David J. Bercuson dit que OUI
À la fin du mois de mars, l’Inde a annoncé qu’elle avait réussi à abattre un de ses propres satellites à l’aide d’un intercepteur lancé depuis le sol. L’Inde est devenue ce faisant le quatrième pays à avoir cette capacité, les États-Unis, la Russie et la Chine l’ayant précédée. Cette réalisation, succédant aux mesures mises en œuvre depuis le lancement des premiers satellites militaires de communication et de reconnaissance des années 1960, est un pas de plus vers l’arsenalisation de l’espace.
Nonobstant la ferveur avec laquelle beaucoup d’entre nous souhaitions que cela ne se produise pas, c’était presque inévitable. Rares sont les inventions humaines qui ont été menées à bien sans que leurs réalisateurs aient des fins militaires à l’esprit.
Prenons par exemple la militarisation de l’avion. Immédiatement après le premier vol des frères Wright, en 1903, les états-majors de plusieurs pays ont pris conscience du potentiel de reconnaissance des aéronefs à voilure. Après tout, les ballons captifs s’utilisaient depuis des dizaines d’années pour observer les mouvements de l’ennemi et même pour guider le tir d’artillerie. Il était logique d’employer l’avion pour suppléer ces fonctions.
En octobre 1911, pendant la guerre italo-turque, l’aviateur italien Carlo Piazza eut l’idée d’emporter de petites bombes dans son Blériot, avion de construction française, et de les larguer sur l’ennemi. Les pilotes commencèrent peu après à se munir de fusils et de pistolets pour tirer sur les avions ennemis. Ces fusils et pistolets furent supplantés par les mitrailleuses lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, début des combats aériens que l’on associe depuis à la guerre.
AU CANADA, NOUS AVONS TROP DE BIENS SPATIAUX
POUR ÊTRE DÉSINVOLTES À PROPOS DE L’AVENIR.
Il y a maintenant plus de 60 ans que les Soviétiques ont lancé le premier Spoutnik dans l’espace. Il faut beaucoup plus de temps pour militariser l’espace à cause de l’ampleur des problèmes techniques liés à la conception de satellites pouvant se détruire les uns les autres, sans parler de l’idée fantasque que les satellites pourraient un jour semer la destruction sur la terre.
Pourquoi utiliser des plateformes basées dans l’espace pour attaquer quand toutes sortes de plateformes au sol, dont beaucoup sont guidées par des satellites, peuvent déjà accomplir les mêmes tâches? Les bombardiers, les avions de chasse et les missiles guidés par les satellites de reconnaissance militaires peuvent semer la destruction n’importe où. La militarisation a déjà eu lieu; l’arsenalisation peut-elle être longue à venir?
La frontière haute, comme d’aucuns l’appellent, est mainte-nant le siège de systèmes mondiaux de communication et de reconnaissance qui relient les systèmes de radar aux avions de chasse, aux avions de reconnaissance stratégique, aux bombardiers, aux plateformes navales et aux forces expéditionnaires militaires.
L’arsenalisation de l’espace – c’est-à-dire l’installation dans l’espace d’armes pouvant détruire ces liens vitaux – est déjà en cours. Peut-on douter que les puissances militaires du monde soient en train d’étudier des moyens de détruire les satellites depuis l’espace? L’arsenalisation « concrète » de l’espace est inévitable. Au Canada, nous avons trop de biens spatiaux pour être désinvoltes à propos de l’avenir. Tout comme nous avons besoin d’intercepteurs à réaction, nous aurons besoin d’armes spatiales pour nous défendre.
Ernie Regehr dit que NON
L’exploitation sécuritaire et ininterrompue de satellites est devenue une condition sine qua non de la vie civile et des opérations militaires contemporaines. La communication, l’observation de la Terre, la navigation, le positionnement et les progrès scientifiques et techniques sont fortement tributaires de satellites, lesquels sont de plus en plus en danger à cause de débris spatiaux et à la merci d’éventuels agresseurs.
Au cours des deux dernières années, de nouveaux satellites ont été lancés au rythme de plus d’un par jour, qui ont rejoint les plus de 2000 satellites déjà opérationnels, les plus de 3000 satellites défunts, et les centaines de milliers de débris en orbite autour de la planète.
La militarisation de l’espace désigne des armes au sol dirigées vers l’espace et des armes basées dans l’espace. La première partie est déjà bien entamée et la secon-de, envisagée avec circonspection. Les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde ont démontré des capacités d’arme antisatellite (ASAT), alors que les deux Corées, le Japon, l’Iran et Israël ont exprimé leur intérêt.
Toute arme située dans l’espace devient une cible parfaite, car sa trajectoire est prévisible et elle est incapable d’éviter les attaques.
Arsenaliser l’espace accroitrait fortement l’insécurité partout dans l’espace en raison de l’éruption de tests et de déploiement d’ASAT qui s’ensuivraient certainement.
LE CONTRÔLE DES ARMEMENTS DEVIENT BIEN PLUS ATTRACTIF
LORSQUE L’ARME EN QUESTION EST EXTRÊMEMENT COÛTEUSE.
La sécurité des biens situés dans l’espace est subordonnée en fin de compte aux normes et aux instruments politiques et juridiques qui servent à contraindre les deux formes de militarisation, ce qui explique pourquoi la non-militarisation de l’espace est un objectif international largement soutenu depuis Spoutnik.
Le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 interdit le déploiement d’armes nucléaires dans l’espace. Ce traité et le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’Organisation des Nations Unies énoncent les principes destinés à préserver l’espace à des fins exclusivement pacifiques.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que compte tenu du peu de désir de contrôler les armements, ces sentiments admirables ne sont pas sur le point d’être transformés en traités contraignants. Mais il est encore possible de fixer des normes et d’encourager des pratiques sûres. Par exemple, on devrait convaincre les États qui ont toujours l’intention d’effectuer des tests d’ASAT d’éviter les frappes directes sur des cibles solides dans l’espace, car cela conduirait au rajout de débris dangereux en orbite.
Cependant, cela ne suffirait pas pour prévenir la militarisation de l’espace. Il faudrait mettre un terme au développement d’armes destinées à l’espace et mettre en veille le désir de faire sortir les armes basées dans l’espace de la science-fiction pour les rajouter aux arsenaux militaires réels. Même dans le climat politique actuel, le contrôle des armements devient bien plus attractif lorsque l’arme en question est extrêmement couteuse, qu’elle n’a pas été testée et qu’elle est très vulnérable aux contrattaques. Et cela décrit assez bien les armes basées dans l’espace.
Il existe une autre condition favorable au contrôle des armements. Ni l’une, ni l’autre des formes de militarisation de l’espace n’est encore largement pratiquée, alors il est encore temps de décider de ne pas emprunter cette voie périlleuse.
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