Face à Face: Est-il temps de repenser et de remplacer l’uniforme de combat de l’Armée canadienne?

Combat Camera

Stephen J. Thorne dit que OUI.

En 2002 et en 2003, une tempête dans un verre d’eau a sévi à Ottawa à propos des tenues de combat que les Canadiens portaient à quelque 10 600 kilomètres de là.

Dans les climats arides de l’Afghanistan, nos soldats étaient, Ô scandale, vêtus de vert. Selon les pontes et les hommes politiques qui n’avaient d’ailleurs jamais mis les pieds en Afghanistan ni en quelque endroit qui y ressemblât un tant soit peu, l’uniforme était une source d’embarras.

Ces arguments, a répliqué un vétéran de l’Afghanistan, « étaient plus politiques que tactiques ».

Le fait est qu’au moins la moitié des armées de la coalition, y compris celles du Moyen-Orient, portait du vert.

Et, par un heureux hasard, les tenues pimpantes des Canadiens décolorées après deux ou trois lavages se sont révélées idéales dans une bonne partie du terrain afghan.

Les pilotes d’hélicoptère américains qui assuraient la couverture aérienne et l’approvisionnement disaient qu’il était très difficile de repérer les Canadiens. Beaucoup plus difficiles à repérer, disaient-ils, que les soldats américains. En outre, les uniformes canadiens étaient pratiquement invisibles pendant la nuit, tandis que l’uniforme pâle des Américains faisait tache.

Les uniformes canadiens étaient, en fait, un triomphe, même si c’était par hasard, et les soldats n’avaient pas peur de les porter. Les Canadiens ont fini par obtenir leurs treillis pour le désert commandés avant même que la controverse ne pointe son nez. Plus foncés que l’uniforme américain, ils se sont montrés efficaces dans les divers environnements où les Canadiens ont été appelés à servir.

UN DEMI-MILLIARD DE DOLLARS? SI
C’EST LE PRIX À
PAYER,
SERRONS LES DENTS
ET REMPLAÇONS LES UNIFORMES DE NOTRE ARMÉE
.

Au cours des années qui ont suivi, le treillis a été remanié. Les poches ont été déplacées pour s’adapter aux nouvelles vestes pare-balles. Le pantalon pouvait être scellé, et on pouvait y insérer des genouillères. La chemise a été ajustée; le col, retaillé. Et tout cela s’est fait d’après les conseils des soldats qui avaient l’expérience du terrain.

L’ennui, c’est qu’il se décolore encore. En fait, la différence entre une tenue canadienne neuve et une tenue usagée est si grande qu’on pourrait douter qu’il s’agit du même uniforme.

Le treillis doit être bon, efficace et plaisant, sans quoi le moral des troupes fléchit. L’habillement est fondamental pour l’efficacité opérationnelle dans la plupart des métiers et professions.

Le fait est que les soldats et les pilotes savent mieux que quiconque ce qui fonctionne. Si les soldats canadiens disent avoir besoin de nouveaux uniformes, qu’on leur en donne.

Certes, la décoloration de la tenue a eu des avantages inattendus, mais elle n’est plus acceptable aujourd’hui. Comme le chef d’état-major de la défense l’a observé récemment, les soldats canadiens ne devraient pas porter un uniforme miteux. La mission actuelle du Canada au Mali avait à peine commencé que les tenues de camouflages étaient déjà décolorées.

Il y aurait des avantages à acheter le Multicam américain. Le graphisme et les coloris conviennent à tous les environnements. Les modifications nécessaires seraient simples, l’approvisionnement serait facile, l’investissement en recherche-développement serait moindre, et le tout pourrait être une aubaine. Et sur le terrain, on repèrerait facilement qui est de notre côté.

Les treillis de combat ne sont pas un enjeu politique. Il s’agit d’une question de respect fondamental, de confort, de commodité et même de sécurité pour nos soldats. Un demi-milliard de dollars? Si c’est le prix à payer, serrons les dents et remplaçons-les.


David J. Bercuson dit que NON.

L’Ottawa Citizen a rapporté l’été dernier que le général Jonathan Vance, chef d’état-major de la défense, voulait remplacer l’uni-forme vénérable à dessin de camouflage canadien (DCamC) par un nouveau camouflage selon le modèle américain appelé Multicam. Le projet pourrait couter jusqu’à 500 millions $, soit environ le prix de huit avions de combat F-35. Nous n’avons pas besoin de nouveaux treillis et nous n’avons pas besoin de dépenser un demi-milliard de dollars pour en acquérir.

Les Forces canadiennes ont acquis le DCamC pour régions boisées tempérées à la fin des années 1990 pour remplacer les uniformes vert foncé que les soldats canadiens portaient pendant la guerre froide. Un autre coloris a été commandé en même temps pour le désert ou les tropiques et, à l’exception de leur premier déploiement en Afghanistan, en 2002, les soldats canadiens l’ont porté pendant toute la durée de la mission canadienne. Les Canadiens portent actuellement ce même DCamC pour régions désertiques au Mali.

Lorsque le modèle de graphisme numérique a été adopté, il était en avance sur la plupart des modèles de camouflage utilisés par les États-Unis et par d’autres pays de l’OTAN. Spécialement conçu pour le rendre beaucoup plus difficile à discerner par l’ennemi dans les régions vertes ou désertiques, il a donné un avantage aux soldats canadiens par rapport à leurs alliés et à leurs ennemis sur le terrain.

Les États-Unis ont adopté peu après le graphisme de camou-flage numérique, dans une grande variété de tons de base, pour les diverses branches de ses forces armées. En fait, il y avait tant de variétés de camouflage que le Congrès américain a exigé que l’armée réduise le nombre de modèles à trois ou quatre.

En ce qui concerne les dépenses pour la défense, le Canada n’a pas les mêmes moyens que les États-Unis, loin s’en faut. Où trouverait-on un demi-milliard de dollars pour rhabiller nos soldats? L’argent ne tombe pas du ciel, et chaque dollar dépensé ici est un dollar qui ne peut pas être dépensé ailleurs. Les plaintes au sujet du coût des F-35 ont, à toutes fins utiles, mis un terme à ce projet au Canada. Treize autres pays ont passé leur commande et plusieurs d’entre eux sont déjà en train d’intégrer les nouveaux avions dans leurs flottes. Le Canada, lui, ne prendra pas sa décision finale sur cet approvisionnement avant au moins quatre ans, tant la controverse est vive, mais nous aurions un demi-milliard de dollars à consacrer à de nouveaux uniformes?

Le DCamC que le Canada a adopté à la fin des années 1990 est un très bon modèle, et il n’a rien d’obsolète. Il était alors en avance sur son temps, et il reste l’égal des motifs de camouflage numériques qu’utilisent d’autres pays. Une tenue de camouflage supérieure contri-buerait certainement à améliorer un peu la sécurité de nos soldats, mais de quel autre équipement les priverait-on en contrepartie?

Le MDN devrait peut-être se tourner vers les Forces de défense israéliennes. L’armée israélienne, qui a pris part à de nombreuses guerres au cours des 50 dernières années, utilise le même uniforme brun-vert depuis au moins qua-rante ans. Les bottes ont changé, les casques ont changé, le filet de camouflage a changé, mais l’uniforme est toujours le même. Si Israël peut se passer de nouveaux uniformes, pourquoi seraient-ils une nécessité chez nous?


STEPHEN J. THORNE est photographe, rédacteur et journaliste primé. Il a fait des reportages sur la chute de l’apartheid en Afrique du Sud et sur le front au Kosovo et en Afghanistan.

David J. Bercuson, auteur de notre rubrique « Eye on defence » (Œil sur la défense, NDT), est directeur du Centre for Military and Strategic Studies de l’Université de Calgary.

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