Face à Face: Les Alliés auraient-ils dû mettre un terme aux attaques le 10 novembre?

Terry Copp dit que OUI


Le 28 septembre 1918, le général Erich Ludendorff, commandant de l’armée allemande, admit qu’il avait perdu la guerre. « Si nous avions le pouvoir de redresser la situation dans l’Ouest, bien sûr, tout ne serait pas encore perdu, dit-il. Mais nous n’avions aucun moyen pour ça […]. Nous ne pouvions nous attendre qu’à nous faire repousser sans cesse. »

Insistant sur le fait que « chaque heure qui passe est dangereuse »,le général concentra ses efforts sur la création d’un nouveau gouvernement en Allemagne et l’arrêt immédiat des hostilités. Le prince Maximilien de Bade fut nommé chancelier le 4 octobre, et, affirmant qu’il souhaitait « éviter de nouveaux bains de sang », il demanda au président américain Woodrow Wilson de négocier un armistice immédiat.

M. Wilson répondit le 8 octobre qu’il exigeait le « retrait des forces dans tous les territoires envahis »sans délai. Le 12 octobre, les Allemands acceptaient d’évacuer les territoires occupés, pourvu qu’une commission internationale supervise le processus. Cette tactique dilatoire fut rejetée par Wilson.

La coterie de décideurs allemands demeurait divisée et incertaine. Le général voulait éviter la responsabilité d’une reddition militaire tandis que Rupprecht, prince héritier de Bavière, insistait pour « faire la paix avant que l’ennemi n’entre en Allemagne ».

Le 6 novembre, les Canadiens traversèrent la frontière
entre la France et la Belgique, en direction
de Mons, «
sans opposition ».

Le 26 octobre, le gouvernement turc envoya des émissaires signer un accord de paix distinct. L’empereur d’Autriche suivit peu après. Le 5 novembre, le maréchal français Ferdinand Foch fut autorisé « à recevoir des représentants du gouvernement allemand et à leur faire part des conditions de l’armistice ».Les conditions furent posées le 8 novembre dans un wagon de chemin de fer, dans la forêt de Compiègne, au nord-est de Paris. Les délégués allemands avaient 72 heures pour signer l’armistice.

Les longues négociations n’eurent guère d’impact sur les opérations militaires alliées, ce qui pose question quant au bienfondé de la poursuite des combats alors que la guerre était pratiquement gagnée.

Le problème devint particulièrement important pour les Canadiens après que le Lieutenant-général sir Arthur Currie fut critiqué pour la mort inutile de ses soldats aux dernières heures de la guerre. Les rumeurs, les insinuations et les atteintes à sa réputation, particulièrement par sir Sam Hughes, aboutirent en 1928 au mémorable procès en diffamation à Port Hope, en Ontario, où sir Currie défendit sa réputation et où on lui donna raison. Pourtant, encore aujourd’hui, il y a des doutes sur la légitimité de ses actes.

Après la prise de Valenciennes le 3 novembre, les ordres de la Pre-mière armée britannique au lieute-nant-général étaient d’agir « vigoureusement […] afin d’empêcher les Allemands d’établir une nouvelle ligne ». Le 6 novembre, les Canadiens traversèrent la frontière entre la France et la Belgique, en direction de Mons, « sans opposition ».

Pendant la soirée du 9 novembre, sir Currie avait une décision à prendre : attendre 36 heures pour voir si les Allemands avaient accepté les conditions ou donner l’ordre
de prendre Mons. Il décida que « le dossier des combats des troupes canadiennes devrait se solder par la capture de Mons », et il leur ordonna de s’avancer. Il en couta au Canada 18 officiers et 262 militaires du rang tués, blessés ou disparus durant les deux derniers jours de la guerre, des pertes d’autant plus tragiques qu’elles étaient inutiles.


Geoffrey Hayes dit que NON

Les combats qui mirent fin à la première guerre mondiale en Europe de l’Ouest auraient-ils dû se terminer avant l’armistice du 11 novembre 1918? Les gens qui le croyaient à l’époque contribuèrent à créer une vision de la guerre qui gagna en popularité dans les années 1960 :des ânes impitoyables sacrifiant toujours plus de jeunes lions au cours des dernières heures de la guerre pour des gains douteux. 

Le sujet fut rapidement politisé au lendemain de la guerre. Aux États-Unis, les républicains cuisinèrent sans relâche le général John Pershing et ses collaborateurs sur la mort d’Américains au cours des derniers jours de la guerre pour marquer des points contre les démocrates de Woodrow Wilson. Les batailles furent moins partisanes au Canada, mais tout aussi perfides.

En mars 1919, Sam Hughes, ancien ministre de la Milice et de la Défense, accusa le lieutenant-général Arthur Currie, commandant du Corps canadien, d’avoir gaspillé des vies en lançant des troupes à l’assaut de Mons durant la matinée du 11 novembre. Ces hommes, maintenait Hughes, n’étaient morts que pour un symbole dérisoire : c’est à Mons que les Britanniques avaient été mis en déroute en 1914.

Hughes, assoiffé de vengeance à l’égard du lieutenant-général, fut protégé par le privilège parlementaire jusqu’à sa mort, en 1921. Toutefois, quand un journal de Port Hope, en Ontario, répéta ses accusations en 1927, le lieutenant-général lui intenta un procès en diffamation. Sir Currie eut gain de cause, mais la tension occasionnée contribua probablement à sa mort prématurée en 1933.

Les rumeurs d’un cessez-le-feu imminent
ne changeaient pas les ordres.

La politique d’après-guerre et le recul rendent ces dernières victimes particulièrement tragiques. Mais il ne faut pas oublier qu’au début de 1918, les Allemands étaient sur le point de gagner la guerre. Après avoir battu la Russie, l’Allemagne n’avait pas grand avantage à négocier une paix fondée sur les 14 points du président américain Woodrow Wilson. Elle voulait une victoire militaire. Les importantes poussées allemandes du printemps avaient créé un fossé entre les forces britanniques et les forces françaises. Les Allemands avaient fait des milliers de prisonniers et, à toutes fins utiles, détruit la Cinquième armée britannique. Les canons allemands avaient atteint Paris. Il s’en était vraiment fallu de peu.

Les Alliés avaient repris le dessus pendant l’été, quand le général Foch mena une série de contrattaques visant à repousser les Allemands hors de France et de Belgique. Le haut commandement allemand refusait de se soumettre à l’inévitable. Le 4 octobre, la colère en Allemagne contre le kaiser et l’armée, et l’effondrement de leurs alliés poussa les généraux à demander aux Américains la cessation des combats selon les 14 points.

Les Allemands n’en avaient pas totalement fini : le 8 octobre, les Canadiens trouvèrent la ville française de Cambrai en flammes. Deux jours plus tard, un sous-marin allemand coula le paquebot britannique Leinster. Les Britanniques (et les Canadiens) faisaient encore face à des combats difficiles. La fin prit tout le monde par surprise.

Ce n’est qu’avec le recul et dans un contexte de partisannerie politique que l’on peut considérer ces derniers sacrifices comme vains. Les soldats morts le 11 novembre 1918 ont péri de la même manière que le demi-million de leurs compagnons d’armes tombés au cours des dernières semaines de la guerre, alors que les généraux allemands s’efforçaient de rejeter la responsabilité d’une guerre qu’ils avaient presque gagnée, mais qu’ils avaient fini par perdre.


TERRY COPP est directeur émérite du Laurier Centre for Military and Strategic Disarmament Studies de l’Université Wilfrid Laurier. Il est l’auteur de nombreux
livres et articles sur le rôle du Canada aux deux guerres mondiales.

GEOFFREY HAYES est professeur d’histoire agrégé près de l’Université de Waterloo. Sa concentration concerne l’histoire militaire canadienne, le maintien de la paix, l’Afghanistan et le commandement militaire canadien. Il siège également au conseil d’administration de la Fondation canadienne des champs de bataille.

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