FACE À FACE: A-t-on eu raison de recourir à la conscription en 1940?

A-t-on eu raison de recourir à la conscription en 1940?

SERGE DURFLINGER: est professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa. Il est notamment l’auteur de Veterans with a Vision: Canada’s War Blinded in Peace and War et Fighting From Home: The Second World War in Verdun, Québec.
Illustrations de Joel Kimmel

Le gouvernement  de William Lyon Mackenzie King a eu entièrement raison d’adopter la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (la LMRN) le 21 juin 1940 pour aider le Canada à se préparer à la guerre et à prêter main-forte à la Grande-Bretagne, qui était alors en péril.

Imposer une conscription limitée dans le but de défendre la nation était une réponse raisonnable et mesurée à la tragédie qui s’abattait sur l’Europe. 

Le Canada a suivi l’exemple de la Grande-Bretagne et de la France en déclarant la guerre à l’Allemagne en septembre 1939. Le conflit ne semblait pas immédiat pendant la « drôle de guerre », et donc, le recrutement est resté volontaire, conformément à la promesse du premier ministre de ne pas promulguer de loi sur la conscription.

Les Allemands ont envahi les Pays-Bas et la France le 10 mai, mettant rapidement leurs armées en déroute, ainsi que le Corps expéditionnaire britannique qui s’est retiré du continent à Dunkerque (Voir p. 44 en anglais). Le monde entier est resté abasourdi; et les Canadiens, horrifiés. Puis, l’Italie est entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne, et la France a signé un armistice à la troisième semaine du mois de juin. Tout d’un coup, le Canada s’est vu propulsé dans le rôle d’allié du second rang.

Une mentalité de situation de crise a pris racine. Ottawa, très inquiet de la sécurité de la Grande-Bretagne et du Canada, a abandonné sa politique de guerre à « responsabilité limitée ».

La LMRN n’a pas seulement servi à constituer une armée de conscrits pour la défense du pays. C’était aussi une loi-cadre, sous l’autorité de laquelle ont été promulgués une multitude d’ordonnances et de règlements.

« Une situation d’urgence exceptionnelle se présente, et le Canada est en danger », annonçait gravement la loi.

L’article 3 de la loi précisait qu’aucun Canadien appelé sous les drapeaux ne serait obligé de servir au-delà des eaux territoriales du Canada. Par conséquent, Ottawa a mobilisé des hommes âgés de 21 à 24 ans et leur a donné une formation de 30 jours (prolongée à quatre mois lors des mobilisations ultérieures). Ils allaient servir pendant toute la durée de la guerre à protéger nos côtes, rejoindre des garnisons défensives et garder des installations vitales.

Très peu de voix se sont élevées pour s’opposer à la mesure, même au Québec, bien que certains membres de l’opposition conservatrice ou de la presse aient demandé au gouvernement d’imposer une conscription avec un service outre-mer complet. Cela aurait toutefois provoqué une énorme crise politique comparable à celle de 1917. L’armée chargée de la défense du pays n’était pas une demi-mesure; c’était une première loi sur laquelle de nouvelles politiques sur la main-d’œuvre pouvaient être ajoutées, et c’est ce qu’il se passa.

Alors qu’en 1940 il semblait improbable que le Canada soit la cible d’attaques directes des Allemands (les ententes ultérieu-res avec les États-Unis rendant cette possibilité encore moins envisageable), Ottawa estimait, à juste titre, que cela valait la peine d’adopter toute politique qui augmenterait le nombre d’hommes sous les drapeaux, encouragerait l’esprit de lutte du peuple ainsi que sa participation à l’effort de guerre, et créerait un cadre pour une meilleure sécurité nationale.

Plus de 150 000 Canadiens ont été appelés à défendre le pays pendant la guerre. Environ 60 000 de ces soldats se sont portés volon-taires pour le service complet outre-mer, l’une des plus grandes contributions de l’armée de la LMRN, trop souvent négligée.


J.L. GRANATSTEIN: est l’auteur de dizaines de livres, notamment Who Killed Canadian Military History? et Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace. Il a été directeur et chef de la direction du Musée canadien de la guerre.
Illustrations de Joel Kimmel

Le major-général Harry Crerar qui était en Grande-Bretagne est revenu au Canada en juillet 1940 pour prendre la fonction de chef de l’état-major général à la tête de l’Armée canadienne. Le Parlement avait adopté la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (la LMRN) le mois précédent, peu de temps après la chute de la France et le miracle de Dunkerque.

La « pression de l’opinion publi-que » pour « se mettre en guerre » était si forte, disait Crerar, qu’on se savait plus où donner de la tête au ministère de la Défense nationale. La LMRN, qui prévoyait que 30 000 appelés par mois devaient suivre un entrainement de 30 jours, était l’un des signes d’un « processus très superficiel » qui, au mieux, pourrait donner « l’esprit militaire » aux hommes, écrit-il.

On ne manquait pas de volontaires (plus de 150 000 personnes s’étaient déjà enrôlées pour le service à l’étranger), mais vu la pénurie d’armes modernes et de personnel instructeur, on ne pouvait guère transformer les conscrits en soldats en un mois.

La première classe d’appelés s’est présentée le 9 octobre 1940. Leur « entrainement » était axé sur les sports, le tir à la carabine et la vie militaire. En fait, l’armée s’employait davantage à vendre un mode de vie plutôt qu’à transformer des civils, façonnés par « vingt années de débauche pacifiste », en soldats, comme l’a fait remarquer un officier. Crerar nota en maugréant qu’il n’était pas possible de faire mieux « parce qu’on ne pouvait s’entrainer qu’avec des fusils américains de la dernière guerre; et sans munition encore! »

C’est donc dans un parfum d’amateurisme absolu que, quand les autorités militaires à Toronto ont accueilli le troisième groupe d’appelés le 10 janvier 1941, elles ont exhorté les hommes « à apporter tout équipement de basketball ou de badminton dont ils disposaient ».

Le Globe and Mail rapporta qu’il n’était pas surprenant qu’« au chapitre de la santé, de l’éducation et des loisirs », beaucoup de conscrits estimaient qu’ils n’avaient « pas perdu leur temps ».

Pire encore, personne à Ottawa ne savait que faire des hommes après leur entrainement. Chose incroyable, personne ne pensa à trouver une passerelle pour qu’ils se portent volontaires pour le service actif tout de suite après la formation et, bien que les appelés soient censés se présenter à l’unité de milice la plus près au terme des 30 jours, personne ne véri-fiait s’ils le faisaient réellement.

La menace pour le Canada était-elle même crédible pendant cette période? Les volontaires ne manquaient pas, car la défense de la Grande-Bretagne était d’une importance primordiale. En outre, la nation restait protégée, et non par les appelés de la LMRN. En aout 1940, le premier ministre Mackenzie King rencontra le président Franklin D. Roosevelt à Ogdensburg, New York, et les deux dirigeants se mirent d’accord pour créer la Commission permanente mixte de défense. C’était la première fois que le Canada et les États-Unis formaient une alliance de défense, et la puissance des États-Unis, même si elle n’était pas encore pleinement mobilisée, garantissait la sécurité du dominion.

Les appelés de la LMRN allaient jouer un rôle important, bien que controversé. Mais à l’été 1940, alors qu’au Canada on s’acharnait à créer une armée à partir de presque rien, les cons-crits avec leur entrainement de 30 jours étaient d’une importance négligeable. En fait, les ressources se faisaient rares, et celles qu’on détournait pour eux auraient été bien mieux employées ailleurs.

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