et en tint un en réserve. Trois des six chars étaient de type mâle et s’appelaient Champagne, Chartreuse et Crème de Menthe, tandis que les trois autres, de type femelle, s’appelaient Chablis, Cognac et Cordon Bleu (Cordon Rouge selon certaines sources). Deux mâles et une femelle étaient affectés à la 4e Brigade, et un mâle et deux femelles, à la 6e.

Dans cette illustration du maitre italien Fortunino Matania, des soldats canadiens sont cachés par une chaudière, le 15 septembre 1916, alors qu’ils prennent d’assaut le bastion allemand qu’était l’usine de sucre de Courcelette.
Archives de la revue Légion; Fortunino Matania/MCG/19870268-001
Même s’il s’agissait de leur première utilisation, les chars ne prédominaient pas dans l’attaque, et leur déplacement devait se régler sur celui de l’infanterie. Quoi qu’il en soit, les fantassins, qui devancèrent rapidement les chars, avaient reçu l’ordre de ne pas attendre qu’ils les rattrapent. 

À droite de la 4e Division, les 18e (Western Ontario) et 20e (Central Ontario) bataillons atteignirent la tranchée Candy à 7 h, tandis que le 21e Bataillon (Eastern Ontario) capturait les ruines de l’usine de sucre au bout d’un féroce combat. Dans la 6e Brigade, à gauche de la division, les 27e (City of Winnipeg) et 28e (Saskatchewan) bataillons se firent maitres de la tranchée à 7 h 40.

Les trois chars affectés à la 4e Brigade devaient s’avancer jusqu’à la route d’Albert-Bapaume. L’un d’eux devait attaquer l’usine de sucre située à gauche de la route, tandis que les deux autres devaient tourner à droite, vers le corps britannique.

Un char tomba en panne à peu de distance du front canadien et un autre, peu de temps après. Quand le troisième atteignit l’usine de sucre, elle avait déjà été capturée. Conformément aux ordres, il retourna aux lignes canadiennes pour refaire le plein et se réarmer.

Les trois chars alloués à la 6e Brigade devaient soutenir l’infanterie au flanc gauche. Ils devaient ensuite virer à droite et attaquer l’usine de sucre par le nord. Deux d’entre eux furent coincés près de la tranchée Sugar, mais l’autre atteignit les tranchées allemandes et tua plusieurs ennemis avant de rebrousser chemin.

La 3e Division, commandée par le major-général Louis Lipsett, devait protéger le flanc gauche de l’attaque principale à Courcelette. L’objectif des 7e et 8e brigades était fortement défendu par la ligne de tranchées Fabeck Graben. Alors que la 8e Brigade traversait le terrain neutre, ses unités subirent le feu d’artillerie et de mitrailleuses concentré.

Au flanc droit de la division, où se trouvait la 2e Division, le 5e Bataillon (Québec) canadien de fusiliers à cheval (CFC) captura la partie nord de la tranchée Sugar, permettant au 4e Bataillon CFC (Central Ontario) d’aller s’emparer d’une section de Fabeck Graben. À sa gauche, le 1er CFC (Saskatchewan) atteignit le bord de la ferme Mouquet, que les soldats surnommaient Mucky (crasseuse, NDT).

Les unités de la 7e Brigade passèrent alors à travers les bataillons de la 8e Brigade. À la tombée de la nuit, la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, ainsi que les 42e (Black Watch) et 49e (Edmonton) bataillons, réussirent à capturer Fabeck Graben en entier excepté une section de 250 mètres.

Pendant ce temps, à 11 h, le lieutenant-général Julian Byng ordonnait de lancer l’attaque contre le deuxième objectif, Courcelette elle-même, à 18 h. Cette attaque-là aussi fut soutenue par un barrage roulant. Après avoir battu en brèche une ligne d’avant-postes allemands en un corps-à-corps particulièrement féroce, les 22e (Canadien français) et 25e (Nouvelle-Écosse) bataillons de la 5e Brigade traversèrent rapidement Courcelette et en signalèrent la capture à 19 h 50.

Pendant que les deux bataillons repoussaient 11 contrattaques allemandes, le 26e Bataillon (Nouveau-Brunswick) jouait un jeu mortel de nettoyage derrière eux, dans les ruines de Courcelette. Dans une remarque fréquemment citée, le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay, commandant des Canadiens français, écrivit dans son journal: « Si l’enfer est aussi mauvais que ce que j’ai vu à Courcelette, je ne le souhaite pas à mon pire ennemi. »

 

La bataille se poursuivit le 16 septembre. La 1re Division passa par Courcelette et remplaça la 2e Division en avant. Elle se lança à l’assaut des hauteurs au-delà du village, mais n’eut guère de progrès.

La 3e Division poursuivit également son attaque. Elle avait pour objectif la prochaine ligne de défense allemande : Zollern Graben, y compris la place forte Zollern, centre de résistance à l’extrémité ouest. À cet endroit, Zollern Graben se trouvait à environ 1 000 mètres au nord de Fabeck Graben, bien que les deux systèmes de tranchées se joignissent à l’ouest de Courcelette.

Ce soir-là, la 3e Division lança une attaque rapide vers Zollern Graben. Ses soldats furent tout de suite immobilisés par les mitrailleuses, et l’attaque échoua. Il y eut quand même un bon résultat : des unités de la 7e Brigade réussirent à capturer les 250 derniers mètres de Fabeck Graben qui étaient encore entre les mains des Allemands.

D’autres attaques eurent lieu pendant les quelques jours qui suivirent, mais les Allemands renforcèrent leurs positions et aucune n’aboutit. Le 22 septembre, la bataille de Courcelette était terminée et les Allemands restaient maitres de Zollern Graben.

Des médecins soignent des blessés dans une tranchée au cours des combats.
Sharif Tarabay; William Ivor Castle/MDN/BAC/3395804
Tout le monde s’entendait sur l’efficacité du barrage roulant. Le nombre normal d’Allemands morts ou blessés que l’on trouva aux lignes du front et aux lignes de soutien était supérieur à la normale, ce qui avait permis aux Canadiens de continuer dans leur élan.

Les débuts du char d’assaut étaient moins impressionnants. De tous les blindés utilisés lors de l’attaque britannique globale, ce sont les six qui avaient été affectés à la 2e Division qui eurent le plus de succès. Les opinions sur l’efficacité des chars semblaient dépendre du moment et de l’endroit où l’observateur les avait vus.

Bien que l’effet réel de leur puissance de feu fût minime, ils avaient inspiré la peur chez l’ennemi. Les leçons tirées de leur utilisation à Courcelette menèrent à des améliorations techniques et tactiques qui assurèrent leur utilisation pendant le reste de la guerre et au-delà.

La bataille de la Somme se termina lentement au mois de novembre en raison du mauvais temps. À ce moment-là, les victimes chez les Canadiens s’élevaient à 24 029, dont près de 8 000 sont décédées.


Deux Croix de Victoria furent décernées à des Canadiens à Courcelette.

En nombre inférieur

Le 9 septembre, le caporal intérimaire Leo Clarke et sa section de bombardiers du 2e Bataillon couvraient une construction dans une tranchée allemande qui venait d’être capturée près de Pozières. Lorsque 22 Allemands se lancèrent à l’attaque, les Canadiens étaient tous blessés à l’exception de Clarke. Il leur vida son revolver et deux fusils ennemis dessus. Quand un officier enfonça sa baïonnette dans la jambe de Clarke, ce dernier le tua et continua de se battre. Les autres Allemands s’enfuirent, poursuivis par Clarke qui en toucha quatre de ses balles et fit un prisonnier. Il avait tué deux officiers et 16 hommes en tout. Clarke ayant trouvé la mort 40 jours après, il ne sut jamais que la Croix de Victoria lui avait été décernée.


Deux Croix de Victoria furent décernées à des Canadiens à Courcelette.

L’homme à la baïonnette

Le soldat John Chipman (Chip) Kerr, qui s’est fait appeler l’homme à la baïonnette, était à la tête d’une section de bombardiers du 49e Bataillon le 16 septembre 1916 lors de l’attaque d’une tranchée allemande près de Courcelette. Il sauta dans la tranchée, où une bombe lancée par un Allemand lui arracha l’index droit. Son groupe n’ayant presque plus de bombes, Kerr grimpa hors de la tranchée et courut le long des parados. Il dirigea à voix haute les lancers de bombe de ses compagnons et ouvrit le feu à bout portant sur les Allemands. Soixante-deux Allemands se rendirent et les 230 derniers mètres de la tranchée furent capturés. Kerr reçut la Croix de Victoria pour ses actes héroïques.

Search
Connect
Listen to the Podcast

Comments are closed.