Désertée et couverte de graffitis durant des dizaines d’années, l’ancienne batterie de canons située à Chapel Point, à North Sydney, dans l’ile néo-écossaise du Cap-Breton, a été restaurée l’été dernier dans le cadre d’un projet local ayant pour but de créer un parc de 48,5 hectares consacré à l’histoire militaire du Canada.
Le projet, qui doit être nommé Parc commémoratif de l’Atlantique, est géré par des bénévoles qui veulent « créer un voyage côtier du souvenir qui ravive l’histoire militaire du Canada ».
Sydney a joué un rôle important à la Seconde Guerre mondiale en tant que deuxième port par ordre d’importance, après Halifax, concernant la formation de convois. À l’époque, avant que Terre-Neuve se joigne au Canada, Sydney était renommée comme étant la ville d’Amérique du Nord la plus à l’est, ce qui veut dire qu’entre 1939 et 1945, c’était aussi la ville canadienne la plus proche de la guerre.
Quand la France, la Belgique et les Pays-Bas tombèrent, la Grande-Bretagne perdit ses principales sources d’approvisionnement en Europe continentale. Elle devint entièrement dépendante du Canada et des États-Unis, alors neutres, pour une grande partie de sa nourriture, de son bois et de son carburant, sans parler des hommes, des femmes et des fournitures nécessaires au combat.
Tout cela devait parvenir en Grande-Bretagne à bord de navires traversant l’Atlantique Nord orageux. L’Allemagne, qui en était bien consciente, essaya pour la soumettre de l’affamer au moyen d’un blocus. Dans ce dessein, l’Allemagne déchaina sa flotte de sous-marins, les dangereux U-boote, à la bataille la plus longue de la Seconde Guerre mondiale : la bataille de l’Atlantique.
Comme l’a souligné l’historien Marc Milner dans The Battle of the Atlantic: Canada’s War at Sea in Canada’s Ultimate Story (La bataille de l’Atlantique : la guerre en mer du Canada dans l’histoire ultime du Canada, NDT), « La bataille de l’Atlantique est la seule grande campagne de la Seconde Guerre mondiale qui ait été façonnée par des facteurs principalement canadiens. En effet, elle n’impliqua pas seulement la Marine royale du Canada : elle fut le principal effort de guerre du pays. Au printemps 1943, le Canada était le deuxième acteur allié par ordre d’importance, après la Grande-Bretagne, dans l’Atlantique Nord. Près de la moitié des escortes faites entre New York et le Royaume-Uni étaient canadiennes. La plupart des navires étaient construits au Canada, et la plupart étaient basés au Canada ».
Le port de Sydney est situé dans une baie à deux bras. La ville de Sydney est située sur la rive est du bras sud, dans lequel se jette la rivière Sydney. La ville de Sydney est le centre d’activité de la région, encadrée par plusieurs petites villes comme Sydney Mines, North Sydney et New Waterford.
Du côté ouest de la baie se trouvait le principal employeur du Cap-Breton, la Dominion Steel and Coal Corporation (DOSCO). Vu la nécessité de construire et de réparer rapidement des navires, son acier et son charbon qui servait à alimenter un grand nombre de navires marchands, étaient d’une très grande utilité.
Comme le reste du Canada, Sydney n’était pas vraiment prête à faire la guerre en 1939. Le port avait joué un rôle majeur à la Première Guerre mondiale, mais seulement vers la fin, quand les autorités s’étaient aperçues que le moyen le plus sûr d’envoyer des navires en Grande-Bretagne était en convois.
Les fortifications, qui étaient désarmées depuis longtemps, étaient en mauvais état. Il ne se passa pas grand-chose avant 1940, quand la chute de la France provoqua la crise en Grande-Bretagne.
Au printemps 1940, Halifax n’était en mesure de fournir à Sydney que deux chalutiers convertis en dragueurs de mines et un navire de patrouille de la GRC. En aout, le port reçut deux yachts américains qui étaient destinés à un service d’escorte : le Reindeer et le Husky. Deux remorqueurs furent envoyés à Sydney pour servir de navires d’inspection. Un autre chalutier dragueur de mines et deux autres yachts furent ajoutés à la fin de l’été.
La ville était en train de prendre un air militaire lorsque le district des chantiers fut clôturé pour des raisons de sécurité et que de nouveaux quartiers et de nouvelles installations furent construits pour le personnel marin arrivant en ville.
Les travaux commencèrent aussi aux fortifications abandonnées. Cinq postes d’artillerie étaient prévus, dont celui de Chapel Point qui serait le premier à entrer en service et qui serait chargé de soutenir les activités d’inspection maritime. Le Cape Breton Highlanders et le Pictou Highlanders furent mis à contribution pour garder les fortifications et l’aéroport. La 16e Brigade côtière fut levée pour fournir des canonniers. Un poste de contrôle de tir fut construit sur un terrain élevé situé le long du chemin Kilkenny Lake entre South Bar et Point Petrie. Des cabanes en bois finirent par être construites à toutes les batteries pour abriter les hommes qui avaient dormi sous la toile pendant les premiers mois.
L’Aviation royale du Canada commença également la construction d’un aérodrome à Reserve Mines, à l’est de Sydney (aujourd’hui l’aéroport JA Douglas McCurdy Sydney). Cependant, on avait désespérément besoin d’aéronefs en Grande-Bretagne, alors l’Escadron n° 8 dut se contenter d’aéronefs Delta peu solides durant la première partie de 1940. Trois hydravions Stranraer plus robustes finirent par être ajoutés; ils pouvaient escorter les convois jusqu’au coucher du soleil.
Les navires marchands qui descendaient le fleuve Saint-Laurent perdaient des journées précieuses en retournant à Halifax pour se former en convois. Sydney devint donc le point de rassemblement pour bon nombre de ces navires, qui rejoignaient aux Grands Bancs les convois partant d’Halifax.
Le 31 juillet 1940, le premier convoi, composé de 25 navires, quitta Sydney pour rejoindre le convoi HX-62 qui avait quitté Halifax la veille. Les autorités britanniques décidèrent que Sydney serait le point de rassemblement pour les navires dont la vitesse était supérieure à 7,5 nœuds mais inférieure à 9 nœuds. Ces convois lents furent désignés SC.
Le SC-1, formé de 40 navires marchands, prit le large le 15 aout 1940. Le port commença alors un cycle de huit jours entre les convois. Les autorités britanniques avaient espéré que les convois seraient formés de moins de 30 navires, mais le besoin était pressant, alors ils en comprenaient habituellement davantage.
Le SC-7, qui quitta Sydney le 5 octobre, fut le premier convoi attaqué par plusieurs U-boote chassant ensemble comme une meute de loups. Vingt de ses 34 navires furent perdus. À la fin de la saison de navigation de 1940, 48 convois totalisant 967 navires avaient quitté le port de Sydney.
Alors que la guerre trainait en longueur, de meilleurs navires servirent d’escorte, dont les corvettes fabriquées au Canada. Les batteries furent améliorées et l’aérodrome fut complété, puis agrandi, alors que de meilleurs appareils, capables d’escorter les convois plus loin en mer devinrent disponibles.
Les convois vers la Grande-Bretagne n’étaient pas les seuls à être protégés par les navires basés à Sydney. Ils comprenaient aussi des navires en provenance de Montréal ou de Québec et d’autres allant chercher du charbon à Terre-Neuve pour la DOSCO. Par la suite, la MRC défendit aussi les navires ravitaillant les bases que les États-Unis construisaient à Terre-Neuve et au Groenland.
Lorsque les États-Unis déclarèrent la guerre à l’Allemagne, après l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, l’amiral Karl Dönitz, commandant de la flotte d’U-boote, déclencha une guerre totale à l’Amérique du Nord. Ses sous-marins trouvèrent dans le golfe du Saint-Laurent un terrain de chasse particulièrement fertile. Certains remontèrent même le fleuve. Au cours de la saison de navigation de 1942, ils coulèrent 20 navires marchands, un transport de troupes américain et deux navires de guerre de la MRC, et ne perdirent que deux de leurs bâtiments.
Les chantiers navals du Canada ne pouvaient pas produire de nouveaux navires et remettre en état ceux qui existaient déjà assez vite, alors le gouvernement fédéral ordonna la construction d’une nouvelle base navale à Fort Edward, sur le bras sud du port, en face de Sydney. Le terrain de 344 hectares formait une sorte de nouvelle ville. Les ateliers et les voies ferrées étaient situés près de l’eau. Le reste de la base était aménagé en grille, avec des rues pour le logement et un hôpital. La nouvelle base prit le nom de NCSM Protector II, tandis que la base d’origine à Sydney avait celui de NCSM Protector I.
Le 13 octobre 1942, le vapeur Caribou, traversier faisant la navette entre Sydney et Port aux Basques, T.-N.–L., quitta Sydney vers 21 h 30 avec à son bord 73 civils, dont 11 enfants, 118 militaires et 46 membres d’équipage. Le NCSM Grandmere, un dragueur de mines, escorta le navire en le suivant conformément aux procédures navales britanniques concernant l’escorte d’un seul navire.
Le 14 octobre à 3 h 40, l’U-69 lança une torpille au Caribou qui l’atteignit à tribord. La plupart des passagers étaient dans leurs couchettes, et furent désorientés par l’explosion. Plusieurs canots de sauvetage furent détruits dans l’explosion et d’autres ne purent pas être mis à la mer.
Le Grandmere vit l’U-boot en surface et tenta de le percuter, mais le sous-marin plongea. Il largua des grenades sous-marines, mais manqua le sous-marin. Conformément à la procédure établie, le Grandmere poursuivit le sous-marin pendant deux heures, s’arrêter pour sauver les survivants n’en aurait fait qu’une cible plus facile. L’U-69 s’éclipsa et le Grandmere retourna chercher les survivants. Sur les 237 personnes qui étaient à bord, 136 avaient péri. Le seul enfant qui survécut fut un garçon d’Halifax âgé de 15 mois.
Le naufrage du paquebot était la conséquence d’une attaque de circonstance, qui n’avait pas de sens en termes de stratégie militaire, mais dont l’effet sur le moral était important, en particulier à Sydney et à Port-aux-Basques où la plupart des victimes avaient de la famille et des amis.
Les habitants de Sydney commençaient à s’habituer à la vie portuaire en temps de guerre. Des avis étaient affichés près des téléphones publics pour rappeler à leurs utilisateurs qu’il était interdit de mentionner les navires, leurs mouvements, les troupes, les industries de guerre et même la météo.
Les exercices d’extinction des feux étaient monnaie courante. Pendant le premier, selon les historiens Brian Tennyson et Roger Sarty, presque tous les gens qui avaient une voiture conduisirent jusqu’à Hardwood Hill sans allumer leurs feux rien que pour voir la ville dans l’obscurité. Des chefs d’ilot de tous âges furent désignés pour effectuer des exercices antiaériens périodiques.
Sur une note plus réjouissante, vu le grand nombre de militaires présents dans la ville à cause de la guerre, les groupes communautaires organisaient des danses et mettaient en place des cantines où l’on vendait des cigarettes, des boissons non alcoolisées et des sandwichs.
Deux ans après le naufrage du Caribou, une catastrophe survint à nouveau dans des circonstances étrangement similaires.
Le vapeur Burgeo était affecté au transport de passagers entre Sydney et Port-aux-Basques. Le 24 novembre 1944, il était escorté par le NCSM Shawinigan et un navire de la garde côtière américaine. Ayant tiré les leçons de la tragédie passée, il zigzagua pendant la traversée et entra dans le port sans incident. Le Shawinigan se détacha et patrouilla seul à la recherche d’U-boote, prévo-yant de retrouver le Burgeo au matin pour le voyage du retour.
Cette nuit-là, le Shawinigan trouva l’U-1228 sur son chemin, qui se préparait à retourner en Europe après une chasse infruc-tueuse. L’U-boot tira une torpille acoustique GNAT qui frappa la corvette quatre minutes plus tard. Le navire explosa avant de pouvoir appeler au secours. Les 91 membres d’équipage furent perdus.
Le Burgeo quitta le port le matin, mais il ne vit pas le Shawinigan pendant le voyage. Vu que le silence radio était en vigueur, ce n’est que lorsque le traversier arriva à Sydney sans escorte que la marine sut que quelque chose clochait. Au cours des recherches qui durèrent trois jours, on ne retrouva qu’une partie de la passerelle et six corps.
Encore une fois, les victimes étaient bien connues à terre, et la communauté se trouvait dans le deuil.
La Bataille de l’Atlantique se termina lorsque la guerre en Europe prit fin : le 8 mai 1945. Cependant, la nouvelle ne fut pas suivie par les joyeuses célébrations comme celles qui furent tenues dans la plupart des villes nord-américaines. « Bien que le jour eût été déclaré jour férié, aucune célébration de victoire civique ne fut organisée, ont écrit Tennyson et Sarty. Plus important encore, les danses et les spectacles publics furent tous annulés, et les restaurants et les magasins, fermés, dans l’espoir de contrôler les célébrations publiques. Peut-être encore plus mal avisé, les magasins d’alcool furent également fermés. »
En conséquence, des bandes d’hommes erraient dans les rues sans moyen d’exprimer leurs émotions. Des émeutes finirent par éclater. Des fenêtres furent brisées et les magasins d’alcool, pillés. Il fallut plusieurs jours pour rétablir l’ordre. Encore aujourd’hui, on se dispute pour savoir sur qui on devrait jeter la responsabilité.
Le port de Sydney avait fait ses preuves à la guerre. Environ 7 500 navires y avaient formé des convois avant de faire le dangereux voyage vers la Grande-Bretagne.
Après la guerre, les chantiers navals étaient occupés à remettre des navires en état, mais le mili-taire réduisit rapidement la pré-sence de l’armée et de l’aviation. Les chantiers navals ne durèrent que quelques années et même les industries de l’acier et du charbon finirent par s’effondrer. Aujourd’hui, le Cap-Breton dépend davantage du tourisme que de l’armée ou des mines de charbon.
La société du Parc commémoratif de l’Atlantique a l’intention de développer un parc comprenant une plage, une aire de pique-nique et des sentiers pédestres avec des panneaux d’interprétation, ainsi que de recréer une réplique de cantonnement de Premières nations. Une fois terminé, il devrait donner un coup de pouce au tourisme et rappeler aux visiteurs et aux habitants le rôle noble que le port a joué dans l’histoire militaire du Canada.
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